BOF..(anatomie d’un livreur) réalisé par Claude Faraldo, disponible en DVD le 9 juin 2020 chez Tamasa Diffusion.
Acteurs : Marie Dubois, Julian Negulesco, Paul Crauchet, Marie-Hélène Breillat, Mamadou Diop, Michel Fortin, Annick Fougery, Lara Lane…
Scénario : Claude Faraldo
Photographie : Sacha Vierny
Musique : Jean Guérin
Durée : 1h41
Date de sortie initiale : 1971
LE FILM
Un vieil ouvrier fatigué d’être rivé depuis vingt-cinq ans à la même machine décide, une fois veuf, de devancer sa retraite. Son fils, livreur chez un marchand de vin, vient de se marier. Le père s’installe chez le jeune couple, trop heureux de se laisser vivre, et partage le farniente de sa bru, qui flemmarde au lit jusqu’à midi, avant de se lever pour se lancer dans d’interminables réussites.
Vous cherchez un film étrange ? Inclassable ? Qui ne ressemble à aucun autre ? Alors Bof..(anatomie d’un livreur) est fait pour vous ! Ancien berger et chauffeur-livreur chez Nicolas, Claude Faraldo (1936-2008) avait déjà réalisé La Jeune Morte en 1965, qui n’est jamais sorti en France et qui lui avait laissé un goût amer, notamment en raison du décès de trois de ses collaborateurs sur le tournage, sa scripte, sa monteuse, ainsi que son acteur principal Jean-Claude Rolland. Après avoir délaissé le cinéma pendant quelques années, le metteur en scène revient à l’écriture par l’intermédiaire du théâtre. Fils d’ouvrier ayant multiplié les petits boulots depuis son plus jeune âge, Claude Faraldo finit par rejoindre le cours Simon, dans l’espoir de devenir comédien. Plus tard, il deviendra l’un des cofondateurs de la célèbre société de production ArtMédia. Pour l’heure, Bof..(anatomie d’un livreur) démontre l’univers singulier et original de ce complet autodidacte, largement inspiré par ses idées contestataires et libertaires après mai 1968. Conçu comme un plaidoyer pour le droit à la paresse, Bof..(anatomie d’un livreur) peut déconcerter en raison de ses partis-pris, de ses longues scènes, par son montage quelque peu éclaté. Effectivement, on peut parfois trouver le film bancal, insolite, déconcertant même, mais aussi malaisant avec le personnage du père, formidablement interprété par le grand Paul Crauchet, aux côtés de la lumineuse Marie Dubois. En d’autres termes, Bof..(anatomie d’un livreur) est une œuvre unique, dans laquelle l’audience y piochera à boire et à manger, mais dont l’expérience vaut sacrément le détour.
Un jeune livreur de bouteilles a épousé la souriante Germaine. Son père, dégoûté d’aller pointer à l’usine, a aidé sa dolente femme à « faire le grand saut », lui évitant les désagréments de la vieillesse. Le fils veut suivre l’exemple du père : abandonner son métier, adopter un mode de vie entièrement libre. D’ailleurs, il accepte de faire « ménage à quatre » avec son père et son aimable fiancée. Enthousiasmés par cette douce euphorie, tous décident de partir au pays du soleil…
« Je vis à tes crochets, j’ai tué ta mère, j’ai couché avec ta femme… Ne m’appelle plus papa, appelle moi Paulo ! »
Les qualités de Bof..(anatomie d’un livreur) ont été louées par Jacques Prévert, enthousiasmé par cet hymne à la liberté. Juste avant Themroc (1973), farce « anarcho-primitiviste » qui restera son film le plus célèbre, Claude Faraldo mettait déjà ici tout ce qui fera le caractère unique de son cinéma. La libération sexuelle est passée, la révolution étudiante aussi, les pavés ont été lancés, les tensions sont retombées. Débrouillez-vous avec ça désormais ! Et si on vivait tous ensemble en fait ? En évoquant une sexualité débarrassée des anciens carcans, Claude Faraldo crée un trouble, notamment tout ce qui touche les rapports entre le père et son fils (Julian Ngulesco), quand le premier parvient à convaincre le second de partager non seulement le même appartement, mais aussi la même compagne. Alors, quand le père ramène en plus une jeune kleptomane, interprétée par Marie-Hélène Breillat, véritable petite bombe sexuelle, la vie à quatre (ou cinq quand intervient un balayeur africain) devient plus complexe et l’euphorie commence à s’évanouir petit à petit. Le cinéaste s’interroge sur ce qui viendra après cette parenthèse enchantée, que l’on imagine vouée forcément à l’échec et dont les conséquences psychologiques risquent d’être difficiles pour chacun.
Parallèlement, Claude Faraldo ponctue son film ici et là de petites touches documentaires, à l’instar de la première partie quand il montre la formation progressive et les premiers pas d’un jeune livreur. Des gestes répétitifs, des charges importantes à porter, comme le métier du père qui renvoie directement à ce que Charles Chaplin dénonçait dans Les Temps modernes – Modern Times (1936). Finalement, en dépit du soulèvement survenu en mai 68, rien n’a changé concernant les conditions de travail. « Le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver ». Mais comment vivre sans bosser ? C’est un peu le serpent qui se mord la queue et chaque protagoniste paraît s’en rendre compte, mais continue de foncer, probablement droit dans le mur, en gardant le sourire.
Tous ces éléments n’apparaissent pas forcément directement quand on découvre Bof..(anatomie d’un livreur), mais la réflexion se fait après la projection. Les éléments s’imbriquent, les thèmes se révèlent progressivement, le film se dévoile enfin après en avoir dispersé les défauts indéniables, son rythme très lent entre autres. C’est là où l’intelligence et la pertinence de Claude Faraldo se manifestent et donnent même envie de revoir quelques séquences.
LE DVD
Après Themroc, Tamasa Diffusion continue de rendre hommage à Claude Faraldo en proposant cette fois Bof..(anatomie d’un livreur) en DVD. La jaquette au visuel très attractif est glissée dans un boîtier Amaray classique de couleur blanche. Le menu principal est fixe et musical.
En guise de supplément, l’éditeur propose un entretien avec Robin Davis (55’), réalisé par Roland-Jean Charna. Ancien assistant de Georges Lautner sur près d’une dizaine de films de La Grande sauterelle (1967) aux Seins de glace (1974), Robin Davis revient tout d’abord sur cette première expérience, sur laquelle il indique que le réalisateur des Tontons flingueurs n’était pas vraiment disposé à le laisser partir pour aller travailler avec d’autres, jusqu’à sa rencontre déterminante avec Claude Faraldo. Puis, l’invité de Tamasa Diffusion en vient à l’origine de Bof..(anatomie d’un livreur), « une vraie découverte […] avec un scénario bourré de fautes » qui possédait un vrai ton. Robin Davis évoque ensuite tour à tour la personnalité unique de Claude Faraldo (« un réalisateur en avance sur son temps, qui n’a pas eu la place qu’il aurait dû avoir dans le cinéma français, un poète maudit »), le parcours de ce dernier, ses thèmes de prédilection (le travail, la sexualité), ses positions, les partis-pris, le traitement des personnages, en particulier celui du père incarné par Paul Crauchet.
L’Image et le son
Bof..(anatomie d’un livreur) a bénéficié d’une restauration 4K réalisée par le laboratoire de l’Immagine Ritrovata de Bologne et financée par Studiocanal. C’est d’autant plus regrettable de ne pas bénéficier du film en Blu-ray ! L’image est d’une propreté absolue, stable, avec des contrastes soignés et une texture argentique toujours flatteuse. Si l’on pourra reprocher une légère teinte jaunâtre ou verdâtre, ainsi que des couleurs fanées en début de programme, les détails sont ensuite éloquents et le piqué agréable.
Rien à redire concernant la piste Dolby Digital 1.0, suffisamment dynamique et qui restitue notamment l’étonnante partition musicale, ainsi que les bruitages parfois cartoonesques. Quelques échanges paraissent plus étouffés. Dommage dans ce cas de ne pas proposer les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant !