ROSEBUD réalisé par Otto Preminger, disponible en Combo Blu-ray + DVD – Édition Limitée le 17 août 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Peter O’Toole, Richard Attenborough, Cliff Gorman, Claude Dauphin, John V. Lindsay, Peter Lawford, Raf Vallone, Adrienne Corri, Amidou, Georges Beller, Isabelle Huppert, Kim Cattrall…
Scénario : Erik Lee Preminger, d’après le roman de Joan Hemingway & Paul Bonnecarrère
Photographie : Denys N. Coop
Musique : Laurent Petitgirard
Durée : 2h01
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Sabine, petite-fille du milliardaire Charles-André Fargeau, invite quatre amies pour une croisière sur le yacht de son grand-père. Un commando terroriste attaque le bateau, supprime les membres d’équipage et enlève les cinq jeunes filles. Fargeau fait appel à Larry Martin, un journaliste qui est en réalité un agent de la CIA.
Si l’on vous dit Laura (1944), L’Éventail de Lady Windermere (1949), Mark Dixon, détective (1950), Un si doux visage (1952), Rivière sans retour (1954), Carmen Jones (1954), L’Homme au bras d’or (1955), Bonjour tristesse (1958), Autopsie d’un meurtre (1959), Exodus (1960), Tempête à Washington (1962), Bunny Lake a disparu (1965), vous pensez à quel réalisateur ? Otto Preminger (1906-1986) bien sûr. Si l’on oublie forcément quelques autres opus tout aussi formidables et/ou sous-estimés (Le Cardinal, Saint Jeanne, La Lune était bleue…), le cinéphile, quand on évoque ces titres, est immédiatement envahi de photogrammes ou de scènes légendaires tirés de ces chefs d’oeuvres représentatifs de l’âge d’or hollywoodien. Cette légende aura oeuvré jusqu’à l’âge respectable de 75 ans, même s’il est indéniable, et c’est souvent récurrent, que ses derniers longs-métrages laissaient à désirer. Enfin non, il faudrait plutôt dire « méconnus ». Alors que le Nouvel Hollywood s’installe au début des années 1970, Otto Preminger, également producteur indépendant, continue son travail, sans doute plus lentement (il tournera ses quatre derniers films durant la décennie), mais bien décidé à ne pas raccrocher encore les gants. Sorti en 1975, Rosebud sera son avant-dernier baroud d’honneur. Nous sommes ici en plein « espionnage à l’ancienne », alors que Les Dents de la mer de Steven Spielberg allaient déferler dans les salles et créer le blockbuster estival, mais Rosebud n’a absolument rien de honteux et s’avère agréable à suivre, en dépit d’un rythme en dents de scie et d’un final pas à la hauteur de l’intrigue étirée sur un peu plus de deux heures. Mais voir Georges Beller, dans la peau d’un prof coco et leader radical, donner la réplique (en anglais dans le texte) à Peter O’Toole (qui remplaçait Robert Mitchum, quelques jours après le début du tournage), lui-même dragué par une Isabelle Huppert jeunette (un an après Les Valseuses de Bertrand Blier), tandis que Kim Cattrall (dans sa première apparition à l’écran) déambule en mini-short ou en tenue d’Ève et que Richard Attenborough campe le leader d’un groupe terroriste palestinien, avouez que c’est tout de même tentant non ?
Cinq amies, toutes issues de familles très riches, partent en croisière sur le yacht de Fargeau, le grand-père d’une d’entre elles. Les jeunes filles sont prises en otage par un groupe de terroristes palestiniens qui les amènent en Corse, après qu’ils se soient débarrassés des membres de l’équipage ! Les kidnappeurs contactent Fargeau et exigent qu’il utilise son influence pour faire diffuser à la télévision une vidéo véhiculant leurs idées et leurs motivations. Le vieil homme est au pied du mur, car les héritières seront exécutées s’il ne remplit pas sa part du marché ! Il fait appel à l’agent de la CIA Larry Martin, journaliste et correspondant britannique chez Newsweek à ses heures perdues, afin qu’il libère les prisonnières.
Les clichés sont omniprésents dans Rosebud. Vous savez, ceux du genre à montrer la Tour Eiffel en indiquant en bas de l’écran « Paris, France ». Mais ce n’est pas important, car bien que l’unique scénario écrit par Erik Lee Preminger (le fils du cinéaste donc), d’après un roman de Joan Hemingway et Paul Bonnecarrère, parte un peu dans tous les sens et manque singulièrement de rigueur, Rosebud reste une récréation pas déplaisante pour le spectateur. Il ne faut pas s’attendre à quelques éclats de génie provenant du réalisateur, qui agit surtout ici en tant qu’artisan ou technicien, mais ce thriller politique se tient grâce à son casting hétéroclite essentiellement composé de comédiens britanniques, français et américains. Suite à des divergences avec Otto Preminger, Robert Mitchum, qui devait retrouver ce dernier vingt ans après Rivière sans retour, prend la poudre d’escampette peu de temps après le début des prises de vue, laissant sa place à Peter O’Toole, dont le flegme contraste avec le cynisme pudique et sensible de son prédécesseur. Un décalage se crée entre la décontraction du personnage et les terribles agissements des terroristes, ce qui peut être amusant certes, mais retire toute crédibilité à l’entreprise. Rosebud ne manque pas d’humour, il faut voir par exemple avec quel aplomb la toute fraîche Isabelle Huppert se jette au cou de Peter O’Toole, la quarantaine bien entamée, même si celle-ci se fait élégamment éconduire. Mais ces apartés, qui font office de soupapes entre deux scènes sérieuses, sortent l’audience de l’histoire et apparaissent comme du remplissage dans une intrigue qui au contraire nécessitait un élagage. Toutefois, on ne pourra pas reprocher à Otto Preminger de ne rien faire derrière la caméra et son savoir-faire demeure évident, surtout dans l’utilisation du cadre large, soutenu en cela par la belle photographie signée Denys N. Coop, chef opérateur d’Asylum (1972) et du Caveau de la terreur – The Vault of Horror (1973) de Roy Ward Baker, sans oublier de L’Étrangleur de la place Rillington – 10 Rillington Place (1971) de Richard Fleischer.
Étrange film que ce Rosebud, où l’on croise aussi Claude Dauphin (qui faisait le grand écart entre L’important c’est d’aimer d’Andrzej Żuławski et La Course à l’échalote de Claude Zidi), Raf Vallone, Jean Martin, ainsi que Lalla Ward, que les fans de Doctor Who reconnaîtront. Certains motifs et thèmes abordés rappellent forcément Exodus, adaptation du roman de Leon Uris, qui traitait de la création de l’État d’Israël, mais bien sûr, Rosebud ne lui arrive pas à la cheville. Otto Preminger en est conscient (il a alors une quarantaine de films et autant d’années d’activité derrière-lui), mais soigne malgré tout l’ensemble du point de vue formel, tente de rafistoler un scénario bordélique (qui contient de très bonnes choses, notamment toujours d’actualité sur le terrorisme contemporain) en dissimulant du mieux possible ses coutures apparentes ou ses trous d’air inexplicables (des personnages jamais développés ou qui disparaissent…) et livre au final un thriller on ne peut plus sympathique, bien que très (trop ?) bavard, mais devenu rare et qui comblera facilement les attentes des cinéphiles « complétistes ».
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Merci à Rimini Editions de nous permettre d’explorer un peu plus la fin de carrière d’Otto Preminger, puisque Rosebud était encore inédit en DVD et Blu-ray dans nos contrées. À cette occasion, l’éditeur a concocté un superbe objet, qui prend la forme d’un Digipack à deux volets, renfermant les deux disques, glissé dans un fourreau cartonné magnifiquement illustré. Le menu principal est animé et musical.
Olivier Père a été invité par Rimini Éditions pour nous parler de Rosebud (16’). Une intervention rapide et franche du collier, qui évoque les nombreux points négatifs du film (aucune évolution des personnages, un scénario confié au fils du cinéaste qui n’avait aucune expérience, un final risible), les conditions de production, le casting, mais aussi les bons points, car il y en a, de l’avant-dernier opus d’Otto Preminger. Le journaliste, critique et directeur d’Arte Cinéma France revient sur la carrière du réalisateur, en mettant le doigt sur son caractère indépendant, pointe les similitudes avec Exodus et développe aussi les thèmes de Rosebud.
Nous découvrons ensuite des images de tournage, filmées par Dimitri Batrit Chevitch, alors chauffeur-machiniste, retrouvées par le spéléologue du cinéma français Jérôme Wybon, qui s’est aussi occupé ici du montage (6’). L’occasion de voir Robert Mitchum sur le plateau avant de quitter le tournage suite à des désaccords avec Otto Preminger et d’être remplacé par Peter O’Toole cinq jours plus tard. L’ambiance semble au beau fixe entre ce dernier et le réalisateur et les images sont très intéressantes, surtout quand elles montrent le cinéaste à l’oeuvre avec ses comédiens ou derrière la caméra. Les plus observateurs apercevront l’affiche de Mr. Majestyk de Richard Flesicher, projeté dans un cinéma de Berlin.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Film rare, Rosebud a visiblement bénéficié d’un lifting récent en 2K, Rimini ayant tout naturellement repris le même master édité en mars 2021 chez Kino Lorber aux États-Unis. La Haute-Définition se voit, à chaque plan et participe à la (re)découverte du film d’Otto Preminger puisque présenté dans les meilleures conditions possibles à ce jour. Les espoirs sont comblés avec cette très belle copie qui restitue admirablement le cadre large, la richesse de la colorimétrie, ses teintes chatoyantes, la densité des contrastes, la luminosité, le relief et la profondeur de champ. Les détails abondent aussi, même si parfois adoucis voire légèrement flous en raisons du format CinémaScope, mais le piqué est étonnant. Le lifting numérique a encore fait des miracles (quelques poussières subliminales subsistent) et les partis pris esthétiques d’origine, dont le grain de la photo élégante du chef opérateur Denys N. Coop, sont conservés. Blu-ray au format 1080p.
Le mixages DTS-HD Master Audio 2.0 anglais instaure un parfait confort acoustique. La version originale l’emporte sur son homologue française du point de vue homogénéité et ardeur, l’écoute demeure propre et percutante. La langue de Molière, au doublage solide, est plus en retrait, surtout du point de vue musical, même si l’ensemble reste propre et le report des voix suffisant. Aucun souffle ne vient parasiter l’écoute.