LE SALAIRE DU DIABLE (Man In the Shadow) réalisé Jack Arnold, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 15 février 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Jeff Chandler, Orson Welles, Colleen Miller, Ben Alexander, Barbara Lawrence, John Larch, James Gleason, Royal Dano…
Scénario : Gene L. Coon
Photographie : Arthur E. Arling
Musique : Hans J. Salter & Herman Stein
Durée : 1h17
Date de sortie initiale : 1957
LE FILM
Ben Sadler est le shérif d’une petite ville, cernée de terres appartenant au puissant Virgil Renchler, propriétaire d’un ranch florissant où travaillent de très nombreux clandestins mexicains. Un soir, le contremaître du ranch tue l’un des employés. Renchler va tout mettre en oeuvre pour empêcher le shérif de mener l’enquête.
Spécialiste des séries B, John Arnold Waks alias Jack Arnold (1916-1992) n’en est pas moins un immense réalisateur. Bien que disposant de budgets très modestes, le cinéaste a toujours su transcender son postulat de départ minimaliste…pour aller vers le gigantisme. Prolifique, Jack Arnold prend son envol dans les années 1950 où il enchaîne les films qui sont depuis devenus de grands classiques : Le Météore de la nuit (1953), L’Etrange Créature du lac noir (1954), La Revanche de la créature (1955), Tarantula (1955), L’Homme qui rétrécit (1957) d’après l’oeuvre de Richard Matheson, sans oublier La Souris qui rugissait (1959). Au total, près d’une vingtaine de longs-métrages tournés à la suite, toujours marqués par le professionnalisme et le talent de son auteur, combinant à la fois les effets spéciaux alors à la pointe de la technologie, des personnages ordinaires et attachants, plongés malgré eux dans une histoire extraordinaire. Le film qui nous intéresse aujourd’hui est Le Salaire du diable, tout de suite mis en scène par Jack Arnold après L’Homme qui rétrécit et se révèle être une passerelle dressée entre le western et le film noir. Le cinéaste avait d’ailleurs déjà abordé les deux genres, avec Tornade sur la ville – The Man from Bitter Ridge et Crépuscule sanglant – Red Sundown d’un côté (il y reviendra avec le formidable Une balle signée X – No Name on the Bullet, un des meilleurs films avec Audie Murphy), et Le Crime de la semaine – The Glass Web de l’autre. Avec Le Salaire du diable –Man In The Shadow, Jack Arnold revient à une épure après son merveilleux film fantastique. Il en résulte un polar rural bluffant de maîtrise, sec et brutal, qui annonce les romans de James Lee Burke, dans lequel le génial Jeff Chandler crève l’écran une fois de plus en shérif droit et intègre, prêt à se mettre la ville à dos pour que justice soit faite. Un immanquable pour les cinéphiles.
Ben Sadler est le shérif d’une petite ville d’Amérique, perdu au milieu de prairies s’étendant à des miles à la ronde et appartenant à Virgil Renchler, le patron du Golden Empire, ranch florissant faisant travailler près de 500 immigrants clandestins mexicains. Un soir le contremaitre de Renchler, nommé Ed Yates, et son second, Chet Huneker, viennent chercher Juan Martin, un ranchero, dans un baraquement d’immigrés et l’emmènent pour lui donner une leçon. Comme il se défend, Yates s’empare d’un manche de pioche et lui défonce le crâne. Juan Cisneros, un ranchero caché dans l’ombre, a tout vu. Juan était son ami. Il le considérait même comme son fils. Il s’enfuit, et le lendemain, il file à la police. Ben Sadler l’écoute et c’est le début de l’aventure…
« On ne va pas beaucoup m’aider ici, pas vrai ? ».
Le Salaire du diable est tout d’abord un modèle de scénario resserré, qui ne s’encombre pas de personnages satellites ou de sous-intrigues. Un récit que l’on doit à Gene L. Coon (À bout portant – The Killers de Don Siegel, auteur des plus grandes séries des années 1960-70), qui va droit à l’essentiel en se focalisant sur une poignée de personnages principaux, sans éléments parasites qui relanceraient la machine pour une – inutile – demi-heure de plus. Le Salaire du diable dure 1h15, pas plus, pas moins. Et le film permet de reparler aussi d’un acteur quelque peu oublié et pour lequel les passionnés de cinéma conservent néanmoins une immense affection, Jeff Chandler (1918-1961). Avec son visage qui rappelle parfois celui de Gian Maria Volonté, de son vrai nom Ira Grossel, celui-ci aura été une étoile filante dans le monde du cinéma, puisque sa carrière se résume principalement à ses films tournés entre 1950 et 1961, année de sa disparition prématurée l’âge de 42 ans. Il est révélé par Delmer Daves dans La Flèche brisée – Broken Arrow (1950) dans le rôle de Cochise, pour lequel il obtient une nomination aux Oscars. Les cinéastes se bousculent alors pour profiter de ses talents et de sa présence. Robert Siodmak (Deported), Robert Wise (Les Rebelles de Fort Thorn), Joseph Peveny (Iron Man), George Marshall (Le Fils d’Ali Baba, Au mépris des lois), Budd Boetticher (Les Conducteurs du diable, A l’est de Sumatra), Douglas Sirk (Taza, fils de Cochise, Le Signe du Païen), Robert Aldrich (Tout près de Satan) ou bien encore Samuel Fuller (Les Maraudeurs attaquent) sauront mettre en valeur ce très grand comédien, réputé pour son extrême gentillesse, qui aura su marquer toute une génération de spectateur et qui mérite d’être redécouvert aujourd’hui.
Il est impérial face à l’ogre Orson Welles, qui paye ici ses impôts, mais qui le fait bien et avec un charisme hors-norme, entre deux films de John Huston, Moby Dick et Les Racines du ciel. On notera aussi la participation de la belle Colleen Miller, vue dans une poignée de westerns, dont Les Années sauvages – The Rawhide Years de Rudolph Maté et Quatre tueurs et une fille – Four Guns to the Border de Richard Carlson, avant de disparaître des écrans au début des années 1970. Le Salaire du diable est ainsi marqué par le noyau central représenté par le personnage de Ben Sadler, autour duquel gravitent quelques personnages – la plupart – malintentionnés, contre lesquels le shérif devra lutter ardemment pour aller au bout de la quête qu’il s’est fixée. Le problème, c’est que son principal adversaire, Virgil Rencheler, dirige non seulement d’une main de fer le Golden Empire Ranch, mais cette exploitation agricole prospère fait vivre à elle seule la petite ville de Spurline, au Texas. Tout le monde en ville lui doit sa subsistance. Aussi, chacun respecte-t-il le magnat, à défaut de l’aimer. Lorsque ses contremaîtres battent à mort un ouvrier mexicain – un de plus, un de moins, il y en aura toujours un qui viendra prendre sa place comme le pensent tous les habitants de la ville, un discours qui fait écho à certains arguments avancés par les candidats à l’élection présidentielle qui se tient chez nous en ce moment – le shérif Ben Sadler hésite à mener une enquête. Mais la morale l’emporte, et Ben décide d’affronter Renchler, quitte à perdre son travail, voire à menacer l’existence de la ville.
Le Salaire du diable est un vrai bijou, aussi concis que dense, magistralement photographié par Arthur E. Arling (Un pyjama pour deux, Confidences sur l’oreiller), qui étonne par son étonnante modernité soixante-cinq ans après sa réalisation, qui possède la puissance de productions bien plus ambitieuses, financièrement parlant. Une œuvre qui slalome entre les genres avec une rare virtuosité, tout en précédant d’une dizaine d’années La Poursuite impitoyable – The Chase d’Arthur Penn, auquel on ne peut pas s’empêcher de penser. C’est dire l’importance et la rareté de ce progressiste et magistral Man In The Shadow, chaînon manquant entre Le Train sifflera trois fois – High Noon de Fred Zinnemann et Quatre Étranges Cavaliers – Silver Lode d’Allan Dwan. Si ça ne vous donne pas envie, on ne peut plus rien pour vous !
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Rimini Editions a toujours fait le bonheur des cinéphiles adeptes du film noir américain. Si Le Salaire du diable (autrefois sorti en DVD chez Bach Films) peut tout aussi bien être catalogué dans le genre western, ce titre rejoint d’autres perles du septième art sorties chez l’éditeur, comme dernièrement Les Amants traqués, La Brigade du suicide, Marché de brutes et Nightfall (Poursuites dans la nuit). Ce Combo prend la forme d’un Digipack à deux volets, glissé dans un fourreau cartonné au visuel clinquant. Les deux disques se distinguent par leur sérigraphie, le DVD étant illustré par un portrait de Jeff Chandler, tandis que la galette HD arbore celui d’Orson Welles. Le menu principal est animé et musical.
Nous ne connaissions pas Florent Fourcart (signalons une faute sur la jaquette qui le nomme Laurent), historien de formation, spécialiste de l’Histoire au cinéma, élève de l’éminent Jean A. Gili à l’Université Paris I – Panthéon Sorbonne, et nous sommes ravis de le découvrir, car son intervention sur Le Salaire du diable (23’) est en tout point passionnante. En une vingtaine de minutes, l’invité de Rimini Editions passe en revue la carrière de Jack Arnold, le caractère hybride du Salaire du diable, à mi-chemin entre le western et le film noir, où les genres « se percutent et fusionnent », replace Man In The Shadow dans la filmographie du réalisateur, avant d’en analyser le fond et la forme. Les conditions de tournage, les partis-pris (« sans fioritures, ni sous-intrigues ») et les intentions du cinéaste et de son scénariste (« un discours progressiste, antiraciste, voire militant »), sans oublier le contexte historique et politique américain à la fin des années 1950 (forcément lié à la ségrégation raciale), la participation d’Orson Welles (qui « était dans le coin » à tourner son Don Quichotte, qui restera inachevé, et qui avait besoin d’argent pour financer ses propres projets), sont aussi des sujets abordés au cours de cette formidable présentation.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Franchement, nous ne nous attendions pas à un résultat aussi resplendissant. Ce nouveau master restauré HD s’impose aisément comme l’un des plus beaux livrés dernièrement par Rimini Editions. Ce qui frappe d’emblée, mis à part le fantastique usage du Cinémascope, ce sont les contrastes sensationnels respectant la photo d’Arthur E. Arling (Capitaine de Castille d’Henry King, Le Démon de midi de Blake Edwards). Le N&B est formidablement nuancé avec une large palette de gris, un blanc lumineux et des noirs abyssaux. La gestion du grain est fort plaisante, notamment sur les plans de ciel. La copie est d’une stabilité exemplaire, la copie est lumineuse et le rendu des textures très réaliste. En ce qui concerne les scènes nocturnes, elles sont en tout point hallucinantes de netteté et s’accordent de façon homogène avec les scènes ensoleillées. Quelques points blancs, griffures et des décrochages sur les fondus enchaînés, mais rien de rédhibitoire. Blu-ray au format 1080p.
La version française DTS-HD Master Audio 2.0. est bien trop axée sur les voix, qui prennent le dessus sur la musique, les dialogues et les effets annexes. En revanche, la piste anglaise DTS-HD Master Audio 2.0. instaure un grand confort acoustique, riche, dynamique et propre. Les sous-titres français ne sont pas imposés.