RENDEZ-VOUS réalisé par André Téchiné, disponible en DVD et Blu-ray le 11 mars 2020 chez Carlotta Films.
Acteurs : Lambert Wilson, Juliette Binoche, Wadeck Stanczak, Jean-Louis Trintignant, Dominique Lavanant, Anne Wiazemsky, Jean-Louis Vitrac, Jacques Nolot…
Scénario : André Téchiné, Olivier Assayas
Photographie : Rénato Berta
Musique : Philippe Sarde
Durée : 1h23
Date de sortie initiale : 1985
LE FILM
Paulot et Quentin accueillent dans leur appartement Nina, jeune comédienne. Fascinée par Quentin, être inquiétant et possessif, elle refuse l’amour que lui voue Paulot. Un événement tragique transformera cet attrait déchirant en véritable hantise.
Si Rendez-vous, le sixième long métrage d’André Téchiné, est passé à la postérité, c’est en raison de Juliette Binoche, la grande révélation du film. Agée de 20 ans, la comédienne est alors à l’affiche de Je vous salue, Marie de Jean-Luc Godard, de La Vie de famille de Jacques Doillon, des Nanas d’Annick Lanoë, d’Adieu blaireau de Bob Decout, Le Meilleur de la Vie de Renaud Victor, tous sortis en 1985. Mais c’est avec Rendez-vous que tout arrive et que l’actrice prend son envol avec un rôle qui lui vaudra le Prix Romy-Schneider. Depuis, Juliette Binoche n’a jamais cessé d’enchaîner les tournages à travers le monde. Mais pour l’heure, Rendez-vous d’André Téchiné est une histoire d’amour aux personnages sombres et tourmentés, qui interpellent, mais qui irritent aussi et surtout en raison d’une direction d’acteurs pour le moins étonnante, caractéristique du cinéaste, qui a aujourd’hui considérablement vieilli et qui peine à maintenir l’intérêt 35 ans après sa sortie. Du coup, on ne peut s’empêcher de trouver le film bourré de tics et de clichés, qui finissent par prendre le dessus, malgré toute la bonne volonté du spectateur. Demeurent l’immense sensibilité de la diaphane comédienne, qui se jette à corps perdu (y compris nu) dans cette romance jusqu’au-boutiste dans laquelle émerge également Lambert Wilson. Rendez-vous reste une curiosité bien ancrée dans les années 1980, mais dire que l’oeuvre d’André Téchiné a su résister aux années et même aux décennies, serait mentir.
Anne Larrieux (Juliette Binoche) dite Nina, jeune provinciale, est arrivée à Paris depuis trois mois. Elle recherche un appartement, et a pour espoir à plus long terme de devenir comédienne. Elle se présente dans une agence immobilière, tenue par la sévère Gertrude (Dominique Lavanant), y rencontre Paulot (Wadeck Stanczak), le jeune employé qui veut bien l’aider à trouver un logement. Paulot est un garçon timide, que Nina fascine d’emblée. Lorsqu’elle lui donne un billet pour la représentation du soir où elle joue une soubrette dans Thé ou chocolat, il ne manque pas d’assister à son unique scène puis d’aller la retrouver dans sa loge où l’embrasse Fred (Jean-Louis Vitrac) l’ami chez qui elle est hébergée. En attendant de lui trouver un studio, Paulot emmène Nina chez lui, et lui présente l’ami avec lequel il partage son appartement : Quentin (Lambert Wilson), un jeune homme très dur, qui a lui-même voulu devenir un grand comédien à une certaine époque, mais a apparemment abandonné toute illusion et est tombé dans le désespoir le plus noir.
André Téchiné imbrique le théâtre et le cinéma, tout en démontrant que la vie n’a rien à envier au drame qui peut se jouer sur scène. Sa direction d’acteurs se prête donc à cette intention, mais le ton très maniéré, pour ne pas dire boursoufflé du jeu des comédiens peut rapidement fatiguer. Certes, la sensibilité du cinéaste est présente à chaque plan, mais l’ensemble est poseur, factice, forcé. André Téchiné a toujours voulu s’éloigner du naturalisme, mais du coup ses histoires ont souvent pâti de ce manque d’attachement et de cette théâtralité du réel. Les acteurs sont très impliqués : en dehors de Wadeck Stanczak, quelque peu agaçant et peu aidé par un rôle « gentil » et propret qui lui vaudra tout de même le César du meilleur espoir masculin, Juliette Binoche subjugue avec ses yeux tristes et sa beauté lisse. Lambert Wilson, s’en sort haut la main en jeune homme ténébreux et ambigu, cynique et torturé, aux manies suicidaires, comédien lui-même qui a préféré se perdre dans des spectacles érotiques de mauvais goût afin d’exorciser ses démons. Quentin prend un malin plaisir à jouer un jeu sinistre avec Nina, en voulant l’entraîner avec lui dans le néant, tout en brisant ses rêves de réussite, en l’humiliant et en la rabaissant sans cesse. La violente et éphémère passion qui va unir Quentin et Nina est prenante, mais vite rattrapée par une facticité inhérente aux volontés du réalisateur, qui s’apparente à un ballet, une véritable chorégraphie où les corps se percutent et s’unissent.
Le film peut sembler bien long malgré sa courte durée, mais quoi qu’il en soit on est souvent ébloui par Juliette Binoche et finalement porté par le souffle romanesque (et destructeur) indéniable qui porte le film du début à la fin. Enfin, la tardive apparition de l’immense Jean-Louis Trintignant tire le film vers le haut, avec son personnage de metteur en scène de théâtre qui révélera à Nina ses possibilités de comédienne, en tirant profit de la « présence » de Quentin et en la mettant seule face à elle-même et au public.
Le scénario coécrit par André Téchiné et Olivier Assayas, alors au début de sa carrière, ne manque pas d’attraits. En revanche, le traitement laisse dubitatif comme bien souvent chez le réalisateur, mais en même temps on ne peut s’empêcher de penser que Rendez-vous serait peut-être passé inaperçu si un cinéaste plus « traditionnel » s’était emparé de ce récit en l’adaptant platement. C’est là et toujours le rapport amour/haine entre le spectateur et les personnages (bien représenté par la magnifique partition de Philippe Sarde), mais aussi avec André Téchiné, autrement dit un cinéma qui ne laisse pas indifférent, même s’il reste froid et crée une incessante distance. Rendez-vous sera récompensé par le prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1985.
LE BLU-RAY
Au mois de mars 2020, André Téchiné est à l’honneur chez Carlotta Films, puisque Souvenirs d’en France, Rendez-vous et Le Lieu du crime ont tous connu une nouvelle restauration, avant de sortir en DVD et en Blu-ray. Le visuel reprend celui de la célèbre affiche du film, mais omet le nom de Wadeck Stanczak. Le menu principal est fixe et musical.
Outre la bande-annonce originale, Carlotta Films propose un entretien d’André Téchiné mené par Jean-Marc Lalanne (20’). On pourra reprocher au critique de cinéma et directeur de la rédaction des Inrockuptibles de tutoyer le cinéaste et de le couvrir de louanges, mais heureusement, André Téchiné revient avant tout sur la genèse, le tournage et la sortie de Rendez-vous. Ses intentions (abolir les frontières entre le rêve et la réalité, entre veille et sommeil), les partis pris, le travail avec les comédiens et les conditions de tournage sont également abordés.
Carlotta Films reprend l’entretien avec Lambert Wilson (20’) déjà présent sur l’édition DVD de Rendez-vous édité par MK2 en 2006. Une interview durant laquelle le comédien revient sur sa rencontre et le travail avec André Téchiné (« la meilleure direction d’acteurs de ma carrière »), sur la psychologie des personnages du film, sur le jeu de sa partenaire (« une actrice qui raconte la douleur dans sa chair »), sur les partis pris du cinéaste (« entre le sommeil et la réalité » encore une fois). Lambert Wilson replace Rendez-vous dans sa carrière, à l’époque où il tournait plusieurs films en même temps la journée et jouait au théâtre le soir.
L’Image et le son
Il serait difficile de faire mieux que ce Blu-ray (Encodage MPEG 4 / AVC – Format du film respecté 2.35, 1080p) qui respecte les volontés artistiques originales dont le sensible grain argentique original, tout en tirant intelligemment partie de l’opportunité HD. La propreté du master est irréprochable, ainsi que la stabilité, le relief, la gestion des contrastes et le piqué qui demeure agréable. Une restauration haut de gamme restituant la photo originale du chef opérateur Renato Berta (L’Homme blessé, L’Année des méduses). Restauration 2K réalisée par les laboratoires Eclair.
Ce mixage DTS-HD Master Audio Mono 1.0 instaure un confort acoustique probant, clair et solide. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, les ambiances naturelles ne manquent pas sur toutes les scènes tournées en extérieur, la propreté est de mise et les silences sont denses. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.