REALITY réalisé par Tina Satter, disponible en Combo Blu-ray + DVD – Édition Limitée le 27 janvier 2024 chez Metropolitan Vidéo.
Acteurs : Sydney Sweeney, Josh Hamilton, Marchánt Davis, Benny Elledge, John Way, Darby, Arlo…
Scénario : Tina Satter & James Paul Dallas, d’après la pièce de théâtre de Tina Satter
Photographie : Paul Yee
Musique : Nathan Micay
Durée : 1h22
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile. Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux. Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?
Disons-le d’emblée, Reality est une des grandes et enthousiasmantes expériences cinématographiques de l’année 2023. Ce premier long-métrage et coup de maître de la dramaturge Tina Sutter s’inspire d’une étonnante histoire vraie, celle de Reality Winner (il ne s’agit pas d’un pseudonyme), arrêtée à son domicile le 3 juin 2017 par le FBI. Pour quelle(s) raison(s) ? Un mois auparavant, Reality Winner, linguiste spécialiste du persan et du pachto, ancien membre de l’US Air Force, regarde les actualités, qui parlent du renvoi de James Comey (ancien directeur du FBI) par Donald Trump, alors qu’il dirigeait l’enquête sur les liens éventuels entre l’équipe de campagne du candidat républicain et la Russie. Le 3 juin, des agents du FBI se présentent chez Reality, perquisitionnent sa maison et la soumettent ensuite à un interrogatoire aimable, mais tendu, au sujet de la fuite de documents classifiés liés à un rapport de renseignement concernant des accusations d’ingérences russes dans l’élection présidentielle américaine de 2016, dont ils savent qu’elle l’a consulté et imprimé au début du mois de mai. Tina Sutter, a eu accès à la transcription de cet interrogatoire. Il en découle tout d’abord une pièce de théâtre, jouée à Broadway en 2021 et intitulée Is this a room. L’auteure prend le pari fou de reprendre ce sujet pour le cinéma et en tire un étouffant thriller qui lorgne sur l’atmosphère des films de David Lynch, où le quotidien et la normalité deviennent soudainement étranges, comme si les personnages étaient sur le point de hurler, à l’instar du plan final de Twin Peaks : The Return. Mais TOUT ce qui est montré et entendu, jusqu’aux bégaiements et quintes de toux, dans Reality est vrai. En toute logique, quelques nominations aux oscars devraient suivre dans les prochaines semaines, notamment pour Sydney Sweeney, méconnaissable (sans doute parce qu’elle ne se dévêt pas une seule fois du métrage), magnétique dans le rôle principal, où son visage mis à nu (mais ce sera tout, allez voir ailleurs pour le reste) est capturé par la réalisatrice. La comédienne vue dans le lénifiant Under the Silver Lake de David Robert Mitchell, l’interminable Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, mais surtout dans les séries Sharp Objects, Euphoria, The Handmaid’s Tale et The White Lotus, trouve enfin au cinéma un rôle qui devrait lui ouvrir de nouvelles portes.
Reprenons. Le 9 mai 2017, Reality Winner regarde à la télévision placée dans son bureau, un reportage Fox News sur le limogeage de James Comey par le président Donald Trump. 25 jours plus tard, le 3 juin, Winner rentre chez elle après avoir fait ses courses et se retrouve face aux agents du FBI, Justin Garrick et Wallace Taylor, qui expliquent qu’ils ont un mandat pour fouiller sa maison et ses affaires. Alors qu’une équipe d’agents débarque, Winner engage une conversation informelle avec les agents, qui enregistrent la conversation, dont la transcription constitue la base du dialogue du film, au mot près. Elle accepte de parler avec Taylor et Garrick dans une pièce vide et désaffectée de sa maison, située au sous-sol. Garrick et Taylor commencent à lui poser des questions sur les détails de ses précédents boulots. Elle explique qu’en plus de travailler comme prof de yoga et formatrice de CrossFit, elle est traductrice de farsi pour une branche du gouvernement et espère être déployée en Afghanistan en tant que traductrice, afin que sa maîtrise du pachto puisse être mieux utilisée. Les agents révèlent finalement qu’ils interrogent Winner au sujet de la récente fuite de documents gouvernementaux classifiés vers une publication en ligne. Winner nie d’abord en avoir connaissance, mais au bout d’une heure est finalement obligée d’avouer qu’elle a imprimé et divulgué un document de la base de données de la National Security Agency.
Non seulement Reality est une expérience comme nous le disions plus haut, mais il s’agit aussi d’une œuvre expérimentale. Certains propos de la retranscription ayant été censurés, Tina Satter, suivant scrupuleusement le « texte » original, trouve le moyen de représenter ces manques à l’écran. Ces détails supprimés n’empêchent évidemment pas la compréhension et rajoutent au mystère de cette entrevue. Plus tard, Reality nie vouloir être une lanceuse d’alerte à la manière d’Edward Snowden, affirmant plutôt qu’elle souhaitait que le public américain ait les mêmes informations que le gouvernement avait sur l’élection. À la fin de l’interrogatoire, elle exprime surtout son inquiétude pour ses animaux de compagnie lorsqu’elle réalise qu’elle sera placée en garde à vue. Elle est escortée hors de sa maison et menottée, tandis que des images des reportages des médias sur la « fuite » sont diffusées. Winner reçoit à la fois des éloges et des critiques pour ses actions, certains l’accusant de collusion avec le Moyen-Orient ou niant carrément la véracité des fuites. D’autres médias critiquent The Intercept pour avoir permis que la fuite soit attribuée à Winner, et d’autres émettent l’hypothèse que la punition de Winner visait à décourager les lanceurs d’alerte potentiels. Un carton final explique que Winner s’est vu refuser la libération sous caution et a été inculpé en vertu de la loi sur l’espionnage. Elle a passé quatre ans en prison et restera en liberté surveillée jusqu’en novembre 2024. Il note que le même document divulgué par Winner a ensuite été utilisé au Sénat comme preuve de l’ingérence russe.
Si la prestation de Sydney Sweeney vaut tous les éloges, on se souviendra longtemps de son visage blafard qui s’écroule à mesure du face à face avec les agents du FBI et de ses yeux se remplissant petit à petit de larmes retenues, les autres comédiens n’ont rien à lui envier, surtout Josh Hamilton, parfait, génial dans la peau de l’agent Garrick. Découvert en 1988 dans Les Survivants – Alive de Frank Marshall, l’acteur né en 1969 n’a jamais arrêté d’apparaître sur le petit (13 Reasons Why, Ray Donovan) comme sur le grand écran (La Mémoire dans la peau, Broken English, Away We Go, Manchester by the Sea, Tesla). Gageons que son interprétation impeccable, à la fois suintante, empathique et inquiétante dans Reality lui offre à lui aussi l’occasion d’être nommé à l’Oscar. Un peu plus en retrait sans doute, mais tout aussi excellent, Marchánt Davis, découvert dans Le Jour viendra où… – The Day Shall Come, est une belle révélation.
Redoutablement immersif, Reality prend le spectateur par la main et l’emmène dans un monde imprévisible, surprenant et menaçant qui n’est autre que celui dans lequel il vit. Avec sa lumière crue créée par le chef opérateur Paul Yee (qui avait signé celle de la comédie frappadingue Joy Ride), les visages sont placés à l’avant-plan, sont analysés sous toutes les coutures, la metteuse en scène scrutant les tics nerveux de ses protagonistes, les signes et les gestes qui pourraient refléter un inconfort, une anxiété, ou finalement une expiration quand ceux qui échangent lâchent du lest ou les vannes, une fois qu’ils ont mis les pieds dans le plat et que le sujet de cet interrogatoire a été exposé.
Reality est un long-métrage fascinant, dans le sens où il nous emmène dans un territoire souvent inexploré, qui expose la banalité de façon décalée (en usant de la rupture de ton, mais aussi d’un humour inattendu), sans forcer les choses (il s’agit d’un vrai procès-verbal rappelons-le), où la courtoisie dissimule (pour un temps) des arguments qui vont bouleverser la vie d’une jeune personne. Donald Trump a voulu faire de l’arrestation de Reality Winner, un exemple de ce qui allait désormais se passer. Sept ans plus tard, celui-ci pourrait à nouveau vautrer ses 120 kilos dans le siège molletonné du Bureau Ovale. Tout va mal donc, même si les types du FBI vous diront toujours que tout va bien. Reality est un film aussi précieux que remarquable.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Metropolitan Vidéo se charge de la sortie de Reality dans les bacs, en Combo Blu-ray + DVD – Édition Limitée. Après avoir attiré 125.000 spectateurs dans les salles en août 2023, le film de Tina Satter bénéficie d’un traitement princier. Les deux disques reposent dans un superbe Digipack à trois volets, très élégant et soigné. Cette édition contient surtout un formidable livret de 20 pages, contenant un entretien passionnant et inédit avec la réalisatrice (qui aborde la genèse de la pièce de théâtre, puis celle de son premier long-métrage, les conditions de tournage, le jeu des acteurs…), ainsi qu’un retour pointu sur le film par Nicolas Rioult. Le menu principal est très légèrement animé et bruité.
Ce Blu-ray contient une featurette rapide de quatre minutes, composée de propos de la réalisatrice Tina Satter, de la comédienne Sydney Sweeney et de la véritable Reality Winner. Quelques images de plateau viennent illustrer l’ensemble.
Un lot de bandes-annonces est également disponible.
L’Image et le son
La propreté est évidemment éblouissante, les détails précis et riches (voir les très nombreux gros plans), la colorimétrie lumineuse, le relief éloquent et le piqué constamment acéré. Un sensible manque de concision sur certains plans est peut-être à noter, mais toutefois, ce master HD (1080p, AVC) dépasse toutes les espérances. Le film est présenté dans son format original 2.00:1, tandis qu’une texture argentique a été travaillée, afin d’apporter une patine, comme s’il s’agissait d’un document d’archives.
Reality repose essentiellement sur les dialogues. Comme les 3/4 du film se déroulent dans la maison du personnage principal, les pistes DTS-HD Master Audio 5.1 laissent reposer les latérales, tandis que la centrale à fort à faire. Mais comme pour l’image, les scènes en extérieur bénéficient d’une efficacité discrète, mais palpable, immersive. Les enceintes arrière se réveillent momentanément et les ambiances se révèlent solides.