
LACENAIRE réalisé par Francis Girod, disponible en DVD et Blu-ray le 12 février 2025 chez LCJ Editions & Productions.
Acteurs : Daniel Auteuil, Jean Poiret, Jacques Weber, François Périer, Geneviève Casile, Jean Davy, Jacques Duby, Paul Le Person, Maïwenn Le Besco…
Scénario : Francis Girod & Georges Conchon
Photographie : Bruno de Keyzer
Musique : Laurent Petitgirard
Durée : 2h06
Date de diffusion initiale : 1990
LE FILM
Dans sa prison, Lacenaire , condamné à mort, vit ses derniers jours en attendant la guillotine qu’il désire comme une forme de suicide spectaculaire et une immense gifle à l’ordre social. Il reçoit diverses visites – son ami intime et complice Avril, un phrénologue venu étudier le crâne d’un grand criminel, sa tendre maîtresse Ida, l’écrivain et journaliste Arago, le Préfet de police Allard, à qui il décide de conter ses tristes aventures et sa vision personnelle de la vie. Né dans une famille bourgeoise, il a souffert enfant du manque d’amour d’une mère qui préférait son frère. Il découvre peu à peu le chemin du mal comme voie vers le suicide par la guillotine. Parti du simple vol, c’est à l’armée qu’il franchit le pas du meurtre en se vengeant d’un tricheur. Il se fait envoyer en prison pour de petites escroqueries afin d’y recruter des hommes de main dont il serait le cerveau et s’y lie d’amitié avec Avril et le jeune, naïf et maladroit Baton, avec lesquels il monte des coups de plus grande envergure, dont le meurtre d’un receleur qu’ils dépouillent. Trahi par Avril, qui espérait ainsi un allégement de peine et qu’il entraînera dans sa chute, Lacenaire avoue sans difficulté ses crimes au Préfet Allard, fait de son procès une tribune et supplie le jury de le condamner à mort. En prison, il écrit ses mémoires. Il confie à Allard, avec qui il s’est lié d’une amitié fondée sur une estime réciproque, le soin de publier son ouvrage et de s’occuper de sa pupille Hermine, une orpheline qu’il a recueillie et élevée. Après l’exécution, Allard tient ses promesses, même si Arago empiète largement sur sa mission.

Quand il tourne Lacenaire, Daniel Auteuil est tout juste auréolé du César du meilleur acteur pour le diptyque Jean de Florette/Manon des sources de Claude Berri (qui resteront les deux plus grands succès de son illustre carrière), vient d’être encore nommé dans la même catégorie pour Quelques jours avec moi de Claude Sautet, connaît un beau score au box-office avec Romuald et Juliette de Coline Serreau et double Bruce Willis, qui lui-même prête sa voix au bébé (et même à un spermatozoïde avant cela) pour Allô maman, ici bébé. Mais en décembre 1990, c’est un revers pour le comédien, Lacenaire de Francis Girod n’attire guère les foules, ce qui n’est pas étonnant en cette période de fêtes, propice aux triomphes de Pretty Woman et La Petite sirène, sorti depuis déjà un bon mois, tandis que Maman, j’ai raté l’avion et Uranus font le plein, ainsi que Rocky 5, dans une moindre mesure par rapports aux précédents épisodes. Froid comme la glace, ce biopic du plus célèbre dandy criminel du 19e siècle ne franchira pas la barre des 300.000 spectateurs.


Les années ont passé, le film est passé quelques fois à la télévision, accompagné de critiques peu élogieuses. 35 ans après sa sortie, il est désormais temps de réhabiliter ce drame historique teinté de thriller et même de film d’horreur. Un récit que n’aurait pas renié le regretté Jean Teulé, auteur de biographies aussi immersives que réjouissantes (Je, François Villon, Crénom, Baudelaire !, Fleur de tonnerre). Car Lacenaire est une véritable expérience de cinéma. Francis Girod, ancien assistant de Roger Vadim et occasionnellement comédien, se lance derrière la caméra en 1974 avec Le Trio infernal, déjà adapté d’un fait réel, qui imposait d’emblée le style tranchant du metteur en scène. Après une succession ininterrompue de succès depuis son premier long-métrage, Francis Girod est à la peine avec L’Enfance de l’art, gigantesque échec avec 37.000 entrées, là où le réalisateur était habitué à voir ses films dépasser le million de spectateurs. Il compte alors se refaire avec Lacenaire, en faisant appel à l’un des acteurs les plus populaires du moment, en y mettant les moyens pour sa reconstitution, en espérant que le public saura accepter ce personnage ô combien romanesque certes, mais aussi et surtout avant cela un tueur. Mais ce ne sera pas le cas, Lacenaire est un bide au box-office. Raison pour laquelle il est nécessaire d’en reparler.


J’arrive à la mort par une mauvaise route, j’y monte par un escalier !
Dans sa cellule, on découvre pourquoi Pierre François Lacenaire haïssait le genre humain et était fasciné par la guillotine, qu’il convoitait, dont il espérait qu’elle soit la dernière à lui toucher la peau. Francis Girod n’y va pas avec le dos de la cuillère et ne dresse pas un portrait flatteur du célèbre bandit et homme de lettres, mais ne peut cacher une fascination. Cette évocation de la vie, du procès et de la mort de Lacenaire (1803-1836), déjà représenté par Jacques Prévert et Marcel Carné dans Les Enfants du paradis (à qui Marcel Herrand prêtait ses traits), qui avait pu écrire ses mémoires de son vivant, témoignage resté comme une référence, car largement documentée et très contemporaine sur cette époque, est une œuvre extrêmement riche. Sur le plan visuel tout d’abord, avec une photographie stylisée que l’on doit à Bruno de Keyzer (Max et Jérémie, La Vie et rien d’autre, Autour de minuit), les décors de Jacques Bufnoir (Indochine, Itinéraire d’un enfant gâté, Coup de foudre), les costumes toujours impressionnants d’Yvonne Sassinot de Nesle (Adieu Bonaparte, L’Amant, Henry et June). Certes, on n’échappe pas à une certaine théâtralité, mais cela renforce l’aspect mise en scène de Lacenaire, qui profitait du décor confiné de sa cellule, pour se mettre en scène, préparer sa sortie, ainsi que sa légende.


À ce titre, Daniel Auteuil, magistral, trouve le parfait équilibre, remarquable funambule comme son personnage lancé sur le fil tendu entre la vie, qui ne lui a rien apporté et qu’il s’apprête à quitter, et la mort qui l’appelle de façon presque sensuelle. Le scénario écrit par Francis Girod et Georges Conchon (à qui le film est dédié, car décédé avant sa sortie) mélange le passé et le présent, s’avance même dans le futur puisque certaines scènes se déroulent après l’exécution de Lacenaire, tandis que le dernier plan se focalise sur le regard de celui-ci, juste avant que la lame n’effleure sa nuque.


Lacenaire ou le portrait d’un héros rebelle, un assassin éduqué, un escroc, voleur et tueur qui contrairement à l’ensemble des accusés d’alors, savait s’exprimer pour évoquer la raison de ses actes, parfois avec plus de verbe que ceux qui l’accusaient. Brillamment incarné, y compris par le reste de la distribution (Jean Poiret, Jacques Weber, François Périer, Paul Le Person…tous excellents), Lacenaire, dont le « héros » complexe passera à la postérité, inspirera ou sera évoqué par moult écrivains (Victor Hugo, Balzac, Stendhal, Théophile Gautier, Oscar Wilde, Charles Baudelaire, Dostoïevski), fascine, bouleverse, captive, écoeure, fait rire et peur à la fois, fait passer par toutes les émotions. En l’état et rétrospectivement, ce biopic établit un cahier des charges qui sera suivi scrupuleusement par les futurs films à venir du même genre, chez nous comme outre-Atlantique.


LE BLU-RAY
Tout d’abord sorti en DVD chez Studiocanal il y a vingt ans, Lacenaire renaît de ses cendres chez LCJ Éditions & Productions, en édition standard et pour la première fois en Haute-Définition. La jaquette, glissée dans un boîtier classique de couleur bleue, reprend le visuel de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est un peu long à apparaître (n’hésitez pas à appuyer sur la touche Menu pour passer l’introduction de près d’une minute). Celui-ci est fixe et musical.

Un seul, mais excellent supplément au programme. Il s’agit d’une interview croisée de Richard Marlet (commissaire général honoraire, enseignant et auteur) et Anne-Emmanuelle Demartini (Professeure des universités Histoire contemporaine), qui pendant 37 minutes exactement, vont tenter de dresser le portrait de Pierre François Lacenaire, personnage complexe et ambigu, « un objet criminologique non identifié ». L’enfance, l’adolescence, les premiers larcins, les crimes, les escroqueries de Lacenaire (« qui devient déjà un mythe de son vivant ») sont passés au peigne fin, ainsi que le rapport quasi-sensuel de Lacenaire avec la guillotine, qu’il surnommait sa « fiancée ». Enfin, les deux intervenants s’expriment sur le film de Francis Girod, « assez fidèle aux faits réels, malgré quelques détails ajoutés ».


L’Image et le son
Lacenaire est enfin disponible en Haute-Définition. Cette promotion technique met en valeur le superbe cadre et la photo de Bruno de Keyzer renaît littéralement durant les séquences diurnes en extérieur où le relief est fort appréciable. Ce Blu-ray relève la palette chromatique, riche, froide et détaillée, le piqué étant également joliment aiguisé et le grain bien géré. La profondeur de champ est également étonnante et certains plans en extérieur, même s’ils s’accompagnent de temps en temps d’un léger bruit vidéo, sont vraiment superbes. Dépourvu de poussières et d’accrocs divers, ce master HD s’avère lumineux (une fois le générique passé et même la scène avec les phrénologues), la définition très rarement prise en défaut.

La piste française DTS-HD Master Audio Mono 2.0 de Lacenaire est plutôt percutante. Aucun souffle n’est à déplorer, ni aucune saturation dans les aigus. Les dialogues sont vifs, toujours bien détachés, la musique de Laurent Petitgirard (Rosebud, Asphalte) est délivrée avec une belle ampleur. L’ensemble est aéré, fluide et dynamique. En revanche, notons l’absence de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.




Crédits images : © LCJ Editions & Productions / Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr