YÉTI, LE GÉANT D’UN AUTRE MONDE (Yeti – Il gigante del 20° secolo) réalisé par Gianfranco Parolini, disponible en DVD et Blu-ray le 11 avril 2023 chez Elephant Films.
Acteurs : Antonella Interlenghi, Mimmo Crao, Jim Sullivan, Tony Kendall, Edoardo Faieta, John Stacy, Stelio Candelli, Loris Bazzocchi…
Scénario : Marcello Coscia, Gianfranco Parolini & Mario di Nardo
Photographie : Sandro Mancori
Musique : Sante Maria Romitelli
Durée : 1h41
Date de sortie initiale: 1977
LE FILM
Une équipe découvre dans les glaces du Groenland, le corps d’un Yéti congelé. Morgan Hunnicut, industriel adipeux, persuade son ami le Professeur Waterman de diriger l’opération « décongélation du yéti ». Mais, une fois décongelée, la créature parvient à s’échapper…
Aaaaah il est beau celui-là ! L’étiquette correspond au produit, il en a l’apparence et l’odeur, il s’agit bel et bien d’un superbe nanar, par ailleurs très prisé des amateurs du genre. Yéti, le géant d’un autre monde – Yeti – Il gigante del 20. secolo est ni plus ni moins la « réponse » transalpine au King Kong, financé par Dino De Laurentiis et réalisé par John Guillermin, sorti en 1976 et lauréat de l’Oscar des meilleurs effets visuels en 1977. Cela ne pouvait qu’attirer les convoitises de ces fieffés opportunistes italiens, qui ont toujours gardé un œil sur leurs voisins, surtout américains, pour savoir ce qui marchait auprès du public. Notre Yéti, le géant d’un autre monde n’a pas tardé pour apparaître aux yeux (pleurant des larmes de sang) du monde, puisque les spectateurs de la Botte pourront le découvrir pour les fêtes de Noël 1977. Mais ceux-ci n’étaient pas prêts. D’ailleurs encore aujourd’hui, personne ne l’est. Si vous l’avez déjà vu, vous savez de quoi on parle. Si le film vous demeure inconnu, faites du cardio, de la méditation, mangez léger, apprenez quelques prières, faites votre testament, effacez votre historique de navigation, car cela vous demandera beaucoup d’énergie et vous n’en reviendrez peut-être jamais. Rien, RIEN ne fonctionne dans cet opus forcément essentiel pour les fans des mauvais films sympathiques, qui semble chaque fois repousser les limites pour étaler sur l’écran ce qu’il ne faut surtout pas faire au cinéma et qui a cette particularité de proposer exactement les mêmes « rebondissements » à plusieurs reprises, comme si l’histoire scindée en trois parties (en gros les trois réveils de la créature) était en fait constituée de trois versions alternatives d’une même longue séquence. Sur un rythme trèèèèèès lent, neurasthénique, léthargique, on suit avec autant de courage que de perversité, la résurrection de ce personnage qui arbore les sourcils de Serge Bromberg et la coupe de cheveux de Danièle Thompson (en gros il ressemble à Colin Farrell qui ne se serait pas rasé durant deux jours), dont la taille varie entre 10 et 30 mètres (voire plus, selon ce qui arrange le réalisateur), qui mettra à mal les zygomatiques du plus difficile d’entre vous. Le pire, c’est qu’on en redemande. Indispensable donc.
Un raz de marée qui secoue l’Arctique met au jour, hiberné dans un bloc de glace, un spécimen de Yéti, l’abominable homme de neige. L’industriel canadien Morgan Hunnicut, qui voudrait s’en servir pour faire sa publicité, confie à son ami d’enfance, le paléontologue Harry Wassermann, la tâche de faire revivre le géant. De retour à la vie, le Yéti montre qu’il n’aime pas les foules qui se rassemblent autour de lui, alors qu’il se prend d’affection pour Wassermann et surtout pour les deux jeunes petits-enfants de Morgan, Jane et Herbie, devenus orphelins. Herbie, en particulier, en raison du traumatisme lié à la disparition tragique de ses parents, ne parle plus, trouvant du réconfort en compagnie d’un colley nommé Indio. Hunnicut exploite le Yéti pour faire la promotion de ses nombreuses entreprises jusqu’à ce que les concurrents, avec la complicité de Cliff, l’employé de Hunnicut qui voudrait profiter de Jane, décident d’éliminer à la fois le géant et Wasserman qui le garde tant bien que mal. Le Yéti décide alors de se venger en écrasant ses adversaires.
Tremblez camarades ! Vous ne savez pas ce qui vous attend ! Il y a tout d’abord cette musique, stridente, relecture du thème O Fortuna tiré de Carmina Burana, qui ne s’arrêtera quasiment jamais durant les 100 minutes (!) qui mettra vos nerfs à rude épreuve. Puis, on commence à observer la laideur assez conséquente de la photographie de Sandro Mancori, avec son « étalonnage » foiré en raison de l’usage forcément abusif d’incrustations malheureuses. Ce chef opérateur reste le fidèle collaborateur du réalisateur Gianfranco Parolini (1925-2018), à qui l’on doit ce mètre étalon du nanar. Il fait partie de ces innombrables réalisateurs qui durant une bonne quinzaine d’années aura surfé sur le succès de tous les genres et sous-genres du cinéma d’exploitation, western (Sabata et ses suites), espionnage (la saga du Commissaire X), guerre (Cinq pour l’enfer avec Klaus Kinski et Gianni Garko) et le péplum (Ursus l’invincible), parfois sous divers sobriquets (Frank Kramer comme c’est le cas ici, Robert F. Atkinson, Frank Littlewords et d’autres). On lui doit aussi le célèbre Samson contre Hercule avec Serge Gainsbourg (oui oui) et une production Menahem Golan, Les impitoyables – Diamante Lobo (1976). Yéti, le géant d’un autre monde est son avant-dernier méfait cinématographique, qui peut être considéré comme un cas d’école pour les étudiants en septième art, pour savoir ce qu’il ne faut absolument pas faire. Cependant, on ne peut pas s’empêcher d’avoir une immense affection pour cette torture physique, mentale et sensorielle.
Le scénario de Marcello Coscia (Le Massacre des morts vivants de Jorge Grau) et Mario di Nardo (Bubu de Montparnasse de Mauro Bolognini, Journée noire pour un bélier de Luigi Bazzoni, L’île de l’épouvante de Mario Bava) se résume en réalité à une demi-heure « d’action », répétée ensuite sine fine, avec juste un changement de décor. Un récit de court-métrage étendu sur 100 minutes, que l’on voit passer avec un ennui poli, même si un rire franc ou nerveux nous sort systématiquement de l’engourdissement. Mais le must de Yéti, le géant d’un autre monde demeure incontestablement la « prestation » de Mimmo Crao, qui s’empare du rôle-titre façon actor studio. Cet artiste éphémère sera apparu la même année dans Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli, où il interprétait Thaddeus. Le Yéti restera LE rôle de sa vie, grâce auquel il passera malgré tout à la postérité. On sent le comédien à fond derrière ses faux poils, tentant de faire passer des émotions avec son regard de chien battu, un colosse aux pieds d’argile qui ne demandait rien à personne et qu’un scientifique a décidé de réanimer après avoir trouvé sa dépouille dans un iceberg du Groenland. Ce savant (John Stacy, vu dans Zeder – Les voix de l’au-delà de Pupi Avati) est d’ailleurs un cas à part entière, qui n’arrête pas de se contredire en expliquant qu’il ne faut surtout pas forcer la nature et jouer à Dieu, mais qui ne peut pourtant pas résister de faire tout ce qui est possible pour faire battre le coeur à nouveau du géant velu. Dans la distribution, on remarquera aussi la belle Antonella Interlenghi dans le rôle de Jane (comme dans Tarzan donc…), dans sa première apparition à l’écran, que l’on reverra par la suite dans Frayeurs de Lucio Fulci et dans La cage aux folles III: ‘Elles’ se marient de Georges Lautner.
Qu’on le veuille ou pas, beaucoup d’éléments s’impriment durablement, pour ne pas dire de façon indé-débile dans notre cerveau après avoir subi Yéti, le géant d’un autre monde. Ses effets visuels moisis, la glace en polystyrène, le thème musical incessant qui file la nausée, l’omniprésence du colley (crédité au générique) qui donne cette impression de regarder un épisode mutant de Lassie, la maquette de l’hélicoptère filmée sous tous les angles (pendant de looongues minutes), la pauvreté des décors et des accessoires (aaah cette boîte en plexiglas et cette maquette géante du yéti complètement figée), les figurants largués (certains se marrent dans les scènes de foule en panique), les capitalistes impitoyables sapés avec des motifs improbables qui entraînent des crises d’épilepsie rien qu’à les regarder…sans parler de l’absence totale de mise en scène et de direction d’acteurs. On le dit ? Voici un chef d’oeuvre du cinéma bis italien.
LE BLU-RAY
Saluons le courage et l’ambition d’Elephant Films de nous proposer Yéti, le géant d’un autre monde en DVD…et en Blu-ray ! On ne peut s’empêcher de jubiler et on pense que vous vous en serez rendus compte en lisant notre critique. Le disque HD repose dans un boîtier classique de couleur noire. Mention spéciale à la jaquette au visuel on ne peut plus attractif, qui reprend celui d’une des affiches d’exploitation. Le menu principal est fixe et musical.
Caroline Vié de 20 minutes (le journal qui aime tous les films) présente Yéti, le géant d’un autre monde (4’30). La journaliste adepte du selfie avec les stars et du brossage dans le sens du poil a peu de choses à dire sur ce nanar absolu et se contente la plupart du temps de raconter l’histoire ou de donner de rares informations sur le réalisateur Gianfranco Parolini. On espérait l’intervention d’un spécialiste du genre, ce qui ne manque pas chez Nanarland par exemple.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Oui, bon…N’attendez surtout pas un master 4K restauré à partir du négatif original, avec une révision complète de l’étalonnage et un lifting des effets spéciaux. Yéti, le géant d’un autre monde profite certes de cette élévation HD, mais conserve son aspect quelque peu craspec avec ses incrustations foirées (on peut systématiquement apercevoir le collage du fond bleu), ses modèles réduits ridicules, son iceberg transparent (quand ce n’est pas le yéti lui-même). Franchement, l’image est propre et c’est déjà pas mal, divers fourmillements s’invitent à la partie (sur les plans composites notamment), les couleurs sont acceptables, la texture argentique aléatoire (tout comme le piqué, principalement émoussé), des plans flous nous semblent d’origine. Blu-ray au format 1080p.
Tous les amateurs de nanars le savent, un bon cru se déguste en version française. Nous ne saurons que trop vous conseiller de sélectionner d’emblée la langue de Molière, afin de profiter de votre séance comme il se doit, même si celle-ci manque de coffre et que le report des voix est tantôt faiblard, tantôt excessif. Le mixage le plus équilibré du lot reste la piste italienne (sur laquelle se sont basés les sous-titres français), même si la version anglaise s’en sort avec les honneurs. Une réplique jamais doublée passe automatiquement en italien sous-titré français, qui apparaît lorsque le yéti entreprend de peigner Jane à l’aide d’une arête…je n’en reviens pas d’avoir écrit ça en fait. Les sous-titres (anglais ou anglais) ne sont pas imposés.
Crédits images : © Elephant Films / Minerva Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr