
LA STRADA réalisé par Federico Fellini, disponible en Édition Blu-ray + Blu-ray bonus + Livret depuis le 6 mai 2025 chez Rimini Éditions.
Acteurs : Anthony Quinn, Giulietta Masina, Richard Basehart, Aldo Silvani, Marcella Rovena, Livia Venturini, Pietro Ceccarelli, Giovanna Galli…
Scénario : Federico Fellini, Ennio Flaiano & Tullio Pinelli
Photographie : Otello Martelli & Carlo Carlini
Musique : Nino Rota
Durée : 1h49
Date de sortie initiale : 1954
LE FILM
Gelsomina, une jeune femme naïve et généreuse, a été vendue par sa mère à un bateleur de foire brutal et obtus, Zampano, qui présente un numéro de briseur de chaînes sur les places publiques. À bord d’un étrange équipage – une moto à trois roues aménagée en roulotte – le couple sillonne les routes d’Italie, menant la rude vie des forains. Surgit Il Matto (le fou), violoniste et poète, qui seul sait parler à Gelsomina.

C’est pour ainsi dire là que tout a vraiment commencé pour Federico Fellini. La Strada est le troisième film et demi (et cela a son importance) du réalisateur, après Les Feux du music-hall – Luci del varietà (1950), co-réalisé avec Alberto Lattuada, Le Cheik blanc – Lo Sceicco bianco (1952, un échec commercial) et Les Vitelloni – I vitelloni (1953). Ce dernier, grand succès, assure à Federico Fellini d’avoir carte blanche pour son prochain long-métrage, quand bien même les producteurs font la fine bouche devant le choix de Giulietta Masina, épouse du cinéaste, qu’il souhaite imposer pour tenir le rôle principal, là où les investisseurs (Carlo Ponti et Dino dDe Laurentiis) auraient largement préféré Sophia Loren ou Silvana Mangano. Le réalisateur a tenu bon, La Strada sera interprété par Anthony Quinn (qui la même année en Italie campera aussi le Hun Attila dans Attila, fléau de Dieu de Pietro Francisci) et donc Giulietta Masina. Point de barrière de la langue, la star américaine dira ses dialogues en anglais, tandis que sa partenaire verra ses répliques réduites au maximum, son époux privilégiant son visage et ses expressions dignes du cinéma muet. Résultat des courses, La Strada sera récompensé par le Lion d’argent à la Biennale de Venise, le Ruban d’argent de la meilleure réalisation, le Bodil du meilleur film européen, le: NYFCC Award du meilleur film étranger et pour couronner le tout, par l’Oscar du meilleur film étranger. Plus grand succès de son auteur dans nos contrées avec plus de 4,5 millions d’entrées (encore plus qu’en Italie où le film restera juste sous la barre des quatre millions), triomphe international, La Strada demeure sans doute le film le plus accessible de Federico Fellini, le plus universel, celui dont les personnages touchent le plus et bouleversent même à jamais.


À la suite du décès de son assistante Rosa, Zampano, un costaud assez brutal, forain ambulant, « achète » à une mère de famille misérable la gentille Gelsomina, une fille lunaire. Voyageant dans une pauvre carriole tractée par une motocyclette, Gelsomina seconde Zampano, notamment lors de son grand numéro de briseur de chaînes. Le reste du temps, Zampano la traite comme bonne à tout faire sans lui accorder plus d’attention. À l’occasion d’une de leurs étapes, Gelsomina est fascinée par le gracile « Fou » et par son dangereux numéro de funambule. Mais, pour une raison inconnue, Zampano est en conflit avec le Fou, qui se moque systématiquement de lui ; l’intérêt qu’il porte à la jeune fille agace Zampano. Une première dispute aboutit à l’emprisonnement pour quelques jours de Zampano. Ils se retrouvent un peu plus tard sur une route de campagne ; une rixe s’ensuit au cours de laquelle Zampano, hors de lui, se rue sur son rival, jusqu’au point de non-retour.


Indubitablement, il y a eu un avant et un après La Strada pour Federico Fellini, qui jouait avec les codes du néoréalisme, pour proposer aux spectateurs une nouvelle expérience de cinéma. Quand on pense à La Strada, on entend la ritournelle de Nino Rota, musique ancrée dans toutes les mémoires, évoquées dans d’autres films, parfois inattendus comme Hold-up d’Alexandre Arcady, à la fin duquel Bebel, grimé en clown blanc, joue à la trompette l’air lié à Gelsomina. L’oeuvre totale de Federico Fellini joue sur les souvenirs et les réminiscences. La Strada est comme qui dirait le point de départ, puisque le récit apparaît sous la forme de vignettes, d’étapes réalisées sur la route par Zampano et sa nouvelle assistante, qui tracent la route sans véritablement savoir où aller et ce peu importe la saison.


Si la mer n’est pas encore reconstituée dans le légendaire studio 5 de Cinecittà, où le maestro s’enfermera de plus en plus avec le temps, histoire de tout contrôler, y compris les éléments, elle constitue le départ et l’arrivée dans La Strada, comme si le personnage de Zampano n’avait fait que tourner en rond toute sa pauvre existence. Mais cette fois, en bout de course, la prise de conscience sera violente, au point de pleurer, ce qui ne lui était sûrement jamais encore arrivé. Mais pour en arriver là, pour en revenir là devrait-on dire, Zampano parcourra un chemin de croix, sur plusieurs années, avec comme catalyseur sa rencontre avec Gelsomina. Brutalisée par Zampano, cette dernière va cependant trouver l’illumination, s’extasier devant la beauté d’un numéro visuel, rencontre son alter ego (le « Fou » en question, solidement campé par Richard Basehart, que l’on reverra dans Il Bidone, dans Moby Dick de John Huston, La Chute des héros de Karl Malden), avant de basculer dans la folie suite au dernier et fatal affrontement entre Zampano et le Fou. Elle sera abandonnée comme un chien, car ne pouvant jouer son rôle. Rattrapé par le destin quelques années plus tard, Zampano entend un air musical qui lui est familier…Après avoir brisé tant de chaînes grâce à sa force physique, celle qui serrait son coeur finit enfin par lâcher en pensant à cette femme à la tête d’artichaut.


La Strada se clôt donc sur la plage, remplie des larmes de celles et de ceux qui se sont vus offrir une parenthèse, qui ont pu espérer un moment s’en sortir, mais que la réalité a vite fait de ramener au bercail. Le scénario de La Strada, écrit par Federico Fellini, Tullio Pinelli (grand complice du réalisateur et qui le restera jusqu’à son dernier opus, La Voce della luna) et Ennio Flaiano (également collaborateur attitré du maître) joue ainsi sur le ressenti, puisque de nombreux éléments se révèlent au spectateur après visionnage.


Ajoutons au jeu extraordinaire des comédiens, la splendeur de la photographie d’Otello Martelli (Il Maestro di Vigevano, Guendalina, Les Nuits de Cabiria, Stromboli) et vous obtenez la première séance d’hypnose dispensée par l’un des plus grands représentants du cinéma transalpin. Capolavoro.




LE COMBO 2 BLU-RAY
La Strada revient de loin ! Le chef d’oeuvre de Federico Fellini demeurait jusqu’à présent disponible en DVD, sorti il y a plus de vingt ans chez René Château Vidéo, avec la version originale, la piste française et les sous-titres dans la langue de Molière. Depuis ? Rien, plus rien du tout…quand soudain, miracle ! La Strada fut tout d’abord annoncé en 4K UHD par Rimini Éditions en 2025…avant d’être finalement proposé en Combo 2 Blu-ray, Criterion conservant de ce fait l’exclusivité de la galette 4K. Nous n’allons évidemment pas faire la fine bouche, n’est-ce pas ? Les deux disques reposent dans un Digipack à trois volets, illustrés avec élégance, le tout reposant dans un fourreau cartonné du plus bel effet. Nous y trouvons aussi deux petits livrets, fort bien faits. Le premier (12 pages) est une adaptation du dossier de presse réalisé pour la ressortie du film en salles en 2023 et contient un texte de Martin Scorsese sur La Strada, publié en décembre 1993 dans la revue Positif (ainsi que dans le New York Times), ainsi que différents entretiens (Fellini, Giulietta Masina), sans oublier une formidable analyse du film par l’éminent Jean A. Gili (tirée de La Revue du Cinéma). L’autre livret (20 pages) est un indispensable Dossier Pédagogique, conçu et rédigé par Philippe Leclercq, enseignant, rédacteur à la DGESCO (autrement dit La direction générale de l’enseignement scolaire) et critique de cinéma, à l’occasion de la ressortie en salles le 17 mai 2023, qui aborde la dramaturgie, la mise en scène, avant d’analyser la séquence du funambule. Le menu principal du premier disque est animé et musical, le second étant fixe et musical.

On passe aux bonus dispersés sur les deux galettes.
Le premier Blu-ray contient un entretien avec Frédéric Mercier (critique à Positif) et Marcos Uzal (rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma). Une conversation (38’35) menée à cent à l’heure, qui dans un premier temps replace La Strada dans la carrière de Federico Fellini, œuvre qui connaîtra un immense succès dans le monde entier, qui sera récompensée dans tous les festivals. Puis, les deux intervenants dissèquent La Strada, sur le fond comme sur la forme, analysent les personnages (tirés sur néoréalisme, mais emmenés « ailleurs »), tout en mettant en relief les motifs et obsessions qui deviendront récurrents dans la carrière du maître.


L’autre supplément présent sur ce Blu-ray est une interview radio de Giulietta Masina (30’), provenant d’un enregistrement pour France Inter, réalisé en août 1983 dans le cadre d’une émission consacrée au couple mythique du cinéma italien. Tout en français, la comédienne s’exprime sur la genèse de La Strada, de la mise en route difficile du film (les producteurs ne voulaient pas d’elle pour interpréter le rôle de Gelsomina), sa préparation, le travail avec son époux et avec ses partenaires, le triomphe du film, jusqu’aux compliments reçus pour sa prestation de la part de Charles Chaplin lui-même.

Le deuxième disque propose le célèbre documentaire réalisé par Damian Pettigrew en 2002, Fellini : Je suis un grand menteur (1h46). Produit par Olivier Gal pour Arte France, cet essai documentaire est fondé sur les dernières interviews avec le cinéaste italien Federico Fellini filmées à Rome en 1991 et 1992 par Damian Pettigrew. « J’ai tout inventé de ma jeunesse, de ma famille, de mes relations avec les femmes, avec la vie. Je suis un grand menteur, » explique le Maestro. Ce documentaire, restauré en 2022 par L’Immagine Ritrovata à partir d’un master digital betacam donne successivement la parole à Roberto Benigni (Ivo Salvini dans La Voce della luna, dernier long-métrage de Fellini), Luiigi « Titta » Benzi (avocat à Rimini, ami d’enfance de Fellini), Italo Calvino (écrivain italien, ami de Fellini), Dante Ferretti (décorateur des films de Fellini à partir des années 1980), Rinaldo Geleng (peintre et responsable des fresques et peintures sur de nombreux films de Fellini, et ami proche), Tullio Pinelli (coscénariste avec Fellini et Ennio Flaiano de La Strada, La Dolce Vita, Huit et demi), Giuseppe Rotunno (directeur de la photographie de Fellini à partir des années 1970), Terence Stamp (comédien et interprète du sketch Toby Dammit d’Histoires extraordinaires), Donald Sutherland (comédien et interprète du Casanova), sans oublier Daniel Toscan Séplanté, euh, du Plantier pardon (producteur français de quatre films de Fellini). En N&B et en couleur, cet essai tente d’entrer dans la conscience de Fellini, ce dernier ayant toujours été malin pour donner des indications et des explications sur ses films, tout en conservant sur eux un immense mystère quant à leur confection (« Pour moi, les choses les plus réelles sont celles que j’ai inventées […] le cinéma est peinture. Tout doit être factice, mais crédible. »), leur genèse et leur raison d’être. Raison pour laquelle Damian Pettigrew revient sur certains lieux de tournage ou liés à la vie de Fellini, pour essayer de trouver les réponses à certaines questions finalement restées en suspens. De nombreux extraits et des images de plateau viennent illustrer l’ensemble. Un document on ne peut plus précieux pour les admirateurs du cinéaste. Je suis un grand menteur avait pas mal voyagé en DVD, dans un coffret Fellini Opening sorti il y a vingt ans, puis à l’unité chez le même éditeur en 2006, puis à nouveau en 2009 comme disque supplément de La Voce della luna. Dernière chose, dommage que les noms des intervenants ne soient jamais indiqués lorsqu’ils apparaissent à l’écran.





Sous le titre Huit entretiens et demi (45’), sont en fait dispersées d’autres images et interviews non retenues pour Je suis un grand menteur. Ainsi, Roberto Benigni (6’30), Joseph-Marie Lo Duca (3’50, écrivain, critique et l’un des fondateurs des Cahiers du Cinéma), Moebius (3’35, sur l’intérêt qu’avait Fellini pour la bande dessinée), Tullio Pinelli (4’35, qui s’cctroie plus ou moins l’idée de base de La Strada), Terence Stamp (4’), Donald Sutherland (6’), Roland Topor (2’15 ), Daniel Toscan du Plantier (12’) et Italo Calvino (1983, 4’, uniquement audio). L’occasion de découvrir que Donald Sutherland ne définissait pas Fellini uniquement comme un tyran, mais aussi comme quelqu’un « d’extraordinaire, ayant un grand sens de l’humour ».. Terence Stamp évoque ses difficultés pour être « dirigé », puisque « Fellini n’expliquait jamais réellement la raison d’une scène », tout en partageant encore d’autres souvenirs de tournage. Un supplément non négligeable.









Provenant de rushes de Je suis un grand menteur, le module Fellini, séquence dessin et entretien (13’), montre tout d’abord le maestro en train de dessiner, avant de parler de la schizophrénie que représente pour lui l’exercice de l’interview, puisqu’il n’a pas confiance en ce qu’il dit. Il évoque ensuite Roberto Rossellini (« un personnage fondamental, qui m’a montré la voie à suivre »), qui lui a donné envie de devenir metteur en scène. Puis, Federico Fellini explique pourquoi il en est venu à vouloir tout construire quand il crée, à l’instar d’un village entier pour La Voce della luna. Enfin, le cinéaste parle du public qui a perdu l’envie d’aller au cinéma, art qui pour lui n’a plus le même charme, en particulier à cause de l’arrivée de la télévision, qui a « désacralisé le charisme hypnotique de la grande image ».





Nous trouvons enfin un documentaire intitulé La Casa pericolante : Sur les traces des lieux felliniens (19’). Réalisé en 2005 par Damian Pettigrew, cette archive, issue encore une fois de ce qui était resté sur le banc de montage de Fellini, je suis un grand menteur, propose un bref retour sur certains lieux de tournage ou liés à la vie de Federico Fellini. On y retrouve entre autres certains décors de La Strada comme le couvent où s’arrêtent Gelsomina et Zampano. Un essai intéressant, même si assez austère dans sa forme.





L’Image et le son
Autant le dire d’entrée de jeu, Rimini Éditions propose assurément l’un des plus beaux masters de son catalogue avec cette copie restaurée 4K de La Strada. Un Blu-ray véritablement magnifique, du générique d’introduction (d’une stabilité impressionnante) jusqu’à la dernière image. Initialement publié par René Château, La Strada est désormais présenté avec la plus belle image du film vue à ce jour. La photo stylisée trouve ici un éclat inégalé, avec des blancs opalescents et des noirs d’une profondeur abyssale, les contrastes étant quant à eux particulièrement tranchés et le grain argentique heureusement préservé. Il n’y a qu’à voir le relief des textures, la précision des plans rapprochés, pour se rendre immédiatement compte de la richesse et de la densité de cette édition. Une remarquable résurrection en 4K, effectuée en 2020 par L’Immagine Ritrovata à partir de l’unique négatif 35mm préservée par Beta Film GmbH.
Il n’y a rien de bien méchant à signaler concernant la piste italienne DTS-HD Master Audio Mono 2.0 qui demeure de fort bon acabit et propre, si ce n’est quelques dialogues étrangement plus sourds que d’autres au cours d’une même séquence, ou bien diverses résonances et saturations émaillées par-ci, par-là. La version française DTS-HD Master Audio Mono, dont l’adaptation est signée Raymond Queneau, manque quant à elle de naturel et se focalise trop sur le rendu des voix. Les deux pistes s’accompagnent d’un léger souffle.




Crédits images : © Rimini Éditions / Production Carlo Ponti & Dino De Laurentiis / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr