ROMA réalisé par Alfonso Cuarón, disponible en DVD et Blu-ray le 11 mars 2020 chez Warner Bros. Entertainment France
Acteurs : Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Diego Cortina Autrey, Carlos Peralta, Marco Graf, Daniela Demesa, Nancy García García, Verónica García…
Scénario : Alfonso Cuarón
Photographie : Alfonso Cuarón
Durée : 2h15
Date de sortie initiale : 2018
LE FILM
Au début des années 1970, une famille aisée vit à Mexico dans le quartier Colonia Roma. Cleo est une des deux domestiques de cette famille. La famille est composée des parents Sofía et Antonio, des enfants Sofi, Pepe, Toño et Paco, et de Teresa, la mère de Sofía. Sofía est quittée par son époux. Les deux femmes, Cleo et Sofía, vont s’entraider.
Voilà Roma, nouveau chef d’oeuvre d’Alfonso Cuarón. En fait, on pourrait déjà s’arrêter là. Mais si l’on se doit d’en dire un peu plus, cela tournerait au concours de louanges, de superlatifs, même si pour une fois le film le mérite amplement et très justement. Après un premier long métrage discret (Uniquement avec ton partenaire – Sólo con tu pareja) en 1992, le réalisateur se fait remarquer avec La Petite princesse – A Little Princess trois ans plus tard, adaptation du roman éponyme britannique de Frances Hodgson Burnett. Mais c’est avec De grandes espérances – Great Expectations (1998) qu’il connaît son premier vrai succès au box-office, dans lequel il dirige Ethan Hawke, Gwyneth Paltrow, Robert De Niro, Hank Azaria, Chris Cooper et Anne Bancroft. En 2001, il retourne au Mexique pour y tourner le road movie Y tu mamá también, qui obtient le Prix du meilleur scénario lors du Festival de Venise 2002, ainsi qu’une nomination pour l’Oscar du meilleur scénario original la même année. En 2004, il se voit confier les rênes du troisième volet de la saga Harry Potter, Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban – Harry Potter and the Prisoner of Azkaban, qui restera le meilleur épisode de la franchise et sur lequel le cinéaste aura pu imposer sa sensibilité. En 2006, il participe au film collectif Paris, je t’aime où il dirige Nick Nolte et Ludivine Sagnier, mais c’est avec Les Fils de l’homme – Children of Men, extraordinaire dystopie adaptée du roman de P.D. James, qu’il devient définitivement l’un des réalisateurs les plus importants de la fin du XXè siècle, malgré l’échec commercial du film. En 2013, débarque alors Gravity dans les salles. Cette fois le triomphe est aussi critique que public, puisque le film remporte plus de 700 millions de dollars, soit sept fois son budget initial. Après Gravity et ses sept Oscars, Alfonso Cuarón peut alors faire tout qu’il souhaite, les studios se jettent à ses pieds. Contre toute attente, c’est par la petite lucarne, car finalement diffusé sur Netflix, qu’il fait son retour en décembre 2018, avec Roma. Tourné en N&B (en couleur puis converti en N&B pour être exact), en espagnol/mixtèque, en 65 mm, avec un casting de comédiens amateurs ou inconnus, pour 15 millions de dollars, ce film est sans nul doute le plus personnel de son auteur, dans lequel Alfonso Cuarón fait la chronique d’une année tumultueuse dans la vie d’une famille de la classe moyenne à Mexico au début des années 1970.
Roma n’est pas un film que l’on dissèque. A part évidemment du point de vue formel où là les étudiants en cinéma se retrouveront face à une mine d’or tant le cadre, la beauté incommensurable du N&B, la mise en scène avec ses innombrables travellings et plans-séquences, la reconstitution, le montage sont foudroyants de virtuosité. Dans la droite lignée de Michelangelo Antonioni, Andreï Tarkovski, Federico Fellini (avec lequel il partage le titre similaire) et Ingmar Bergman, auxquels on pense souvent, Roma est une œuvre sensorielle, où chaque scène s’apparente à un morceau essentiel d’une symphonie savamment orchestrée de main de maître par Alfonso Cuarón, tandis que l’eau, très présente, purifie, nettoie, avant d’effacer les souvenirs comme les dessins sur le sable par un ressac mousseux.
Si certains peuvent se sentir décontenancés par l’absence (apparente) d’action, pour ne pas dire d’intérêt, ainsi que par son rythme contemplatif, la beauté des images crée une sensation d’hypnose et il est quasi-impossible de détacher ses yeux de Roma, du quotidien intimiste et immersif (gigantesque travail sur le son) de cette famille, et surtout de cette jeune et timide nourrice mixtèque, Cleodegaria Gutiérrez, dite Cleo, interprétée par Yalitza Aparicio, choisie parmi plus de 3000 postulantes pour le rôle. Plus qu’un film sur ses souvenirs d’enfance, le cinéaste (né à Mexico en 1961) livre un hommage à sa nourrice (le film est dédié à « Libo »), en montrant le lien qui les a unis, sa famille de la classe moyenne avec celle qui les a chéri et protégé. Et l’émotion naît sans que l’on s’y attende, doucement, agissant comme une caresse réconfortante ou serrant l’estomac devant l’inéluctable.
Alfonso Cuarón produit, écrit, met en scène, mais signe aussi la photographie et monte le film avec Adam Gough. C’est dire l’importance de ce huitième long métrage pour le cinéaste. Présentée en sélection officielle à la Mostra de Venise en 2018, cette fresque sublime remporte le Lion d’or, avant de se voir décerner également le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, celui du meilleur réalisateur, ainsi que trois Oscars (meilleurs photo, film étranger, réalisateur) et plus 240 autres récompenses à travers le monde, ce qui en fait l’un des films les plus titrés de l’histoire du cinéma.
LE BLU-RAY
Jusqu’alors disponible uniquement sur la plateforme Netflix, Roma arrive en DVD et Blu-ray chez Warner Bros. Entertainment France, ou plus précisément chez Criterion ! Une première et surtout un véritable événement dans nos contrées. Superbe visuel. La jaquette est glissée dans un boîtier économique de couleur bleue. La sérigraphie est également très soignée. Menu principal animé et musical.
Le premier module présent sur cette édition est consacré au tournage proprement dit de Roma. Durant près de 75 minutes, ce supplément propose une véritable plongée dans le processus créatif d’Alfonso Cuarón. Issu de centaines d’heures d’images filmées sur le plateau, on y voit le réalisateur à l’oeuvre avec ses comédiens et l’équipe de production, afin de coller au plus près de ses souvenirs d’enfance. Alfonso Cuarón expose ses intentions et ses partis pris (pourquoi le N&B, le tournage en 4K et le cadre large), à travers de nombreuses images de tournage. l’ensemble est centré sur la reconstitution des détails, des visuels, des décors, du mobilier, de l’architecture, jusqu’aux aliments présents dans le réfrigérateur ! Le casting est également passé au peigne fin avec les images provenant des essais. Perfectionniste, on y voit également Alfonso Cuarón recommencer 63 fois un plan-séquence (celui menant au tir au bord du lac) de six minutes.
Le document suivant prolonge le précédent et donne un nouvel aperçu des coulisses du film, à travers des images des prises de vue et des entretiens tournés pendant la production de Roma (32’). Les producteurs, les actrices, le chef décorateur Eugenio Caballero, le directeur de casting et même le réalisateur polonais Pawel Pawlikowski (Ida, Cold War, My summer of love), ami d’Alfonso Cuarón en visite sur le tournage, évoquent les défis posés par la concrétisation du projet le plus personnel du cinéaste. Nullement redondant, ce supplément complète parfaitement le précédent, à travers des propos sur la genèse du projet, son évolution, le choix de diriger des comédiens – essentiellement – non-professionnels et la reconstitution du Mexique des années 1970 avec l’aide des effets spéciaux numériques.
S’ensuivent deux bonus consacrés à la post-production du film, avec tout d’abord l’image de Roma (21’), qui devait coller à la vision du réalisateur du Mexique du début des années 1970. Alfonso Cuarón, le directeur de post-production Carlos Morales, le monteur Adam Gough et l’étalonneur Steven J. Scott parlent de la manière dont ils ont abordé la photographie du film depuis la pré-production, jusqu’au travail final en laboratoire, en passant par les effets spéciaux. Ayant tout d’abord pensé filmer Roma en format plein cadre et en 35 mm, le réalisateur a ensuite écouté ses conseils de son ami et fidèle collaborateur Emmanuel Lubezki, son directeur de la photographie habituel, et décidé de tourner son film en 4K, en couleur (pour une meilleure gestion en direct des contrastes) et en format 65 mm ! Ou comment filmer le passé à travers un prisme contemporain. Un supplément très technique qui devrait ravir les plus passionnés et les experts en la matière.
La seconde partie consacrée à la post-production de Roma est cette fois focalisée sur le son (27’). Après la photographie riche et sophistiquée, le film est aussi mis en valeur par l’expérience sonore immersive. L’équipe de post-production sonore a pour cela eu recours à la polyvalence de la technologie Atmos de Dolby, alliant prises de son en studio et enregistrements de l’époque, afin de recréer avec réalisme et authenticité, le paysage sonore d’enfance d’Alfonso Cuarón. Les trois techniciens, Alfonso Cuarón et le monteur Adam Gough expliquent ici comment ils ont abordé ces outils et analysent des scènes du film, qui viennent illustrer les défis auxquels ils ont été confrontés, au même stade que Gravity !
Enfin, l’éditeur propose un aperçu de la tournée du film au Mexique (18’30). Alfonso Cuarón et ses producteurs souhaitaient que Roma soit projeté partout dans son pays d’enfance, ce qui impliquait de mettre les cinémas du pays aux normes, afin que le film puisse offrir l’expérience visuelle et sonore imaginée par le réalisateur. L’équipe du film est venue aux spectateurs vivant loin des zones urbaines. Les producteurs reviennent sur les efforts qui ont été entrepris dans ce sens et sur la manière dont le film continue d’avoir un impact culturel. Quelques images montrent Alfonso Cuarón recevoir le Lion d’or au Festival de Berlin et du passage du Cinémobile dans les coins les plus reculés du Mexique. Les intervenants s’expriment également sur les difficultés de distribution et la raison pour laquelle l’équipe a finalement conclu un accord avec la plateforme Netflix, même si les producteurs et Alfonso Cuarón voulaient en premier lieu que le film soit exploité dans les salles.
L’interactivité se clôt sur le teaser et la bande-annonce du film. N’oublions pas le petit dépliant joint dans le boîtier, qui contient une analyse de Roma et de son contexte par Enrique Krauze, historien et essayiste, une autre par l’auteur Valeria Luiselli, ainsi qu’un commentaire sur le master.
L’Image et le son
Roma a été tourné avec la caméra Alexa 65, Haute-Définition, au format 6,5 K. Difficile de faire mieux ! Fort d’un master au format 2.39 respecté et d’une compression solide comme un roc, ce Blu-ray en met plein les yeux dès l’introduction avec une définition étincelante du N&B qui laisse souvent pantois. Les contrastes sont d’une densité impressionnante, les noirs profonds, les blancs lumineux, sans grain, comme le désirait le réalisateur. Les très nombreuses séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes plus claires, le piqué est tranchant, la stabilité de mise, les détails étonnent par leur précision et la profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans d’Alfonso Cuarón. On ne peut qu’applaudir devant la beauté de la copie ! On regrette de ne pas bénéficier de Roma en 4K-UHD ! Mais le Blu-ray, entièrement approuvé par le réalisateur, qui a également supervisé le master digital 4K, est déjà sublimissime.
Expérience cinématographique sensorielle et hypnotique, la palette d’émotions est aussi instaurée par le son dans Roma. Autant dire que le mixage unique espagnol/mixtèque Dolby Atmos-TrueHD remplit aisément son contrat, avec une spatialisation tout en finesse. Une immersion impressionnante, un confort acoustique largement assuré, une balance frontales-latérales brillante et quelques basses qui se révèlent frappantes. Oubliez les importantes erreurs du sous-titrage Netflix dénoncées par l’Association des traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel (ATAA) qui compilaient fautes d’orthographe et de grammaire, des tournures non françaises, des barbarismes, des phrases qui ne veulent rien dire et des contresens ! Sous-titres disponibles : français, néerlandais, anglais, allemands, italiens, norvégiens, finlandais, danois, suédois et espagnols.