LA VENGEANCE D’UN ACTEUR (Yukinojo henge) réalisé par Kon Ichikawa, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 1er décembre 2020 chez Rimini Editions.
Acteurs : Kazuo Hasegawa, Fujiko Yamamoto, Ayako Wakao, Eiji Funakoshi, Narutoshi Hayashi, Eijiro Yanagi, Chusha Ichikawa, Ganjiro Nakamura…
Scénario : Daisuke Itō, Teinosuke Kinugasa & Natto Wada, d’après le roman de Otokichi Mikami
Photographie : Setsuo Kobayashi
Musique : Yasushi Akutagawa
Durée : 1h49
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
Au cours d’une de ses représentations, l’acteur Yukinojo Nakamura reconnait dans le public le seigneur Dobé et deux de ses complices. Ce sont les hommes qui ont conduit son père à la faillite, et provoqué le suicide de ses parents. Yukinojo va pouvoir venger ses parents.
Que l’on soit adepte ou pas du cinéma japonais classique, on ne peut être que subjugué par la beauté incommensurable de La Vengeance d’un acteur – Yukinojo henge, réalisé en 1963 par l’éclectique et prolifique Kon Ichikawa (1915-2008), connu en France pour Kokoro (1955), La Harpe de Birmanie – Biruma no tategoto (1956), Les Feux dans la plaine – Nobi (1959) et Seul sur l’océan Pacifique – Taiheiyo hitori-botchi (1963). Kon Ichikawa, c’est presque cent longs-métrages, séries télévisées et documentaires, téléfilms et courts-métrages tournés sur une période incroyable de 70 ans, puisque le cinéaste exercera son métier quasiment jusqu’à sa mort. Influencé par Walt Disney (il commencera sa carrière comme dessinateur) et Jean Renoir, Kon Ichikawa était souvent considéré comme un simple yes-man, un faiseur comme on le dit vulgairement. Pourtant, si l’on devait rapprocher le réalisateur de ses confrères américains, il serait indubitablement l’équivalent d’un Sidney Lumet, d’un Robert Wise ou d’un Richard Fleischer, qui bien que sous contrat avec de gros studios, passaient d’un genre à l’autre et enchaînaient les films sans aucun complexe, avec un savoir-faire colossal, une profonde connaissance du cinéma et surtout qui s’appropriaient le sujet qu’on leur proposait pour l’inscrire dans leur filmographie à travers des motifs, des thèmes, une sensibilité particuliers et uniques. Même chose donc pour Kon Ichikawa qui signe – et se voit d’ailleurs imposer le projet par la Daiei en raison du résultat décevant de ses derniers longs-métrages – avec La Vengeance d’un acteur, par ailleurs remake d’un triptyque éponyme mis en scène en 1935 par Teinosuke Kinusaga et – chose surprenante – déjà interprété par Kazuo Hasegawa (ici dans son avant-dernière apparition au cinéma et son 300è film !) sous le nom de Chōjirō Hayashi, l’un ses opus phares et surtout un immense chef d’oeuvre.
1836. Edo. Au cours d’une de ses représentations kabuki, Yukinojō Nakamura, célèbre acteur onnagata (ou oyama, comédien masculin incarnant des rôles de femme, puisque celles-ci n’avaient pas le droit de monter sur scène), reconnaît parmi le public le seigneur Dobé et deux de ses complices, les commerçants Kawaguchiya et Hiromiya, tous coupables d’avoir mis en faillite son père, d’avoir poussé celui-ci au suicide par pendaison et d’avoir conduit sa mère à se trancher la gorge. Yukinojō peut ainsi venger sa famille. Avec l’aide d’un « généreux voleur » (également interprété par Kazuo Hasegawa) et en dépit des obstacles dressés par un ancien rival et un groupe de voleurs menés par une jeune femme (Fujiko Yamamoto), Yukinojō parvient à ses fins. En effet, introduit auprès de Dame Namiji (sublime Ayako Wakao), la fille du seigneur Dobé et favorite du shogun, tombée amoureuse de Yukinojō, l’acteur travesti peut ainsi, en se servant d’elle, arriver à ses fins.
C’est un film que l’on doit voir plusieurs fois. La première pour découvrir l’univers de Kon Ichikawa, s’imprégner de son atmosphère, de son ambiance. La seconde, pour suivre l’histoire, raccorder les personnages, suivre le montage quelque peu éclaté à travers plusieurs protagonistes. Et tous les autres visionnages pour se laisser aller à la splendeur des images qui vous happent dès le générique, pour ne plus vous lâcher jusqu’à la fin, mais aussi, une fois mieux familiariser avec la narration, pour apprécier encore plus La Vengeance d’un acteur, qui comme son titre français l’indique reste avant tout un récit de vendetta personnelle. Si à la fin de La Vengeance d’un acteur, le serment de Yukinojo coûtera malheureusement la vie à la très belle jeune femme, le personnage principal sera certes vengé, mais demeurera inconsolable, car épris d’amour malgré lui pour Namiji, et finira par abandonner le théâtre. La Vengeance d’un acteur est un film graphique, où chaque cadre (très large) et chaque éclairage ont été pensés, stylisés (des décors, en passant par les costumes et l’utilisation de la couleur) et modelés avec un œil acéré, sans rien laisser au hasard et qui témoigne du passé de dessinateur de Kon Ichikawa, le tout magnifiquement photographié par Setsuo Kobayashi.
Habitué au mélange des genres, le réalisateur mixe à la fois le film de sabre, le drame psychologique, le kabuki (pour en savoir plus, nous vous conseillons le court-métrage documentaire Danse du lion, mis en scène par Yasujirô Ozu en 1936), mais aussi une histoire d’amour, la tragédie et l’humour. Un cocktail pour le moins détonnant, où même la composition de Yasushi Akutagawa (La Porte de l’enfer de Teinosuke Kinugasa) imbrique la musique traditionnelle et le jazz.
Contrairement à ce que l’on pouvait peut-être penser au départ, La Vengeance d’un acteur est loin d’être hermétique. S’il est évidemment conseillé en priorité aux cinéphiles aiguisés, les autres pourront tenter de plonger dans cette œuvre unique, virtuose, merveilleuse, sensorielle, éblouissante, expérimentale et pleine de rebondissements, composée par l’un des plus grands maîtres du cinéma japonais, qui a toujours su réunir les différents spectateurs, à travers des spectacles populaires et intellectuels, sans jamais laisser son audience sur le bas-côté.
LE COMBO BLU-RAY/DVD
On l’attendait chez Carlotta Films, mais c’est finalement chez Rimini Editions que sort La Vengeance d’un acteur dans les bacs ! L’éditeur a concocté un Digipack à deux volets comprenant le DVD et le Blu-ray, glissé dans un fourreau cartonné très élégant. Le menu principal est animé et musical.
Après le film, dirigez-vous immédiatement dans la section des suppléments et enclenchez l’impressionnante présentation du film par Bastian Meiresonne, spécialiste du cinéma asiatique, co-auteur du Dictionnaire du Cinéma Asiatique (32’). Face caméra, installé dans une salle de cinéma, l’invité de Rimini Editions propose ce « complément analytique », qui contient des spoilers et qui est annoncé en trois points, un retour sur la vie et la carrière de Kon Ichikawa (« qui a traversé plusieurs décennies du cinéma japonais et qui a survécu tant bien que mal aux évolutions de l’industrie cinématographique nippone ») , des détails sur la mise en route, le casting, la mise en scène, les partis-pris, le sens double du titre original, le contexte historique, les influences, les intentions et la place de La Vengeance d’un acteur dans la filmographie du réalisateur (« prolifique, qui faisait parfois quatre films par an »), puis une analyse doublée de réflexions personnelles. Bastian Meiresonne détaille, dissèque chaque élément du film qui nous intéresse aujourd’hui, « un choc des cultures et un des chef-d’oeuvres du cinéma japonais des années 1950 ». Une chose est sûre, c’est que ce supplément nous donne furieusement envie de creuser la filmographie impressionnante de Kon Ichikawa.
Puis, l’éditeur nous gratifie d’un documentaire intitulé Un siècle de cinéma japonais, écrit et réalisé en 1994 par Nagisa Oshima, mythique réalisateur de Nuit et brouillard au Japon, L’Empire des sens, Furyo et Max mon amour. En un peu moins d’une heure (52 minutes précisément), le cinéaste propose un film sur l’histoire du cinéma japonais du cinéma muet à l’arrivée de la Nouvelle Vague en passant par les drames des années 30, la montée du militarisme et les effets de la Seconde Guerre mondiale dans l’industrie du film, et l’âge d’or de la guerre. On pourrait critiquer le fait que Nagisa Oshima ne s’attarde pas trop sur Kurosawa, Mizoguchi ou Ozu et préfère à un moment parler de ses propres longs-métrages, mais ce film donne un réel aperçu (avec beaucoup d’extraits ou des clichés) du cinéma nippon jusqu’aux premières œuvres de Takeshi Kitano.
L’Image et le son
S’il avait déjà été proposé en DVD chez Opening au début des années 2000, La Vengeance d’un acteur renaît littéralement de ses cendres dans cette version sublimement restaurée 4K par la Kadokawa à partir du négatif original. Tourné en Eastmancolor et dans un cadre large impressionnant (Daeiscope), le chef d’oeuvre de Kon Ichikawa profite chaque seconde de son élévation en Haute-Définition avec tout d’abord des noirs d’une profondeur abyssale et jamais bouchés, un aspect organique constant avec un grain doux et solidement géré, des contrastes à se damner, une propreté étincelante, une stabilité à toutes épreuves, des détails à foison sur les maquillages (le visage poudré Kazuo Hasegawa laisse apparaître les défauts de la peau), les décors et les costumes. C’est bien simple, on en prend plein les yeux durant près de deux heures, surtout que le cinéaste ne cesse de jouer avec ses objectifs grand angle et le cinémascope, ce qui implique au spectateur d’être constamment au taquet pour ne rien rater de la composition des plans. Le Blu-ray – au format 1080p – de La Vengeance d’un acteur s’impose d’ores et déjà comme l’un des plus beaux de ce mois de décembre 2020.
Seule la version originale, restaurée elle aussi à partir du négatif son original, est disponible sur cette édition. Le mixage DTS-HD Master Audio Mono est correct, et le poids des années ne se fait jamais ressentir. Le rendu acoustique est aéré, fluide et ne manque pas de vivacité. Les dialogues sont clairs et distincts, la musique bien lotie et les séquences d’action profitent au mieux de cette restauration avec des ambiances riches, surtout quand les lames se croisent. L’ensemble est très propre et les sous-titres français non imposés.