LA DERNIÈRE FANFARE (The Last Hurrah) réalisé par John Ford, disponible en Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre le 20 octobre 2020 chez Sidonis Calysta.
Acteurs : Spencer Tracy, Jeffrey Hunter, Dianne Foster, Pat O’Brien, Basil Rathbone, Donald Crisp, James Gleason, Edward Brophy…
Scénario : Frank S. Nugent d’après le roman The Last hurrah d’Edwin O’Connor
Photographie : Charles Lawton Jr.
Durée : 2h01
Date de sortie initiale : 1958
LE FILM
Maire d’une ville de la Nouvelle Angleterre, le roublard Frank Skeffington brigue un cinquième mandat. Il se lance dans une campagne féroce au terme de laquelle, il est donné perdant. Avec contre lui, un candidat supporté par les grands industriels de la région et un autre, plus jeune, qui utilise des moyens modernes, Skeffington ne s’avoue pourtant pas vaincu…
C’est un bijou complètement méconnu, rare et jusqu’alors difficile à trouver en DVD et Blu-ray. La Dernière fanfare – The Last Hurrah (1958) est un autre chef d’oeuvre insoupçonné dans l’immense et prolifique carrière de John Martin Feeneya, dit John Ford (1894-1973). A la fin des années 1950, le cinéaste avoisine les 65 ans et sent le vent tourner. S’il a plus de cent films à son actif (rappelons qu’il a fait ses débuts au cinéma en 1917), John Ford ne peut que constater que les spectateurs se détournent des grandes salles et préfèrent rester chez eux, devant la télévision. L’année d’Inspecteur de service – Gideon’s Day, il réalise La Dernière fanfare, qui annonce la dernière partie de l’oeuvre du metteur en scène, placée sous le signe de l’adieu aux héros, de la mélancolie et de la nostalgie. A travers le roman d’Edwin O’Connor (qui obtiendra le prix Pulitzer en 1962 pour L’Instant de vérité – The Edge of Sadness), inspiré par l’histoire de James Michael Curley, maire de Boston, John Ford se reconnaît à travers le personnage de Frank Skeffington, vieux briscard qui a oeuvré toute sa vie pour sa ville et qui se retrouve contre toute attente viré de ses fonctions après avoir brigué un ultime mandat de maire. La Dernière fanfare n’est finalement pas celle de la victoire, mais celle qui retentit après que le couperet soit tombé, comme la parade d’une mort annoncée. Dans le rôle principal, Spencer Tracy, qui n’apparaîtra plus que cinq fois au cinéma après ce film, trouve ici l’un des plus beaux et l’un des plus grands rôles de sa vie, 28 ans après Up the River (1930), sa première collaboration avec John Ford. Quand on demandait au réalisateur de s’exprimer sur La Dernière fanfare, qu’il avait lui-même produit, John Ford préférait couper court ou demandait directement à passer à la question suivante. Sans doute parce qu’il s’agissait de son film le plus personnel (pour lequel il avait rappelé certains comédiens et amis, qui effectuaient ici leur dernier tour de piste), dans lequel il s’était totalement projeté et qu’il ne trouvait rien à redire dessus puisqu’il s’était déjà livré à travers le personnage principal. Autant dire que The Last Hurrah est à (re)découvrir immédiatement.
Aidé de ses amis John Gorman, Cuke Gillen et Sam Weinberg, Frank Skeffington prépare sa réélection à la mairie de la ville. Homme tenace comme peut l’être un Irlandais, il va se présenter pour la cinquième fois aux suffrages de ses concitoyens. Ses adversaires sont puissants : ils sont soutenus par la hiérarchie religieuse, catholique et protestante, par les industriels et les banquiers, par la presse d’Amos Force, l’ennemi juré de Skeffington. Ce dernier a pour lui un passé irréprochable de défenseur de la tradition et des déshérités. Mais ses méthodes sont dépassées. John Gorman, qui dirige sa campagne, est attaché aux manifestations de rue, comme les retraites aux flambeaux, avec discours, fanfares et leurs aspects démagogiques. En face, on utilise les moyens modernes de communication, en particulier la télévision pour soutenir Kevin McCluskey, un jeune homme héros de guerre. C’est un autre homme jeune, Adam Caulfield, journaliste sportif chez Force et neveu de Skeffington, qui sera le soutien le plus dynamique du maire sortant.
« Votez Skeffington ! Un programme extra, c’est le meilleur candidat ! Il a grandi ici, c’est lui notre favori ! »
Veuf inconsolable, Frank Skeffington n’oublie jamais chaque matin de mettre une fleur fraîche dans le petit vase qui trône devant le portrait de sa défunte épouse. Le maire démocrate de la ville est entièrement dévoué à la cause de sa ville de la Nouvelle-Angleterre et à ses habitants qu’il n’hésite pas à recevoir chez lui, un par un, pour les écouter et si possible résoudre leurs problèmes. Cette proximité a fait son succès et sa popularité, qui ne sont jamais démentis. Il est donc logiquement largement favori dans son ultime course électorale. Cependant, c’était sans compter l’arrivée inopinée d’un candidat sorti de nulle part, Kevin McCluskey, un homme bien sous tous rapports, père de famille de quatre enfants, marié à une femme au sourire Ultra-Brite, fidèle à la messe chaque dimanche et surtout revenu du front où il a particulièrement brillé. La jeunesse fougueuse face à la force tranquille, le match est lancé, mais cette fois encore, Skeffington ne se fait pas de soucis.
John Ford oppose les deux adversaires, qui ne seront d’ailleurs jamais mis face à face. Le maire continue ses démarches habituelles, se rend à une veillée funèbre (une longue et succulente séquence qui se transforme très vite en meeting où tout le monde fume le cigare), se bat pour imposer ses projets (rénover le quartier insalubre dans lequel il a grandi), tout en recueillant les encouragements de celles et de ceux qui l’aiment et le soutiennent depuis toujours. La victoire semble tellement acquise (mais « elle ne sera pas écrasante » tempère un des conseillers), que même le fils de Skeffington, préférera aller jouer au golf ou danser le cha-cha-cha avec une belle poupée, plutôt que d’apparaître auprès de son père ou d’aller voter. Kevin McCluskey (« un livre ouvert fait de pages vierges ») multiplie les apparitions à la télévision, aidé en cela par un présentateur acquis à sa cause. La scène où l’adversaire de Skeffington est présenté chez lui, avec un chien à ses côtés qui n’arrête pas d’aboyer et de couvrir les propos des intervenants renvoie au discours de Richard Nixon du 23 septembre 1952, plus communément appelé le « Checkers Speech » aux États-Unis. Cette allocution télévisuelle et radiophonique prononcée par le sénateur américain de Californie lors de sa candidature pour le Parti républicain à la vice-présidence des États-Unis d’Amérique le présentait comme un homme « normal », alors qu’il traînait déjà plusieurs casseroles. Mais un homme qui possède un chien ne peut pas être mauvais n’est-ce pas ? John Ford s’amuse et fustige l’avènement de la télévision, son omniprésence qui a transformé la politique en spectacle. Comme Skeffington, le cinéaste ne peut que se résigner, mais continuera sur sa lancée, avec les mêmes armes, dépassées certes, mais qui lui permettent de s’exprimer et donc d’avancer.
« Ce système touche à sa fin…comme moi. »
John Ford n’était pas seulement un metteur en scène de westerns et ne se réfugiait pas dans cette époque révolue, mais à l’aube des années 1960, il apparaît déjà d’un autre temps. Pas de grands espaces ici dans La Dernière fanfare, juste une demeure dans laquelle la caméra se focalise sur un homme sur le point de tout perdre, mais qui décidera de partir la tête haute, en pensant rebondir une fois de plus en évoquant sa possible candidature au poste de gouverneur. C’est ce qu’on appelle la dignité. Les américains ont besoin de héros, mais quand ces derniers arrivent à l’automne de leur vie, ceux-ci sont la plupart du temps abandonnés au profit d’idoles plus « fraîches ». Pour John Ford, les Etats-Unis ne sont pas dignes de ceux qui ont participé, y compris dans une moindre mesure, à la grandeur de la nation.
« L’astuce est de savoir ce que les gens veulent et de quoi ils peuvent se contenter ! Il y a les promesses et ce que l’on fait vraiment ! »
A sa sortie, La Dernière fanfare est un échec commercial assez important, ne rapportant que la moitié de son coût initial sur le sol américain. Les spectateurs n’étaient sans doute pas prêts ou ne voulaient tout simplement pas découvrir le portrait pessimiste d’un homme, qui même s’il a rendu heureux des hommes, des femmes et des enfants, est finalement et seulement considéré comme un perdant puisque les chiffres l’attestent. John Ford gardera un goût amer de ce revers…
A Yann Proust.
LE MEDIABOOK
Jusqu’à présent, La Dernière fanfare n’avait jamais bénéficié d’une édition DVD et encore moins d’un master HD. Nous vous parlions récemment de Rio Grande, alors nous en avons profité pour enchaîner directement avec cette sublime Édition Collector Blu-ray + DVD + Livre consacrée à ce bijou de John Ford. L’objet se compose de deux disques, à la sérigraphie identique, ainsi que d’un superbe ouvrage de 88 pages, écrit par Gérard Camy, historien du cinéma, journaliste et critique, réalisateur d’une dizaine de documentaires institutionnels. Dans ce livre, magnifiquement illustré, vous trouverez une analyse dense et pertinente de La Dernière fanfare (du roman au scénario, le casting, les conditions de tournage, l’insuccès du film, l’accueil critique, le parallèle Frank Skeffington/John Ford, et bien d’autres éléments). Le menu principal des deux disques est identique, animé et musical.
Le premier supplément vidéo de cette édition est un montage de scènes de La Dernière fanfare, commentées par l’éminent Jean-Baptiste Thoret (13’). En un peu moins d’un quart d’heure, le critique de cinéma parvient à synthétiser ce que la plupart tente – sans y parvenir – d’analyser le temps du film. Thoret dissèque le générique (« qui comme souvent chez Ford, s’apparente à un petit programme du film que l’on va voir »), ainsi que la première séquence et celle des résultats. Les thèmes (la violence de l’échec, la politique-spectacle…), les personnages, les intentions et les partis-pris de John Ford, Jean-Baptiste Thoret décortique ce « film hanté par la mort et la mélancolie, qu’il faut voir deux fois, à la fois au présent puis au passé, pour en constater la profondeur et la subtilité ».
Depuis quelques mois, Sidonis Calysta donne un peu plus la parole à certains nouveaux intervenants. C’est le cas de l’excellent Jean-François Rauger (24’), qui propose son analyse de La Dernière fanfare (24’). Le critique de cinéma et directeur de la programmation à la Cinémathèque française revient longuement sur ce film qui « tient une place particulière dans la filmographie de John Ford et qui reste emblématique de son parcours ». Sans aucune redondance avec l’analyse filmique de Jean-Baptiste Thoret, Jean-François Rauger parle notamment du portrait de l’Amérique peint par John Ford à travers celui du personnage de Frank Skeffington, que l’on peut également rapprocher du réalisateur. Les références à la politique américaine (dont l’interview de Nixon que nous évoquons dans notre critique), et bien d’autres sujets passionnants sont abordés au cours de cette présentation consacrée « au premier film testamentaire de John Ford ».
Dernière intervention de cette édition, celle de l’indéboulonnable Patrick Brion (18’30), grand admirateur de John Ford, auquel il a consacré un ouvrage en 2002, aux éditions La Martinière. Pour l’historien du cinéma et critique, « La Dernière fanfare est l’un des plus beaux films de John Ford » et indique que « pourtant, le cinéaste n’en parlait pas ou très peu, sans doute parce qu’il s’agissait d’une de ses œuvres les plus secrètes et intimes ». Patrick Brion replace ensuite le film dans la carrière du maître hollywoodien, parle du roman d’Edwin O’Connor et de la figure politique de James Michael Curley qui a largement inspiré le personnage interprété par l’immense Spencer Tracy, qui – déclare Brion – « n’avait rien dit à la sortie du roman, mais s’est insurgé devant le film de John Ford ». Le casting est aussi passé au peigne fin.
Enfin, vous trouverez en plus sur le Blu-ray un autre bonus, un documentaire de 40 minutes consacré à John Ford et réalisé en 1993 par Andrew Eaton, avec Lindsay Anderson, déjà auteur d’un ouvrage consacré au réalisateur et sobrement intitulé About John Ford, publié en 1981 et traduit en français quatre ans plus tard. Dans ce document constitué de diverses images de tournage, où l’on peut voir le cinéaste à l’oeuvre ou s’exprimer sur sa carrière (« faire des films, c’est facile ! »), Lindsay Anderson dresse le portrait de John Ford, qu’il a rencontré à plusieurs reprises. Ce retour sur la vie et une partie de l’oeuvre du réalisateur (de ses débuts jusqu’à La Bataille de Midway en 1942) est aussi marqué par quelques extraits de films rares (y compris de la période muette), ainsi que par la participation de John Wayne, d’Harry Carey Jr., de Robert Parrish, de Dan Ford (le petit-fils du cinéaste), d’Henry Fonda, de Roddy McDowall et de Maureen O’Hara. La fin abrupte est quelque peu frustrante, mais la seconde partie sera peut-être proposée sur un prochain titre de John Ford…
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Quel plaisir de (re)découvrir ce bijou méconnu dans de telles conditions ! Sidonis Calysta se devait de restituer la beauté originelle du N&B (noirs denses, blancs éclatants) de La Dernière fanfare, présenté pour l’occasion dans un master restauré en 2K de haut niveau. L’apport HD demeure omniprésent, fabuleux, impressionnant, offrant aux spectateurs un relief inédit, des contrastes denses et chatoyants, ainsi qu’un rendu ahurissant des gros plans. La propreté du master est ébouriffante, aucune scorie- ou presque – n’a survécu au lifting numérique, la stabilité et la clarté sont de mise, le piqué est dingue, le grain cinéma respecté et la compression AVC de haute volée restitue les clairs-obscurs et les sous-expositions pour le plus grand plaisir des cinéphiles…et des yeux. Un magnifique écrin pour la photographie de Charles Lawton Jr.
Les versions originale et française bénéficient d’un mixage DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Dans les deux cas, l’espace phonique se révèle probant et dynamique, le confort est indéniable, et les dialogues sont clairs, nets, précis. Sans surprise, au jeu des comparaisons, la piste anglaise s’avère plus naturelle et harmonieuse. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare (conseillée) ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre. Les sous-titres français ne sont pas imposés.