Test DVD / El Agua, réalisé par Elena López Riera

EL AGUA réalisé par Elena López Riera, disponible en DVD le 18 juillet 2023 chez Blaq Out.

Acteurs : Luna Pamiés, Alberto Olmo, Nieve de Medina, Bárbara Lennie, Irene Pellicer, Nayara de Lucas, Lidia Maria Cánovas, Pascual Valero…

Scénario : Philippe Azoury & Elena López Riera

Photographie : Giuseppe Truppi

Musique : Mandine Knoepfel

Durée : 1h40

Année de sortie : 2022

LE FILM

C’est l’été dans un petit village du sud-est espagnol. Une tempête menace de faire déborder à nouveau la rivière qui le traverse. Une ancienne croyance populaire assure que certaines femmes sont prédestinées à disparaître à chaque nouvelle inondation, car elles ont « l’eau en elles ». Une bande de jeunes essaie de survivre à la lassitude de l’été, ils fument, dansent, se désirent. Ana et José vivent une histoire d’amour, jusqu’à ce que la tempête éclate…

Voilà deux nouvelles révélations, à la fois devant et derrière la caméra. Tout d’abord la comédienne Luna Pamiés (17 ans au moment du tournage), repérée au cours d’un casting sauvage, qui crève l’écran pour son premier rôle au cinéma. Une nana au caractère bien trempé, à la sensibilité à fleur de peau, dont le charisme rappelle souvent celui de Zendaya, nommée pour le Goya de meilleure révélation féminine. Aux manettes d’El Agua, la réalisatrice Elena Lopez Riera, qui jusqu’à présent n’avait que trois courts-métrages à son actif, Pueblo (2015), The Entrails (2016) et Los que desean (2018), tous tournés dans son petit village natal d’Alicante, où se déroule également El Agua. Et pour cause, puisque ce premier long-métrage et disons-le coup de maître, se base sur les superstitions qui ont bercé Elena Lopez Riera, des récits aux accents mythologiques qui sont magistralement restitués dans le film, qui plonge les personnages dans une ambiance presque fantastique où plane l’ombre de M. Night Shyamalan, notamment La Jeune fille de l’eau (forcément vu le thème) et Phénomènes, avec l’omniprésence des forces de la nature. Enfin du cinéma ibérique qui propose autre chose que de l’épouvante ou une resucée des œuvres de Pedro Almodóvar, El Agua, étrangement proche des deux livres – très recommandés – écrits par Olivia Ruiz, est un récit sur la transmission et le devoir de mémoire, nappé d’un conte initiatique et d’un portrait de jeune femme à son entrée dans la vie adulte. C’est superbe.

Ana vit avec sa mère et sa grand-mère dans une maison que le reste de la ville regarde avec méfiance. Au milieu de l’atmosphère électrique qui précède la pluie, Ana rencontre José tout en luttant pour chasser les fantômes du passé qui pèsent sur son avenir. On pourrait résumer El Agua ainsi, mais cela ne donnerait qu’un bref aperçu de ce film réellement hypnotique et envoûtant. Les femmes fument beaucoup ici, comme si le feu du tabac pouvait empêcher l’eau menaçante qui les environne de prendre possession de leur corps, une certitude, une conviction qui se transmet de mère en fille ou de grand-mère à petite-fille. Alors qu’elle arrive à un carrefour de son existence, Ana, qui connaît son premier émoi d’adolescente, bouleversée alors que les flammes de l’amour l’embrasent, se souvient de l’histoire de la mariée emportée par l’eau du fleuve voisin le soir de ses noces. Une malédiction paraît peser sur la famille d’Ana, une sensation pesante se fait ressentir systématiquement, comme si une prophétie devait se réaliser, celle d’une entité liquide devant submerger Ana, entrer en elle, en reprenant possession de son corps et de son âme.

El Agua est certes féministe dans ses veines, mais les hommes sont aussi de la partie avec José (excellent Alberto Olmo, qui vient d’incarner le jeune Edmond Dantès dans une relecture récente et moderne du Comte de Monte-Cristo) et son père, deux êtres qui n’ont sans doute jamais vraiment parlé après un passé qu’on imagine tumultueux, mais que les circonstances (une catastrophe naturelle en vue) vont réunir et souder à nouveau. Si Luna Pamiés est incontestablement l’une des plus belles découvertes de l’année, Bárbara Lennie (vue dans El Reino de Rodrigo Sorogoyen, Everybody Knows d’Asghar Farhadi et La Piel que habito de Pedro Almodóvar) et Nieve de Medina, par ailleurs les seules comédiennes professionnelles du film, n’auraient pas démérité une récompense pour leur interprétation. On se perd délicatement, mais sûrement dans El Agua, qui démarre comme une chronique sur l’ennui adolescent alors que vient l’été dans une petite bourgade paumée. Certains se font déjà une raison, ils devront rester là toute leur vie, d’autres espèrent prendre la poudre d’escampette au plus vite, pour échapper à cette condamnation ancestrale. Pour passer le temps, on va piquer une tête à la piscine qui se trouve entre un Burger King et un magasin sans âme de la zone commerciale, avant de se retrouver le soir pour danser sur des airs de techno.

Puis, l’écoulement du fleuve adjacent se fait entendre et représente le fil de la vie, le destin, qui descend inexorablement, provenant d’un point A pour arriver à un point B. Une acceptation, une inéluctabilité, comme les citrons lumineux et juteux qui arrivent à maturité et qui doivent être cueillis au plus vite. Comme Ana qui rencontre l’amour et qui pense quitter son village avec José, en dépit de cette étrange menace aquatique dont on elle a toujours entendu parler, celle du fleuve qui « avale » littéralement les femmes au moment de chaque nouvelle inondation due aux pluies torrentielles. Le drame existentiel, coécrit avec le journaliste et critique Philippe Azoury, mute quasiment en film apocalyptique, la réalisatrice ayant recours à de véritables images d’archives, tandis que le réel s’incruste à travers le témoignage de celles qui ont vécu ou entendu parler de la célèbre légende. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2022, El Agua est une belle et enivrante expérience de cinéma, qui subjugue par sa maîtrise formelle et par sa richesse thématique.

LE DVD

Sorti dans les salles françaises le 1er mars 2023, El Agua bénéficie d’une édition en DVD chez Blaq Out. Belle jaquette au visuel intrigant. Le menu principal est fixe et muet.

Un seul supplément, mais de qualité. Il s’agit d’une rencontre organisée avec Elena López Riera et l’actrice Lunia Pamios à la Quinzaine des Réalisateurs, lors de la présentation d’El Agua au Festival de Cannes (22’). Un événement qui rappelle parfois une scène mythique du Magnifique de Philippe de Broca, puisque la présentatrice pose ses questions en français à la réalisatrice (qui comprend et parle couramment notre langue), puis la question est traduite en anglais, Elena López Riera répond en français également, puis sa réponse est retraduite en anglais, tandis que la cinéaste traduit tout en espagnol à l’oreille de la comédienne. N’hésitez pas à écouter ce débat, durant lequel Elena López Riera s’exprime sur la genèse d’El Agua (en gros inspiré des superstitions familiales), des conditions de tournage (dans son village natal), de ses partis-pris et de ses intentions, des choix musicaux, ainsi que des difficultés rencontrées pour monter financièrement son premier long-métrage.

L’Image et le son

Point d’édition HD à l’horizon et c’est bien dommage tant la photo du chef opérateur Giuseppe Truppi subjugue à chaque plan. Cependant, le DVD parvient à en restituer les magnifiques partis-pris mêlant de manière homogène les teintes chaudes et arides, avec la luminosité du soleil ardent, le bleu azur du ciel. La gestion des contrastes et le piqué sont fermes, le cadre fourmille de détails toujours appréciables tandis qu’un sensible mais indéniable grain cinéma se fait ressentir.

Le mixage espagnol Dolby Digital 5.1 se contente du minimum syndical à savoir créer une spatialisation musicale correcte et sans esbroufe, proposer une balance frontale dynamique et évidente, tout en usant des enceintes arrière avec parcimonie. Le caisson de basses a peu de séquences à mettre réellement en valeur et seule les séquences de fêtes et de tempête parviennent à se démarquer. La Stéréo fait efficacement son labeur et bénéficie d’un large spectre sonore. Aucune piste française n’est disponible. En revanche, l’éditeur fournit les sous-titres français destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © Blaq Out /Les Films du Losange / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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