JF PARTAGERAIT APPARTEMENT (Single White Female) réalisé par Barbet Schroeder, disponible en DVD et Blu-ray le 24 mars 2021 chez BQHL Editions.
Acteurs : Bridget Fonda, Jennifer Jason Leigh, Steven Weber, Peter Friedman, Stephen Tobolowsky, Frances Bay, Michele Farr…
Scénario : Don Roos, d’après le roman de John Lutz
Photographie : Luciano Tovoli
Musique : Howard Shore
Durée : 1h48
Date de sortie initiale : 1992
LE FILM
Séparée de son fiancé, Allie Jones tient cependant à ne pas quitter le grand appartement qu’elle loue dans l’Upper West Side, l’un des quartiers les plus chics de New York. Et quoi de mieux pour le conserver qu’une colocataire ? Allison croit avoir trouvé la perle rare en la personne d’Hedy Carlson, une jeune femme de son âge. En apparence douce, discrète et bienveillante, Hedra Carlson se révèle bientôt de plus en plus envahissante. Dangereusement envahissante…
Harcèlement, Sliver, Meurtre parfait, Sans chaud pour meurtre de sang-froid, Basic Instinct, Color of Night, Bound, La Main sur le berceau, Body, Copycat, Last Seduction, Jade, Excès de confiance, Sexcrimes…aaaah l’époque bénie pour le thriller sulfureux dans les années 90 ! Avant tous ces films, en 1992, sort sur les écrans JF partagerait appartement – Single White Female, ou Jeune femme cherche colocataire au Québec, réalisé par Barbet Schroeder, alors plongé dans sa période américaine, entre Le Mystère von Bülow et Kiss of Death. JF partagerait appartement a vieilli sur certains points, notamment les costumes et les coiffures aujourd’hui improbables, ainsi que tout ce qui concerne l’informatique, obsolète et pour ne pas dire risible. Néanmoins, le film demeure sacrément efficace, bourré de charme, prenant et surtout aussi excellemment mis en scène qu’interprété par les deux superbes têtes d’affiche, Bridget Fonda et Jennifer Jason Leigh, dont le face-à-face reste anthologique. Une référence.
Jolie, dynamique et élégante, Allison Jones exerce à New York le métier de styliste. Elle habite un grand appartement dans un immeuble cossu et partage la vie du séduisant Sam Rawson, en instance de divorce. Un jour, elle surprend une conversation téléphonique et apprend que Sam a momentanément renoué avec son épouse. Outrée, elle le chasse, et décide de recruter une co-locataire pour l’aider à payer le loyer et meubler sa solitude. Parmi les postulantes, elle choisit Hedra Carlson, une jeune fille gauche et effacée, vendeuse dans une librairie. Prenant Allison pour modèle, Hedra apprend à se coiffer, s’habiller, se maquiller. Lorsque Sam, réconcilié avec Allison, revient s’installer dans l’appartement, elle essaie, par toutes sortes de manigances, de détruire les liens du couple. Peu à peu, la ressemblance entre les deux femmes devient hallucinante et leur rapport de dépendance de plus en plus étroit. Quand Mitchell Myerson, le patron d’Allison, tente de la violer, Hedra la console puis insulte et menace en son nom le suborneur. Prisonnière des attentions de sa co-locataire, Allison essaye d’en savoir un peu plus sur son passé…
Du début à la fin, on sent que Barbet Schroeder s’est fait plaisir derrière la caméra avec ce thriller, en installant un huis clos aussi étouffant que virtuose, le cinéaste exploitant à merveille le décor de ce grand appartement new-yorkais, situé dans le célèbre immeuble The Ansonia de l’Upper West Side, en réalité reconstitué dans un studio hollywoodien situé sur la rive opposée. Le cinéaste multiplie les angles de vue, les recoins cachés de l’habitation d’Allison, filme le gouffre représenté par l’immense cage d’escalier qui fait écho à la vision plongeante du clocher de Vertigo d’Alfred Hitchcock. L’ombre du maître du suspense plane sur le film, y compris sur les diverses scènes de douche où Hedy deviendrait le pendant féminin de Norman Bates. Véritable exercice de style,JF partagerait appartement dresse le portrait de deux femmes que tout oppose, et que la vie va pourtant rapprocher. Dans un premier temps du moins. Car au fur et à mesure de leur cohabitation, Hedy, la colocataire (Jennifer Jason Leigh) se permet de plus en plus de choses et se met à emprunter à Allison (Bridget Fonda, à se damner) ses vêtements, tout en lorgnant sur son petit ami Sam (Steven Weber), jusqu’à convoiter son existence et son mode de vie, telle une vampire. Ainsi, Barbet Schroeder s’amusera constamment à jouer avec l’empathie des spectateurs pour les personnages, rendant ainsi Allison parfois agaçante à force d’être parfaite, ou Hedy attachante, car vraisemblablement fragile.
Sur un scénario de Don Roos (qui commettra le remake des Diaboliques) d’après le roman SWF Seeks Same de John Lutz, Barbet Schroeder tisse une véritable toile d’araignée et fait monter la tension au fur et à mesure que le personnage d’Hedra se dévoile. Certes, le prologue avec les jumelles en dit sans doute trop et rapidement, ce qui casse un peu l’effet de surprise, mais quand Hedra apparaît vêtue et surtout coiffée comme Allison, non seulement à cette dernière, mais aussi aux spectateurs, la scène fait encore son effet et c’est à ce moment précis que le réalisateur passe la vitesse supérieure, accroche définitivement l’audience et ce jusqu’à la dernière seconde. Jennifer Jason Leigh, âgée de trente ans, avait déjà explosé au cinéma dans La Chair et le Sang – Flesh and Blood de Paul Verhoeven en 1985, avant de confirmer l’année suivante dans Hitcher de Robert Harmon, dans lequel elle donnait là aussi la réplique à Rutger Hauer. Volcan prêt à entrer en éruption, capable de fusiller son interlocuteur d’un seul regard tout en dégageant une vraie sensualité, la comédienne – récompensée par le MTV Movie Award du Meilleur méchant de l’année en 1993, oui oui – trouve ici l’un des rôles emblématiques de sa carrière.
Même chose pour la magnifique et sexy Bridget Fonda, sublimée par l’immense directeur de la photographie Luciano Tovoli (Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat, Profession : reporter de Michelangelo Antonioni, Suspiria de Dario Argento), qui manque cruellement au cinéma, pour lequel elle n’a pas tourné depuis maintenant vingt ans. Ses collaborations avec Sam Raimi, Quentin Tarantino, Francis Ford Coppola, Cameron Crowe, John Badham, Bernardo Bertolucci ou Alan Parker auront définitivement marqué les cinéphiles dans les années 1990 et ce dès 1992 et JF partagerait appartement.
Si l’on ajoute à tout cela la belle partition d’Howard Shore, Single White Female s’avère un vrai modèle du genre, un polar psychologique élégant et haletant sur lequel les années n’ont pas trop d’emprises et qui met encore et toujours les nerfs à rude épreuve.
LE BLU-RAY
JF partagerait appartement faisait assurément partie des tous premiers films à être proposés en DVD en 1998 ! Depuis, le film de Barbet Schroeder n’avait bénéficié d’aucune autre sortie, ni en édition Standard, encore moins en Haute-Définition. Il aura donc fallu attendre plus de vingt ans pour que Single White Female fasse son retour dans les bacs français et ce sous les couleurs de BQHL Editions. Le visuel reprend heureusement celui de la célèbre affiche du film, tout comme le menu principal, animé et musical.
En guise de bonus, l’éditeur propose une interview du scénariste Don Roos (25’), qui revient sur ses débuts à la télévision pour la série Pour l’amour du risque, et comment le travail pour la télévision lui a permis de développer son écriture pour créer et maintenir le suspense, afin de garder éveiller l’attention des spectateurs. Il aborde ensuite l’adaptation du roman de John Lutz, les changements par rapport au livre, les thèmes du film qui nous intéresse aujourd’hui (l’appropriation notamment), le casting, la psychologie et le rapport des personnages, tout en rendant un très bel hommage à Barbet Schroeder, qu’il couvre de louanges, tant humaines que professionnelles. Ce document montre également diverses archives, des extraits de scénario annotés ou rayés, et parle aussi de la séquence finale qui a été réécrite suite à une projection-test qui n’avait pas convaincu entièrement le panel de spectateurs triés sur le volet. Enfin, Don Roos explique que c’est grâce à ce film et à son succès qu’il a pu ensuite passer lui-même derrière la caméra.
Le second supplément est un entretien avec le comédien Steven Weber (20’). Plutôt rare au cinéma (Leaving Las Vegas, Dracula, mort et heureux de l’être), mais omniprésent sur le petit écran (allez donc faire un tour sur sa fiche IMDB, c’est assez impressionnant), l’acteur qui sera à jamais lié à l’escarpin de Jennifer Jason Leigh dans JF partagerait appartement, revient sur sa rencontre avec Barbet Schroeder (« un réalisateur expansif et indépendant »), tout en revenant sur son personnage dans le film. Il n’a d’ailleurs pas grand-chose à dire sur ce dernier point, puisqu’il indique n’avoir rien eu à préparer, « juste à être dans l’instant présent ». Il évoque surtout le travail avec ses partenaires, révélant au passage le subterfuge de Barbet Schroeder afin de semer le trouble chez le spectateur et refléter celui de son personnage quand il se retrouve sans le savoir dans le même lit qu’Hedy, pensant qu’il s’agit d’Allison. En effet, le cinéaste avait demandé à Bridget Fonda d’entrer dans le lit (de dos donc) pour un plan, afin de renforcer le vertige auprès de son audience. Steven Weber se souvient aussi du travail du chef opérateur Luciano Tovoli (« qui peignait avec la lumière »), du lieu de tournage à New York (l’hôtel The Ansonia), ainsi que des conditions de tournage de sa scène principale, celle du talon haut susmentionnée.
Disponible également dans le boîtier, un livret de vingt pages écrit par Marc Toullec.
L’Image et le son
JF partagerait appartement retrouve une vraie fraîcheur avec ce master HD, qui frôle d’ailleurs la perfection. La propreté est déjà très agréable, les contrastes certes un peu légers mais bien équilibrés, les séquences diurnes sont claires, les gros plans nets et précis, et la colorimétrie est renforcée. Si le piqué manque parfois de mordant et la profondeur de champ de détails, l’image affiche un joli grain cinéma, les ambiances nocturnes demeurent solides et la photo du chef opérateur Luciano Tovoli (inspirée par les tableaux de Balthus) n’a jamais été aussi flatteuse pour les mirettes et participe grandement à la redécouverte de ce thriller. Ce Blu-ray permet de revoir ce classique des années 90, sans doute dans les plus belles conditions techniques à ce jour. Le Blu-ray est au format 1080p
Les deux mixages anglais et français uniquement présentés en LPCM 2.0 ne manquent pas de clarté, même si la version originale s’avère étrangement moins dynamique que son homologue. La police des sous-titres est un peu petit et trop haut placée à notre goût.