À L’INTÉRIEUR (Inside) réalisé par Vasilis Katsoupis, disponible en DVD & Blu-ray le 5 mars 2024 chez L’Atelier d’Images.

Acteurs : Willem Dafoe, Gene Bervoets, Eliza Stuyck, Andrew Blumenthal, Vincent Eaton, Daniel White, Josia Krug, Cornelia Buch…

Scénario : Ben Hopkins, d’après une histoire originale de Vasilis Katsoupis

Photographie : Steve Annis

Musique : Frederik Van de Moortel

Durée : 1h41

Date de sortie initiale : 2023

LE FILM

Nemo, cambrioleur chevronné, se retrouve piégé dans un luxueux appartement new-yorkais. Essentiellement décoré d’œuvres d’art, il va devoir faire preuve de créativité et de ténacité pour survivre et tenter de s’échapper…

S’il y a bien une chose sur laquelle critiques et cinéphiles ont toujours été d’accord, c’est sur le fait qu’aussi bien dans ses bons que dans ses mauvais films, Willem Dafoe, comme un certain Nicolas Cage d’ailleurs, a toujours (ou presque) été impeccable, pour ne pas dire parfait. Plus de quarante ans de carrière, une incroyable filmographie qui compile les collaborations avec Kathryn Bigelow, Tony Scott, Walter Hill, William Friedkin, Oliver Stone, Martin Scorsese, Alan Parker, David Lynch, John Waters, Paul Schrader, Wim Wenders, Abel Ferrara, David Cronenberg, Sam Raimi, Wes Anderson, Lars von Trier, Spike Lee, Werner Herzog, on en oublie évidemment, mais il s’agit indéniablement d’un des C.V. les plus dingues du cinéma contemporain. Pourtant, à l’aube de ses 70 ans, Willem Dafoe n’a pas été souvent en haut de l’affiche, ce qui ne l’a jamais empêché de briller et de voler la vedette à chaque apparition. Autant dire que nous sommes ravis de découvrir À l’intérieur – Inside, dans lequel il tient effectivement le rôle principal, mais où il est aussi et surtout quasi-seul à l’écran pendant 1h40, de toutes les scènes, de tous les plans. Ce second long-métrage du réalisateur grec Vasilis Katsoupis, venu de la publicité et des clips musicaux, est une ode à Willem Dafoe, à son immense talent, à sa gueule ahurissante, à son aura, à son magnétisme, à son corps aussi. Si ce huis clos, qui se permet une « respiration » au cours d’un rêve, un cauchemar, ou une hallucination du personnage principal plutôt, connaît quelques pertes de vitesse dans sa dernière partie, on est on ne peut plus emballé par Inside, survival pur et dur, mais aussi dissection du mythe Dafoe. À l’intérieur, à découvrir.

Nemo, un voleur d’art, raconte en voix-off une anecdote liée à son enfance. Un professeur lui avait demandé quelles seraient les trois choses qu’il sauverait si sa maison devait prendre feu. Plutôt que sa famille, Nemo avait choisi son chat, un disque d’AC/DC et son carnet de croquis, tout en disant que son chat avait de toute façon fini par mourir, qu’il n’avait jamais revu l’album prêté à l’un de ses amis, mais qu’il avait toujours gardé sur lui son carnet de croquis. De nos jours, déguisé en technicien, Nemo s’introduit par effraction dans le penthouse d’un riche collectionneur d’art à Manhattan afin de dérober trois œuvres d’Egon Schiele. Alors qu’il recherche un autoportrait qui aurait dû être présent, le système de sécurité se met en route et scelle l’appartement. Les contacts de Nemo l’abandonnent. Ses tentatives d’évasion s’avèrent vaines. Un thermostat cassé rend le penthouse trop chaud puis trop froid, en passant de 40 à 6 degrés. Nemo doit aussi faire face au manque de nourriture et d’eau. Il ne peut compter que sur le système d’arrosage placé dans le jardin intérieur. Il n’a alors que pour seule compagnie un pigeon qui se retrouve piégé à l’extérieur, qui petit à petit meurt de faim devant ses yeux et le renvoient à sa propre condition. Au fil des semaines, Nemo, amaigri, se blesse à la suite de ses tentatives d’évasion, qui consistent à construire un énorme échafaudage à partir de meubles pour atteindre une lucarne. Il progresse dans le démontage du cadre avec des outils qu’il fabrique à partir de meubles, mais ses forces s’épuisent.

À l’intérieur a été tourné en un peu plus d’un mois, dans l’ordre chronologique, le temps pour Willem Dafoe de maigrir, de se laisser pousser les ongles, les cheveux (on dit même qu’il aurait arrêté de se laver), tandis que le décor autour de lui tombe en ruines et reflète le délabrement physique et psychologique de Nemo. Suffisamment rythmé pour qu’on ne se pose pas trop de questions sur les réactions et les actes (ou non) du cambrioleur sur sa condition et sur ce qu’il aurait pu tenter de faire pour s’en sortir, Inside tient en haleine, fascinés que nous sommes par ce fabuleux comédien, toujours impliqué, habité par les rôles qu’il a tenus depuis le début des années 1980. Certains éléments passent moins et font office de remplissage, à l’instar de l’obsession de Nemo pour cette jeune femme de ménage, qu’il aperçoit chaque jour via le retour des caméras de sécurité, diffusé sur la télévision de l’appartement. On comprend bien sûr que Jasmine, comme l’indique son badge, devient la seule par qui la libération de Nemo pourrait se concrétiser. Alors que Nemo perd espoir, Jasmine débarque juste devant la porte d’entrée du penthouse. Dans une frustration exaspérante, Nemo se rend compte qu’elle ne l’entend pas appeler à l’aide, en raison de ses écouteurs et du bruit de l’aspirateur.

Quelques digressions sont plus bancales, comme lorsque Nemo découvre un passage caché dans un placard qui mène à une pièce contenant entre autres une représentation du corps de Schiele. Le réalisateur Vasilis Katsoupis parvient à ne pas tomber dans la redondance formelle, met en valeur son impressionnant décor unique, le scénario de Ben Hopkins est assez malin pour maintenir l’attention des spectateurs, la photographie de Steve Annis (le fabuleux Color Out of Space de Richard Stanley) est très élégante et l’ensemble n’est pas dépourvu d’humour, à l’instar de l’exaspérante Macarena qui se met en route quand la porte du frigo reste trop longtemps ouverte, afin de rappeler à son utilisateur de faire attention aux inutiles dépenses d’énergie.

On observe Nemo manger les poissons hors de prix de l’aquarium ou de la bouffe pour chiens, souffrir d’une carie comme Tom Hanks, autre Robinson Crusoé improvisé dans Seul au monde, déféquer dans le bassin, halluciner de plus en plus, tout en créant ses propres œuvres d’art en réalisant des dessins sur les murs. Pas de création sans destruction donc, même si l’on ne sait pas ce que deviendra Nemo ou même s’il s’en sort, le dénouement demeurant volontairement ambigu. Mais l’expérience cinématographique fonctionne et demeure.

LE DVD

À peine 4000 entrées pour À l’intérieur, exploité au cinéma en France, à Paris à l’UGC Ciné Cité les Halles en novembre dernier. Ce score minuscule n’empêche pas L’Atelier d’Images se proposer Inside en DVD et en Blu-ray ! Pour cette chronique, nous nous pencherons sur l’édition Standard. Le visuel de la jaquette, glissée dans un boîtier classique Amaray transparent, reprend le visuel de l’affiche française d’exploitation. Le menu principal est fixe et musical.

Au programme de ce DVD, la bande-annonce, une poignée de scènes coupées (5’) anecdotique (dont une qui paraît être une fin alternative, mais nous n’en sommes pas certains) et surtout un entretien avec Vasilis Katsoupis (14’35). Le réalisateur revient sur la genèse d’À l’intérieur, sur l’écriture du scénario de Ben Hopkins, le choix de Willem Dafoe (« une œuvre d’art en mouvement »), les improvisations (« 40 % de ce qui est dans le film n’était pas écrit dans le scénario »), les conditions de tournage, la fin et la constitution de la collection par de véritables artistes, des œuvres d’art visibles dans le penthouse.

L’Image et le son

Si nous pouvons vous donner un conseil, visionnez À l’intérieur dans une pièce très sombre, le plus possible, afin de profiter au mieux des beaux partis pris du chef opérateur Steve Annis. Le film jouit d’un formidable master Standard, qui révèle moult détails sur les gros plans de Willem Dafoe et sur les différentes textures, du penthouse, avec de formidables contrastes. Certes, le film se déroule essentiellement dans l’appartement, mais cela n’empêche pas ce DVD de briller et beaucoup de plans fixes s’apparentent à de vrais tableaux. Superbe.

Au choix, la version originale ou la version française en Dolby Digital 5.1. Privilégiez la première, riche, surprenante, dont le mixage intelligent, qui n’en fait jamais trop ou pas assez, participe à la plongée anxiogène du spectateur dans le calvaire de Nemo. La VF s’en sort évidemment très bien, avec un équilibre certain, des effets annexes bien pesés et une solide restitution des dialogues, mais manque d’authenticité.