LA FANTASTIQUE HISTOIRE VRAIE D’EDDIE CHAPMAN (Triple Cross) réalisé par Terence Young, disponible en DVD et Blu-ray le 3 février 2021 chez Crome Films – ESC Editions.
Acteurs : Christopher Plummer, Romy Schneider, Trevor Howard, Gert Fröbe, Claudine Auger, Yul Brynner, Harry Meyen, Georges Lycan…
Scénario : René Hardy, d’après le livre de Frank Owen
Photographie : Henri Alekan
Musique : Georges Garvarentz
Durée : 2h12
Année de sortie : 1966
LE FILM
Durant la Deuxième Guerre mondiale, le perceur de coffres Eddy Champan est arrêté par l’armée allemande. Il obtient de cette dernière de se racheter en intégrant leur camp avant d’être envoyé en Angleterre où il s’introduit habilement dans les rangs locaux. Chapman joue alors un double-rôle pour le compte des services secrets britanniques.
Alors qu’il vient de nous quitter à l’âge respectable de 91 ans, le canadien Christopher Plummer semble n’avoir jamais été jeune dans la mémoire des cinéphiles. Et pourtant, le comédien aura démarré sa carrière cinématographique dans les années 1950, en 1958 plus précisément, devant la caméra de Sidney Lumet dans l’excellent et méconnu Les Feux du théâtre – Stage Struck, dans lequel il donne la réplique à Henry Fonda et Susan Strasberg. Parallèlement à ses prolifiques activités théâtrales, il enchaîne les rôles au cinéma chez Nicholas Ray (La Forêt interdite – Wind Across the Everglades), Anthony Mann (La Chute de l’Empire romain – The Fall of the Roman Empire), Robert Wise (La Mélodie du bonheur – The Sound of Music) et Robert Mulligan (Daisy Clover – Inside Daisy Clover). Une belle façon de commencer dans le métier pourrait-on dire. Mais l’un de ses films les plus importants restera sans nul doute celui qu’il porte entièrement sur ses épaules du début à la fin, Triple Cross, réalisé en 1966 par Terence Young, également connu en France sous le titre La Fantastique Histoire vraie d’Eddie Chapman. Aussi dingue qu’il n’y paraît, Triple Cross s’inspire d’une histoire vraie, celle d’Edward Arnold Chapman, dit Eddie Chapman (1914-1997) donc, gangster britannique qui devint un espion durant la Seconde Guerre mondiale, à la fois au service de l’Allemagne nazie, puis pour son pays natal. Il faut le voir pour le croire, d’ailleurs certains éléments demeurent tellement invraisemblables qu’on a encore beaucoup de mal à se persuader que ce qui nous est raconté s’est peu ou prou passé ainsi. Cette histoire était évidemment faite pour le cinéma. Christopher Plummer, sourire en coin et la classe incarnée, prend un évident et contagieux plaisir à composer ce personnage totalement ambigu, en lui apportant une délicieuse ironie. Il est aussi parfait que le casting international qui l’entoure, à savoir Romy Schneider, Trevor Howard, Gert Fröbe, Claudine Auger, Harry Meyen, Yul Brynner, Jess Hann, Anthony Dawson, Bernard Fresson et Howard Vernon. Mêlant à la fois l’espionnage et le film de guerre, La Fantastique Histoire vraie d’Eddie Chapman est une grande réussite, le rythme y est un peu lent certes, mais le film n’en reste pas moins extrêmement jubilatoire, ultra-divertissant, passionnant, teinté d’humour et imprégné de l’élégance propre à son metteur en scène.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le perceur de coffres calme et placide Eddie Chapman (Christopher Plummer) est en train de dérober les économies d’un homme aisé, tandis qu’un de ses complices l’attend dehors dans sa voiture et masque le bruit de l’explosion avec quelques ratés de moteur. Chapman s’empare avec désinvolture des quelques bijoux du coffre-fort et tel Fantômas, laisse une carte félicitant ses propriétaires pour avoir été victimes du « Gang du Plastic ». D’autres braquages se succèdent, jusqu’au jour où Chapman se fait prendre pendant ses vacances sur l’île de Jersey, où il est emprisonné en 1939. Au bout de dix mois, il voit des soldats allemands débarquer à l’extérieur de la prison et apprend que la guerre a éclaté. Chapman propose de travailler comme espion pour les Allemands, qui sont d’abord sceptiques quant à ses motivations, mais décident de profiter de ses talents et qualifications uniques. Ils simulent son exécution et le font passer clandestinement en France occupée où, en étroite collaboration avec le colonel Baron von Grunen (Yul Brynner), il est formé pour être un espion. Il tombe rapidement amoureux d’une camarade connue uniquement sous le nom de la Comtesse (Romy Schneider), qui faisait partie du groupe qui l’avait interrogé la première fois. Chapman est étroitement surveillé par le sombre lieutenant Keller (Harry Meyen), qui ne lui fait pas confiance, tandis que le colonel Steinhager (Gert Fröbe, qui nous refait le coup de la fanfare allemande de Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines – Those Magnificent Men in their Flying Machines, or How I Flew from London to Paris in 25 Hours and 11 Minutes de Ken Annakin !), le subordonné immédiat de von Grunen, tient tout ce beau monde à l’oeil. Lors de sa première mission, Chapman est parachuté en Angleterre la nuit, mais cela s’avère être un test de loyauté, puisqu’il est en fait déposé près de l’école d’espionnage allemande. Il débarque ensuite réellement en Angleterre pour une mission réelle, mais se rend directement à la police et à l’armée britannique. Après avoir décliné son identité, il identifie plusieurs radiofréquences utilisées par les Allemands, ce qui convainc les responsables anglais de la véracité de son histoire. Ils négocient avec lui. En échange de son travail d’agent double pour la Grande-Bretagne, il veut un pardon complet pour ses crimes, plusieurs milliers de livres Sterling, ainsi qu’une reconnaissance officielle de ses états de service. Ce jeu troublant de faux-semblants ne fait que commencer.
Triple Cross est l’histoire d’un type incroyablement culotté, qui n’a jamais agi pour le compte d’une idéologie ou même d’un pays, mais uniquement dans son propre intérêt, pour survivre bien entendu, mais qui aura également profité de ce sursis inespéré pour essayer de se faire un petit pactole. Chapman passera ainsi allègrement des services de renseignements allemands à leurs homologues britanniques, qui à leur tour – moyennant payant – lui demanderont « d’intoxiquer » leurs adversaires. Et qui de mieux que Christopher Plummer, avec son charisme légèrement suintant, pouvait le mieux incarner cette canaille d’Eddie Chapman ? Le comédien s’empare avec délectation de ce rôle aux multiples facettes et par ailleurs extrêmement difficile, puisque son personnage – surnommé Zigzag, en raison de son caractère et de son parcours imprévisibles – ne cesse de marcher sur fil tendu entre l’arrivisme ou l’opportunisme le plus exacerbé, et le courage, pour ne pas dire l’héroïsme que ses missions exigeaient. Rusé comme un renard, sarcastique, cynique, Chapman est pleinement conscient de ses décisions, de ses agissements, de ses actes et de leurs conséquences, mais continue de foncer tête baissée, en sachant qu’il peut tout à fait se faire prendre du jour au lendemain, surtout quand le Colonel Steinhager et le Lieutenant Keller commencent sérieusement à avoir des doutes sur sa personne. Heureusement, il peut compter sur le soutien du Baron von Grunen (Yul Brynner, impérial), même s’il semble évident que ce dernier n’est pas dupe quant à l’engagement de Chapman.
L’atout charme n’est pas oublié et de ce point de vue le cinéphile est on ne plus gâté avec la présence au générique des sublimes Romy Schneider et Claudine Auger. Si la première tentait de s’ouvrir à une carrière internationale (elle venait de tourner La Voleuse de Jean Chapot et s’apprêtait à partir en Angleterre pour jouer dans le Otley de Dick Clement), la seconde retrouvait le réalisateur Terence Young, un an après avoir enflammé le grand écran dans l’opus de James Bond, Opération Tonnerre – Thunderball, dans lequel elle interprétait la mythique et sensuelle Domino, la maîtresse de l’infâme Emilio Largo.
Après trois épisodes de la saga 007 (James Bond 007 contre Dr. No, Bons baisers de Russie, Opération Tonnerre, 1962, 1963, 1965), qui ont indubitablement posé les bases de ce qui en fera la plus longue et la plus lucrative de l’histoire du cinéma, Terence Young voulait à la fois s’éloigner de l’agent secret qui l’aura bien fait vivre depuis quelques années, tout en profitant évidemment de cet engouement. Ou comment voguer vers de nouveaux horizons, tout en conservant quelques ingrédients propres au cinéma d’espionnage qui faisait alors fureur dans les cinémas du monde entier. L’histoire d’Eddie Chapman tombait à pic, puisque le cinéaste pouvait donc surfer sur le genre qui l’a fait exploser aux yeux des spectateurs, même s’il avait déjà près d’une vingtaine de films à son actif, tout en dressant le portrait d’un autre genre d’espion, plus réaliste, mais dont la vie et le destin semblent parfois encore plus « extraordinaires » que les missions pourtant « hénaurmes » de James Bond.
Immédiatement après l’attachant Opération Opium, film porté par le réalisateur, Ian Fleming (le créateur de James Bond) et L’ONU dans le but d’alerter l’opinion internationale contre la drogue, avec cette fois encore un casting ahurissant (de Yul Brynner à Angie Dickinson en passant par Marcello Mastroianni et Trevor Howard), Terence Young donne le meilleur de lui-même dans Triple Cross, alliant réalisme, intrigue policière, film d’action, d’aventures et d’espionnage. Et mention spéciale à la musique Georges Garvarentz, dont la partition à mi-chemin entre Ennio Morricone et John Barry convient parfaitement aux péripéties d’Eddie Chapman !
LE BLU-RAY
Bien qu’étant passé par quelques éditeurs divers et variés, d’Opening à LCJ Editions, on ne peut pas dire que Triple Cross avait jusqu’à présent été gâté, entre un master pour le moins exécrable, ou l’absence de version originale. Oublions tout cela, car voici la réelle et première véritable édition du film de Terence Young ! Nous devons cette sortie à Crome Films / ESC Editions, qui à cette occasion livre un bel objet avec une jaquette – glissée dans un boîtier classique de couleur bleue – au visuel intelligent, dévoilant le jeu troublant du personnage incarné par Christopher Plummer, le tout glissé dans un surétui cartonné. Le menu principal est fixe et musical.
Seul supplément sur cette édition, un entretien avec l’écrivain et critique de cinéma Frédéric-Albert Lévy (29’). Grand spécialiste de James Bond et de son univers, auquel il a consacré plusieurs ouvrages (Bond, l’espion qu’on aimait, Hors Collection, 2017), l’invité de Crome Films / ESC Editions était tout indiqué pour évoquer le triomphe du cinéma d’espionnage (ainsi que le succès tout aussi conséquent du genre dans la littérature) des années 1960, dont fait partie Triple Cross. Frédéric-Albert Lévy ne manque pas de rapprocher le film des opus de James Bond réalisés par le même Terence Young, tout en revenant sur l’histoire vraie d’Eddie Chapman, sur l’explosion du genre Euro Spy au cinéma (dont nous avons parlé dans nos chroniques sur Des fleurs pour un espion, Opération Re Mida), ainsi que sur les films de genre plus sérieux et réalistes à l’instar d’Ipcress, danger immédiat (1965) de Sidney J. Furie et L’Espion qui venait du froid (1965) de Martin Ritt. Le critique en vient plus précisément à Triple Cross, « qui prend des libertés avec la réalité, mais s’inspire relativement fidèlement de la vie d’Eddie Chapman », tout en parlant de la face sombre du scénariste René Hardy, célèbre pour la controverse autour de son rôle dans l’arrestation de Jean Moulin et du général Delestraint. Enfin, il revient sur Terence Young lui-même, sur lequel il n’existe aucun ouvrage, un réalisateur « capable de grandes réussites, mais aussi de films beaucoup plus contestables voire à oublier ». Il clôt cette intervention en indiquant que les spectateurs de sa génération regrettent sans doute cette époque où les films bénéficiaient d’un casting international.
L’Image et le son
Le master est très propre, d’une stabilité rarement prise en défaut et la texture argentique a été préservée. En revanche, la colorimétrie nous semble parfois trop claire, pastel, ou au contraire soudainement fanée. Les yeux bleus de Christopher Plummer ont beaucoup d’éclat, mais la couleur de peau est bien trop blanche à notre goût, ce qui crée un déséquilibre parfois étonnant et occasionne même quelques flous. Les fondus enchaînés s’accompagnent de légers décrochages, tandis que les détails se perdent sur diverses séquences sombres. Blu-ray au format 1080i…
Premièrement, les sous-titres sont imposés sur la version originale et le changement de langue est verrouillé à la volée. Deuxièmement, la piste anglaise est souvent très sourde, avec même de temps en temps des dialogues sensiblement couverts, manquant d’intelligibilité. En ce qui concerne la version française, c’est comme qui dirait le contraire puisque les voix prennent le dessus sur les effets sonores. Le doublage est très réussi avec l’immense Jean-Claude Michel qui prête sa voix à Christopher Plummer.