DILLINGER réalisé par John Milius, disponible en Combo Blu-ray + DVD + Livret – Édition limitée le 7 juin 2023 chez Rimini Editions.
Acteurs : Warren Oates, Ben Johnson, Michelle Phillips, Cloris Leachman, Harry Dean Stanton, Geoffrey Lewis, John P. Ryan, Richard Dreyfuss…
Scénario : John Milius
Photographie : Jules Brenner
Musique : Barry De Vorzon
Durée : 1h43
Année de sortie : 1973
LE FILM
Le gangster John Dillinger devient la cible du FBI de Kansas City après avoir participé au meurtre de cinq agents. A force de témérité, il s’attire la sympathie du public et devient vite l’ennemi public n°1…
Quinze ans après L’Ennemi public – Baby Face Nelson de Don Siegel, le scénariste John Milius passe derrière la caméra et revient à Dillinger et sa bande dans…Dillinger. Ayant le vent en poupe et devenu l’un des auteurs les mieux payés d’Hollywood après avoir participé à L’Inspecteur Harry – Dirty Harry, écrit Jeremiah Johnson de Sydney Pollack, Juge et Hors-la-loi –The Life and Times of Judge Roy Bean de John Huston et bien sûr Magnum Force de Ted Post, John Milius accepte de baisser son énorme cachet habituel pour Dillinger, qui sera son premier long-métrage en tant que réalisateur. Après Lawrence Tierney dans Dillinger, l’ennemi public n° 1 de Max Nosseck et Leo Gordon dans L’Ennemi public, c’est au tour de l’exceptionnel Warren Oates d’enfiler le costume trois-pièces du gangster et qui une fois n’est pas coutume accède en haut de l’affiche. S’il s’acquitte admirablement de sa tâche, un autre comédien partage cette place convoitée en la personne du génial Ben Johnson, qui dans la peau de Melvin Purvis, l’agent du FBI lancé à la poursuite de Dillinger, est tout aussi remarquable et par ailleurs mis sur un pied d’égalité avec son partenaire. Anarchiste zen, comme il se définissait lui-même dans sa jeunesse, prenant le train en marche du Nouvel Hollywood, mais aussi et avant tout défenseur des valeurs traditionnelles américaines, John Milius met tout dans Dillinger, son mode de pensée, son âme, son adulation des armes à feu, sa vision de l’héroïsme américain, le tout marqué par une violence sèche, brutale, sanglante, qui participe à la pérennité de ceux qu’il considère alors comme des mythes. Il en résulte un polar mâtiné de film noir et même de western souvent implacable, teinté d’humour et qui n’omet pas l’émotion, qui s’avère aussi et surtout toujours divertissant un demi-siècle après sa sortie explosive.
En 1933, John Dillinger (1903-1934) devient la cible du FBI, soupçonné d’avoir participé au massacre de Kansas City, dans lequel quatre policiers sont tués. L’agent fédéral Melvin Purvis décide de mener personnellement ces recherches et de traquer Dillinger et ses acolytes : Pretty Boy Floyd, Baby Face Nelson, Machine Gun Kelly, « Handsome » Jack Klutas ou encore Wilbur Underhill. Melvin Purvis est très motivé et mène une quête très personnelle de vengeance. Il est prêt à tout pour les appréhender, quitte à dépasser certaines limites. De son côté, l’« ennemi public n°1 » John Dillinger s’attire la sympathie du public. Il rencontre également la belle Billie Frechette.
C’est l’argent qui me fait sourire…
Bien avant Johnny Depp et Christian Bale, aussi lisses et sans aspérité que l’image numérique sans âme de Michael Mann dans le ronflant Public Enemies (2009), Warren Oates et Ben Johnson se livraient à un jeu du chat et de la souris autrement plus audacieux, brut de décoffrage et jouissif dans le Dillinger de John Milius. Le premier avait déjà derrière lui plusieurs collaborations avec Gordon Douglas, Burt Kennedy, Leslie Stevens (dont le formidable Propriété privée), Monte Hellman (Macadam à deux voies) et bien entendu Sam Peckinpah pour Coups de feu dans la Sierra – Ride the High Country, Major Dundee et La Horde sauvage – The Wild bunch. Dans ce dernier, figurait également le second, Ben Johnson donc, dont le nom et la figure demeurent chéris par les cinéphiles et amateurs de séries B en raison d’une filmographie riche, variée, éclectique et prolifique combinant des titres comme Cherry 2000, Terror Train – Le monstre du train, Terreur sur la ville, La Chevauchée sauvage, La Cité des dangers, Le Solitaire de Fort Humboldt, Sugarland Express, Guet-apens, La Dernière séance et dans une bonne demi-douzaine de films de John Ford, pour lequel il avait débuté comme cascadeur et qui allait devenir l’un de ses acteurs fétiches. Une tronche, une présence, un charisme hors normes que John Milius, qui le reprendra pour L’Aube rouge – Red Dawn (1984), met autant en avant que Warren Oates.
Road movie, genre ou sous-genre emblématique du cinéma US des années 1970, Dillinger passe d’un côté de la loi à l’autre durant 1h40 pour ainsi démontrer que les héros sont autant ceux qui agissent pour le compte du FBI que ceux qu’ils poursuivent et s’affranchissent des règles. John Milius a bien compris que les gangsters et les braqueurs donnent des frissons aux spectateurs et que ces personnages, malgré leur folie, peuvent être attachants dans le sens où l’audience, sage et « soumise », aura de l’empathie pour ceux qui « osent » affronter les autorités puisque celui qui a payé sa place au cinéma n’aura jamais le cran de le faire. Le cinéma de John Milius s’adresse au fantasme et propose une véritable évasion puisque celui regardera son film aura le droit de se mettre momentanément à la place du criminel, espérant ainsi lui procurer une certaine adrénaline que seul le cinéma peut provoquer. À l’instar d’une grande partie de la population qui se prenait d’affection pour Dillinger (vu comme un Robin des Bois) durant la Grande Dépression, on peut (ou pas d’ailleurs) s’identifier à l’un des protagonistes, John Milius n’hésitant pas à montrer son héros éponyme et ses complices, comme Baby Face Nelson (Richard Dreyfuss), Pretty Boy Floyd (Steve Kanaly), Homer Van Meter (magnifique Harry Dean Stanton), Harry Pierpont (Geoffrey Lewis), exécutés froidement (l’hémoglobine coule pas mal dans le film), pour ne pas dire lâchement par Purvis et les siens.
Je suis John Dillinger, et vous vous en souviendrez !
Si Dillinger agit comme un acteur en représentation, s’appliquant à déclamer ses menaces comme des tirades sur une scène de théâtre, son adversaire en fait tout autant en se mettant lui-même en scène, tiré à quatre épingles, en enfilant des gants de façon dramatique, se faisant allumer un barreau de chaise, avant d’aller au front (le prologue d’Inspecteur la bavure de Claude Zidi est clairement un hommage) lourdement armé, en espérant que son nom sera imprimé en plus gros caractères que Dillinger dans la presse et les tabloïds qui en faisaient leurs choux gras. John Milius se place dans cette continuité, car son film relate les faits, sans tenir vraiment compte de leur véracité, en contribuant à la renommée de Dillinger, en apportant sa pierre à l’édifice, en exagérant sans doute certains traits de son personnage.
Coup d’essai et (petit) coup de maître que ce Dillinger de John Milius, production de l’American International Pictures, qui avait pu compter sur le talent de son chef opérateur Jules Brenner pour retracer les dernières années de celui qui aux côtés d’Al Capone reste l’un des bandits les plus légendaires de l’histoire.
LE COMBO BLU-RAY + DVD + Livret
Il faut remonter à 2009 pour retrouver la première édition DVD de Dillinger dans les bacs français, une galette sortie chez Universal Pictures. Depuis ? Bah rien mon Colonel ! Disparu des radars le premier long-métrage réalisé par John Milius ! Et voilà que Rimini Editions s’empare de ce titre et nous gratifie d’un magnifique objet, qui prend la forme d’un Digipack à trois volets, glissé dans un fourreau cartonné, comprenant également le livret Wanted Dillinger (32 pages). Ce dernier, concocté par Bubbelcom (bon anniversaire Rania et coucou Stéphane) et richement illustré, est évidemment un bonus à part entière, qui cite John Milius à plusieurs reprises, revient sur les faits réels, la genèse et la production du film, les intentions du réalisateur, sans oublier une formidable interview du comédien Steve Kanaly (Pretty Boy Floyd dans Dillinger, Ray Krebbs dans la série Dallas), qui aborde sa carrière, ses diverses collaborations avec John Milius, les conditions de tournage et son personnage. Le menu principal est animé et musical.
Le premier supplément, présent sur le DVD et le Blu-ray, croise les propos de Samuel Blumenfeld (Le Monde), Jacques Demange (Positif) et Olivier Père (26’). Le journaliste, le critique (dont les propos sont un peu parasités par un problème de son) et le directeur de l’Unité Cinéma d’Arte France replacent Dillinger dans la carrière de John Milius, éminent scénariste, qui désirait passer lui-même derrière la caméra. Refusant un film Blaxploitation, il jette son dévolu sur l’histoire de Dillinger, la mode étant aux films de gangsters rétros. John Milius accepte un salaire de 50.000 dollars pour écrire et mettre en scène le film pour le compte de la célèbre AIP, alors qu’il venait de toucher 300.000 dollars pour Magnum Force ! Il allait bénéficier d’un budget d’un million de dollars, soit la plus grosse production de la AIP. Les trois intervenants en viennent à la figure du héros chez John Milius, alors que les antihéros peuplent les films du Nouvel Hollywood dans les années 1970. Le casting, le parallèle entre les deux personnages principaux (le flic et le gangster sont filmés de la même façon et continuellement mis en parallèle) et d’autres éléments sont finement et intelligemment abordés.
Les autres bonus sont uniquement disposés sur le disque HD :
Seul en scène cette fois, Samuel Blumenfeld est de retour dans la section intitulée John Milius et le mythe Fordien (14’). Le fétichisme des armes (« Il n’y a plus de héros, s’il n’y a plus d’armes »), l’aversion de John Milius pour Bonnie and Clyde d’Arthur Penn, mais aussi et surtout sa personnalité atypique et ambiguë (qui a inspiré aux frères Coen le personnage de John Goodman dans The Big Lebowski) sont au coeur de ce module. Le journaliste évoque le réalisateur « d’un machisme assumé, un cinéaste réactionnaire, qui souhaiterait appartenir à une ancienne époque, où il y avait plus de libertés… ». Puis, Samuel Blumenfeld explique que John Milius a toujours une masculinité précise en tête quand il écrit ses scénarios, un mix entre le John Wayne jeune et Warren Oates. Pas étonnant de retrouver ce dernier dans la peau de Dillinger. L’invité de Rimini Editions explique pourquoi le scénariste tant convoité a ciblé cette personnalité du crime (« un homme contre le système, tout le système, qui s’affranchit des lois ») comme personnage principal de son premier long-métrage comme metteur en scène. Enfin, Samuel Blumenfeld revient plus en détails sur la perspective Fordienne de Dillinger, sur lequel planent les références à La Prisonnière du désert, Les Raisins de la colère et La Poursuite infernale.
Jacques Demange aussi revient (avec les mêmes problèmes de son), dans un segment de près de 10 minutes. Le critique dissèque cette fois encore la notion du héros américain propre à John Milius, en prolongeant certains arguments avancés dans le premier supplément. Les valeurs de l’Amérique traditionnelle et la mythologie du western sont analysées, tandis que Jacques Demange évoque la place de John Milius, situé à la fois du côté de la contre-culture, mais aussi de celui de l’ordre, comme il le démontre dans Dillinger en mettant autant en valeur le gangster que celui qui le poursuit.
Les bonus suivants proviennent de l’édition Arrow de 2016 :
Le tournage de Dillinger (12’) : Le directeur de la photo Jules Brenner (Le Retour des Morts vivants, Les Vampires de Salem) revient sur ses débuts au cinéma et le film qui a lancé sa carrière de chef opérateur (Johnny s’en va-t-en guerre de Dalton Trumbo), mais aussi bien sûr sur sa rencontre avec John Milius et sur intentions de ce dernier pour Dillinger. Sans langue de bois (« Milius ne s’y connaissait pas vraiment en cadrage et en éclairage »), Jules Brenner partage quelques souvenirs liés au tournage du film, met en relief certaines séquences, parle de son apparition et admet que Dillinger demeure une bonne illustration de son travail.
Gangster originel (10’) : Place au grand producteur Lawrence Gordon (Haute sécurité, Piège de cristal, Les Guerriers de la nuit, Le Bagarreur…) qui se focalise sur son travail avec la mythique AIP, ou l’American International Pictures, pour laquelle il officiait comme directeur de la production internationale. Si ses propos font écho avec ce qui a été entendu précédemment, notamment pour tout ce qui concerne les débuts de John Milius à la caméra, cette interview reste franchement sympathique.
Enfin, nous terminons cette section avec un entretien (12’) de Barry De Vorzon (L’Exorciste III, Extra sangsues, Xanadu, Le Bagarreur). Le compositeur nous parle de ses débuts et comment il en est venu à la musique de film, sous le haut parrainage de Stanley Kramer, pour lequel il allait écrire les thèmes de R.P.M. et Bless the Beasts and Children. Également consultant musical pour le compte de la AIP, Barry De Vorzon en vient tout naturellement à travailler pour le film de John Milius, qu’il devait rendre réaliste, en trouvant par exemple une musique dite « rurale », Dillinger officiant souvent en dehors des grandes villes américaines. Les conditions de tournage, ses rapports avec John Milius, la violence du film et le travail avec le producteur Lawrence Gordon sont aussi les sujets au coeur de ce module.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Le master HD au format 1080p de Dillinger s’en sort bien, mais ne vous attendez pas non plus à un résultat transcendant. La propreté de l’image apparaît d’emblée (restauration 2K), des petits points blancs persistent peut-être, mais les quelques poussières ou rayures (quand Dillinger s’en prend à Baby Face Nelson) subsistantes ne dérangent nullement. Grâce à cette élévation HD, les couleurs retrouvent une certaine vivacité, les contrastes sont renforcés et le piqué est agréable. Le codec AVC consolide l’ensemble, le grain original est respecté et très présent (caractéristique d’un tournage en Super 16), le relief palpable sur les paysages et la profondeur de champ est inédite. Cependant, tout n’est pas parfait. Un léger bruit vidéo et quelques saccades peuvent se faire remarquer, tout comme certaines séquences étonnamment moins définies avec une porosité ponctuelle des noirs, des détails amoindris, une clarté plus faible et une carnation plus saumonée dirons-nous. Blu-ray au format 1080p.
Evoquons rapidement la version française DTS-HD Master Audio 2.0 au doublage excellent, mais sensiblement incomplète comme l’indique un carton en introduction. Du point de vue qualité technique, cette piste a du mal à rivaliser avec la DTS-HD Master Audio 2.0 anglaise mais conviendra parfaitement à ceux qui aiment découvrir ou revoir les films de cette époque dans la langue de Molière. La version originale a bénéficié d’un nettoyage fort convaincant. Cela tire, fusille de tous les côtés, les moteurs rugissent lors des poursuites. La musique de Barray De Vorzon bénéficie d’un écrin acoustique fort plaisant dès le générique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.
Crédits images : © Rimini Editions / MGM / Orion Pictures Corporation / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr