DÉTENU EN ATTENTE DE JUGEMENT (Detenuto in atessa di guidizio) réalisé par Nanni Loy, disponible en DVD le 5 octobre 2017 chez Tamasa Diffusion
Acteurs : Alberto Sordi, Elga Andersen, Andrea Aureli, Lino Banfi, Antonio Casagrande, Mario Pisu…
Scénario : Sergio Amidei, Emilio Sanna, Rodolfo Sonego
Photographie : Sergio D’Offizi
Musique : Carlo Rustichelli
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Giuseppe Di Noi est géomètre et vit en Suède depuis sept ans. Il décide de prendre quelques semaines de vacances avec sa femme et ses enfants en Italie, son pays natal. Mais à la frontière, un douanier lui demande de le suivre, pour une simple formalité. À peine entré dans les locaux de la douane, il en ressort menotté et en état d’arrestation sans savoir de quoi on l’accuse. Convaincu que l’erreur sera vite éclaircie, le malheureux est mis en prison, à l’isolement, et aura à subir à un vrai chemin de croix judiciaire…
Quel choc ! Sorti en 1971, Détenu en attente de jugement – Detenuto in attesa di giudizio est sans aucun doute l’un des plus grands films des années 1970. 45 ans après, le film de Giovanni Loi dit Nanni Loy (1925-1995), alors habitué des comédies à l’instar de son Hold-up à la milanaise (1959), la suite du mythique Pigeon de Mario Monicelli et père de la caméra cachée transalpine, n’a rien perdu de sa force et demeure même toujours d’actualité. Dans son premier rôle entièrement dramatique, Alberto Sordi, alors âgé de 50 ans et fêtant ses trente années de carrière consacrées essentiellement à la comédie, livre une prestation époustouflante qui hante encore les esprits bien longtemps après.
Depuis plusieurs années le géomètre Giuseppe Di Noi s’est installé en Suède, où il a épousé une femme suédoise. Père de deux petites filles, il est devenu un professionnel estimé. Après avoir signé un gros contrat, il décide d’emmener sa famille (et leur chien) en vacances en Italie pour une durée de trois semaines. Mais à la frontière italienne, juste après avoir franchi le Tunnel du Mont-Blanc, il est arrêté sans qu’on lui donne la moindre explication. Le cauchemar se prolonge bien au-delà de ce qu’il avait prévu, et il faudra l’acharnement passionné de son épouse et de son avocat pour montrer qu’il s’agit d’une erreur et obtenir la libération de l’innocent.
Ce très grand film, ce chef d’oeuvre qu’est Détenu en attente de jugement repose sur un scénario impitoyable signé Sergio Amidei (Rome ville ouverte, Païsa, Allemagne année zéro) et Rodolfo Sonego (Un héros de notre temps, Il Vedovo, L’Argent de la vieille). Autrement dit un scénariste préoccupé par la situation politique, sociale et économique de son pays, et le second habitué à écrire des rôles sur mesure pour le grand Alberto Sordi, « l’Albertone », le comédien italien le plus populaire de tous les temps. Ce dernier est vraiment fantastique dans le rôle de Giuseppe Di Noi, que l’on pourrait traduire par « comme nous », un individu comme les autres. Le succès et le triomphe d’Alberto Sordi pendant plus de soixante ans s’expliquent par cette empathie immédiate qu’il a toujours su créer, en incarnant l’italien moyen dans lequel les spectateurs se reconnaissaient. Ce « personnage » troque ici son nez rouge pour adopter le fard blanc du clown triste. Cette prestation bouleversante s’est vue récompensée par l’Ours d’argent du meilleur acteur au Festival de Berlin en 1972, ainsi que le David di Donatello partagé avec Giancarlo Giannini pour Mimi métallo blessé dans son honneur.
Victime du système judiciaire, politique et carcéral d’un pays en roue libre, Giuseppe Di Noi ne saura pas pourquoi il est arrêté, ni pourquoi on lui refuse le droit de se défendre ou tout simplement d’être écouté. Avec une caméra portée qui donne au film une dimension quasi-documentaire, ainsi qu’une photographie froide et aux teintes « immédiates » de Sergio D’Offizi, Nanni Loy plonge autant son personnage principal que les spectateurs dans un cauchemar kafkaïen, qui devient de plus en plus sombre et tortueux. L’humour noir sert de soupapes dans le premier acte, notamment lors de la fouille « en profondeur » du présumé coupable, mais déjà le malaise s’installe, quand Giuseppe doit se mettre à nu, au sens propre comme au figuré, tandis qu’on lui ôte toute dignité. Et le film agit toujours ainsi, en crescendo, en créant une sensation d’étouffement, à mesure que Giuseppe perd pied et espoir, au risque de sombrer dans la folie.
Alors que le personnage est transféré aux quatre coins du pays, en voiture, en train, en bateau, sous les huées des passants, il semble que Giuseppe doive se résoudre à rester emprisonné, dans des conditions de plus en plus dramatiques, déplorables et dangereuses puisqu’il échappe de peu à une tentative de viol collectif. S’il parvient à se sortir de cet enfer, nul doute que cette expérience le marque à vie.
Pamphlet corrosif, engagé et terrifiant sur les conditions aussi ancestrales que caduques des systèmes qui régissent l’Italie, pays obéissant encore à des règles fascistes dans l’unique but de broyer les individus, Détenu en attente de jugement est un triomphe à sa sortie et reste un film à découvrir absolument durant sa vie de cinéphile, d’autant plus qu’il demeurait encore inédit en France jusqu’en 2017.
LE DVD
Le DVD disponible chez Tamasa Diffusion repose dans un slim digipack cartonné qui comprend également un petit livret de 16 pages illustré et contenant les avis d’Olivier Père, de Justin Kwedi (DVDClassik), de Loïc Blavier (Tortillapolis), ainsi que des bios d’Alberto Sordi et de Nanni Loy, sans oublier la fiche technique du film. En guise d’interactivité nous trouvons une galerie de photos et d’affiches, ainsi que la bande-annonce. Le menu principal est fixe et musical. Petite erreur de la part de l’éditeur qui indique que le film date de 1960…
L’Image et le son
Posséder Détenu en attente de jugement en DVD était inespéré. Le film de Nanni Loy renaît donc de ses cendres chez Tamasa dans une copie – présentée dans son format 1.85 – d’une propreté souvent hallucinante. Point d’artefacts de la compression à signaler, aucun fourmillement, les couleurs se tiennent, le master est propre, immaculé, stable, les noirs plutôt concis et les contrastes homogènes. Hormis divers moirages et des séquences sombres au grain plus appuyé, le cadre fourmille souvent de détails, le piqué est joliment acéré, le relief et la profondeur de champ sont éloquents, les partis pris du célèbre directeur de la photographie Sergio D’Offizi (La Longue nuit de l’exorcisme) sont divinement bien restitués. Certains plans rapprochés tirent agréablement leur épingle du jeu avec une qualité technique quasi-irréprochable. Une véritable redécouverte, merci Tamasa !
Le confort acoustique est largement assuré par la piste mono d’origine italienne. Seule la version italienne est disponible, mais aucune raison de s’en plaindre. Ce mixage affiche une ardeur et une propreté remarquables, créant un spectre phonique fort appréciable et un bel écrin pour la musique de Carlo Rustichelli. Les effets et les ambiances sont nets. Les sous-titres ne sont pas imposés.
Crédits images : © SNC (Groupe M6) / Compass Movietime TDR / Tamasa / Captures DVD : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr