LE COEUR FOU réalisé par Jean-Gabriel Albicocco, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Michel Auclair, Ewa Swann, Madeleine Robinson, Brigitte Auber, Jean-Claude Michel, Maurice Garrel, Daniel Cauchy, Marc Michel…
Scénario : Jean-Gabriel Albicocco, Philippe Dumarçay & Pierre Pelegri
Photographie : Quinto Albicocco
Musique : Jean-Pierre Bourtayre
Durée : 1h41
Date de sortie initiale : 1970
LE FILM
Journaliste de profession, Serge travaille dans la presse à sensation. Rendant visite à Cécile, son ex-femme, actrice, en cure de repos dans un hôpital psychiatrique, dans le but d’obtenir d’elle une interview,, il fait la rencontre de Clo, une jeune et jolie pyromane. Tombé fou amoureux d’elle, Serge l’aide à s’enfuir. Mais peu à peu, le journaliste perd lui aussi la raison, tandis que les incendies se multiplient au long de leur cavale.
On peut le dire, c’est un choc. On ne s’attendait pas à prendre Le Coeur fou en pleine tronche, en plein estomac aussi. Le quatrième long-métrage de Jean-Gabriel Albicocco (1936-2001) demeure encore aujourd’hui totalement méconnu, pour ne pas dire tout simplement inconnu. Sorti en 1970 dans l’indifférence générale, Le Coeur fou est un drame passionnel violent, romanesque, qui s’apparente à un film échappé du Nouvel Hollywood. Chaînon manquant entre Bonnie & Clyde d’Arthur Penn et Breezy de Clint Eastwood (qui n’apparaîtra pourtant sur les écrans que trois ans plus tard), avec une touche de Cinq Pièces faciles – Five Easy Pieces de Bob Rafelson sorti la même année, Le Coeur fou n’a probablement pas d’équivalent en France et l’ancien assistant de Jules Dassin livre une prodigieuse fuite en avant, une cavale sans issue, une balade sauvage magistralement mise en scène et interprétée par le couple vedette Michel Auclair et Eva Swann. Une perle, un bijou noir et pourtant aussi incandescent que les flammes que les deux personnages principaux n’ont de cesse de laisser derrière eux. À voir, à connaître et à relayer autour de vous dans votre réseau cinéphile. Chef d’oeuvre.
Serge Menessier, réalise un reportage photographique ayant pour sujet son ex-épouse Clara, une actrice célèbre terrassée par une dépression et internée dans un service psychiatrique. L’agitation causée par la présence de Clara dans la clinique provoque la jalousie de Clo, une patiente égocentrique. Elle réagit en tentant de séduire Serge et en mettant le feu à l’établissement de soins. Puis elle s’enfuit, poursuivie par Serge, qui touché, décide de la protéger. Ils deviennent amants et sombrent dans la folie, perpétuant plusieurs méfaits avant de se réfugier dans une île entourée de marais, où ils décident de se retrancher et de vivre en Robinsons, loin de la fureur du monde.
« Parce-qu’ils ont une certaine idée de l’amour, un homme et une femme se révoltent… » (bande-annonce)
Dès la première scène, Jean-Gabriel Albicocco observe ses personnages, comme s’ils se mouvaient dans un rêve agité, impression donnée par l’utilisation de filtres renforçant certaines sources lumineuses, ainsi que des lentilles qui déforment les angles. Ces partis-pris pris en charge par le chef opérateur Quinto Albicocco (le père du réalisateur), spécialiste ès effets de style liés aux reflets ou autres effets spéciaux directs, donnent au Coeur fou une identité propre, quasi-surréaliste, qui renvoie à la psyché perturbée de Clo, puis à celle de Serge, qui se joint à elle. Le journaliste et la pyromane fuient l’établissement psychiatrique pour…on ne sait où. Leur errance les conduit dans quelques petits villages et les chemins de campagne. Leurs proches ne comprennent pas, peut-être Clo et Serge non plus d’ailleurs, mais l’amour dévastateur semble être la seule raison de leur fusion, comme deux métaux chauffés à blanc, qui une fois collés l’un à l’autre ne pouvaient plus être séparés. Le Coeur fou est donc une œuvre furieusement romantique.
Le cinéaste de La Fille aux yeux d’or (1961) et Le Grand Meaulnes (1967) plonge le spectateur dans l’univers mental de ses deux protagonistes en ayant recours à une caméra virevoltante, des distorsions qui donnent le vertige (et qui renvoient au mal de vivre) de Clo, des effets aussi élégants qu’immersifs, dignes du cinéma d’horreur ou du thriller psychologique. Michel Auclair est inattendu dans Le Coeur fou. Quand il tourne le film de Jean-Gabriel Albicocco, le comédien a déjà 25 ans de carrière, des collaborations avec Jean Cocteau, René Clément, Henri-Georges Clouzot, André Cayatte, Julien Duvivier, Sacha Guitry, Henri Decoin, Gilles Grangier, Jean Delannoy, Édouard Molinaro, Jacques Deray, Bertrand Tavernier…mais entre deux pointures du cinéma français, Michel Auclair tourne aussi dans des films plus modestes et moins commerciaux. Dans Le Coeur fou, il démontre une fraîcheur de jeu étonnante, qui participe à la « résurrection » sentimentale de son personnage, qui se découvre une deuxième jeunesse auprès de Clo. Cette dernière est incarnée par le sublime Eva (ou Ewa) Swann, née – de son vrai nom Melvina Rota di San Pellegrino – en Italie en 1945 et qui a peu tourné pour la télévision et le grand écran. Avant Le Coeur fou, celle-ci n’était apparue que dans deux longs-métrages, dont Bye bye, Barbara de Michel Deville et Sirocco d’hiver de Miklós Jancsó.
Si certains retiendront essentiellement l’incroyable La Saignée (1971) de Claude Mulot, sa prestation dans Le Coeur fou est de celle qu’on n’oublie pas. Avec sa beauté insolente, son érotisme dingue et ses yeux qui transpercent l’âme, elle interprète Clo, jeune femme à fleur de peau, dont la seule raison de vivre est d’être aimée et dont le feu intérieur ne peut s’exprimer que littéralement, autrement dit en embrasant tout ce qu’elle trouve sur son chemin. Un feu qui la consume intérieurement et qui se trouve ranimer sans cesse après sa rencontre avec Serge. Les deux font alors des étincelles, au sens propre comme au figuré, tandis qu’ils se frayent un passage à travers les barrages, pour enfin trouver refuge sur un îlot où ils espèrent fonder une famille, loin du tumulte « extérieur ».
Envoûtant, ambitieux, expéri-mental, Le Coeur fou ne cesse de triturer les méninges encore et encore, bien longtemps après son visionnage, au point de s’y graver définitivement et de façon indélébile. Vous DEVEZ donc connaître absolument Le Coeur fou.
LE BLU-RAY
Dans le domaine du support physique, l’oeuvre de Jean-Gabriel Albicocco est étonnamment choyée avec Le Grand Meaulnes, disponible en DVD aux Éditions Montparnasse, qui s’apprêtent d’ailleurs à sortir Le Petit Matin en Haute-Définition, Le Rat d’Amérique (pour l’instant en DVD dans la collection Gaumont à la demande) et La Fille aux yeux d’or (en Blu-ray chez LCJ Editions & Productions). Il faudra désormais compter sur l’édition HD du Coeur fou chez Le Chat qui fume, jusqu’à présent inédit sur tout support physique dans le monde. Le disque, élégamment sérigraphié, repose dans un boîtier Scanavo, lui-même glissé dans un fourreau cartonné magnifiquement illustré. Il en est de même pour la jaquette, originale, atypique, reprenant le visuel de l’affiche d’exploitation. À noter la présence d’un petit livret de 16 pages, réunissant des photos d’exploitation du Coeur fou. Le menu principal est animé et musical.
Peu de choses à se mettre sous le croc…Le Chat qui fume n’a visiblement pas trouvé ou tout simplement cherché un journaliste/critique pour nous parler du Coeur fou. Il faudra donc se contenter de deux morceaux musicaux, en réalité la face A et la B du 45 tours de la bande originale du film, les deux chansons étant interprétées par Eva Swann elle-même. La bande-annonce complète les suppléments.
L’Image et le son
Force est d’admettre que nous nous trouvons devant l’un des plus beaux Blu-ray sortis chez Le Chat qui fume en 2024. Le cadre, superbe, regorge de détails aux quatre coins et ce dès la première séquence. Si le générique est évidemment plus doux, la définition reste solide comme un roc, la stabilité est de mise et le grain original flatte constamment la rétine. La propreté de la copie est irréprochable. La palette chromatique profite de cet upgrade avec des teintes revigorées. Les séquences diurnes en extérieur bénéficient d’un piqué pointu et d’une luminosité sans doute inédite. Ajoutez à cela des noirs denses, une magnifique patine seventies, une multitude d’éclairages luminescents (qui entraînent inévitablement du flou dit artistique et donc volontaire) et vous obtenez l’une des éditions indispensables de l’année passée. Restauration 4K.
Il y a un bruit de fond constant. Cependant, cela ne gâche en rien le visionnage du Coeur fou. Les dialogues demeurent intelligibles, les effets sont précis et la restitution musicale dynamique.
Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr