LES ANGES SAUVAGES (The Wild Angels) réalisé par Roger Corman, disponible en Combo Blu-ray + DVD + Livret – Master haute définition le 15 juin 2023 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Peter Fonda, Nancy Sinatra, Bruce Dern, Diane Ladd, Buck Taylor, Norman Alden, Michael J. Pollard, Lou Procopio…
Scénario : Charles B. Griffith & Peter Bogdanovich
Photographie : Richard Moore
Musique : Mike Curb
Durée : 1h26
Date de sortie initiale : 1966
LE FILM
La bande de motards des Hells Angels part au Mexique pour récupérer la moto de l’un des leurs, volée par un gang rival. Une bagarre éclate entre les deux clans mais la police intervient. Dans la précipitation, Joey s’enfuit avec la moto d’un policier et finit dans le décor. Il est sorti de l’hôpital par ses camarades mais décède peu après. Ses compagnons décident d’organiser un enterrement digne de ce nom afin de lui rendre hommage…
Contrairement à ce que l’on peut souvent penser, Easy Rider n’est pas le premier long-métrage à s’intéresser aux bikers…Outre L’Équipée sauvage – The Wild One (1953) de László Benedek, avec Marlon Brando en chef du gang de motards Black Rebels, celui que l’on retiendra est aussi Les Anges sauvages – The Wild Angels, qui est pour ainsi dire le film d’où tout est parti. Tout y est dans cet opus mis en scène en 1966 par le légendaire Roger Corman, la même année que La Tombe de Ligeia et juste avant L’Affaire Al Capone – The St. Valentine’s Day Massacre. Pour cette histoire qu’il a imaginée avec Charles B. Griffith (La Course à la mort de l’an 2000, La Petite Boutique des horreurs, The Undead, Les Monstres viennent de l’espace) et Peter Bogdanovich (La Dernière séance, Nickelodeon), le réalisateur obtient le concours de véritables Hells Angels du quartier de Venice à Los Angeles et propose une plongée dans le quotidien de ce club, après les avoir découverts dans le magazine Life, à l’occasion des funérailles d’un motard. À cette époque, la presse se délectait de faits divers croustillants qui s’y rapportaient, souvent liés au sexe et à la drogue. Mais Roger Corman et ses scénaristes présentent les Hells Angels avec une certaine mélancolie, comme s’il s’agissait de la fin d’une ère, que cette liberté qu’ils s’octroyaient ne pouvait perdurer. Le personnage incarné par Peter Fonda perd progressivement ses idéaux et se rend à l’évidence. En dépit de son discours proclamé lors de la veillée funèbre de celui qu’il considérait comme son frère, durant lequel il exprime son désir d’être libre de faire qu’il veut, de rouler, de s’amuser, de se défoncer, de faire la fête, on sent que Heavenly Blues n’y croit plus. Trois ans avant Easy Rider, que Roger Corman déclinera après la proposition de Peter Fonda, le cinéaste éclectique et prolifique signe un film passionnant, à la limite du documentaire, merveilleusement photographié par Richard Moore (Virages de James Goldstone, Les Chasseurs de scalps de Sydney Pollack, Le Clan des irréductibles de Paul Newman) et dont le caractère précurseur est à réhabiliter.
1966. Heavenly Blues est le chef d’un gang de bikers bardés de colifichets nazis, les Hells Angels, qui écument une bourgade du sud de la Californie. Pour récupérer la moto de son ami Loser, ses hommes et lui s’attaquent à une bande rivale mexicaine. L’affrontement a tôt fait d’alerter la police et une course-poursuite s’engage entre Loser, qui a eu la mauvaise idée de voler une moto de police, et les forces de l’ordre. Le premier est tué. Blues décide de mener les représailles…
Si rétrospectivement il n’est pas le premier film du genre, Les Anges sauvages est assurément matriciel. C’est dire l’importance de cette nouvelle production Samuel Z. Arkoff, James H. Nicholson et Roger Corman (pour la fameuse American International Pictures), qui ont souvent eu un temps d’avance et savaient anticiper les goûts des spectateurs. Ceux-ci sont donc invités à se fondre d’entrée de jeu dans la masse des motards, après avoir rencontré Heavenly Blues (Peter Fonda, dans l’un de ses premiers rôles au cinéma) et son frère de coeur Joe « Loser » Kerns (Bruce Dern, qui sortait de Chut…chut, chère Charlotte de Robert Aldrich). Avec sa caméra portée qui s’immisce au milieu des bécanes, des bagarres entre clans (contre les « grains de riz » ou les « bouffeurs de tacos »), des fêtes marquées par l’alcool et la beuh, Roger Corman surfe sur la curiosité d’une audience, qui ne connaît des bikers que ce que la presse divulguait pour faire de l’audience ou pour vendre encore plus de canards. Mais il dévoile aussi qu’il y a ici une vraie communauté, même si les avis divergent de plus en plus au fil du récit, quand la mort s’incruste et donc rappelle un peu certains membres à la réalité.
Le réalisateur ne juge pas ses personnages, mais sans doute cartésien, il montre que les Hells Angels roulent vers un mirage, une quête inaccessible. L’image de fin qui montre Heavenly Blues enterrer seul le cercueil de son meilleur ami, alors que les sirènes de police se rapprochent inexorablement, est éloquente, il s’agit d’un adieu à ses propres aspirations, à ce qui constituait et régissait son existence. Aux côtés de Peter Fonda, Nancy Sinatra, dans l’une de ses rares apparitions sur le grand écran, s’en tire bien et son charme opère, même si elle n’a finalement pas grand-chose à défendre, à l’inverse de Diane Ladd, alors la compagne de Bruce Dern (et ici enceinte de leur fille Laura), beaucoup plus marquante et même bouleversante dans le rôle de Gaysh, la compagne de Loser.
Violent et même parfois anxiogène dans sa dernière partie, celle où les Hells Angels rendent hommage à leur pote décédé en dévastant une église, où une femme est victime d’un viol collectif et où le cadavre est littéralement « invité » à la fête, Les Anges sauvages demeure une formidable rareté pour les cinéphiles, un titre qui a de la gueule (magnifique écran large et montage percutant de Monte Hellman), ainsi qu’un vrai témoignage sur un temps révolu, qui sera un immense succès à sa sortie, y compris en France avec plus d’un demi-million d’entrées. À redécouvrir absolument.
LE BLU-RAY
En fouinant un peu, on découvre que Les Anges sauvages avait déjà bénéficié d’une édition DVD en 2010 chez 20th Century Fox ! 2023, voilà que le film de Roger Corman se voit dérouler le tapis rouge par Sidonis Calysta, avec rien de moins qu’un Combo Blu-ray + DVD + Livret de 48 pages (sur l’univers du film et des Hells Angels de Californie, écrit par Marc Toullec). Le menu principal est animé et musical.
Le premier bonus est un entretien avec Jean-William Thoury (28’). Le journaliste et critique de musique rock’n’roll, auteur de Bikers – Les Motards sauvages au cinéma (éd. Serious Publishing, 2013), nous propose tout d’abord un historique des Hells Angels, leurs codes, leurs règles. Puis, l’invité de Sidonis en vient au film de Roger Corman, expose les différences avec Easy Rider qui sera réalisé trois ans plus tard et évoque le casting.
La pièce maîtresse de cette édition est le fabuleux documentaire intitulé Le Monde selon Roger Corman, les exploits d’un rebelle à Hollywood – Corman’s World: Exploits of a Hollywood Rebel (86’). Réalisé en 2011 par Alex Stapleton, ce film propose de suivre le pape de la série B à l’aube où Hollywood se prépare à le récompenser par un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Ça se bouscule au portillon pour rendre hommage à mister Corman, puisque se succèdent tour à tour Paul W.S. Anderson, Eric Balfour, Peter Bogdanovich, David Carradine, Gene Corman, Julie Corman, Joe Dante, Jonathan Demme, Robert De Niro, Bruce Dern (chez le coiffeur…), Peter Fonda, Pam Grier, Ron Howard, Dick Miller, Jack Nicholson, Eli Roth, Martin Scorsese, William Shatner et bien d’autres ont répondu présent pour déclarer leur flamme au producteur/réalisateur. Notons que ce documentaire était déjà présent (en DVD) dans le coffret Roger Corman d’après Edgar Allan Poe en 8 films, dont nous avions chroniqué quelques opus. De multiples extraits donnent furieusement envie de se faire une petite rétrospective, les anecdotes sur la méthode Corman sont nombreuses et réjouissantes, des images de tournage montrent Roger Corman sur le plateau de Dinoshark et certains témoignages (comme celui de Jack Nicholson, « je lui dois tout, tout ce que je suis devenu ») sont particulièrement émouvants.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
The Wild Angels est désormais disponible en HD (Blu-ray au format 1080p) chez Sidonis Calysta. Une fois l’introduction passée, marquée par une texture argentique très appuyée, le master trouve son équilibre, même si la copie semble avoir quelques années de vol. L’ensemble demeure toutefois d’un bon niveau, avec un cadre large superbe, un piqué suffisamment acéré et des couleurs souvent rutilantes. Des poussières et rayures verticales subsistent, ainsi que des plans flous, les détails sont éloquents et les contrastes sont élégants.
La version française s’en tire pas trop mal, avec une bonne dynamique et un bon report de la musique, même si le mixage laisse comme bien souvent trop de place aux voix des comédiens. La piste anglaise est mieux équilibrée, solide, claire. Les sous-titres français ne sont pas imposés. Présenté dans sa version intégrale, le film comporte des scènes dont le doublage a été perdu. Ces séquences sont proposées en version originale sous-titrée.
Crédits images : © Sidonis Calysta / MGM / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr