Test Blu-ray / Le Terroriste, réalisé par Gianfranco De Bosio

LE TERRORISTE (Il Terrorista) réalisé par Gianfranco De Bosio, disponible en Édition Blu-ray + DVD + Livret depuis le 4 juin 2025 chez Rimini Éditions.

Acteurs : Gian Maria Volontè, Philippe Leroy, Giulio Bosetti, Raffaella Carrà, José Quaglio, Cesarino Miceli Picardi, Carlo Bagno, Roberto Seveso, Anouk Aimée…

Scénario : Gianfranco De Bosio & Luigi Squarzina

Photographie : Lamberto Caimi & Alfio Contini

Musique : Piero Piccioni

Durée : 1h31

Date de sortie initiale : 1963

LE FILM

Venise, hiver 1943. La Résistance italienne prépare une attaque contre le siège de la Kommandantur. Un homme, surnommé l’Ingénieur, joue un rôle central dans ce plan.

Le Terroriste Il Terrorista, réalisé par Gianfranco De Bosio (1924-2022) et sorti en 1963, est spécial à plus d’un titre. En effet, le scénariste et metteur en scène est on ne peut mieux placé puisqu’il a connu et même vécu ce dont il parle, en Vénétie. Méconnu en France, peu se souviennent de son MoïseMoses the Lawgiver (1975) avec Burt Lancaster dans le rôle-titre, dans lequel il croisait Ingrid Thulin, Anthony Quayle, Irène Papas et Laurent Terzieff (le tout sur une musique d’Ennio Morricone), Gianfranco De Bosio a fait essentiellement sa carrière dans le domaine de l’opéra et surtout du théâtre. Mais il a aussi connu la Résistance en Italie, au moment de son lancement et a donc été au centre des discussions qui réunissaient les représentants du Parti Communiste, la Démocratie Chrétienne, le Parti Socialiste, le Parti Libéral et le Parti d’Action au sein des Comités de Libération Nationale. Alors que le régime fasciste s’est écroulé, une crise politique s’installe en Italie, les tensions s’exacerbent, l’incertitude conduit à l’envie d’action et d’affronter l’ennemi. Dans l’ensemble des films de guerre, la Résistance est montrée comme organisée de main de maître, avec les montres synchronisées, les plans pensés sans qu’un grain de sable puisse se glisser dans les rouages d’une mécanique huilée comme il se doit. Le Terroriste désacralise cela et son arrivée inopinée dans le cinéma italien d’après-guerre, où il était tabou d’évoquer le fascisme, les Partisans et la Résistance, va ruer dans les brancards. Comment le pouvoir a-t-il été regagné par les Italiens ? Comment la Deuxième Guerre mondiale a été le nouveau départ de l’organisation politique ? Beaucoup de questions auxquelles Le Terroriste souhaite répondre, avec une légitimité originale et une unique authenticité. Un bel et édifiant objet de cinéma, qui évite le spectaculaire, pour entrer dans les engrenages, dans les coulisses, un peu à la façon d’un John le Carré ou d’un Len Deighton, qui allaient procéder de façon similaire dans leur peinture des arcanes de la guerre froide.

Durant l’hiver 1943, un groupe de résistants dont l’animateur est « l’ingénieur » et les exécutants Rodolfo, Oscar et Danilo, réussit à faire exploser une charge à la Kommandantur de Venise. La réussite de l’opération est toute relative : une prostituée vénitienne y laisse la vie tandis que le commandant en réchappe. Les Allemands arrêtent quarante otages. Les représentants des cinq partis clandestins d’opposition au sein du Comité de Libération qui représentent la Résistance à Venise se réunissent en secret mais sont très divisés sur la conduite à tenir et l’action clandestine en cours. Devant la menace des Allemands de fusiller les otages, le Comité décide de faire intervenir l’archevêque et de stopper, pour un moment, les attentats menés par « l’ingénieur ». Cependant, le soir même, un haut-parleur servant à la propagande fasciste saute. Le médecin, Ugo, chargé de prévenir « l’ingénieur », hésite, consulte un vicaire résistant de ses amis et, finalement, laisse le groupe poursuivre son activité. Le lendemain, un attentat contre La Gazette, un journal fasciste, échoue : « l’ingénieur » et Oscar sont poursuivis et Oscar tue un de ses poursuivants, mais ils parviennent malgré cela à fuir. Vingt otages sont fusillés, sans que l’on sache si ces représailles sont en lien direct avec les attentats en cours. Le comte Penna représentant les Libéraux au comité clandestin ayant été appréhendé, c’est le vieux Pucci qui le remplace. La réunion secrète du Comité est encore plus houleuse que la fois précédente, d’autant que chacun des participants est sous la menace d’une arrestation imminente. L’ingénieur doit être stoppé.

Gianfranco De Bosio signe un vrai coup de maître pour son premier long-métrage. Le Terroriste est une œuvre sèche, à la violence sourde, anxiogène, qui demande toute l’attention du spectateur, qui ne doit en rien attendre une succession de rebondissements ou des scènes d’action. Après une exposition sensationnelle qui plante le décor labyrinthique et dépouillé (Venise par grand froid, vidée de ses habitants), magnifiquement photographié par Lamberto Caimi (La Mort remonte à hier soir, La Guerre des gangs) et Alfio Contini (Il Giovedi, Portier de nuit, Il Gaucho, Les Monstres), s’ensuit une impressionnante présentation des forces (forcément affaiblies) en présence, des enjeux politiques, des unions, des divergences d’opinions, toutes réunies dans un but pourtant commun.

Tout se passe « à peu près bien », jusqu’au moment où certains représentants sont appréhendés, tandis que les autres se planquent. C’est là qu’on en apprend un peu plus sur l’Ingénieur, auquel l’impressionnant Gian Maria Volontè, encore au début de sa carrière, qui comptait une demi-douzaine d’apparitions sur grand écran, chez Valerio Zurlini (La Fille à la valiseLa Ragazza con la valigia), Vittorio Cottafavi (Hercule à la conquête de l’AtlantideErcole alla conquista di Atlantide), Luigi Comencini (À cheval sur le tigreA cavallo della tigre), prête son puissant et magnétique charisme. Après La Bataille de NaplesLe Quattro giornate di Napoli de Nanni Loy, en tant qu’homme déjà engagé qui profitait de son art pour soutenir certaines causes, le comédien tient le rôle ambigu de Braschi, professeur adjoint de physique à l’université de Padoue, qui rejoint la Résistance, pour en devenir un élément clé. Loin d’être un homme froid et sans âme, on le voit parvenir à rencontrer son épouse (Anouk Aimée, qui reviendra très souvent tourner en Italie, chez Fellini, De Sica, Corbucci, Bertolucci…) auprès de laquelle il se confie, notamment sur sa peur de devenir insensible et surtout un fanatique, sans s’en apercevoir.

Sorti dans l’indifférence quasi-générale – car quel spectateur pouvait s’intéresser à vision réaliste de la Résistance, sans scènes de guerre ou héroïque ? – Le Terroriste, néanmoins récompensé par le Prix de la critique à Venise, n’a eu de cesse d’être remis en avant à l’occasion de quelques rétrospectives et festivals. Jusqu’à devenir un film majeur.

LE COMBO BLU-RAY + DVD + LIVRET

Jusqu’à présent inédit en France, et quasiment dans le monde entier, en DVD et HD, Le Terroriste est présenté dans une merveilleuse édition grâce à Rimini. Le Blu-ray et le DVD sont solidement harnachés dans un boîtier Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel suprêmement élégant. À l’intérieur, ne manquez pas de découvrir le livret de 32 pages, constitué de propos de Stefano De Bosio (fils du réalisateur, que nous retrouvons aussi dans les suppléments en vidéo) sur la raison d’être du Terroriste, mais aussi d’une analyse exceptionnelle signée Jean-Baptiste Thoret (qui représente un bon tiers du livret), d’un entretien de Gianfranco De Bosio (datant de 1964) qui revenait sur le caractère authentique de son histoire, ainsi qu’une présentation (par Patricia Barsanti, présidente de la société Cinématographique Lyre) de l’aventure que la restauration du Terroriste a représenté, sans oublier une frise chronologique présentant point par point les événements se déroulant entre la montée du fascisme et la mise en place de la Résistance italienne (1919-1943). Le menu principal est animé et musical.

Le premier supplément réalisé à l’occasion de cette sortie en HD du Terroriste, est une interview de Me Stefano De Bosio, avocat et fils de Gianfranco De Bosio (43’). De passage à Paris en novembre 2024, celui-ci explique d’emblée sa situation professionnelle (« J’ai suivi le souhait de mon père, à l’attention du sien, d’être juriste, pour perpétuer la tradition familiale »). Me Stefano De Bosio revient longuement sur les origines (autrichiennes) de sa famille, avant d’évoquer le long et riche parcours de son père dans le monde du théâtre, son action durant la Seconde Guerre mondiale (et donc ce qui a nourri le scénario du Terroriste), ses difficultés avec « l’establishment » d’idéologie marxiste, d’idéologie catholique dans le sens prude. Puis, le reste de la carrière de Gianfranco De Basio est aussi passé en revue, de Turin à Vérone, en passant par Milan. Les intentions (son père voulait une fiction et non une représentation de faits réels, afin d’éviter le côté documentaire) et les partis-pris (profiter de l’hiver pour montrer Venise autrement sur grand écran) de son père pour Le Terroriste, ainsi que l’accueil glacial du film à sa sortie (« totalement ignoré en Italie, car anticonformiste »), puis sa réhabilitation récente sont aussi les sujets abordés.

Le module intitulé Le Terroriste et Venise (23’35) propose un retour sur les lieux de tournage du film de Gianfranco De Bosio, à Venise, en compagnie de quelques historiens et critiques de cinéma, dont l’éminent Giuseppe Ghigi, ainsi que de Marco Borghi, président de la municipalité de Venise. Les comparatifs avant/après sont édifiants et font toujours leur petit effet, comme si le temps s’était figé sur la lagune. Les thèmes du Terroriste sont cette fois encore largement évoqués.

Le dernier bonus, uniquement disponible sur le disque HD, est un entretien avec Daniela Currò, ancienne conservatrice de la Cinémathèque Italienne (28’). Il s’agit comme qui dirait d’un supplément récapitulatif de ce qui a été vu précédemment et lu dans le livret, le tout agrémenté de nouveaux arguments liés à la restauration du Terroriste. En effet, une fois le film replacé dans son contexte historique, social, politique et cinématographique, Daniela Currò parle abondamment de la carrière de Gianfranco De Basio, dans le monde du théâtre notamment, puis évoque son activité dans la Résistance, expérience qui a nourri le scénario de son premier long-métrage comme réalisateur, Le Terroriste. Des partis-pris et des intentions qui ont dérouté les spectateurs à sa sortie, puisque le cinéaste refusait le spectaculaire et de montrer une Résistance bien sous tous rapports, organisée et faisant front commun. « Un film très actuel, peu considéré et vu à l’époque » dit Daniela Currò. Celle-ci en vient à la résurrection (« cyclique » dit-elle) du film, surtout redécouvert depuis vingt ans.

L’Image et le son

Le Terroriste a été restauré en 4K en 2022 par Cinématographique Lyre, coproducteur d’origine du film, avec la collaboration de la Titanus et le soutien du CNC et du Comité National pour les célébrations du centenaire de la naissance du Chevalier Grand-Croix et réalisateur, Gianfranco De Bosio. S’appuyant sur l’ensemble des éléments négatifs disponibles en France et en Italie (les négatifs originaux avaient été perdus durant leur transport, alors que la restauration s’amorçait il y a quelques années, avant d’être miraculeusement retrouvés), tant pour l’image que pour les sons français et italiens, les travaux ont été réalisés auprès des laboratoires Video Master Digital (Rome) et Hiventy (Boulogne-Billancourt). Le nouveau master HD (codec AVC) restauré du Terroriste respecte les partis pris esthétiques originaux. La gestion des contrastes (noirs denses, blancs lumineux) est sidérante, les détails ciselés la clarté et le relief sont à l’avenant. La propreté de la copie est hallucinante et permet d’apprécier la composition des plans de Gianfranco De Basio, la photo N&B retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, et le magnifique grain d’origine a heureusement été conservé. La copie est stable et l’ensemble ravit les mirettes du début à la fin. Quelle beauté !

Les versions originale et française bénéficient d’un mixage DTS-HD Master Audio Mono d’origine. Pour la première option acoustique, l’espace phonique se révèle probant et dynamique, le confort est indéniable, et les dialogues sont clairs, nets, précis. De son côté, la version française apparaît plus feutrée avec des voix qui prennent souvent le pas sur les ambiances et les effets annexes. Que vous ayez opté pour la langue de Dante (largement conseillée) ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre. Présence d’une piste Audiodescription et de sous-titres français, destinés aux spectateurs sourds et malentendants.

Crédits images : © Rimini Éditions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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