Test Blu-ray / La Femme à abattre, réalisé par Bretaigne Windust & Raoul Walsh

LA FEMME À ABATTRE (The Enforcer) réalisé par Bretaigne Windust & Raoul Walsh, disponible en Blu-ray le 17 septembre 2025 chez Rimini Éditions.

Acteurs : Humphrey Bogart, Zero Mostel, Ted De Corsia, Everett Sloane, Roy Roberts, Michael Tolan, King Donovan, Bob Steele…

Scénario : Martin Rackin

Photographie : Robert Burks

Musique : David Buttolph

Durée : 1h25

Date de sortie initiale : 1951

LE FILM

Le gangster qui avait accepté de témoigner contre le chef d’une redoutable organisation criminelle se tue accidentellement. Le procureur Martin Ferguson perd son témoin clé et doit repartir à zéro. Il a peu de temps pour éviter que le suspect ne ressorte libre du tribunal.

Le générique indique que La Femme à abattreThe Enforcer a été réalisé par Bretaigne Windust (1906-1960). En réalité, Raoul Walsh (1887-1980) a été appelé à la rescousse pour reprendre le film en main, remplaçant au pied levé son confrère tombé gravement malade. Une autre raison serait que la Warner, s’étant rendu compte aux rushes de la mauvaise direction d’acteurs de Windust, aurait appelé le sieur Walsh afin de sauver l’entreprise. La Femme à abattre demeure un thriller moderne et implacable (la tension de L’enfer est à lui n’est pas loin), inspiré d’un fait divers réel survenu au début des années 40. Si le film est en effet signé Bretaigne Windust, cinéaste habituellement rodé à la comédie et au mélodrame, le film est marqué à chaque plan de l’inimitable griffe de Raoul Walsh. Porté par un immense Humphrey Bogart, qui allait être récompensé par l’Oscar du meilleur acteur l’année suivante pour The African Queen, La Femme à abattre est un pola remarquablement emballé, complexe avec ses plusieurs flashbacks imbriqués, virtuose, passionnant de la première à la dernière image (le final est anthologique), violent et rythmé. N’oublions pas la sublime photo contrastée signée Robert Burks (La Mort aux trousses, Sueurs froides, Les Tueurs de San Francisco) et la composition de David Buttolph qui contribuent à faire de ce film noir un grand spectacle.

L’assistant District Attorney Martin Ferguson reprend depuis le début le dossier d’une affaire. Tout a commencé par les aveux d’un jeune gangster,  » Duke  » Malloy. Il révèle l’existence d’un gang du crime. Il a tué une jeune femme. Nina Lombardo. Effrayé à l’idée de se faire tuer par un homme de la bande, il meurt accidentellement après avoir donné les noms de ses complices : Philadelphia, Big Babe et Smiley. Philadelphia est interné dans un asile d’aliénés et Smiley est mort. Mais Big Babe parle et donne des détails sur cette « société du crime », dirigée par un mystérieux personnage « L’Inter » qui donne des « contrats » à remplir (personnes à tuer). Ferguson poursuit son enquête. Il rend visite à Teresa Davis, qui partageait sa chambre avec Nina, la jeune femme tuée. Celle-ci s’appelait en réalité Angela Vetto. Son père, Tony Vetto, a été témoin d’un meurtre et a été tué par le gang de Rico. La police progresse et arrête un à un les membres de l’organisation.

Bretaigne Windust (La Mariée du dimanche, Rencontre d’hiver, deux films avec Bette Davis) laisse la place à Raoul Walsh, toujours prêt à rendre service à la Warner, comme cela se faisait beaucoup à l’époque. Quand bien même son illustre nom n’apparaît pas au générique, La Femme à abattre possède cette touche inimitable. Le générique happe d’emblée le spectateur avec ce fourgon qui roule à cent à l’heure, tandis que défilent les credits. Une fois sa course stoppée, un homme descend, les mains liées, effrayé, escorté, tandis que ceux qui l’entourent regardent partout autour, comme si une menace planait sur leur convoi.

Le réalisateur expose immédiatement le sujet, le prisonnier est présent, car il doit témoigner à la première heure le lendemain matin contre un individu qui a commis un meurtre devant ses yeux. Malgré toute l’attention de celui qui mène l’enquête (l’assistant District Attorney Martin Ferguson, Humphrey Bogart donc), la situation dégénère, le témoin meurt, et il ne reste plus que quelques heures aux forces de l’ordre pour en trouver un autre.

L’histoire est signée Martin Rackin, illustre scénariste ayant officié sur Les Cavaliers de John Ford, Violence à Jericho d’Arnold Laven, Le Grand Sam de Henry Hathaway et Les Aventures du Capitaine Wyatt de Raoul Walsh, ce dernier étant sorti la même année que La Femme à abattre. Le cinéaste connaît évidemment bien Humphrey Bogart, pour l’avoir déjà fait tourner à trois reprises, dans Les Fantastiques Années 20The Roaring Twenties (1939), Une femme dangereuse They Drive by Night (1940) et La Grande évasionHigh Sierra (1941), qui ont contribué à forger le « mythe Bogart ». Cela faisait dix ans que les deux hommes n’avaient pas collaboré et cette situation forcée leur en a donné l’occasion. La Femme à abattre n’a indiscutablement pas le même prestige que leurs trois autres associations et cela n’était pas le cas sur le papier, la Warner préférant miser sur Un tramway nommé Désir d’Elia Kazan, dont la sortie est d’ailleurs programmée dix jours après celle de The Enforcer.

Nous sommes en pleine série B de prestige, la star étant déjà bien installée depuis une dizaine d’années, durant lesquelles il a enchaîné Le Faucon maltais, Le Trésor de la Sierra Madre et Key Largo de John Huston, Casablanca de Michael Curtiz, Le Port de l’angoisse et Le Grand sommeil de Howard Hawks, ainsi que Le Violent de Nicholas Ray. Autant dire qu’il peut se permettre de lâcher un peu de lest avec La Femme à abattre, qui reste tout de même un polar sombre rudement bien mis en scène, passionnant, le récit faisant penser à une spirale infernale, un cauchemar éveillé, sur lequel plusieurs autres mauvais rêves viendraient se greffer avec sa structure en flashbacks.

La Femme à abattre est un modèle du genre, sur le fond, comme sur la forme, un bonheur pour les cinéphiles. Humphrey Bogart est sacrément bien entouré, par Zero Mostel, qu’il retrouve d’ailleurs la même année dans Sirocco de Curtis Bernhardt, Everett Sloane (Citizen Kane, La Dame de Shanghaï, Le Grand couteau, Celui par qui le scandale arrive), Roy Roberts (Il marchait la nuit, Le Roi et quatre reines) et d’autres « gueules » formidablement dirigées par Raoul Walsh. Enfin ce dernier livre au passage un des premiers films sur la Mafia, organisation criminelle quasi-immortelle, qui puise ses éléments dans le tout-venant, dans les cas désespérés, chez les types qui ont besoin de fric et qui n’hésitent pas à tuer pour cela. Si l’un d’eux devait se faire prendre, un autre attend patiemment son tour derrière.

C’est contre ce monstre à tentacules que se bat le personnage d’Humphrey Bogart, dont le final en apparence triomphant, dissimule le fait que tout sera à recommencer le lendemain. Au final, La Femme à abattre est un opus réaliste, nerveux et redoutablement pessimiste.

LE BLU-RAY

En 2011, La Femme à abattre était proposé en DVD chez Films sans Front…chuuuut, celui dont il ne faut pas prononcer le nom ! 2025, The Enforcer est présenté cette fois officiellement par Rimini Éditions en Haute-Définition. Le disque est solidement ancré dans un boîtier classique transparent, glissé dans un fourreau cartonné. Ces trois éléments reprennent le même visuel, hérité d’une des affiches originales d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.

Le premier bonus donne la parole à Florian Tréguer (35’). Enseignant à l’Université Rennes 2, spécialiste du cinéma américain, réalise une excellente présentation de La Femme à abattre, en analysant à la fois le fond et la forme, tout en replaçant ce film dans la carrière d’Humphrey Bogart…et de Raoul Walsh, puisque le réalisateur allait remplacer Bretaigne Windust au pied levé. Florian Tréguer passe au crible ce « film noir plutôt classique, typique de la Warner à l’époque, qui possède un budget modeste, malgré une star, alors au sommet de sa popularité, en haut de l’affiche ». Les affaires judiciaires et criminelles qui ont inspiré le scénario, l’émergence du crime organisé aux États-Unis, la carrière de Bretaigne Windust, la structure du récit (avec les flashbacks enchâssés) sont aussi les sujets brillamment abordés.

Rimini Éditions a pu mettre la main sur une formidable interview de Raoul Walsh, provenant de la collection Cinéastes de notre temps, réalisée en octobre 1966, deux ans après La Charge de la huitième brigade, qui restera son dernier film (39’). Le cinéaste se confie alors sur les différentes transformations des studios à Hollywood, sur la situation du cinéma, sur son enfance dans le Montana (« on assistait à des pendaisons en guise de spectacle le dimanche »), roule ses clopes à la chaîne, évoque avec nostalgie l’ère du cinéma muet (« Après c’est devenu une course effrénée où personne ne savait ce qu’il faisait ») et ses débuts comme acteur (ainsi que comme cascadeur), parle du starsytem (« Aujourd’hui, les stars sont des divas ! ») et raconte d’autres anecdotes (dont sa découverte de celui qui deviendra John Wayne).

L’Image et le son

C’est vers cette édition qu’il faudra vous tourner si vous désirez revoir le film de Bretaigne Wind…Raoul Walsh dans les meilleures conditions techniques possibles. Voilà un master au format 1.37 respecté (16/9 compatible 4/3), un Blu-ray au format 1080p qui s’avère aussi lumineux qu’impressionnant. La définition est impeccable et la restauration (4K, réalisée en 2021) se révèle étincelante. Les contrastes sont denses, les noirs profonds et le grain original est heureusement préservé, excellemment géré. Rien à redire sur la propreté, l’image est immaculée, les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes plus claires, le piqué est aussi tranchant qu’inédit, la stabilité de mise, les détails étonnent par leur précision.

La version anglaise est proposée en DTS-HD Master Audio Mono 2.0. L’écoute demeure appréciable, avec une excellente restitution de la musique de David Buttolph (Les Cavaliers, Le Secret des Incas), des effets annexes et des voix très fluides et aérées. En revanche, la piste française DTS-HD Master Audio Mono, s’avère plus artificielle, parfois chuintante, accompagnée d’un souffle, misant principalement sur le report des voix au détriment des ambiances.

Crédits images : © Rimini Éditions / Paramount Pictures / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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