
LA CHAMBRE DE MARIANA réalisé par Emmanuel Finkiel, disponible en DVD le 2 septembre 2025 chez Ad Vitam.
Acteurs : Mélanie Thierry, Artem Kyryk, Julia Goldberg, Anastasia Fein, Olena Khokhlatkina, Yona Rozenkier, Olga Radchuk, Minou Monfared…
Scénario : Emmanuel Finkiel, d’après le roman d’Aharon Appelfeld
Photographie : Alexis Kavyrchine
Durée : 2h11
Date de sortie initiale : 2025
LE FILM
1943, Ukraine, Hugo a 12 ans. Pour le sauver de la déportation, sa mère le confie à son amie d’enfance Mariana, une prostituée qui vit dans une maison close à la sortie de la ville. Caché dans le placard de la chambre de Mariana, toute son existence est suspendue aux bruits qui l’entourent et aux scènes qu’il devine à travers la cloison…

À la fin de La Chambre de Mariana, on se dit qu’il serait temps que Mélanie Thierry se voit décerner le César de la meilleure actrice. Elle en a fait du chemin l’Esmeralda de Quasimodo d’El Paris ! La chrysalide a vraiment eu lieu avec Le Dernier pour la route (2009) de Philippe Godeau, pour lequel sa bouleversante prestation lui a valu d’être récompensée par le César de la meilleure actrice dans un second rôle. Aussi rare que précieuse, Mélanie Thierry, qui a ensuite été demandée par Bertrand Tavernier (La Princesse de Montpensier), André Téchiné (Impardonnables), Diane Kurys (Pour une femme), Albert Dupontel (Au revoir là-haut) et même par Terry Gilliam (Zero Theorem) et Spike Lee (Da 5 Bloods : Frères de sang), a également porté de formidables premiers longs-métrages tels que Comme des frères de Hugo Gélin et L’Autre vie de Richard Kemp de Germinal Alvarez. Mais depuis dix ans, sa plus grande collaboration demeure celle avec le réalisateur Emmanuel Finkiel. Ainsi, après l’excellent Je ne suis pas un salaud (2015) et le sublime La Douleur (2018), dans lequel elle incarnait Marguerite Duras, Mélanie Thierry retrouve le cinéaste pour La Chambre de Mariana, adaptation du roman, chef d’oeuvre de l’écrivain israélien Aharon Appelfeld, publié en 2006 et plus ou moins inspiré de la vie de l’auteur. Emmanuel Finkiel, même s’il s’était juré de ne pas refaire un film sur la Shoah, a vu des liens avec sa propre existence et a décidé de faire La Chambre de Mariana, que l’on peut désormais voir comme le dernier volet d’une trilogie, ou plutôt d’un triptyque aux côtés de Voyages et La Douleur. Et c’est à nouveau une immense et extraordinaire réussite.


1943, alors que les nazis ont envahi l’Ukraine, une jeune mère juive dépose son fils de 12 ans, Hugo, auprès de son amie d’enfance Mariana, devenue prostituée, qui va le cacher dans le placard situé derrière sa tête de lit. S’occupant de lui comme elle peut et le laissant ponctuellement sortir dans sa chambre, Mariana va avoir de plus en plus de mal à garder ce secret au sein de la maison close où elle travaille et réside. Quant à Hugo, c’est un monde réduit à quelques sensations, bruits, bribes de vues, qui l’attend, avec la menace permanente d’être découvert…


Emmanuel Finkiel connaît évidemment le sujet qu’il aborde, puisque ses parents et son frère ont été victimes de la rafle du Vél-d’hiv, puis déportés à Auschwitz. Le futur réalisateur sera le seul rescapé de sa famille. Pas étonnant que le livre d’Aharon Appelfeld ait résonné dans son coeur, dans son esprit et dans son âme, au point de vouloir le transposer, comme si cela lui permettait cette fois encore de toucher, de dévoiler, de mettre en images l’indicible. La Chambre de Mariana apparaît donc comme un portrait dissimulé du cinéaste, où les personnages lui permettent de convoquer les fantômes de son passé.


Il filme l’éblouissante Mélanie Thierry comme Claude Sautet filmait Romy Schneider en la décrivant comme étant « la somme de toutes les femmes ». Mère, nourrice, putain, Mariana, prostituée au grand coeur, non-juive, accepte de s’occuper de Hugo, de risquer sa vie chaque jour, étant donné que le jeune garçon est dissimulé dans une partie du mur de la chambre, où sa « logeuse » reçoit ses clients allemands. Emmanuel Finkiel adopte le point de vue de Hugo, qui pendant deux ans verra essentiellement l’extérieur à travers des trous dans la cloison, par un coin de la fenêtre quand il peut sortir quelques minutes, le monde étant désormais réduit à 2m². Impression d’enfermement renforcée par l’utilisation du format 1.37.


La Chambre de Mariana condense ce qui faisait la moelle de Voyages et de La Douleur, le devoir de mémoire étant aussi le dénominateur commun, même si ici le cinéaste embrasse entièrement la fiction et le romanesque, alors que le documentaire était la forme adoptée par le premier « volet » et plus ou moins par le second. Ces partis-pris lui permettent cette fois de s’exprimer pleinement. La somptueuse photographie est signée Alexis Kavyrchine, chef opérateur sur Adieu les cons, En corps, Chanson douce et déjà à l’oeuvre sur La Douleur. Les couleurs, factices et donc renvoyant au fantasme quand Mariana est à l’oeuvre avec ses clients, contrastent avec les teintes hivernales de la dure réalité. À ce titre, Emmanuel Finkiel, qui avait longtemps refusé de montrer les charniers à l’écran, décide de représenter frontalement l’horreur, quand Hugo se retrouve face à cette barbarie.


On ne peut d’ailleurs que saluer l’interprétation du jeune Artem Kyryk, incroyable de naturel, grande révélation du film et dont les scènes avec Mélanie Thierry (qui a appris la langue ukrainienne pour ce rôle) demeurent foudroyante d’authenticité. Si l’on peut trouver l’ensemble un poil théâtral dans la première partie, sans doute en raison du décor forcément limité de l’action, on oublie cela rapidement, l’émotion happant quasiment instantanément, nous submergeant jusqu’à la dernière image.


À fleur de peau, délicat, pudique (la scène où Mariana offre à Hugo « ce qui lui reste », risque de faire criser les spectateurs et critiques dits « sensibles », autrement dit les culs-serrés), La Chambre de Mariana est un récit d’apprentissage doublé d’un voyage sans détour sur l’horreur et la monstruosité humaine, qui résonne encore et toujours avec l’actualité.


LE BLU-RAY
La Chambre de Mariana est pris en charge par Ad Vitam, qui propose le film d’Emmanuel Finkiel en DVD, mais aussi en Haute-Définition. Le visuel reprend celui de l’affiche d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.

Contrairement à l’info que nous avions vu passer, aucune interview n’est présentée comme bonus. Nous ne trouvons que la bande-annonce, ainsi que le dossier de presse en partie ROM.
L’Image et le son
Ad Vitam prend soin de l’édition Blu-ray du film d’Emmanuel Finkiel. Voici donc un très beau master HD. Respectueuse des volontés artistiques originales, la copie de La Chambre de Mariana se révèle un petit bijou technique avec des teintes à la fois froides dans les extérieurs et chatoyantes dans les pièces du bordel, le tout soutenu par un encodage AVC solide. Le piqué, tout comme les contrastes, sont tranchants, les arrière-plans sont bien détaillés, le relief omniprésent et les détails souvent foisonnants.

L’éditeur a également soigné le confort acoustique et livre deux mixages DTS-HD Master Audio ukrainiens, en 5.1 et Stéréo. Les effets annexes sont systématiques dans toutes les séquences en extérieur, les voix solidement exsudées par la centrale. La spatialisation musicale est luxuriante.


Crédits images : © Ad Vitam / Copyright Cinéfrance Studios – Curiosa Films – Metro Communications – United King Films – Proton Cinema – Tarantula – Arte France Cinema 2024 / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr