CAMARADE DRACULA (Drakulics elvtárs) réalisé par Márk Bodzsár, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 20 février 2023 chez Extralucid Films.
Acteurs : Lili Walters, Ervin Nagy, Zsolt Nagy, Szabolcs Thuróczy, István Znamenák, Nelli Szücs, Alexandra Borbély, Mónika Balsai…
Scénario : Márk Bodzsár
Photographie : Dániel Reich
Musique : Gábor Keresztes
Durée : 1h37
Année de sortie : 2019
LE FILM
Les années 70. En Hongrie, un ancien révolutionnaire revient au pays. Il est censé avoir 60 ans, en parait 35. Sa boisson préférée est pourpre et épaisse. Les services secrets hongrois sont bien décidés à faire la lumière sur son secret de jeunesse éternelle.
Alors que Léonid Brejnev voit le temps passer et les 70 ans se rapprochant à grands pas, celui-ci pense encore à l’avenir. Pour cela il lui faudrait un peu de sang frais. Et pourquoi pas tirer celui de Fábián, qui semble avoir trouvé la fontaine de jouvence ? En réalité, ce dernier, héros hongrois de la révolution cubaine, est bel et bien un vampire et profite d’un retour au pays pour participer à une collecte de sang pour le Vietnam, la nation sœur communiste de son pays natal. Un self-service on peut dire pour ce suceur de plasma. Mais tout ne va pas être aussi simple. La Hongrie vit sous la paranoïa et même vos voisins sont au courant de vos moindres faits et gestes. Y compris de votre vie sexuelle. La surveillance étant essentielle dans le régime communiste, Fábián devra la jouer fine et échapper à un couple d’agents chargé d’élucider le mystère qui entoure son étrange personne. Camarade Dracula, voilà une relecture bien originale du film de vampire ! Il s’agit du second long-métrage réalisé (en solo) par Márk Bodzsár (né en 1983), un formidable hommage au cinéma d’épouvante lié aux créatures aux canines aiguisées, mais aussi portrait au vitriol d’une époque que les moins de quarante ans, y compris le metteur en scène donc, ne peuvent pas connaître. Alors forcément, comme la plupart des spectateurs français, nous ne sommes pas au fait de tout qui concerne la politique, la vie en société, les clichés on va dire des us et coutumes de la Hongrie, mais cela n’empêche pas de prendre beaucoup de bon temps avec Camarade Dracula –Drakulics elvtárs, vrai film de genre, à la fois fantastique et récit d’espionnage, nourri de références cinéphiles, bourré de charme et surtout génialement interprété par un casting de haute volée. C’est très chaudement recommandé.
Ce que l’on retient de Camarade Dracula, c’est l’excellence de ses interprètes, en premier lieu la divine Lili Walters, qui grâce à ce film pourrait être repérée à l’internationale, comme l’avait été Alicia Vikander dans Royal Affair – En kongelig affaere de Nikolaj Arcel. Belle, charismatique, magnétique et talentueuse, elle crève littéralement l’écran. Mais ses petits camarades de jeu ne sont pas en reste. Ervin Nagy (Kun László) et Zsolt Nagy (Fábián Elvtárs) tirent aussi largement leur épingle du jeu, le premier dans le rôle de l’amoureux de Magyar, partagé entre ce qu’il ressent pour la jeune femme, aussi sa collègue, et son dévouement pour la patrie, le second dans la peau de l’énigmatique Fábián et sa Mustang rouge sang (ce n«est pas un hasard).
Il faut un peu de temps pour s’habituer à la langue, à l’atmosphère, à l’humour de Camarade Dracula. Une fois l’exposition passée et le contexte posé, on se laisse prendre au jeu de cet étrange triangle amoureux, qui est tout autant une satire tordante sur une époque qu satire une oeuvre à la gloire, au culte du film de vampire, auquel le cinéaste avait d’ailleurs dédié sa thèse. Avec sa mise en scène inventive et élégante, sa photographie stylisée signée Dániel Reich, sa succession ininterrompue de rebondissements, le soin apporté aux décors et à la reconstitution, ainsi que la partition pétaradante de Gábor Keresztes, Camarade Dracula ne se contente pas de singer ce qui a été fait ici et là depuis des décennies, mais s’en empare, le digère, l’interprète à son tour, en contentant les amateurs de sensations fortes, mais aussi et surtout sans jamais oublier l’émotion. Le dernier acte est à ce titre étonnant, contenant certes son lot de sang et de gousses d’ail, mais se clôt sur une note à la fois émouvante et sexy.
Un mélange des genres détonnant, délirant, intelligent et très prometteur et rafraîchissant, très justement récompensé au Festival de Sitges.
LE COMBO BLU-RAY + DVD
Voici le douzième numéro de la collection ExtraMonde de l’éditeur Extralucid Films ! Cette fantastique anthologie se pare d’un nouveau titre de qualité avec Camarade Dracula. Les deux disques reposent dans un boîtier classique Amaray, glissé dans un superbe surétui cartonné de grande qualité. Le visuel de la jaquette nous laisse un peu plus perplexes, mais s’inscrit finalement dans le contexte historique et politique dans lequel se déroule l’histoire. Le menu principal est animé et musical.
À travers nos chroniques, nous avons déjà déclaré à plusieurs reprises que l’un des intervenants que nous adorons retrouver dans les bonus DVD/Blu-ray est sans conteste Fabien Mauro. Extralucid Films a eu l’excellente idée de confier à l’auteur/essayiste (L’Écran Fantastique), auteur de Ishiro Honda: Humanisme monstre (Broché, 2018) et Kaiju, envahisseurs & apocalypse (Aardvark éditions, 2020), le soin de nous présenter Camarade Dracula (27’). C’est ici que vous trouverez toutes les informations, notamment politiques et historiques, qui vous donneront les clés pour tout comprendre sur le contexte dans lequel se déroule l’action du film de Márk Bodzsár. Ne visionnez pas ce supplément avant de l’avoir vu une première fois, vous l’apprécierez même sans être au fait de l’histoire politique de la Hongrie, mais vous aurez toutefois envie de revoir Camarade Dracula une fois armé de tous les arguments avancés dans ce module. Fabien Mauro revient entre autres sur le lien qui unit la Hongrie avec le cinéma de vampire (en gros depuis le début des années 1920, avant Nosferatu), une histoire « discrète et peu contée, car elle dépend de l’histoire politique du pays ». On y entend bien sûr parler de Béla Blaskó, dit Béla Lugosi, des thèmes évoqués dans Camarade Dracula, des références cinématographiques présentes. Enfin, Fabien Mauro déclare qu’il s’agit d’« un film formidable, où l’humour fonctionne […] un superbe film de vampire, ludique, très moderne, qui comprend le mythe de A à Z et stimule nos zygomatiques afin de montrer nos canines ».
Place au réalisateur Márk Bodzsár, dont l’interview a été enregistrée en visioconférence (21’30). Ce dernier se souvient du choc ressentit en découvrant Le Bal des vampires de Roman Polanski au cinéma (son premier contact avec le film d’épouvante), qui lui a donné la passion du genre, notamment celui lié aux suceurs de sang. Márk Bodzsár explique avoir écrit une thèse sur les films de vampires, puis ses recherches sur le passé communiste de son pays pour offrir une nouvelle approche (il avoue sans détour qu’il avait un manque d’informations sur le sujet, « même si le régime affecte toujours nos vies personnelles et le système politique »), avant d’en venir à son processus d’écriture. Il déclare avoir revu Nosferatu, Dracula de Francis Ford Coppola et même la saga Twilight (« une souffrance, mais j’ai senti que je devais le faire ») afin d’avoir un panorama complet du genre. La construction des personnages, les partis pris pour la photographie (inspirée du travail de Roger Deakins pour No Country for Old Men – Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme des frères Coen et celle de Chung Chung-hoon pour Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook), les financements du film, le casting, la longue pré-production, les répétitions, les décors, l’accueil, les récompenses et le succès de Camarade Dracula sont aussi les sujets de ce bonus passionnant.
S’ensuit un making of traditionnel (20’), composé de nombreuses images de tournage et d’interviews de l’équipe du film.
Quelques featurettes promotionnelles amusantes (6’), réalisées comme des petits sketches (« Comment rencontrer un vampire ? », « Comment s’en protéger ? », « Que boit le vampire ? », « Comment le tuer ? », « Que fait un vampire la journée ? »), une chanson (Vietkong Yeah, 3’) et la bande-annonce (en VF) sont aussi présentées comme bonus.
L’Image et le son
Camarade Dracula est un film sombre et la Haute définition restitue habilement la très belle photo du chef opérateur Dániel Reich. Les volontés artistiques sont respectées mais entraînent quelques légers fléchissements de la définition dans quelques scènes moins éclairées. Néanmoins, cela reste anecdotique, car ce master HD demeure impressionnant de beauté, tant au niveau des détails que du piqué. Le cadre large n’est pas avare en détails, les contrastes affichent une densité remarquable (du vrai goudron en ce qui concerne les noirs) et la colorimétrie est optimale surtout sur les scènes en extérieur.
Les deux versions DTS-HD Master Audio 2.0 font quasiment match nul en ce qui concerne la délivrance des ambiances, la restitution des dialogues et la balance frontale. Le spectateur est littéralement plongé dans ce récit, malgré l’absence de spatialisation. Sans surprise, la version originale l’emporte de peu sur l’homogénéité et la fluidité acoustique, tandis que la piste française a tendance à mettre les voix un peu trop en avant.