ZEROS AND ONES réalisé par Abel Ferrara, disponible en DVD et Blu-ray le 7 avril 2022 chez Metropolitan Video.
Acteurs : Ethan Hawke, Valerio Mastandrea, Cristina Chiriac, Babak Karimi, Stephen Gurewitz, Salvatore Ruocco, Anna Ferrara, Phil Neilson…
Scénario : Abel Ferrara
Photographie : Sean Price Williams
Musique : Joe Delia
Durée : 1h28
Année de sortie : 2021
LE FILM
Rome est devenue une ville assiégée par la guerre. C’est dans ce contexte qu’évolue J. J., un soldat américain. Mais lorsque le Vatican disparaît à la suite d’une déflagration d’une bombe, il part en quête d’un ennemi inconnu pour tenter de protéger le monde contre une menace grandissante.
Heureusement que divers résumés des films que l’on vient de visionner sont disponibles, car parfois, on pourrait encore se demander de quoi ceux-ci venaient de traiter…Zeros and Ones d’Abel Ferrara est une « expérience », dans le sens où l’on ne comprend quasiment rien à ce que souhaite nous raconter le réalisateur, qui doit bien en être à son vingtième long-métrage, sans doute un peu plus, sans compter ses clips vidéos, ses courts-métrages et ses documentaires, qu’on ne peut s’empêcher de trouver souvent fascinant par son dispositif (un tournage « guérilla »), sa liberté de ton, son refus d’entrer dans un moule préétabli et par l’interprétation habitée d’un Ethan Hawke comme sous substances, qui écarquille les yeux et éructe face caméra, traduisant l’urgence de l’entreprise. Du haut de ses 70 piges, le cinéaste profitait alors des rues désertées de Rome, pour y filmer (clandestinement ?) un nouveau film au bord du gouffre, en plongeant les spectateurs dans un monde crépusculaire, vraisemblablement sur le point d’exploser (d’ailleurs ça saute de temps en temps, avec des effets spéciaux du genre The Asylum), où s’imbriquent une fois de plus les thèmes de la culpabilité, la justice, la vengeance, la dope, les putes, le rapport à Dieu, les racines du Bien et du Mal dans un univers où ni l’expiation ni la rédemption ne sont possibles (quoique…), le fric (ici les billets sont nettoyés au spray hydroalcoolique), où la violence engendre la violence, sans fin, sans raison. Du moins, c’est plus ce que l’on ressent que ce qu’on saisit au fil de ces 80-85 minutes de Zeros and Ones, qui par ses motifs (très belle photographie Sean Price Williams, chef opérateur de Her Smell d’Alex Ross Perry et de Good Time des frères Safdie) rappellent les kaléidoscopes d’images de The Blackout (1997), Mary (2005), avec une touche de 4h44 Dernier jour sur Terre (2011). Réservé aux amateurs hardcores d’Abel Ferrara, il en existe beaucoup plus qu’on ne le pense, mais si vous attendiez un film d’action comme pourrait le suggérer l’affiche originale d’exploitation, passez votre chemin, car vous risquez d’être décontenancés. Euphémisme.
Rome, au temps d’une pandémie. Les rues sont désertées par les habitants et seuls circulent des véhicules militaires pilotés par des hommes masqués chargés de faire respecter le lockdown. Grâce aux moyens de surveillance modernes – drones, caméras, téléphones – la ville décatie est scrutée en coulisse par des organisations antagonistes (soldats, terroristes, fractions révolutionnaires). Dans une ambiance de fin du monde, un soldat américain, J.J., recherche son frère jumeau, Justin, devenu un loup solitaire suspecté de préparer des attentats, notamment contre le Vatican. Une chasse à l’homme s’engage sur fond de cette double menace bactériologique et numérique.
En gros c’est ça. La ville de Rome vit sous couvre‑feu et sous la vigilante surveillance électronique et militaire de plusieurs organisations rivales. Est-ce une pandémie ou une attaque bactériologique ? Débrouillez-vous avec ça, car il semble que le scénario s’arrête plus ou moins ici. Après 1’30 de logos de production et de distribution, Ethan Hawke apparaît. Mais attention, il ne s’agit pas de son personnage, mais du comédien lui-même, qui se filme apparemment afin d’expliquer aux spectateurs qu’il est fan d’Abel Ferrara, « un réalisateur unique et extraordinaire, qui a toujours cherché une profondeur chez ses acteurs et que Zeros and Ones est une réponse du cinéaste aux événements récents », avant de parler de son double-rôle et des intentions du metteur en scène. Puis, le film démarre. On subit quelque peu l’ensemble durant 1h20, avant qu’Ethan Hawke revienne nous parler une nouvelle fois, pendant le générique de fin (nous sommes à 1h18), avouant que son intervention précédente avait été produite pour lever des fonds, pour la mise en route de Zeros and Ones. Mais il ajoute aussi n’avoir rien compris au scénario quand Abel Ferrara lui a proposé, même s’il a fini par le trouver incroyable tout de même. Avant de conclure que l’introduction et sa conclusion « faisaient en fait partie du film ». On reste dubitatif, au point où l’on se demande même si on ne s’est pas foutu de notre tronche…
Mais on ne lui en veut pas à ce cher Abel, car livrer un opus inclassable, quasi-insondable, visuellement chiadé, un gros trip que l’on pourrait même rapprocher de ceux de David Lynch et de Federico Fellini, toutes proportions gardées bien sûr, est quand même sacrément culotté. Évidemment, on ne pourrait ou on ne saurait aller plus loin dans l’analyse de Zeros and Ones, qui se vit sur le moment, que l’on discerne instinctivement, qui ennuie, qui passionne, qui questionne, qui touche notamment par la musique planante du fidèle Joe Delia et l’interprétation investie du prolifique et éclectique Ethan Hawke. Tout n’est que fureur, désespoir aussi sans doute (on ne se refait pas), le récit est posé, mais demeure opaque, Ferrara – auréolé du Prix du meilleur réalisateur à Locarno – s’en fout de ne pas être explicite, il fait confiance à l’intelligence du spectateur qui saura bien en tirer quelque chose, un ressenti déjà ce serait déjà idéal.
Pour une immersion encore plus viscérale, n’hésitez pas, même chez vous, à le visionner en portant un masque anti-COVID, l’impression d’étouffement que l’on peut éprouver par moments n’en sera que plus renforcée. Un film à voir en Corona-Vision en quelque sorte.
LE BLU-RAY
Privé de sortie dans les salles françaises, Zeros and Ones débarque en DVD et en Blu-ray chez Metropolitan Video. Le visuel de la jaquette reprend celui de l’affiche d’exploitation internationale, qui pourra sans doute être trompeuse, puisqu’on pourrait penser à première vue qu’il s’agit d’un blockbuster, avec un Ethan Hawke en mode duckface prêt à en découdre. Le menu principal est animé et musical.
L’interactivité ne se résume qu’à un lot de bandes-annonces. L’éditeur joint également un livret de 16 pages, comprenant des photos de tournage, une note d’intention d’Abel Ferrara, ainsi qu’un entretien avec l’actrice Dounia Sichov.
L’Image et le son
Budget microscopique, tournage en loucedé, grain conséquent et omniprésent, définition aléatoire, contrastes du même acabit…le master HD de Zeros and Ones rappelle chaque seconde les conditions des prises de vue, mais aussi appuient ces partis-pris. Quelques séquences en intérieur s’avèrent forcément plus soignées où la caméra, moins agitée et heurtée, permet de mieux apprécier les détails des visages des comédiens et la photographie du film, tandis que celles arrachées dans les rues de Rome en plein milieu de la nuit sont plus chancelantes, parfois baveuses, au piqué pour ainsi dire inexistant. L’apport Haute-Définition est donc totalement dispensable pour le film d’Abel Ferrara.
On attendait un peu plus de ces mixages anglais et français DTS-HD Master Audio 5.1 qui délivrent des dialogues plus ou moins vifs, même si – comme pour l’image – c’est encore aléatoire. De plus, la version originale peine à instaurer une spatialisation digne de ce nom et manque singulièrement de souffle. Quelques petits effets parviennent toutefois à créer un semblant d’atmosphère, sans oublier les ambiances naturelles en extérieur. Le caisson de basses reste quasiment au point mort tout du long, en dehors des scènes d’explosion.