UMBERTO D. réalisé par Vittorio De Sica, disponible en DVD et Blu-ray le 25 août 2021 chez Carlotta Films.
Acteurs : Carlo Battisti, Maria-Pia Casilio, Lina Gennari, Ileana Simova, Elena Rea, Memmo Carotenuto…
Scénario : Cesare Zavattini
Photographie : G.R. Aldo
Musique : Alessandro Cicognini
Durée : 1h25
Année de sortie : 1952
LE FILM
Fonctionnaire à la retraite, Umberto D. ne parvient plus à subvenir à ses besoins. Ayant pour seul refuge une pension en piteux état, il occupe ses journées à chercher de l’argent, accompagné par son fidèle chien Flike.
Depuis 1946, Vittorio De Sica a enchaîné Sciuscià, Le Voleur de bicyclette et Miracle à Milan. Figure emblématique du néoréalisme, le cinéaste et comédien a conquis le monde entier avec ces trois longs-métrages, qui lui ont valu l’Oscar du meilleur film étranger en 1947 et en 1949 pour les deux premiers, et la Palme d’or au 4e Festival de Cannes (ex-æquo avec Mademoiselle Julie d’Alf Sjöberg) pour le troisième. Cela fait une dizaine d’années que Vittorio de Sica compile les rôles comiques qui l’ont rendu très populaires au cinéma comme au théâtre. Au début des années 40, le comédien s’essaye à la mise en scène avec Madeleine, zéro de conduite – Maddalena, zero in condotta, Roses écarlates – Rose scarlatte et Mademoiselle Vendredi – Teresa Venerdì qui révèle Anna Magnani. Si ces trois comédies restent anecdotiques, c’est avec Les Enfants nous regardent – I bambini ci guardano, où il n’apparaît pas et par ailleurs son premier film dramatique, que naît le grand metteur en scène et l’un des pères fondateurs du néoréalisme. C’est aussi sur ce film que naît sa collaboration avec le scénariste Cesare Zavattini. Rétrospectivement, Umberto D. est la fin d’un cycle qui a démarré sur des enfants et se clôt en se concentrant sur la vieillesse d’un homme. Pourtant, on y retrouve une fois de plus les thèmes de prédilection du cinéaste, même si le monde des adultes vu à travers les yeux d’un d’enfant et l’enfance malheureuse sont cette fois remplacés par le point de vue d’un vieillard, comme si rien n’avait changé ou plutôt comme si tout était immuable peu importe l’âge. Les films se rejoignent par les sujets de la fin de l’insouciance, de la difficulté du quotidien, de la solitude et des lendemains incertains. Umberto D. est inspiré en partie par le propre père de Vittorio De Sica, dont le père s’appelait Umberto De Sica (à qui le film est dédié), là où le personnage se prénomme Umberto Domenico Ferrari dans le film. Ce sublime mélodrame, pilier fondamental dans la filmographie conséquente et importante du réalisateur met à nouveau en avant les problèmes de la société italienne, dont la politique n’a de cesse de creuser le fossé entre les classes sociales. Le final « ouvert » qui peut laisser perplexe démontre en réalité que l’homme doit accepter à se résigner. Umberto D. est donc la fin d’un cycle, d’une ère, d’un genre, et surtout un monument du cinéma italien et international.
Umberto Domenico Ferrari est un vieil homme solitaire qui ne parvient plus à subsister. Sa pension de fonctionnaire est misérable. Avec d’autres retraités aussi démunis que lui, il participe à une manifestation de protestation aussitôt dispersée par la police. Umberto D. (cette lettre unique symbolise l’anonymat du personnage) habite une chambre meublée que lui loue une propriétaire aisée mais intraitable. Il se lie d’amitié avec la jeune bonne à tout faire de la maison, paysanne égarée dans la grande ville, enceinte d’un militaire dont elle ignore l’identité. Accompagné de son chien Flike, le vieillard passe ses journées à rassembler un peu d’argent pour payer les mois de loyer de retard que lui réclame sa logeuse. Il vend sa montre, ses livres. Il essaie même, un jour, de mendier, Mais un sursaut de respect humain l’empêche d’accepter l’aumône. Ses anciens amis, indifférents à sa détresse parce que préoccupés de leurs propres problèmes, ne lui sont d’aucun secours. Sans maudire, toujours correct et digne, Umberto D. finit par se résoudre au suicide. Mais Flike se retrouverait seul…
Umberto D, c’est la tragédie de ces personnes qui se trouvent exclues d’un monde qu’elles ont pourtant contribué à construire, une tragédie qui se cache dans la résignation et le silence, mais qui, parfois, explose en manifestations retentissantes ou pousse à d’épouvantables suicides. La décision de mourir prise par un être jeune est chose grave, mais que dire du suicide d’un vieillard ? Une société qui permet cela est une société perdue. Vittorio De Sica
Dans un contexte économique difficile et de remises en cause idéologiques, Vittorio De Sica se penche sur la condition des retraités, qui n’ont pas de quoi vivre alors que ceux-ci ont travaillé toute leur vie, y compris pour l’état comme c’était le cas pour Umberto. S’il n’a pas encore posé sa caméra à Naples, la ville de son enfance, ce qu’il fera deux ans plus tard dans L’Or de Naples, le cinéaste filme Rome frontalement, ses habitants, ses odeurs, ses bruits, ses cris, ses drames et ses absurdités qui en font la richesse, mais aussi le gouffre entre ceux qui peuvent y vivre très confortablement, et ceux qui y survivent, chichement, dans quelques minables chambres de bonne. Dans Umberto D., le sourire côtoie les larmes, la vie laisse place au désir de mort. Ce que l’on retient de ce chef d’oeuvre intemporel, c’est surtout le visage de Carlo Battisti (1882-1977), qui n’était pas du tout comédien, mais professeur de linguistique à l’université de Florence, que Vittorio De Sica avait rencontré par hasard dans la rue et dont le charisme l’avait frappé. S’il s’agit de son seul et unique rôle au cinéma, il ne cesse d’impressionner par son naturel et s’avère bouleversant du début à la fin. Au milieu des passants, des superbes habitations, des rues animées, le metteur en scène et son chef opérateur Aldo Graziati (La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque, Senso de Luchino Visconti) illuminent leur personnage principal, comme s’ils braquaient un projecteur sur cette existence, prise « au hasard », car un exemple parmi tant d’autres, puisque tout le monde (ou presque) connaît les mêmes difficultés. Certes, Vittorio De Sica ne fait pas dans le documentaire, mais n’en livre pas moins une étude, un constat social et politique en dévoilant les rouages qui grincent.
La manifestation finalement avortée en début de films des citoyens retraités, place d’emblée le spectateur comme participant, à qui le réalisateur et son scénariste Cesare Zavatini voudrait donner une impulsion, celle de se mobiliser, de devenir solidaire. Il y a indubitablement du Chaplin chez Vittorio De Sica, même si l’italien est certainement plus pessimiste, qui place son film dans la lignée d’Une vie de chien (1918) et Les Lumières de la ville – City Lights (1931), à travers son personnage principal, mais également certaines séquences à la limite du burlesque, à l’instar de celle où Umberto décide de faire la manche, sans y parvenir, ce qui lui reste de dignité l’empêchant d’aller au bout de son initiative.
A sa sortie, Umberto D. n’a pas eu le succès escompté, le gouvernement italien en place (le Parti Démocrate Italien) ayant même fait le forcing auprès de certains festivals, y compris à Cannes où la Palme d’or devait d’ailleurs lui revenir, pour que le propos du film ne s’exporte pas. Le temps a fait son office, très rapidement d’ailleurs. Umberto D., simple et implacable, est et demeure une pierre angulaire du cinéma transalpin et son propos n’a jamais été autant d’actualité. Non, nous parlerons du remake immonde réalisé en 2009 par Francis Huster avec Jean-Paul Belmondo.
LE BLU-RAY
En France, Umberto D. est passé par plusieurs crémeries. Une première édition en DVD chez Carlotta Films en 2006, puis une seconde en 2015 chez M6 Vidéo dans sa collection Les Maîtres italiens – SNC. Retour à la « maison mère » on peut dire, car le chef d’oeuvre de Vittorio De Sica revient chez Carlotta Films à la fois en édition Standard, mais aussi en Haute-Définition. Le menu principal est fixe et musical.
L’éditeur reprend l’excellente intervention de l’éminent Jean A. Gili (29’). Après avoir évoqué la double carrière d’acteur et réalisateur de Vittorio De Sica (en parlant notamment de Sciuscià, Le Voleur de bicyclette et Miracle à Milan), l’historien du cinéma et critique revient sur Umberto D., l’un de ses films les plus dramatiques et les plus à charge contre la société italienne. Il indique pêle-mêle l’importance de l’oeuvre de Vittorio De Sica dans l’histoire du cinéma, ainsi que pour moult metteurs en scène (à l’instar de Martin Scorsese), aborde le néoréalisme, avant d’en venir plus précisément sur le film qui nous intéresse aujourd’hui en croisant à la fois le fond et la forme. Le casting, les personnages, la direction d’acteurs de Vittorio De Sica, le remake « contestable » de Francis Huster, l’intervention du gouvernement italien pour minimiser l’impact du film dans le monde entier (ainsi que dans les festivals où la Palme d’or lui est même refusée au profit d’un autre film italien Deux sous d’espoir – Due soldi di speranza de Renato Castellani) et bien d’autres éléments sont inscrits au programme de cette formidable intervention.
Le supplément suivant, réalisé à l’occasion de cette édition, est un commentaire écrit et narré par Jean-Baptiste Thoret (25’). « Ce que filme De Sica, c’est la disparition de toute forme de solidarité et l’indifférence comme seule mesure du rapport à l’autre. » Cette analyse du réalisateur, historien du cinéma et directeur de collection DVD/Blu-ray s’attarde entre autres sur la première séquence du film (celle de la manifestation des retraités, « les parias de la nation »), sur celle du chenil, de l’aumône, de la bonne qui prépare le petit-déjeuner, ainsi que le dénouement (« une des séquences les plus bouleversantes de l’histoire du cinéma »). Les thèmes et les motifs d’Umberto D. sont recroisés avec ceux d’autres films de Vittorio De Sica. Jean-Baptiste Thoret évoque aussi la collaboration du réalisateur et du scénariste Cesare Zavattini.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La restauration HD ne semble pas récente et la copie possède encore des rayures verticales, des décrochages sur les fondus enchaînés, des effets de pompage, des poussières diverses et variées, de sensibles fourmillements et même une saute d’image à la 42è minute, durant la scène de l’hôpital. Nous ne sommes pas devant le Blu-ray exemplaire que nous espérions, même si la luminosité est forcément plaisante (avec parfois des blancs presque brûlés) et le piqué acéré. La gestion des contrastes est elle aussi fort correcte, la texture argentique est préservée (même si sa gestion est parfois quelque peu déséquilibrée) et force est de constater que, malgré les défauts mentionnés, il s’agit ici du plus beau master sorti en France d’Umberto D. Enfin, signalons que le format adopté ici est « entier », autrement dit avec les bords arrondis.
Une piste unique, en italien DTS-HD Master Audio 1.0 Certains dialogues frôlent la saturation, mais dans l’ensemble le confort acoustique est plus qu’acceptable. Le mixage est propre, les voix claires, la lourde partition d’Alessandro Cicognini est bien mise en valeur et les effets annexes distincts. Un souffle léger et de sensibles craquements, mais rien de méchant. Pas de version française, contrairement à la première édition DVD.