LE LION ET LE VENT (The Wind and the Lion) réalisé par John Milius, disponible en Édition Mediabook Collector Blu-ray + DVD le 21 octobre 2020 chez Rimini Editions.
Acteurs : Sean Connery, Candice Bergen, Brian Keith, John Huston, Geoffrey Lewis, Steve Kanaly, Vladek Sheybal, Nadim Sawalha, Roy Jenson, Deborah Baxter…
Scénario : John Milius
Photographie : Billy Williams
Musique : Jerry Goldsmith
Durée : 1h55
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Maroc, 1904. Le chef berbère El-Raisuli enlève Eden Perdicaris, une citoyenne américaine, et ses deux enfants. Par cet enlèvement, il veut provoquer un incident diplomatique et s’opposer au sultan Abdelaziz, qu’il juge corrompu.
Né en 1944, John Milius, militariste (et anarchiste zen) qui n’a pas pu s’engager dans l’armée dans les années 1960 pour des problèmes de santé, se tourne finalement vers le cinéma et devient très vite scénariste. Son style virulent tape dans l’oeil de certains réalisateurs et son nom apparaît au générique (ou pas) de chefs-d’oeuvre comme L’Inspecteur Harry, Jeremiah Johnson, Magnum Force, Apocalypse Now. Passé à la mise en scène en 1973 avec Dillinger avec le grand Warren Oates dans le rôle-titre, John Milius offre à Arnold Schwarzenegger son premier rôle mythique dans Conan le Barbare en 1982. Mais avant cela, son second long-métrage, Le Lion et le Vent – The Wind and the Lion, rend compte de sa cinéphilie et de son amour pour le cinéma classique. Le cinéaste émerveillé par les armes à feu et l’autodéfense souhaite avec ce film laisser libre cours à ses fantasmes armés jusqu’aux dents (ou à l’arme blanche), comme il le fera plus tard avec L’Aube rouge, dans lequel les Etats-Unis se trouvent un beau matin pris d’assaut par des soldats Soviétiques alliés aux Cubains et où des jeunes adolescents américains n’hésitent pas à prendre les armes pour en faire voir des vertes et des pas mûres à ces buveurs de vodka ! Dans Le Lion et le Vent, inspiré par un fait divers authentique, mais remanié à la sauce Milius, des puissances s’affrontent, le Maroc contre le pays de l’Oncle Sam. Comme bon nombre des films auxquels John Milius a apporté sa plume, il est souvent nécessaire de laisser le côté politique (souvent ambivalent il faut bien le dire) au risque de ne pas apprécier ses films, qui sont avant tout des divertissements rudement bien emballés, comme c’est le cas de ce Lion et le Vent, porté par un souffle romanesque indéniable, la composition enivrante du maestro Jerry Goldsmith et le charisme hors du commun de Sean Connery. John Milius dispose d’un budget conséquent et les scènes d’action restent marquées par quelques éclats de violence brute.
Les amateurs de combats au sabre, de fusillades, de corps-à-corps seront bien servis encore aujourd’hui avec Le Lion et le Vent. On oublie rapidement le contexte politique, qui tourne parfois à la folie uchronique, pas autant que L’Aube rouge, mais représentative d’une partie du cinéma de John Milius, qui a largement inspiré l’expert en copie-carbone Quentin Tarantino, notamment pour Inglourious Basterds (2009) et dernièrement dans Once Upon a Time… in Hollywood (2019). Nous n’énumérerons pas les libertés prises avec l’Histoire et les éléments réels, d’une part – comme nous l’avons déjà répété – nous n’avons pas la prétention d’être experts en la matière, d’autre part parce que le sujet qui nous intéresse ici est avant tout de livrer notre ressenti sur une interprétation personnelle d’un pan, d’une bribe de l’histoire américaine par John Milius, qui s’amuse avec ses personnages, qui ont réellement existé, mais qui deviennent dans ses mains des pantins qu’il anime à sa guise, avec sa propre sensibilité, ses idéaux, ses critiques, comme un enfant jouerait avec ses Playmobils. Alors, en avant les histoires !
En 1904, le Maroc est depuis peu au centre d’un conflit notamment entre la France, l’Allemagne et l’Empire britannique. Les trois puissances tentent d’y établir une sphère d’influence. Par une belle journée d’octobre, un groupe de cavaliers, mené par le chef berbère El-Raisuli « le Magnifique », sultan du Rif (et descendant du Prophète, mais ça fait long sur la carte de visite), enlève, en plein quartier européen de Tanger, Eden Perdicaris, une jeune Américaine, veuve, et ses deux enfants, William et Jennifer. Sir Joshua Smith, un ami britannique d’Eden, est tué. Avec cet enlèvement, El-Raisuli veut s’opposer au jeune sultan Abdelaziz et à son oncle le pacha de Tanger. Raisuni veut provoquer une guerre civile et prouver aux tribus la compromission du jeune sultan avec les grandes puissances occidentales. Aux États-Unis, le Président Theodore Roosevelt vise la réélection pour l’élection présidentielle. Il décide d’utiliser cette affaire comme démonstration de force de la puissance de son pays, malgré les réticences de son Secrétaire d’État, John Hay. Samuel R. Gummeré, consul américain à Tanger, échoue dans la négociation pour récupéré les otages. Le Président Roosevelt décide alors d’envoyer la South Atlantic Squadron.
Soyons clairs, John Milius n’a jamais eu la prétention de rivaliser avec Lawrence d’Arabie (1962) de David Lean. Pourtant, le réalisateur revendique sa filiation avec le cinéma hollywoodien et britannique des années 1950-1960, celui qui l’a bercé et fait rêver, donné envie aussi de se lancer dans le septième art. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’en donne à coeur joie avec Le Lion et le Vent, qui combine à la fois les grands classiques du cinéma d’aventure, avec la série B traditionnelle. Ce chaînon manquant est imprégné à chaque plan de l’âme de son metteur en scène, y compris au niveau des dialogues, dont certains monologues, on pense à celui de Theodore Roosevelt, au pied de son arbre, qui s’exprime sur le grizzly, qui contrairement à l’aigle représente pour lui le vrai symbole de force de l’Amérique. Cette longue séquence, remarquablement interprétée par Brian Keith (la série Cher oncle Bill, Le Souffle de la violence de Rudolph Maté, Reflets dans un œil d’or de John Huston) rappelle furieusement celle, également écrite par John Milius pour Les Dents de la mer, lorsque Quint (Robert Shaw) raconte son calvaire sur l’Indianapolis. John Milius réinterprète l’Histoire de son pays encore une fois en jouant avec ses personnages illustres, comme s’il pouvait y prendre réellement part à travers son art. La scène très impressionnante de l’assaut des soldats américains lancé sur le palais du pacha vaut son pesant de cacahuètes et ne cesse de fasciner par sa violence sèche et inattendue. Parallèlement, John Milius invente le personnage du petit garçon de Perdicaris, dont il adopte le point de vue à plusieurs reprises. S’il peut paraître anodin dans un premier temps, le récit – riche et passionnant – dévoile que ce protagoniste, qui a perdu son père, semble réaliser un transfert émotionnel et se met à admirer Raisuli, qui représente pour lui l’aventure et la sécurité, même s’il reste témoin d’actes barbares, y compris des têtes tranchées (ou des langues coupées par ses amis) par celui qui devient finalement un père de substitution.
Dans tout ce conflit qui oppose la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, on en oublierait presque d’évoquer l’interprétation de Sean Connery, qui tournait alors Le Lion et le Vent entre L’Homme qui voulut être roi – The Man Who Would Be King de John Huston et La Rose et la Flèche – Robin and Marian de Richard Lester. Pas besoin de maquillage outrancier comme cela pouvait être le cas dans le cinéma classique, on se souvient des yeux bridés de James Mason dans Genghis Khan, un simple turban sied à ravir au comédien, qui ne se donne même pas la peine, ou si peu, de prendre un accent étranger. Sean Connery est impeccable, que dis-je, impérial dans la peau du Cheik Mulai Ahmed er Raïsuli, rôle qui avait été refusé par Omar Sharif et Anthony Quinn. Son personnage est pourtant troublant, à la fois attachant quand son attirance pour Eden Perdicaris se dévoile et le rend un peu gauche (l’humour trouve alors sa place dans l’histoire), ou repoussant quand il n’hésite pas à décapiter ceux qui ont eu l’outrecuidance de boire à une oasis qui soi-disant lui appartient. Le talent de Sean Connery emporte immédiatement la mise et reste l’une des principales attractions du Lion et le Vent. Si elle a souvent été critiqué pour son jeu quelque peu figé, Candice Bergen (qui remplaçait alors Faye Dunaway, tombée malade juste avant le tournage), révélée dix ans plus tôt dans Le Groupe de Sidney Lumet et La Canonnière du Yang-Tsé – The Sand Pebbles de Robert Wise, s’en sort bien et tient la dragée haute à son partenaire. Outre l’excellence de Brian Keith mentionnée plus haut, John Huston est aussi génial dans la peau de John Hay, secrétaire d’État de Theodore Roosevelt. Si John Milius en avait voulu à ce dernier pour avoir « salopé » son scénario de Juge et Hors-la-loi – The Life and Times of Judge Roy Bean réalisé en 1972, les deux hommes s’estimaient réellement et John Huston n’a pas hésité une seconde à participer au Lion et le Vent.
John Milius a toujours considéré Le Lion et le Vent comme étant son « vrai » premier film, dans lequel il pouvait librement et clairement s’exprimer. Il en résulte un immense spectacle magistralement mis en scène (dans de splendides décors naturels espagnols, photographié par Billy Williams (Gandhi de Richard Attenborough) et dont la composition (nommée aux Oscars et aux BAFTA) de Jerry Goldsmith résonne encore longtemps dans la tête.
LE MEDIABOOK
C’était déjà le cas en décembre 2018 avec la sensationnelle Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre des Vikings, ainsi qu’en 2019 avec celle de Khartoum, Rimini Editions récidive pour les fêtes de Noël 2020 en proposant LE cadeau par excellence pour les cinéphiles avec cette Édition Mediabook Collector Blu-ray + DVD consacrée cette fois au film de John Milius, Le Lion et le Vent. A l’instar des deux premiers titres, le travail éditorial est colossal. Le livre, cousu au Digipack et coréalisé une fois de plus par Rimini Editions et La Plume, est spectaculaire. Ces 120 pages, merveilleusement illustrées, contiennent une préface de John Milius, écrite en septembre 2020, un fabuleux portrait du réalisateur signé Christophe Chavdia, qui tente de décrypter la personnalité complexe et son sujet (tout en abordant son arrivée au cinéma, ses débuts en tant que scénariste, puis derrière la caméra), doublé d’une analyse du Lion et le vent et d’une présentation des conditions de production (sans oublier le fait divers à l’origine du film), ainsi que des prises de vue. Christophe Chavdia en vient à la suite de la carrière de John Milius, avant de laisser la place à son confrère Stéphane Chevalier, qui de son côté rend hommage aux « visages et aux gueules » de cinéma qui ont marqué son enfance, à savoir celles des acteurs Brian Keith, Antoine Saint-John, Vladeck Sheybal, Aldo Sambrell et Steve Kanaly, tous présents au générique du Lion et le Vent. Puis, Stéphane Chevalier se focalise sur le travail de Jerry Goldsmith sur le film de John Milius, mais aussi (rapidement forcément) sur l’ensemble de sa carrière. La troisième partie de ce livre est un entretien avec Darrell Fetty (réalisé par courriel par Christophe Chavdia en août 2020), comédien qui interprète le vice-consul américain Richard Dreighton dans The Wind and the Lion, qui par ailleurs en a profité pour prévenir John Milius de l’élaboration de cette édition prestigieuse en France. Une interview bourrée d’informations, qui dépasse le cadre du film qui nous intéresse et évoque Graffiti Party – Big Wednesday dans lequel Darrell Fetty interprète le personnage de Waxer. Ce livre se clôt sur une bibliographie et un récapitulatif des sources utilisées pour la confection de ce précieux ouvrage.
Un seul supplément vidéo, mais alors quel bonus ! Samuel Blumenfeld, journaliste au Monde, était déjà intervenu sur les éditions DVD-Blu-ray d’Un château en enfer de Sydney Pollack et Les Anges de la nuit de Phil Joanou, disponibles chez Rimini Editions. Il fait ici son retour chez l’éditeur dans une très large présentation doublée d’une analyse du Lion et le Vent (43’) datée du 9 mars 2020. Si vous avez lu le livre joint à cette édition, alors certains propos vous paraîtront sensiblement redondants, ce qui n’enlève rien à la pertinence des propos tenus ici. Samuel Blumenfeld replace Le Lion et le Vent dans la carrière de John Milius, évoque ce qui l’a poussé à passer derrière la caméra, tout en disséquant les thèmes du film qui nous intéresse. Le fétichisme des armes, l’affinité profonde entre John Milius et John Huston, l’aversion de John Milius pour Bonnie and Clyde d’Arthur Penn, sa personnalité atypique et ambiguë (qui a inspiré aux frères Coen le personnage de John Goodman dans The Big Lebowski), le fait divers à l’origine du Lion et le Vent, la réinterprétation des personnages historiques, le casting, les intentions du metteur en scène (revenir à un classicisme, mais parasité par le machisme et l’hyperviolence propres à Milius), les partis-pris (retrouver le parfum et l’esthétique du cinéma britannique) et bien d’autres éléments sont inscrits au programme de cette intervention très inspirée. Quelques rapides images (non sous-titrées) nous dévoilent le tournage du Lion et le Vent.
Si vous êtes fan de The Wind and the Lion, vous l’êtes aussi sûrement de la musique de Jerry Goldsmith. Dans ce cas, nous ne saurons que trop vous conseiller de vous ruer immédiatement sur le commentaire audio (sous-titré en français) de Yavar Moradi, Clark Douglas, Jens Dietrich et W. David Lichty, animateurs du podcast « The Goldsmith Odyssey ». Comme l’annonçait Rimini Editions dans son édito, « ce commentaire n’est pas illustré par la bande sonore du film, mais uniquement par les partitions musicales du film que les quatre spécialistes ont récupérés dans leurs archives ». Mais il s’agit avant tout d’un vrai commentaire audio, durant lequel les quatre complices échangent leur point de vue sur le film, les points positifs comme les points négatifs, tout en analysant les thèmes du Lion et le vent (en ciblant au passage les erreurs historiques) et en disséquant chaque thème composé par Jerry Goldsmith. Le quatuor en profite pour féliciter les éditeurs indépendants sans qui cette édition HD n’existerait pas. Les temps morts sont rares et au final ce commentaire audio est un échange intéressant de points de vues différents.
L’Image et le son
Rimini Editions signe un quasi sans-faute avec ce master HD du Lion et le Vent et c’est tant mieux car le film de John Milius méritait vraiment un traitement princier pour son passage en Blu-ray. Tout d’abord, c’est la clarté et le relief des séquences diurnes qui impressionnent et flattent la rétine. Les couleurs sont chatoyantes, le piqué vigoureusement acéré, les détails abondent aux quatre coins du cadre – stable – large, restituant admirablement la sécheresse des paysages et la chaleur écrasante et les contrastes affichent une densité remarquable. Ajoutez à cela une profondeur de champ constante, des ambiances tamisées séduisantes et des teintes irrésistibles et vous obtenez le nec plus ultra de la HD. Quelques points blancs et des tâches ainsi qu’un défaut de pellicule (vers 1h05 sur le DVD, 1h08″38 sur le Blu-ray) subsistent, ainsi que de sensibles décrochages sur les fondus enchaînés, mais rien de rédhibitoire. Le Blu-ray est au format 1080p.
L’éditeur ne propose pas de mixage 5.1, mais présente les pistes originale et française en DTS-HD Master Audio mono 2.0. La version française au doublage très réussi (le timbre de Jean-Claude Michel pour Sean Connery, c’est quand même très classe) se concentre essentiellement sur le report des voix. L’écoute demeure propre et nette. En revanche, elle n’est pas aussi fluide et homogène que la version originale, très dynamique et riche sur les scènes d’action. Dans les deux cas, aucun souffle n’est constaté, les séquences d’action sont restituées avec un beau fracas, tandis que le score de Jerry Goldsmith, profite d’une excellente exploitation des frontales. Les sous-titres ne sont pas imposés sur la version originale. Chose amusante, Eden Perdicaris porte curieusement le nom d’Helen Carter sur la version française.