LES MONSTRES (I Mostri) réalisé par Dino Risi, disponible en DVD et Blu-ray le 15 octobre 2020 chez LCJ Editions.
Acteurs : Vittorio Gassman, Ugo Tognazzi, Michèle Mercier, Lando Buzzanca, Marisa Merlini, Rika Dialina…
Scénario : Agenore Incrocci, Furio Scarpelli, Elio Petri, Dino Risi, Ettore Scola, Ruggero Maccari
Photographie : Alfio Contini
Musique : Armando Trovajoli
Durée : 1h51
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
Dix-neuf sketches, souvent féroces, sur les petites bassesses de tous les jours interprétés avec vigueur par Vittorio Gassman et Hugo Tognazzi.
Les Monstres – I Mostri (1963) est l’un des films les plus célèbres de l’immense et prolifique réalisateur Dino Risi (1916-2008), le maître incontesté de la comédie italienne. Tour à tour médecin, psychiatre, journaliste, puis devenu metteur en scène presque par hasard, le mythique cinéaste du Fanfaron, Parfum de femme et Il Vedovo signe avec Les Monstres l’une des meilleures comédies italiennes de l’âge d’or du genre. Observateur implacable de ses contemporains, pourfendeur des travers de son époque, le réalisateur laisse libre cours à sa verve satirique. En une vingtaine de « tableaux », le cinéaste croque une humanité dont la bêtise n’a d’égale que la cruauté. Se défendant de faire du cinéma militant, le réalisateur transalpin n’épargne personne et toutes les couches sociales sont touchées, de gauche comme de droite, de la grande bourgeoisie au prolétariat. Cinéaste humaniste mais profondément ironique, considéré comme le plus pessimiste des réalisateurs italiens – « tout est grave mais rien n’est sérieux » disait-il – et qui se sert de la puissance du cinéma populaire pour lancer des débats après la projection, Dino Risi, doctorant en psychologique, donne à réfléchir sur les relations humaines dans la société italienne contemporaine, après le boom économique. Les Monstres reste l’une des plus grandes références du film à sketches (qui sont d’ailleurs de qualité et de durée inégales), genre que le cinéaste retrouvera en 1969 dans Une poule, un train… et quelques monstres, en 1971 dans Moi, la femme et en 1973 dans Le Sexe fou – Sessomatto. Enfin, le film est un véritable festival porté par deux autres « monstres », mais du cinéma cette fois, Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi.
Les segments qui composent le film sont les suivants :
La Bonne Éducation (avec Ugo Tognazzi et son fils Ricky Tognazzi) : Un père inculque à son jeune fils ses propres principes moraux, notamment l’art de resquiller.
Le Monstre (avec Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi) : Arrestation d’un monstrueux assassin par deux carabiniers, disons différents.
Comme un père (avec Ugo Tognazzi) : Un homme frappe à la porte d’un ami en pleine nuit. Il s’inquiète car son épouse rentre tard le soir. Il la soupçonne de le tromper…
Rapt (avec Vittorio Gassman) : Le cinéma a ses exigences. Pour le tournage d’une scène, un réalisateur engage un groupe d’hommes afin qu’il enlève une vieille dame dans le but de la faire plonger dans une piscine. Un double-rôle pour Gassman, qui en profite pour prendre l’apparence de Federico Fellini.
Le Pauvre Soldat (avec Ugo Tognazzi) : Un soldat apprend que sa sœur a été assassinée. Il va sur les lieux du crime afin de pouvoir connaître l’histoire du crime et celles de sa sœur aux mœurs douteuses qui a connu d’éminents hommes politiques. Pour laver son honneur et celui de sa sœur, il décide d’aller voir les journalistes.
Une Vie de chien (Vittorio Gassman) : Un père de famille rentre du travail dans un bidonville romain. Il tente de faire vivre sa famille nombreuse malgré la misère mais l’argent manque cruellement. Lorsqu’il annonce à sa femme qu’il compte trouver du travail, il s’en va assister à un match de football.
La Journée d’un parlementaire (avec Ugo Tognazzi) : Un député vaque à ses multiples occupations et fait poireauter un général intègre.
Sur le sable (avec Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi) : Séducteurs italiens à la plage…
Le Témoin volontaire (avec Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi) : Un homme décide de témoigner contre un accusé au grand dam de l’avocat de la défense mais celui-ci sait comment contrer les arguments qu’il avance en le faisant chanter lors de sa plaidoirie.
Les deux orphelins (avec Vittorio Gassman) : Deux mendiants essaient de s’attirer les faveurs des passants.
L’Embuscade (avec Ugo Tognazzi) : Brillante chorégraphie urbaine autour d’un contractuel.
La Victime (avec Vittorio Gassman) : L’amant demande à sa maîtresse de lui demander de rompre.
Vernissage (avec Ugo Tognazzi) : Une auto flambant neuve… mais pour quoi faire ?
La Muse (avec Vittorio Gassman) : Les jurés d’un prix littéraire débattent sur le nom du prochain lauréat…
On oublie vite (avec Ugo Tognazzi) : Un couple se rend au cinéma pour regarder un film sur la Seconde Guerre mondiale en prêtant davantage attention aux décors qu’au message.
La Rue est à tout le monde (avec Vittorio Gassman) : Que l’on soit piéton ou au volant…
L’Opium du peuple (avec Ugo Tognazzi et Michèle Mercier) : Un « drogué » de télé aux lunettes en cul de bouteille ne se préoccupe plus de rien d’autre au point de ne pas savoir que sa femme le trompe pendant son émission favorite.
Le Testament de saint François (avec Vittorio Gassman) : Coquetterie télévisuelle…
Le Noble Art (avec Vittorio Gassman et Ugo Tognazzi) : Deux crétins, un boxeur à la retraite et un entraîneur fauché, s’associent pour un dernier combat.
Quand il tourne Les Monstres, Dino Risi avait déjà dirigé Vittorio Gassman à trois reprises (L’Homme aux cent visages, Le Fanfaron et La Marche sur Rome), ils tourneront quinze films ensemble jusqu’en 1990 avec Valse d’amour – Tolgo il disturbo. Tout d’abord prévu par et pour Elio Petri, tandis que Dino Risi envisageait de tourner Il maestro di Vigevano, Les Monstres atterrit finalement dans l’escarcelle du second, tandis que le premier reprend l’autre projet, deux films par ailleurs coécrits par le tandem Age-Scarpelli. Le cinéaste retrouve ses stars de La Marche sur Rome et leur offre l’occasion en or d’interpréter plusieurs personnages dans un seul et même film, des protagonistes abominables, drôles, mélancoliques, cyniques, en changeant chaque fois d’apparences physiques tels deux caméléons, capables de passer du rire aux larmes en un clin d’oeil. Avec son sens unique et acéré de la satire, Dino Risi décrit la monstruosité humaine quotidienne sous toutes ses formes, égratigne ses concitoyens tout en dressant un portrait au vitriol de l’être humain. Lâche, corrompu, menteur, égoïste, malhonnête, cruel, pauvre, riche, voici l’homme dans toute sa splendeur. Chacun en prend pour son grade et ça fait un bien fou !
LE BLU-RAY
Les Monstres est tout d’abord apparu dans les bacs français en 2009 chez Opening, en DVD. Puis, en 2012 M6 Vidéo l’intègre dans sa collection Les Maîtres italiens SNC, toujours en édition Standard. Enfin, le chef d’oeuvre de Dino Risi arrive en DVD, mais aussi pour la première fois en Blu-ray chez LCJ Editions, qui pour l’occasion propose le film restauré en 4K en Médiabook. Un objet quelque peu fragile et rudimentaire, mais la présentation de Marc Toullec de 36 pages est fine, pertinente et joliment illustrée. Le menu principal est animé et musical.
Ne manquez pas la présentation des Monstres par l’éminent Jean A. Gili (25’). Le critique et historien du cinéma aborde la genèse du film, et explique notamment qu’Elio Petri devait à l’origine le réaliser, tandis que Dino Risi planchait sur Il Maestro di Vigevano. Les deux cinéastes ont ensuite échangé leurs projets, même si Elio Petri reste crédité en tant que coscénariste. Jean A. Gili évoque la complicité du duo Vittorio Gassman – Ugo Tognazzi, les thèmes du film, tout en disant que le dernier segment est pour lui l’un des plus beaux moments de l’histoire du cinéma italien.
On pensait y échapper, mais non. Malgré son peu de présence à l’écran dans Les Monstres (dans un seul sketch), Michèle Mercier a le droit à un portrait dressé par l’inénarrable Henry-Jean Servat (10’). Durant cet aperçu de la carrière italienne de la comédienne, vous n’échapperez pas aux arguments de bas étage ou totalement déplacés du style « Michèle Mercier, je la connais par coeur […] j’ai écrit ses mémoires […] j’aurais aimé qu’elle participa à ce bonus, mais elle ne peut pas car elle est un peu fatiguée en ce moment, elle est tombée… », bref, tout cela dans les deux premières minutes de cette intervention, largement dispensable, d’autant plus que monsieur Servat y parle encore une fois de la vie privée de son sujet (« et là Giani Esposito abandonne la belle, la somptueuse, la sculpturale et capiteuse Michèle »)…Zzz…Zzzzz….
La grande surprise de cette nouvelle édition est de trouver un vingtième sketch intitulé en français La Recommandation (6’30), qui se trouvait à l’origine en seconde position. Alors que Dino Risi avait déjà coupé deux segments au montage, celui présenté par LCJ Editions avait aussi disparu dans la plupart des pays, en raison de la durée du film qui dépassait les deux heures. Dans La Recommandation, Vittorio Gassman interprète un comédien à succès, qui avant d’entrer en scène, peaufine son maquillage d’Othello et reçoit la visite d’un ancien camarade, qui n’a pas eu la même chance et qui enchaîne galère sur galère. Ce dernier lui demande de le recommander à un imprésario de renom, histoire de lui donner un coup de pouce. Forcément, la star, qui n’écoute que distraitement son « ami », donne l’appel espéré entre deux actes, mais plutôt que de louer ses qualités et son talent, ne cesse de le traiter de porte-malheur, d’alcoolique et de dépressif. Enorme numéro de Gassman encore une fois.
L’Image et le son
Les Monstres est enfin présenté en France dans une version restaurée en 4K. Ce master HD est on ne peut plus flatteur pour les mirettes. Tout d’abord, le N&B d’Alfio Contini retrouve une densité inespérée dès le générique en ouverture. La restauration est indéniable, aucune poussière ou scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’image est d’une stabilité à toutes épreuves. La gestion des contrastes est correcte et le piqué s’avère convaincant. Si les puristes risquent de rechigner en ce qui concerne le lissage parfois trop excessif (euphémisme) du grain argentique original, le cadre n’est pas avare en détails et cette très belle copie surpasse largement l’ancienne édition Standard, dont la copie laissait franchement à désirer avec ses blancs cramés, ses contrastes trop légers, ses griffures et ses points blancs, ses flous sporadiques, bref, c’était la cata.
La version française met trop en avant les voix, souvent au détriment des effets annexes et de la musique. Aucun souffle n’est à déplorer sur ce mixage qui demeure propre. Evidemment, nous ne saurons que trop vous conseiller de vous reporter sur la piste italienne, plus riche, plus homogène et naturelle. De plus, la musique d’Armando Trovajoli y est puissamment délivrée. Les sous-titres français sont imposés sur la version originale.