LES JEUNES LOUPS réalisé par Marcel Carné, disponible en Édition Digibook Blu-ray + DVD + Livret le 6 mars 2020 chez Coin de mire Cinéma.
Acteurs : Christian Hay, Haydee Politoff, Yves Beneyton, Maurice Garrel, Roland Lesaffre, Gamil Ratib, Stéphane Bouy, Rolande Ségur, Bernard Dhéran, Elisabeth Tessier du Cros, Serge Leeman, René Lefevre-Bel, Luc Bongrand, Elina Labourdette…
Scénario : Marcel Carné, Claude Accursi
Photographie : Jacques Robin
Musique : Jack Arel, Cyril Azzam, Guy Magenta
Durée : 1h45
Date de sortie initiale : 1968
LE FILM
Alain, jeune gigolo aussi élégant qu’ambitieux, se fait entretenir par une riche princesse étrangère. Il séduit aussi la jeune et candide Sylvie, qui feint de céder au cynisme ambiant en matière de moeurs sans s’avouer ses inclinations romantiques. Désespérée de sa propre déchéance, elle se reprend en se liant avec Chris, un beatnik de la rue de la Huchette…
Les Jeunes loups est l’un des derniers longs métrages de Marcel Carné (1906-1996), réalisé trois ans après Trois chambres à Manhattan et trois ans avant l’excellent Les Assassins de l’ordre (1971). Ce film devenu très rare, sorti un mois avant le début de l’occupation de la Sorbonne en mai 1968, propose le portrait d’une jeunesse livrée à elle-même, qui brûle ses vingt ans, vue à travers le regard d’un réalisateur qui avait déjà franchi le cap de la soixantaine. S’il a indéniablement vieilli, Les Jeunes loups n’en demeure pas moins intéressant à plus d’un titre. D’une part pour revoir la belle Haydée Politoff, qui venait d’être révélée par Eric Rohmer dans La Collectionneuse, d’autre part pour ses partis pris dramatiques qui rappellent la littérature française du XIXè siècle, en particulier Bel-Ami de Guy de Maupassant, où le personnage principal Alain serait un cousin éloigné de Georges Duroy, homme ambitieux, séducteur sans scrupules, arriviste et opportuniste, n’aspirant qu’à l’ascension sociale et usant pour cela de ses charmes auprès des femmes âgées de la bourgeoisie. Si l’on excepte des éléments inéluctablement devenus kitsch, Les Jeunes loups reste un drame social très intéressant et un film maudit à redécouvrir.
Alain, « un jeune loup », élégant et racé, est entretenu par la princesse Linzani. En même temps, il sort avec une jeune fille de son âge, Sylvie, qui malgré son air audacieux n’a jamais eu d’amant. La nuit même où elle se donne à lui, Alain la quitte pour aller retrouver sa riche maîtresse. Désespérée, la jeune fille erre dans Paris. Prise dans une rafle, elle est dépannée par Chris, un jeune beatnik qui l’emmène dans une boîte où elle aperçoit Alain.
Marcel Carné a certes perdu son côté poétique, mais tient à conserver un réalisme (sauf dans ses dialogues, quelque peu pesants et trop abondants), en plaçant ici sa caméra dans les soirées parisiennes dans les lieux à la mode (The Cage, rue de Rennes, Chez Popov, rue de la Huchette), en collant au plus près des jeunes, qu’il observe à la loupe comme un entomologiste, sans pour autant émettre de jugement sur leurs comportements et leur mode de vie. C’est en cela que le cinéma de Marcel Carné n’a jamais paru en décalage avec son temps, puisque ce dernier tenait à rester dans le vent. Les beatniks sont bel et bien présents et Les Jeunes loups témoigne de l’opposition entre les baby-boomers et leurs « vieux », ce qui allait alors entraîner les événements qui secoueront Paris, la France, le monde entier. Le gros bémol des Jeunes loups demeure l’interprétation old-school du comédien Christian Hay, qui ne fera pas carrière, contrairement à Yves Beneyton, découvert Jean-Luc Godard dans Deux ou trois choses que je sais d’elle et Week-end, bien plus convaincant en jeune beatnik qui a rejeté ses origines aristocrates. Concernant Christian Hay, son jeu très emphatique et son phrasé surligné (rares sont les répliques qui sonnent juste) irritent souvent, bien que sa présence devant la caméra reste indéniable. Si Haydée Politoff n’est pas non plus la plus grande actrice, son côté sauvage, rebelle et sensible emporte souvent l’adhésion, tout comme évidemment son charme mutin.
Marcel Carné s’inspire également de Manon Lescaut, roman-mémoires de l’abbé Prévost, en inversant la relation homme-femme. Quelques thèmes que Marcel Carné avait déjà traité dans Les Tricheurs en 1958, qui se focalisait sur une bande de jeunes parisiens plutôt aisés, qui passaient leur vie entre la rive gauche de Saint-Germain-des-Prés et la rive droite du 16e arrondissement de Paris, sont aussi présents. La représentation de la jeunesse des années 1960 a étonnamment plus mal vieilli, à moins que cela soit imputable aux partis pris du réalisateur et de son chef opérateur Jacques Robin, même si l’on sent constamment que Marcel Carné avait senti l’avènement d’un soulèvement, un an tout juste avant mai 1968.
Il n’empêche que cette histoire n’a connu qu’une carrière éphémère – après moult difficultés avec la censure qui avait imposé de nombreuses coupes – dans les salles à sa sortie et ne sera jamais diffusée à la télévision, encore moins éditée en VHS. Il faudra attendre 2015 pour que Les Jeunes loups, qui avait été désavoué par Marcel Carné en raison du montage malmené, connaisse une exploitation en DVD, où il sera réévalué et enfin considéré comme le témoignage d’une époque révolue.
LE DIGIBOOK
Nous arrivons au bout de la quatrième vague de Coin de Mire Cinéma avec aujourd’hui la chronique des Jeunes loups de Marcel Carné, qui avait déjà bénéficié d’une édition DVD en 2015 chez M6 Vidéo, dans la collection Les Classiques Français SNC. Le film maudit de Marcel Carné est désormais disponible en Digibook DVD+Blu-ray+Livret chez Coin de Mire Cinéma. Ce titre rejoint Des pissenlits par la racine et Le Monocle rit jaune de Georges Lautner, Les Espions et La Vérité de Henri-Georges Clouzot, et La Chasse à l’homme d’Edouard Molinaro. Pour connaître toutes les spécificités de ces éditions depuis le lancement de cette magnifique collection dite de « La Séance », nous vous renvoyons à notre premier article qui lui est consacré https://homepopcorn.fr/test-blu-ray-archimede-le-clochard-realise-par-gilles-grangier/ . Tous les titres de cette collection (édités à 3000 exemplaires) ont été passés en revue dans nos colonnes et comprend désormais 25 titres !
L’édition prend évidemment la forme d’un Digibook (14,5cm x 19,5cm) suprêmement élégant. Le visuel est très recherché et indique à la fois le nom de l’éditeur, le titre du film en lettres d’or, le nom des acteurs principaux, celui du réalisateur, la restauration (HD ou 4K selon les titres), ainsi que l’intitulé de la collection. L’intérieur du Digibook est constitué de deux disques, le DVD et Blu-ray, glissés dans un emplacement inrayable. Une marque est indiquée afin que l’acheteur puisse y coller son numéro d’exemplaire disposé sur le flyer volant du combo, par ailleurs reproduit dans le livret. Deux pochettes solides contiennent des reproductions de dix photos d’exploitation d’époque (sur papier glacé) et de l’affiche du film au format A4. Le livret de 24 pages de cette édition contient également la filmographie de Marcel Carné avec le film qui nous intéresse mis en surbrillance afin de le distinguer des autres titres, de la reproduction du dossier de presse original et d’articles divers. Le menu principal est fixe et musical.
Si vous décidez d’enclencher le film directement. L’éditeur propose de reconstituer une séance d’époque. Une fois cette option sélectionnée, les actualités Pathé du moment démarrent alors, suivies de la bande-annonce d’un film, puis des publicités d’avant-programme, réunies grâce au travail de titan d’un autre grand collectionneur et organisateur de l’événement La Nuit des Publivores. Le film démarre une fois que le salut du petit Jean Mineur (Balzac 00.01).
Le journal des actualités de cette 14è semaine de l’année 1968 (10’30) reste surtout marqué par les derniers hommages rendus par l’Union Soviétique à Youri Gagarine, décédé dans un accident d’avion de chasse. En Belgique, flamands et wallons s’affrontent dans un conflit linguistique et les tensions sont grandissantes. Enfin, Giani Esposito présente son nouvel album.
Oublions les mauvaises nouvelles, et profitons du charme des réclames avant que le film commence (8’30). Envie d’une glace Miko ou d’un Mars ? Ou peut-être d’une cigarette Marlboro (attention western !) ou Flash (« la cigarette des jeunes ») ? L’ombre de Jacques Demy plane sur les pubs pour l’ouverture du centre commercial Parly 2 ou même pour les réunions Tupperware, avec des chanteurs-danseurs qui s’agitent partout.
L’interactivité se clôt sur un lot de bandes-annonces.
L’Image et le son
Un sacré défi pour Coin de Mire Cinéma puisque bien que méconnu, Les jeunes loups a bénéficié d’une très jolie restauration en 2K à partir du négatif original, pour sa sortie en Haute-Définition ! Une restauration numérique HD réalisée par Digimage, qui s’est également occupé du scan 2K du négatif image et de l’étalonnage numérique HD. Une image complètement nettoyée, souvent lumineuse, au grain doux et élégant, avec comme gros point fort la colorimétrie. La belle photographie de Jacques Robin (Jeu de massacre d’Alain Jessua) retrouve ses partis pris originaux avec des teintes chaleureuses. Un véritable exploit pour ce film rare et qui participe à sa (re)découverte.
Le confort acoustique est suffisamment assuré grâce à cette piste DTS-HD Master Audio mono 2.0. La musique est dynamique, aucun souffle n’est à déplorer, et les ambiances sont bien délivrées, même à volume peu élevé. L’ensemble est clair et distinct, la propreté est de mise. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.
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