Test 4K UHD / Incubus, réalisé par Leslie Stevens

INCUBUS réalisé par Leslie Stevens, disponible en Combo Blu-ray + 4K UHD le 14 décembre 2023 chez Le Chat qui fume

Acteurs : William Shatner, Allyson Ames, Eloise Hardt, Robert Fortier, Milos Milos, Ann Atmar…

Scénario : Leslie Stevens

Photographie : Conrad L. Hall

Musique : Dominic Frontiere

Durée : 1h14

Date de sortie initiale : 1965

LE FILM

Situé au bord de l’océan, le village de Nomen Tuum a tout d’un lieu paradisiaque. On y trouve un puits, la Fontaine du Cerf, au fond duquel coule une source aux vertus curatives. Mais cet endroit a aussi attiré des succubes, démons à l’apparence de belles femmes, recherchant des âmes corrompues pour les livrer au Dieu des Ténèbres. L’une d’elles, Kia, a jeté son dévolu sur une âme pure : Marko, ancien soldat rentré au pays après avoir été blessé et qui vit modestement dans une ferme avec sa soeur, Arndis. Kia séduit Marko, qui tombe rapidement amoureux de la jeune femme, ignorant sa véritable nature.

En 2017, nous faisions la découverte de Propriété privée Private Property. Longtemps considéré comme définitivement perdu – en raison d’un incendie qui aurait tout dévasté – avant qu’une copie 35mm soit finalement retrouvée par l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Propriété privée était en réalité une vraie perle rare du film noir des années 1960, qui demeurait invisible depuis sa sortie. Premier film réalisé par le cinéaste américain Leslie Clark Steven IV alias Leslie Stevens (1924-1998), célèbre pour avoir créé la série Au-delà du réel en 1963, ce drame-thriller que l’on pourrait qualifier de néo-hitchcockien, marquait les débuts au cinéma du comédien Warren Oates, qui signait sa troisième apparition à l’écran. 2024, Incubus, le troisième long-métrage de Leslie Stevens connaît quelque peu le même sort et se révèle être une autre expérience cinématographique tout aussi originale. Après l’annulation de la série Au-delà du réel en 1965 par ABC, le réalisateur signe un scénario afin de réunir son équipe technique habituelle, entre autres le directeur de la photographie Conrad L. Hall (De sang-froid, Electra Glide in Blue, Luke la main froide, Marathon Man, American Beauty) et le compositeur Dominic Frontiere (Pendez-les haut et court, Roar), en vue de l’exploiter dans les cinémas art et essai. Le plus surprenant sur Incubus et ce qui l’a fait entrer dans l’histoire du cinéma, est d’avoir été tourné en langue espéranto (les acteurs ayant appris phonétiquement leurs répliques à cette occasion), le second des trois films à avoir adopté ce langage dit « universel » au cinéma, ce qui selon le cinéaste ajoutait une dimension étrange à son récit. Ce procédé ne vaut pas celui de The Man from Another Place dans la série Twin Peaks, mais on s’en rapproche, même si seuls les espérantophones sauront juger de la qualité de la prononciation des acteurs. Incubus, emballé en un plus de deux semaines avec un budget très modeste, est quasiment inclassable et le résultat oscille entre les œuvres d’Ingmar Bergman (pour ce qui est du décor et des silhouettes perdues dans l’immensité de la nature) et de Carl Theodor Dreyer (en ce qui concerne la capture des visages et du thème central de l’amour). Une curiosité sur laquelle les cinéphiles devraient tous se pencher à un moment donné de leur parcours du septième art, d’autant plus que ce long-métrage avait été longtemps perdu…

L’action se déroule dans le village de Nomen Tuum (du latin « votre nom »), qui possède une fontaine dont les eaux seraient capables de guérir les malades et de rendre une personne plus belle. De nombreux individus vaniteux et/ou corrompus viennent au village pour ce qu’ils espèrent, un miracle. Ce lieu est aussi connu pour être un lieu ciblé par les ténèbres et les démons. Des succubes attirent les âmes souillées qui viennent à Nomen Tuum et les conduisent à la mort afin d’offrir leurs âmes à l’Enfer et donc au Dieu des Ténèbres. Une jeune succube éminente nommée Kia commence à se lasser de cette routine consistant à conduire les pécheurs en enfer. Kia prétend que ses pouvoirs, qu’elle sait immenses, sont gaspillés et qu’elle a besoin de quelque chose d’autre, ou plutôt d’une autre proie plus stimulante. Un innocent sans doute, une âme noble, pure et bonne. Sa sœur succube, Amael, prévient Kia du danger qu’apporte une âme pure : l’amour. Kia persiste quand même et tente de trouver un homme de Dieu pour séduire dans les ténèbres. Cependant, après avoir observé leur comportement, elle se rend compte que ces hommes sont tout aussi iniques et coupables que ses précédentes victimes. Elle tombe bientôt sur une victime appropriée : Marc, un jeune soldat revenu du front après avoir été blessé, qui, avec sa sœur Arndis, vient à l’eau sacrée pour se soigner. Kia continue alors de suivre la fratrie et fait semblant d’être perdue. Après une brève éclipse, Kia convainc Marc de l’accompagner à la mer. Pendant l’éclipse, Arndis devient aveugle en regardant le ciel. Désorientée, elle trébuche pour retrouver Marc. Marc et Kia sont rapidement attirés l’un par l’autre.

William Shatner, 34 ans, vient de participer à l’exceptionnel Jugement à Nuremberg de Stanley Kramer et de tourner le génial The Intruder de Roger Corman quand il se voit confier le rôle de Marc dans l’étonnant Incubus, juste avant de rejoindre le casting d’une série télévisée de science-fiction appelée Star Trek. On a souvent tendance à oublier à quel point le comédien en imposait à l’écran et que sa carrière TV lui a sûrement fait rater de belles opportunités au cinéma. Il est impeccable dans Incubus, charismatique et touchant, face à ses belles partenaires Allyson Ames (la plupart du temps non créditée aux génériques de ses films et qui aura multiplié les apparitions à la télévision), Eloise Hardt (Quand la ville dort, La Nuit de l’iguane) et Ann Atmar (qui se suicidera l’année suivante).

Incubus est l’histoire de la lutte éternelle entre le bien et le mal, les croyants et les démons, où Kia, dépassée par ses sentiments pour cet être humain, se laisse convaincre par sa sœur de faire appel à un « frère », le maître des ténèbres, Incubus, qui sort de terre et apparaît sous les traits d’un homme, incarné par le dénommé Milos Milos, qui lui aussi mettra fin à ses jours en 1966. Autant d’événements et de faits divers qui participeront mine de rien au caractère « mythique » d’Incubus, objet filmique unique, dont l’aura magnétique, cauchemardesque et hypnotique agit encore et le fera probablement toujours.

LE COMBO BLU-RAY + 4K UHD

Vous avez désormais entre les mains, comme nous, un véritable trésor qui rejoint votre DVD-Blu-raythèque. Une première mondiale que ce Combo Blu-ray + 4K UHD d’Incubus, qui se présente sous la forme d’un somptueux Digipack à trois volets, illustré par des motifs ésotériques qui ont eu raison de leur graphiste Frédéric Domont, qui pense toujours que Christophe Gans est un bon réalisateur. On ne lui en veut pas, car le monsieur a du génie à revendre. Toujours est-il que les deux disques sont identiques et seuls les logos Blu-ray et Ultra HD permettent de les identifier. Le tout est glissé dans un fourreau cartonné au design sobre, mais dans le même ton, très classe quoi. Le menu principal est animé et musical. Édition limitée à 1000 exemplaires.

Outre la version 1.37 plein cadre (avec les sous-titres incrustés), cette édition dispose d’une présentation de dix minutes. Sur une voix quelque peu mécanique et sans entrain, on retrouve les mêmes informations disponibles sur la page consacrée au film sur le Wikipedia anglais. Sa place de précurseur dans le genre Folk horror, le casting, la carrière du réalisateur Leslie Stevens, l’utilisation de la langue espéranto, les conditions de tournage, son échec commercial, son exploitation en France, sa disparition, la copie 16mm retrouvée à la fin des années 1990 à la Cinémathèque (de qualité médiocre, restaurée avant d’être exploitée en DVD chez Studiocanal en 2003 dans la collection Cinéma de quartier), jusqu’à ce qu’Emmanuel Rossi, grand collectionneur, retrouve une copie plein écran grâce à laquelle le film a été restauré puis édité par Le Chat qui fume, vous saurez à peu près tout ce qu’il y a savoir sur Incubus !

L’Image et le son

Cette édition comprend donc Incubus de Leslie Stevens dans sa version 1.85 et 1.37. Un panneau en introduction nous informe que ce long-métrage rare a été restauré 4K par Le Chat qui fume, à partir de la dernière copie 35mm existante et retrouvée en France par Emmanuel Rossi, collectionneur depuis une bonne quarantaine d’années d’affiches et de films. Et le moins que l’on puisse dire, c’est nous assistons bel et bien à une résurrection, celle qui ferait croire aux succubes donc, car le résultat est tout simplement extraordinaire. En Blu-ray comme en 4K UHD (HDR Dolby Vision), Incubus resplendit probablement ainsi pour la première fois, rendant un fabuleux hommage aux partis pris esthétiques de Conrad L. Hall, chef opérateur multi-oscarisé disparu en 2003, avec ses contrastes léchés, ses blancs lumineux (mais jamais brûlés) et ses noirs denses infernaux. Le scan 4K a été réalisé par Eclair Préservation Vanves, la clarté et l’étalonnage ont été corrigés, les poussières, griffures et autres scories ont été éradiqués. Notons aussi que les deux copies existantes faisaient apparaître des sous-titres français incrustés sur la copie. Le Chat qui fume présente désormais une copie open matte 1.37. Un cache noir subsiste de temps en temps dans le bas de l’image où apparaissaient les sous-titres écrits sur trois lignes (rares) sur la copie 16mm. Le piqué est saisissant, la texture argentique sublime, préservée et équilibrée, le niveau des détails confondant, l’ensemble d’une stabilité à toute épreuve.

Le film est proposé avec son unique piste espéranto DTS-HD Master Audio 2.0. Le mixage est on ne peut plus propre, l’écoute demeure agréable et fluide, sans souffle parasite et avec des dialogues percutants. Les sous-titres français et anglais sont à disposition.

Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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