DISSIDENTE (Richelieu) réalisé par Pier-Philippe Chevigny, disponible en DVD le 15 octobre 2024 chez Blaq Out.
Acteurs : Ariane Castellanos, Marc-André Grondin, Nelson Coronado, Ève Duranceau, Gerardo Miranda, Antonio Ortega, Micheline Bernard, Luis Oliva, María Mercedes Coroy, Émile Schneider, Hubert Proulx, Marc Beaupré, Christine Beaulieu…
Scénario : Pier-Philippe Chevigny
Photographie : Gabriel Brault Tardif
Musique : Félicia Atkinson
Durée : 1h26
Année de sortie : 2023
LE FILM
À Richelieu, ville industrielle du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. Tiraillée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes.
À la base de Dissidente, titre « français » de Richelieu, le film de Pier-Philippe Chevigny (né en 1988) étant baptisé ainsi dans la Belle province, il y a tout le passé documentaire du réalisateur. Celui-ci est l’auteur de plus d’une demi-douzaine de courts-métrages (Carré de sable, Les Jours qui suivront…), reflétant sa préoccupation pour les problèmes sociaux rencontrés par ses contemporains. Dissidente est son premier long-métrage, de fiction donc, Pier-Philippe Chevigny ayant pensé un long moment livrer un documentaire sur la condition des migrants guatémaltèques au Canada. Comme il l’a indiqué en interview au moment de la sortie de Dissidente, il rendait déjà compte de la situation des aides ménagères philippines, employées chez les familles bourgeoises québécoises, dans son court-métrage Tala (2013), découvrant au cours de ses recherches la communauté des migrants guatémaltèques, qui allait devenir le catalyseur de Richelieu dix ans plus tard. Autant dire que ce film fait preuve d’une étonnante maturité. Drame social anxiogène et redoutablement immersif dès la première scène, Dissidente plonge le spectateur dans le quotidien des travailleurs guatémaltèques, qui se sont pour la plupart endettés pour venir au Canada, en espérant trouver du travail dans l’industrie agricole, qui a sans cesse besoin de main d’oeuvre, si possible bon marché. Un processus facilité par le gouvernement fédéral canadien, qui permet aux entreprises d’aller piocher en Amérique Centrale, où la demande de travail est aussi conséquente qu’illimitée. « Il n’y a qu’à se servir » comme on dit et si l’un de ces éléments devait ralentir la cadence, celui-ci serait immédiatement « remercié » (autrement dit renvoyé dans son pays), pour être remplacé par un autre qui attend patiemment son tour. Dissidente est une œuvre choc, frontale, étouffante, qui offre probablement à la comédienne Ariane Castellanos, elle-même d’origine guatémaltèque et qui avait déjà collaboré avec Pier-Philippe Chevigny, son plus grand rôle à ce jour, pour lequel elle a été très justement récompensée par le Prix d’Interprétation Féminine au Festival de Saint-Jean-de-Luz, où le film est a également remporté le Grand Prix et le Prix du Public. Une très belle et grande découverte.
Chacun porte sa croix. C’est ce que nous montre et dévoile Dissidente, peu importe de quel côté de la barrière où l’on se trouve. Si le récit adopte essentiellement le point de vue d’Ariane, avec une caméra qui s’immisce souvent dans son dos et la suit dans son quotidien, y compris chez elle où elle retrouve sa mère, avant d’aller ingurgiter un Coca, Dissidente montre à la fois les ouvriers et leur directeur. Ce dernier est incarné par Marc-André Grondin, révélé en 2005 dans C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée, César du meilleur espoir masculin pour Le Premier Jour du reste de ta vie et que l’on avait perdu de vue depuis longtemps. Désormais âgé de 40 ans, ayant pris de l’épaisseur (comme il l’a encore prouvé dernièrement dans Le Successeur de Xavier Legrand), le comédien canadien est méconnaissable dans Dissidente, réellement flippant, mais aussi horriblement humain, puisque son personnage, trouble, est lui-même mis au pied du mur et sans cesse menacé de perdre son boulot si ses employeurs demeurent insatisfaits des résultats obtenus. Père de famille, cette ancienne brute de l’école qui a réussi à devenir directeur d’usine, a peu d’états d’âme, le cuir épais et critique ouvertement celles et ceux qui s’avèrent trop « sensibles » pour travailler dans leur établissement. C’est là qu’Ariane va prendre conscience de cette déshumanisation, prendre le taureau par les cornes, en dépit du danger que cela représente aussi pour elle (une menace d’expulsion pèse sur ses épaules), et oser se confronter et même à s’opposer à ce système trop bien réglé.
Ariane est notre point d’ancrage dans Dissidente, celle à qui Pier-Philippe Chevigny confie son regard sur les travailleurs temporaires venus du Guatémala. Le cinéaste filme les visages, les dos cassés par les 50 heures de pelletage par semaine, la fatigue, la résignation, la frustration, la colère, n’omet pas de montrer que les ouvriers s’exploitent aussi entre eux, qu’ils entrent dans un cercle vicieux dans lequel ils sont obligés de travailler encore plus pour éponger une dette personnelle qui s’est encore creusée pour pouvoir fouler le sol canadien, ou tout simplement pour pouvoir payer une cotisation aussi injuste qu’obligatoire, puisqu’ils n’ont pas le droit d’être syndiqué.
Les comédiens, professionnels ou non d’ailleurs (à l’instar de Nelson Coronado, qui interprète Manuel) sont exceptionnels de vérité et solidement dirigés par Pier-Philippe Chevigny, chaînon manquant entre Ken Loach, Stéphane Brizé et les frères Dardenne. Rien de moins.
LE DVD
C’est Blaq Out qui se charge du service après-vente pour le de Pier-Philippe Chevigny, Dissidente étant uniquement disponible en DVD. Le disque repose dans un boîtier Amaray classique transparent, glissé dans un sur-étui cartonné. La jaquette reprend le visuel de l’affiche française d’exploitation. Le menu principal est fixe et musical.
L’éditeur nous gratifie d’une excellente interview du réalisateur (9’). Pier-Philippe Chevigny s’exprime sur le titre original, Richelieu, qui n’est autre que sa ville natale, dominée par l’industrie agro-alimentaire. Puis, il en vient à la genèse de Dissidente, né principalement de son court-métrage Tala, sur lequel il a pu se rendre compte de la situation des travailleurs temporaires venus du Guatémala, suite auquel il avait voulu faire un documentaire sur ce sujet, avant d’en venir finalement à la fiction, sans doute un meilleur « outil » pour raconter cette histoire dit-il. Le casting est aussi abordé, notamment l’implication d’Ariane Castellanos, qui a aidé le cinéaste à trouver les acteurs non-professionnels.
L’Image et le son
C’est en découvrant le master SD soigné de Dissidente que l’on regrette l’absence d’une édition en Haute définition. Si le piqué n’est pas aussi ciselé sur les séquences sombres ou tamisées, la colorimétrie est d’une richesse impressionnante, les contrastes sont tranchants et les détails abondent aux quatre coins du cadre malgré l’utilisation du 1.37. Le relief est omniprésent, la clarté très appréciable.
Nous n’avons pas non plus à nous plaindre du mixage français québécois/espagnol Dolby Digital 5.1 qui répartit les répliques, la musique et les effets avec une belle fulgurance. L’éditeur joint également une piste Stéréo, ainsi que les sous-titres français.
Crédits images : © Blaq Out / Les Alchimistes / Franck Brissard pour Homepopcorn.fr