SEULS réalisépar David Moreau,disponible en DVD et Blu-ray le 13 juin 2017 chez Studiocanal
Acteurs : Sofia Lesaffre, Stéphane Bak, Jean-Stan Du Pac, Paul Scarfoglio, Kim Lockhart, Thomas Doret, Renan Madelpuech, Renan Prévot, Inès Spiridonov, Jeanne Guittet, Kamel Isker…
Scénario : David Moreau, Guillaume Moulin d’après la bande dessinée de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann
Photographie : Nicolas Loir
Musique : Rob
Durée : 1h30
Date de sortie initiale : 2017
LE FILM
Leïla, 16 ans, se réveille en retard comme tous les matins. Sauf qu’aujourd’hui, il n’y a personne pour la presser. Où sont ses parents ? Elle prend son vélo et traverse son quartier, vide. Tout le monde a disparu. Se pensant l’unique survivante d’une catastrophe inexpliquée, elle finit par croiser quatre autres jeunes : Dodji, Yvan, Camille et Terry. Ensemble, ils vont tenter de comprendre ce qui est arrivé, apprendre à survivre dans leur monde devenu hostile… Mais sont-ils vraiment seuls ?
Découvert avec ses films d’horreur Ils et The Eye coréalisés avec Xavier Palud, le cinéaste David Moreau a ensuite connu en 2013 un beau succès public et critique avec 20 ans d’écart, pétillante comédie-romantique avec Pierre Niney et Virginie Efira. Avec Seuls, David Moreau revient au film de genre en suivant le schéma tracé par les américains et leurs franchises destinées au public adolescent, Hunger Games, Divergente ou Le Labyrinthe. Un temps envisagé par Jaco van Dormael, qui imaginait même une trilogie, c’est finalement David Moreau qui adapte ici les cinq premiers tomes de la bande dessinée franco-belge homonyme de Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann, publiée depuis 2005 dans le magazine Spirou.
Un matin, Leïla se réveille et se prépare pour aller au lycée. Elle ne sait pas qu’elle sort de ses rêves pour entrer dans un cauchemar. Non seulement l’appartement familial est vide, mais elle se rend compte bien vite que c’est toute la ville qui est déserte. Aucune trace de ses parents ? Où sont passés les habitants ? Apparemment, il n’y a plus âme qui vive… Mais bientôt, Leïla découvre d’autres ados aussi déboussolés qu’elle. Cette poignée de survivants composée de personnalités très contrastées va s’unir pour faire face à cette catastrophe inexpliquée. Un nouveau danger les guette, visiblement, ils ne sont pas aussi « seuls » qu’ils le croyaient. Le Maître des couteaux vient d’arriver et il en a visiblement après eux. En plus, un épais brouillard destructeur entoure la ville (imaginaire) et menace de les engloutir.
Difficile pour David Moreau de transposer à l’écran une série d’albums en cours (une vingtaine est prévue et dix ont déjà été publiés), puisqu’il lui faut à la fois contenter les fans de la bande dessinée originale et attirer des spectateurs qui n’en auraient jamais entendu parler. Si le manque de moyens (6 millions d’euros de budget) a freiné les ambitions du réalisateur et si le film comporte quelques défauts et maladresses, Seuls ne manque pas d’intérêt et s’avère encourageant. Du point de vue technique, David Moreau soigne le cadre, la photographie de Nicolas Loir apporte un plus non négligeable, les décors sont inspirés, tout comme la partition musicale de Rob. Cela fonctionne au premier coup d’oeil. Seuls pèche en revanche par son scénario hésitant, ses dialogues peu inspirés et son interprétation qui frôle parfois l’amateurisme.
Ces points faibles n’empêchent pas le film et les personnages – plus âgés que dans la bande dessinée – d’être attachants et complémentaires : Dodji (Stéphane Bak, vu dans Elle de Paul Verhoeven), un orphelin solitaire, Yvan, un artiste intello, la studieuse et timide Camille, Terry, le plus jeune de la bande et Leïla (Sofia Lesaffre, découverte des Trois frères, le retour) qui s’impose dans le rôle de la leadeuse, bien que la bande dessinée était plus centrée sur Dodji. Ce choix de David Moreau découle de son amour pour les personnages féminins d’action. Si le rythme est en dents de scie, David Moreau est suffisamment malin pour relancer la mécanique chaque fois qu’elle commence à s’enrayer. Les rebondissements ne manquent pas et on sent le metteur en scène à son affaire, fan de cinéma fantastique et d’épouvante, qui donne une véritable identité à son film.
Entre frissons et humour du style buddy-movie, tout était réuni pour faire de Seuls un vrai film de genre, destiné à rencontrer un large public. Malheureusement, le cinéaste a dû faire avec le peu d’argent mis à sa disposition en raison de la frilosité des producteurs français. Avec près de 360.000 entrées, score tout à fait honorable pour un film fantastique hexagonal avec uniquement des jeunes acteurs inconnus au générique, la suite (ou les suites), annoncée dans l’épilogue, paraît compromis. Dommage. Mais sait-on jamais, car Seuls peut connaître une brillante carrière en DVD et Blu-ray, ce qu’on lui souhaite, et peut-être verrons-nous le retour de Leïla et de sa bande.
LE BLU-RAY
Le test du Blu-ray de Seuls, disponible chez Studiocanal, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé, musical et reprend le visuel de l’affiche du film, tout comme la jaquette.
Dissimulé dans le sous-menu des langues, nous trouvons le commentaire audio du réalisateur David Moreau. Si le début est un peu décousu et maladroit, le cinéaste s’avère très prolixe et ne marque aucun temps d’arrêt durant l’exercice. Largement conseillé car très sympa, ce commentaire aborde l’adaptation de la bande -dessinée et les partis pris, les personnages, le casting, plus longuement la création et l’utilisation des effets spéciaux (plus de 400 plans), ainsi que le manque de budget lié à la difficulté de vendre un projet ambitieux mais sombre et sans avoir de stars au générique. S’il se dit content du film, David Moreau ne cache pas son amertume d’avoir revu ses ambitions à la baisse – il avait entre autres écrit une version du film beaucoup plus fidèle à la bande dessinée – en fonction des moyens qui lui étaient alloués. Il avoue également qu’il espérait un score plus élevé au box-office. Les anecdotes de tournage s’enchaînent durant plus d’1h30.
La section des suppléments dispose également d’un making of (28’) traditionnel, composé de nombreuses images de tournage et des propos des comédiens. Cette fois, David Moreau n’intervient pas directement, mais le réalisateur est montré à l’oeuvre avec ses jeunes acteurs sur le plateau. Ces derniers présentent leurs personnages et les enjeux du film. Invités par la production, les créateurs de la bande dessinée Bruno Gazzotti et Fabien Vehlmann s’expriment sur l’adaptation.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Studiocanal frôle la perfection avec ce master HD. Si les contrastes affichent une densité impressionnante, le piqué n’est pas aussi ciselé sur les scènes sombres et certaines séquences apparaissent un peu douces, notamment durant la première partie du film, où les visages des comédiens apparaissent un peu cireux. En dehors de cela, la profondeur de champ est éloquente, les détails se renforcent et abondent en extérieur jour, le cadre est idéalement exploité et la colorimétrie bleutée-froide retravaillée à l’étalonnage est idéalement retranscrite. La mise en scène brute de David Moreau entraîne quelques pertes inévitables de la définition, mais l’ensemble demeure la plupart du temps estomaquant de beauté, le tout étant conforté par un encodage AVC solide comme un roc.
La piste DTS-HD Master Audio 5.1 assure le spectacle acoustique avec brio. Dynamique et riche, l’écoute demeure immersive tout du long avec quelques pics particulièrement bluffants. C’est le cas des séquences à la fête foraine, de l’ouverture avec la caméra embarquée dans le casque, du brouillard dévastateur et surtout du passage de la bande de l’autre côté de la matière vaporeuse. La balance frontale est percutante, sans oublier l’usage probant des ambiances latérales et du caisson de basses. La musique profite également d’une belle délivrance, mettant toutes les enceintes à contribution, même à volume peu élevé. Les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant sont disponibles, ainsi qu’une piste en Audiodescription et une piste Stéréo de fort bon acabit.
THE HIT : LE TUEUR ÉTAIT PRESQUE PARFAIT(The Hit) réalisépar Stephen Frears,disponible en DVD et Blu-ray le 27 juin 2017 chez Movinside
Acteurs : John Hurt, Tim Roth, Terence Stamp, Jim Broadbent, Laura del Sol, Bill Hunter, Fernando Rey…
Scénario : Peter Prince
Photographie : Mike Molloy
Musique : Paco de Lucía, Eric Clapton, Roger Waters
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1984
LE FILM
Willie Parker, un truand anglais, dénonce ses complices en échange de la liberté. Il vit incognito en Espagne, sous la surveillance d’un policier du coin. Dix ans plus tard, ses ex-complices sortent de prison ; ils engagent deux « professionnels », Braddock, le vétéran, et Myron, dont c’est la première mission. Ceux-ci enlèvent Parker et traversent l’Espagne en direction de Paris, poursuivis par la police. Parker, qui s’est préparé depuis dix ans à ce dénouement, reste d’un calme olympien et s’amuse à pousser ses ravisseurs à l’erreur.
Avant d’être révélé en 1985 par My Beautiful Laundrette, le réalisateur britannique Stephen Frears avait déjà mis en scène deux longs métrages, Gumshoe avec Albert Finney (1971) et The Hit (1984). Ce dernier, sorti en France sous le titre The Hit : Le Tueur était presque parfait, est un formidable road-movie existentiel, teinté d’humour noir et marqué par une violence sèche. Méconnu, The Hit ne manque pourtant pas de qualités, loin de là.
Devant un tribunal londonien, Willie Parker (Terence Stamp) témoigne contre ses complices dans un hold-up. En quittant la salle d’audience, il sait qu’au bout des dix ans d’incarcération dont ils ont écopé à cause de sa trahison, la vengeance sera terrible. Dix ans plus tard, deux tueurs à gages retrouvent sa trace en Espagne, où Parker, pensant ainsi leur échapper, s’était exilé. Ses bourreaux ont les traits de Braddock (John Hurt), un tueur chevronné et taciturne, et de Myron (Tim Roth), son jeune acolyte nerveux et impulsif. Une longue traversée de la péninsule ibérique commence en Mercedes Euro W111 blanche, car la mission des deux hommes consiste à rapatrier Willie en France. Le repenti attend, le sourire aux lèvres, une fin qu’il sait inéluctable.
Quel étrange film que The Hit ! Mais c’est justement cette singularité dans la filmographie dense et éclectique de Stephen Frears qui en fait sa rareté. Le casting quatre étoiles emporte déjà l’adhésion. A l’écran, Terence Stamp est aussi impérial que magnifique, John Hurt flippant dans le rôle du tueur quasi-mutique, Tim Roth, tout juste révélé par l’exceptionnel Made in Britain d’Alan Clarke, crève l’écran en petite frappe pas si éloignée de son rôle précédent (qui avait été proposé à Joe Strummer de The Clash), sans oublier la présence de la pulpeuse Laura del Sol dans le rôle de Maggie, otage récupéré sur la route et qui va se battre pour rester en vie, et celle de Fernando Rey, l’inspecteur qui mène l’enquête sur l’enlèvement de Parker, et dont nous n’entendrons jamais la voix. Présenté au Festival de Cannes en 1984 dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, The Hit foudroie par la virtuosité de la mise en scène (jeux à foison sur la profondeur, les focales, les angles), l’élégance de la photographie et par ses partis pris. Atypique, le film s’avère une profonde réflexion sur la mort, sur la façon dont l’individu l’appréhende et l’affronte le moment venu. Ainsi, Parker agace ses ravisseurs à cause de sa nonchalance et du sourire qu’il affiche sur le chemin qui le mène vers son exécution programmée. Derrière ses lunettes de soleil, Braddock semble déstabilisé par l’attitude de Parker, tandis que Myron, jeune chien fou, perd son sang-froid et s’exprime par la violence.
Pendant une dizaine d’années, Stephen Frears a essentiellement oeuvré à la BBC. Pourtant sa mise en scène est exceptionnelle et le cinéaste semble lui-même trouver sa propre voie en réalisant The Hit. Les mouvements de caméra sont sublimes et sophistiqués, et donnent un côté aérien à cette histoire pourtant terrible avec ces hommes qui tentent de mourir de la meilleure façon possible. Stephen Frears ne s’en cache pas, pour lui The Hit est une véritable comédie humaine, où tout le monde est logé à la même enseigne puisque personne n’échappera à la mort. Aux hommes de se préparer à l’inévitable. Comme il l’indique lui-même, Parker a eu une dizaine d’années pour se faire à l’idée, sachant que ses anciens complices feraient tout pour le retrouver et lui rendre la monnaie de sa pièce. Dans un sens, ses airs décontractés bouleversent Myron et Braddock qui ont fait du crime leur métier. Tout d’abord impitoyables, les deux tueurs vont peu à peu dévoiler quelques fissures. S’ils ne peuvent plus inspirer la peur, alors c’est toute leur raison d’être qui est remise en question.
Outre ce scénario intelligent écrit par le dramaturge et romancier Peter Prince et cette virtuosité formelle, n’oublions pas la musique traditionnelle de Paco de Lucía et sa guitare flamenco, y compris le générique signé Eric Clapton et Roger Waters, ainsi que la photo aride et lumineuse de Mike Molloy (Le Cri du sorcier) qui donne aux paysages espagnols un aspect désolé proche du western. Mystérieux, presque inclassable, passionnant, métaphysique, languissant, The Hit est loin d’être un simple polar et s’avère une immense réussite, une de plus, dans l’oeuvre de Stephen Frears.
LE BLU-RAY
Le Blu-ray de The Hit est édité chez Movinside qui pour l’occasion inaugure une nouvelle collection Suspense/Polar avec également les titres Don Angelo est mort de Richard Fleischer et Le Flic se rebiffe de Burt Lancaster et Roland Kibbee (déjà chroniqués). La jaquette reprend un des visuels originaux du film et s’avère très élégante. Le menu principal est animé et musical. Aucun chapitrage et aucun supplément malheureusement.
L’Image et le son
Nous ne sommes pas déçus ! C’est avec un plaisir immense que nous découvrons ce film de Stephen Frears dans de pareilles conditions ! La colorimétrie s’impose par sa luminosité, le relief est très appréciable. Malgré un piqué émoussé, ainsi qu’un grain aléatoire et plus prononcé sur les séquences sombres, la photo riche et ouatée du chef-opérateur Mike Molloy est souvent excellemment restituée. La profondeur de champ est indéniable, certains gros plans étonnent par leur précision, la clarté est de mise, les contrastes probants, la copie stable (merci au codec AVC), sans oublier la restauration impeccable. Le master est débarrassé de toutes les scories possibles et imaginables. Ce Blu-ray est en format 1080p.
Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio 2.0 instaurent un confort acoustique satisfaisant. Malgré des dialogues clairs et ardents, la piste française manque d’ampleur et en oublie parfois certaines ambiances annexes. C’est un peu mieux pour la version originale, plus homogène et équilibrée, même si les dialogues auraient mérité d’être revus à la hausse. Dans les deux cas, la propreté est là et aucun souffle n’a été constaté. L’éditeur joint également une piste anglaise DTS-HD Master Audio 5.1 complètement anecdotique, avec une spatialisation décevante et des effets latéraux quasi-inexistants.
LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME(Non si sevizia un paperino) réalisépar Lucio Fulci,disponible en combo Blu-ray+DVD le 15 juillet2017chez Le Chat qui fume
Acteurs : Florinda Bolkan, Barbara Bouchet, Tomás Milián, Irene Papas, Marc Porel, Georges Wilson, Antonello Campodifiori, Ugo D’Alessio…
Scénario : Lucio Fulci, Roberto Gianviti, Gianfranco Clerici
Photographie : Sergio d’Offizi
Musique : Riz Ortolani
Durée : 1h48 (version intégrale)
Date de sortie initiale : 1972 (Italie), 1978 (France)
LE FILM
Début des années 70, dans le sud de l’Italie, un petit village de montagne est plongé dans la terreur : de jeunes garçons se font mystérieusement assassiner et la police semble avoir du mal à identifier le meurtrier. Les pistes sont nombreuses, mais aucune ne semble réellement aboutir. Alors que les affrontements deviennent de plus en plus violents entre les habitants, certains sont désignés comme coupables et d’autres n’hésitent pas à faire justice eux-mêmes. Pendant ce temps, les crimes odieux continuent.
Lucio Fulci (1927-1996), qui se destinait d’abord au monde de la médecine, décide de se tourner vers le cinéma et intègre le Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome, en suivant les cours de Michelangelo Antonioni et de Luchino Visconti. Il devient l’assistant du réalisateur Marcel L’Herbier pour Les Derniers Jours de Pompéi en 1950. Mais c’est avec le cinéaste Steno, de son vrai nom Stefano Vanzina, que Fulci fait réellement ses premières classes. Il s’agit de comédies, principalement avec Totò, aux titres aussi évocateurs que Totò et les femmes, L’uomo, la bestia e la virtù, Où est la liberté. Progressivement, Lucio Fulci devient scénariste et signe Une fille formidable de Mauro Bolognini, Un Americano a Roma de Steno avec l’immense Alberto Sordi. Il passe enfin derrière la caméra en 1959 avec I Ladri, une comédie interprétée par… Totò. La boucle est bouclée. Dans les années 1960, Lucio Fulci enchaîne moult comédies avec le duo célèbre en Italie, Franco Franchi et Ciccio Ingrassia. Si le succès est au rendez-vous, il commence sérieusement à vouloir changer son fusil d’épaule et démontrer qu’il est capable de réaliser autre chose que des comédies. Il signe un western avec Franco Nero (Le Temps du massacre, 1966), une comédie policière intitulée (Au diable les anges, 1967), un drame (Liens d’amour et de sang, 1969). Mais le véritable tournant s’opère en 1969 avec le giallo Pervertion Story – La Machination (Una sull’altra).
Si Dario Argento et Mario Bava sont fréquemment annoncés comme étant les réalisateurs phares du giallo, ce genre italien de film d’exploitation, cocktail de cinéma d’horreur, de film policier et d’érotisme soft, il est grand temps aujourd’hui de réhabiliter Lucio Fulci, jusqu’ici surtout défendu par les amateurs de cinéma de genre. Un an après l’onirique, poétique, sensuel, cruel, oppressant, kafkaïenLe Venin de la peur – Una lucertola con la pelle di donna, et la même année que sa comédie érotique Obsédé malgré lui, Lucio Fulci signe un de ses films les plus célèbres, La Longue nuit de l’exorcisme – Non si sevizia un paperino, Don’t Torture a Duckling(titre international), ou bien encore Les Poupées de sang au Québec. S’il est souvent considéré comme un giallo, ce film (le préféré de son auteur) s’en démarque puisque tous les codes du thriller urbain sont ici transportés dans le sud de l’Italie, dans un petit village perdu et pittoresque, avec ses peurs, ses traditions et ses superstitions, devenu le théâtre d’une série de meurtres dont les victimes sont tous des enfants. Alors que l’enquête piétine, la tension monte au sein de la petite communauté. Andrea Martelli (Tomás Milián, impeccable et sobre), un journaliste venu écrire sur l’affaire, décide de suivre ses propres pistes. Il doit surmonter les idées reçues des habitants du bourg qui soupçonnent Patrizia (Barbara Bouchet), une jeune femme de la ville aux moeurs légères, avant de se tourner vers l’idiot du village puis la sorcière et sauvageonne Maciara (Florinda Bolkan).
S’il n’atteint pas la force de l’hypnotique Venin de la peur, on reste néanmoins sans voix devant la beauté de la mise en scène de ce thriller stylisé qu’est La Longue nuit de l’exorcisme, photographié avec virtuosité par le chef opérateur Sergio d’Offizi et bercé par la partition toujours inspirée du maestro Riz Ortolani. Le réalisateur considérait d’ailleurs lui-même La Longue nuit de l’exorcisme comme son meilleur film et probablement celui quiale plus marqué les cinéphiles. Avec une folle liberté artistique et créatrice, le cinéaste ne se gêne pas pour déjouer les attentes des spectateurs, souvent conditionné à un mode de narration classique. Etude sur la culpabilité, le déni, la frustration sexuelle, les désirs refoulés, La Longue nuit de l’exorcisme, totalement inédit en France depuis 30 ans, est devenu culte dans le monde entier. Véritable film choral, on y croise pêle-mêle les acteurs Marc Porel, George Wilson, Tomas Milian, Florinda Bolkan, Barbara BouchetetIrene Papas pour ne citer que les plus célèbres. Cette incroyable brochette de comédiens se donnent la réplique dans une intrigue à la croisée d’Agatha Christie et de Stephen King, où chaque personnage semble avoir quelque chose à cacher et devient donc suspect.
Lucio Fulci va loin, très loin pour instaurer une ambiance réellement dérangeante, entre meurtres en série d’enfants et nudité frontale. A ce titre, la scène où la sublime Barbara Bouchet apparaît complètement nue devant un gamin de dix ans troublé par ses charmes, a choqué la critique et les spectateurs, au point que la comédienne et Lucio Fulci ont été traîné en justice et accusés de corruption de mineur ! Le cinéaste avait été obligé d’expliquer que l’enfant n’avait jamais tourné en présence de Barbara Bouchet, mais remplacé par une doublure, en l’occurrence un homme de petite taille filmé de dos, quand les deux personnages sont présents sur le même plan. Ce parfum de scandale a évidemment contribué au succès du film, tout comme l’incroyable et éprouvante séquence du lynchage de la sorcière, incarnée par Florinda Bolkan, par les pères de famille ayant perdu un enfant. Symbole des croyances ancestrales et traditionnelles du sud de l’Italie, cette sorcière, coupable parfaite puisqu’il faut bien attribuer les meurtres à quelqu’un, est immédiatement perçue comme étant la responsable. Le décalage entre la chanson légère et la brutalité des hommes s’acharnant sur cette femme avec une violence inouïe, glace les sangs encore aujourd’hui, tout comme son épilogue avec l’appel à l’aide au bord de la route, la main tendue vers les automobilistes alors en route vers des vacances bien méritées. Ou comment l’indifférence des hommes est tout aussi violente que des coups de chaînes.
La Longue nuit de l’exorcisme est un film de mise en scène, d’atmosphères, multipliant les fausses pistes, qui ne cesse de surprendre par son opposition entre la beauté sèche des paysages de la région des Pouilles et la noirceur de crimes particulièrement morbides, et ce jusqu’au dénouement inattendu qui n’épargne personne, adultes comme enfants. Redoutablement pessimiste et sombre, La Longue nuit de l’exorcisme montre des enfants déjà corrompus, que rien ni personne ne peut sauver. A moins de les empêcher de sombrer encore plus en devenant adulte. C’est un des motifs du tueur de ce film incroyable et intemporel qu’est La Longue nuit de l’exorcisme.
Bien que le film soit sorti en Italie en 1972, la France devra attendre 1978 pour le découvrir dans une version censurée et au titre surfant de façon éhontée sur le chef d’oeuvre de William Friedkin, puisqu’il n’y a aucun exorcisme réalisé dans le film de Lucio Fulci. Avec l’acharnement des passionnés du genre, Non si sevizia un paperino est devenue une œuvre phare du cinéma d’exploitation.
LE BLU-RAY
Attendu comme le Messie par les fans de Lucio Fulci, La Longue nuit de l’exorcisme arrive enfin dans les bacs grâce aux bons soins du Chat qui fume. Cette édition limitée à 2000 exemplaires (le plus gros tirage de l’éditeur à ce jour) prend la forme d’un magnifique combo Digipack à trois volets – illustrés de portraits tirés du film – composé du Blu-ray (film + intégralité des suppléments), du DVD (film + première partie des suppléments) et d’un troisième disque (deuxième partie des suppléments). Le tout est glissé dans un fourreau cartonné liseré rouge sang, au visuel élégant et très attractif. La Longue nuit de l’exorcisme est présenté en version intégrale dans un nouveau master HD. C’est une édition évidemment incontournable pour les passionnés du bis italien, décidément servis comme des rois par Le Chat qui fume.
Quatre heures de suppléments ! QUATRE !!! Autant vous dire que Le Chat qui fume a mis le paquet (de clopes) afin de combler toutes les attentes des cinéphiles !
On commence par le témoignage de la comédienne Florinda Bolkan (28’), qui reçoit chaleureusement chez elle dans le sud de l’Italie. Il est beaucoup question de Lucio Fulci, que l’actrice décrit comme étant un homme « un peu fourbe, très spécial, un vrai diable mais qui parvenait à le dissimuler ». Florinda Bolkan évoque les tournages successifs du Venin de la peur et de La Longue nuit de l’exorcisme, en s’attardant évidemment sur ce dernier et pour lequel elle aborde longuement son personnage, ainsi que sa préparation. La comédienne se souvient entre autres d’un tournage sur lequel elle s’est beaucoup amusée. Ce module se clôt par la redécouverte de la plus célèbre séquence du film, celle du lynchage de la sorcière. Florinda Bolkan accepte de visionner cette scène, qu’elle n’avait pas revue depuis la sortie du film, et souffre littéralement avec/pour son personnage.
Pour l’entretien avec Barbara Bouchet (18’30), l’éditeur reprend l’introduction et la conclusion de l’interview présente sur l’édition HD d’A la recherche du plaisir. Par ailleurs, on craint de se retrouver face au même module, mais la comédienne évoque bel et bien le tournage de La Longue Nuit de l’exorcisme, son premier thriller, dans lequel elle désirait faire quelque chose de différent. Cet entretien est un peu décevant, dans le sens où Barbara Bouchet évoque surtout des histoires de cul entre Tomás Milián et Irène Papas (et comment elle-même a récupéré le mec de la comédienne grecque), plutôt que de véritables souvenirs de tournage. Quelques mots sur ses partenaires (de jeu cette fois) et surtout sur Lucio Fulci, sans oublier le scandale provoqué par la fameuse scène où elle se tient nue et provocante devant un enfant.
Né en 1934, Sergio D’Offizi est le directeur de la photographie de Cannibal Holocaust, Le Marquis s’amuse et bien évidemment de La Longue nuit de l’exorcisme. Durant un entretien fleuve de 48 minutes, le chef opérateur aborde sa rencontre avec Lucio Fulci et ne tarit pas d’éloges à l’encontre de cet « excellent réalisateur, qui connaissait tous les métiers du cinéma […] qui avait quelques défaillances avec les acteurs […] pas méchant, mais qu’il fallait savoir prendre […] mais dont le caractère l’a empêché d’être vraiment reconnu ». Tout d’abord, Sergio D’Offizi mentionne son association avec le cinéaste. Puis, le directeur de la photographie parle du casting (un Tomás Milián très introverti, sérieux et professionnel), des lieux de tournage, des partis pris esthétiques et du jeu sur les contrastes, tout en partageant d’autres souvenirs.
Nous passons ensuite à l’interview du monteur Bruno Micheli (27’), qui en réalité était l’assistant de sa sœur monteuse Ornella durant quasiment toute sa carrière, y compris sur La Longue nuit de l’exorcisme. C’est donc à son tour de se pencher sur ses débuts au cinéma (un enfant de la balle, fils du caméraman Mario Micheli, fidèle technicien de Roberto Rossellini), son travail auprès de sa sœur Ornella, sa rencontre avec Lucio Fulci (« qui n’intervenait jamais dans la salle de montage ») et l’importance du son dans le cinéma de genre. Il faut attendre 20 minutes pour que Bruno Micheli parle de La Longue nuit de l’exorcisme, mais ce rendez-vous, qui se termine sur une note amère où l’assistant monteur regrette que Lucio Fulci ait décidé du jour au lendemain de stopper leur collaboration, ne manque pas d’intérêt.
Le Chat qui fume va faire plaisir aux fans de Lucio Fulci, puisque cette section propose ensuite une très longue interview audio de Lucio Fulci, divisée en deux temps (43’). En août 1988, le journaliste italien Gaetano Mistretta écrit au cinéaste italien pour lui poser des questions sur sa vie et ses films. Lucio Fulci enregistre ses réponses sur cassettes audio et lui envoie. L’interview a été partiellement publiée dans le magazine Darkstar le 2 août 1988, ainsi que dans le livre Spaghetti Nightmares publié en 1996. Si le montage de photos et de vidéos laisse quelque peu à désirer, l’écoute s’avère heureusement passionnante. Lucio Fulci est très prolixe sur l’ensemble de ses films, déclare aimer les jeunes qui s’intéressent au fantastique, genre peu pris au sérieux dans son pays mais porté par l’amour des passionnés en France (il salue d’ailleurs son ami Christophe Gans du magazine Starfix), tout en donnant de nombreuses indications sur son parcours (assistant de Steno), ses passions (Proust), ses premières mises en scène, le succès ou l’échec de ses œuvres, tout en évoquant sa rivalité avec Dario Argento. Sur ce point, Lucio Fulci indique « Dario ne m’aime pas et je ne sais pas pourquoi. S’il pense que je ne vaux rien, qu’il m’ignore ! Mais il me déteste. Non, il ne me déteste pas, il ne déteste personne? Il n’aime que lui. Il répétera sans cesse ce qu’il a déjà fait. C’est un artisan qui se prend pour un artiste, contrairement à Alfred Hitchcock. C’est un habile réalisateur, mais un exécrable scénariste ». S’il se jette parfois des fleurs et pousse quelques petits coups de gueule (« Je n’aime pas Shining, Stanley Kubrick est bien trop bon pour faire des films d’horreur »), on se rend compte que même après la maladie et une succession de bides commerciaux depuis 1982, Lucio Fulci – qui préparait le téléfilm La Casa nel tempo – était toujours animé par la passion de son métier. A ce titre, le réalisateur en profite pour dire que La Mouche de David Cronenberg apparaît pour lui comme étant un tournant décisif pour le cinéma d’horreur.
Spécialiste et auteur deLucio Fulci – le poète du macabre, écrit avec Jean-François Rauger, mais aussi rédacteur en chef du site luciofulci.fr, Lionel Grenier nous propose une bonne présentation, analyse et critique de La Longue nuit de l’exorcisme (19’30). Il replace le film dans la carrière du maître, évoque le casting, les conditions de tournage, les intentions et partis pris, les lieux de tournage, les thèmes abordés, la polémique autour de la séquence de Barbara Bouchet nue face à l’enfant. Dans un second temps, il se penche davantage sur l’aspect psychologique tout en mêlant le fond et la forme, notamment sur la scène du lynchage de la sorcière qui a nécessité trois jours de tournage. Si cette intervention, qui contient de très nombreux spoilers, paraît parfois trop récitée et monocorde, c’est ici, avec l’intervention suivante, que vous en apprendrez le plus sur La Longue nuit de l’exorcisme.
Ne manquez donc pas la présentation de La Longue nuit de l’exorcisme par Olivier Père (23’). Le journaliste, critique de cinéma, directeur général d’Arte France cinéma et directeur cinéma à Arte France propose une longue et passionnante analyse du film de Lucio Fulci, en croisant habilement le fond avec la forme. Sans aucun temps mort, Olivier Père aborde les partis pris du cinéaste, les thèmes, les intentions, les motifs récurrents, les séquences les plus célèbres, tout en replaçant le film dans l’oeuvre de Lucio Fulci.
Critique de cinéma et directeur de la programmation de la Cinémathèque Française, Jean-François Rauger s’intéresse à son tour à La Longue nuit de l’exorcisme (16’). Si certains de ses propos font écho avec ce qui a déjà été entendu précédemment, il serait dommage de ne pas accorder un petit quart d’heure à cette analyse. Jean-François Rauger se penche surtout sur les thèmes et les motifs, ainsi que sur la dimension sociale du film et la figure de chacun des personnages. Rauger se souvient également de la découverte du film – « un peu à part dans le cinéma de Lucio Fulci, mais logique dans son parcours » – à sa sortie, au Brady, ainsi que de sa violence.
Déjà présent sur l’interactivité de Tropique du cancer, le scénariste Fathi Beddiar revient à son tour sur La Longue nuit de l’exorcisme (22’30). Pour lui, Lucio Fulci approfondit les thèmes déjà abordés par Elio Petri dans À chacun son dû – A ciascuno il suo en 1967. Grand passionné du cinéma italien et du giallo en particulier, Fathi Beddiar est visiblement heureux de parler de Lucio Fulci et de La Longue nuit de l’exorcisme, qu’il affectionne tout particulièrement. Il aborde les thèmes, le folklore méditerranéen, la réalité sociale, la figure de la sorcière et de l’assassin, sans oublier une fois de plus la séquence « incroyablement dangereuse » de Barbara Bouchet qui a fait grincer les dents d’un côté et émoustiller les autres.
L’interactivité se clôt sur les bandes-annonces d’A la recherche du plaisir, Opéra, Sanctuaire et Le Retour des morts-vivants.
N’oublions pas le livret de 24 pages, constitué d’affiches et de photos d’exploitation, uniquement réservé aux acheteurs de ce titre sur le site du Chat qui fume.
L’Image et le son
Un peu plus d’un an et demi après Le Venin de la peur, c’est au tour de La Longue nuit de l’exorcisme d’atterrir dans l’escarcelle du Chat qui fume, en version intégrale, en DVD et en Blu-ray (1080p) ! Ce nouveau master restauré HD 2K comble toutes les espérances. Non si sevizia un paperinobénéficie d’un superbe transfert, qui respecte le grain original, très bien géré, y compris sur les nombreuses séquences sombres. La définition est solide comme un roc et les flous constatés sont d’origine. Après un générique marqué par un bruit vidéo et des teintes fanées, le master (16/9 compatible 4/3) trouve un équilibre fort convenable et restitue les très beaux partis pris esthétiques du directeur de la photographie Sergio D’Offizi (Cannibal Holocaust). Sombre et poisseuse, mais aussi lumineuse et solaire, l’atmosphère trouble et troublante du film trouve un nouvel écrin en Haute-Définition, les contrastes sont élégants et même si les noirs manquent parfois de concision, la copie affiche une propreté ainsi qu’une stabilité jamais prises en défaut. Les séquences diurnes sont lumineuses à souhait avec un piqué plus acéré et des détails plus flagrants sur le cadre large. De quoi combler les fans et faire de nouveaux adeptes !
La Longue nuit de l’exorcisme est présenté dans sa version intégrale. De ce fait, certaines séquences qui n’avaient jamais bénéficié de doublage français, passent automatiquement en italien sous-titré dans la langue de Molière. Propre et dynamique, le mixage italien DTS HD Master Audio Mono ne fait pas d’esbroufe et restitue parfaitement les dialogues, laissant une belle place à la musique de Riz Ortolani. Elle demeure la plus riche du lot. La version française DTS-HD Master Audio Mono, au doublage typique de l’époque, apparaît tout aussi vive, même si évidemment moins naturelle. Le changement de langue est verrouillée à la volée et les sous-titres français imposés sur la version originale.
LE FLIC SE REBIFFE (The Midnight Man) réalisépar Burt Lancaster et Roland Kibbee,disponible en DVD et Blu-rayle 27 juin2017chez Movinside
Acteurs : Burt Lancaster, Susan Clark, Cameron Mitchell, Morgan Woodward, Harris Yulin, Robert Quarry, Joan Lorring, Ed Lauter…
Scénario : Burt Lancaster, Roland Kibbee d’après le roman The Midnight Lady and the Mourning Man de David Anthony
Photographie : Jack Priestley
Musique : Dave Grusin
Durée : 1h59
Date de sortie initiale : 1974
LE FILM
Après un séjour en prison pour avoir assassiné l’amant de sa femme, Slade, un ancien policier, trouve un petit boulot de gardien de nuit sur un campus universitaire. Il tente de mener à nouveau une vie normale et Linda, sa contrôleuse judiciaire, s’éprend même de lui. Malheureusement, une série de meurtres se produit dans l’université… Slade décide d’enquêter.
En 1954, bien qu’il ne soit pas crédité, Burt Lancaster cosigne la mise en scène du Roi des îles aux côtés de Byron Haskin. L’année suivante, il réalise officiellement son premier long métrage, L’Homme du Kentucky, western dans lequel il donne la réplique à Dianne Foster et Diana Lynn. Burt Lancaster attendra quasiment vingt ans pour repasser une dernière fois derrière la caméra. Le Flic se rebiffe, titre français à côté de la plaque pour le titre autrement plus beau et poétique en version originale The Midnight Man, est comme qui dirait un dernier baroud d’honneur pour la star vieillissante. S’il lui restait encore de fabuleuses aventures cinématographiques à venir, Violence et passion de Luchino Visconti, 1900 de Bernardo Bertolucci, L’Ultimatum des trois mercenaires de Robert Aldrich pour ne citer que ceux-là, Burt Lancaster a déjà l’essentiel de sa carrière derrière-lui, trente ans de métier, une quantité impressionnante de films et de chefs d’oeuvres tournés aux quatre coins du monde. Rétrospectivement, Le Flic se rebiffe, d’après la nouvelle The Midnight Lady and the Mourning Man de David Anthony, peut se voir comme le portrait d’un acteur quelque peu usé, paumé dans une décennie bouleversée, qui déambule dans un milieu où il n’a plus de repères et où il apparaît presque comme un anachronisme.
The Swimmer, immense chef d’oeuvre de Frank Perry, jouait déjà avec la mythologie Lancaster, le passage du temps, avec de nombreuses références aux films les plus célèbres du comédien. Ici, Burt Lancaster erre presque comme un spectre, dans un monde qui a perdu le sens des valeurs, même s’il souhaite démontrer qu’il en a encore sous le capot et qu’il n’est pas prêt à être envoyé à la casse. C’est ainsi que son personnage, Slade, ancien flic de la criminelle, mis au rebut après avoir tué l’amant de sa femme trouvé dans son propre lit, débarque dans une petite ville universitaire de la Caroline du Sud. Libéré sur parole, il a accepté un travail de gardien de nuit sur le campus, où il s’occupe de la tranche minuit-8h du matin. Il est recueilli chez un de ses meilleurs amis, Quartz, également ancien flic, joyeux drille et pince-sans-rire. Mais ce dernier est blessé au cours d’une arrestation qui tourne mal. La jambe dans le plâtre, il est alité. Slade commence à prendre ses nouvelles marques et rencontre Linda Thorpe (Susan Clarke et ses beaux yeux bleus), qui travaille étroitement avec la police et notamment le shérif Casey (l’excellent Harris Yulin, spécialiste de la rubrique « On ne sait jamais comment ils s’appellent »), non loin de l’université. Un matin, la fille du sénateur Clayborde (Morgan Woodward), étudiante sur le campus, est retrouvée assassinée. S’il n’a plus son insigne, Slade a conservé son instinct de flic et commence à recueillir quelques indices en parallèle de l’enquête de police. Il ne sait pas qu’il vient de mettre les pieds dans une affaire où il n’aurait pas dû intervenir. Toujours est-il qu’il n’hésitera pas à répondre à la violence par la violence s’il le faut.
Si Le Flic se rebiffe ne brille pas par sa mise en scène, également signée Roland Kibbee (scénariste de Vera Cruz), qui s’apparente plus à un téléfilm, The Midnight Man se regarde comme on lit un bon vieux polar à la couverture froissée et aux pages jaunies, un dimanche après-midi pluvieux, une tasse de thé à portée de main. Il y a tout d’abord le charme propre aux productions des années 1970 avec ce grain particulier, ses couleurs automnales, ses petites bourgades chichement éclairées, ses bars enfumés où les hommes seuls viennent noyer leur chagrin dans un verre de bière. Ensuite, il y a le pincement au coeur de voir l’une des plus grandes stars hollywoodiennes vieillir devant la caméra. Les yeux sont toujours brillants, mais le visage est marqué par la rosacée et les mains tachetées ne trompent pas sur les années qui ont passé.
Le Flic se rebiffe est un petit film bourré de charme, empreint d’une nostalgie qui émeut souvent, qui parvient à contenter les amoureux des histoires policières du style roman de gare avec un étonnant dénouement à tiroirs qui possède vraiment l’esprit d’une série noire. Heureusement, The Midnight Man, avec une mélancolie sous-jacente, la photographie duveteuse de Jack Priestley, la douce partition de Dave Grusin et la versatilité de ses personnages, parvient sans mal à se faire une place dans le coeur et même dans l’esprit des spectateurs.
LE BLU-RAY
Le Blu-ray du Flic se rebiffe est édité chez Movinside qui pour l’occasion inaugure une nouvelle collection Suspense/Polar avec également les titres Don Angelo est mort de Richard Fleischer (déjà chroniqué) et The Hit de Stephen Frears. La jaquette reprend un des visuels originaux du film et s’avère très élégante. Le menu principal est animé et musical. Aucun chapitrage et aucun supplément malheureusement.
L’Image et le son
Le film de Burt Lancaster et de Roland Kibbee n’était disponible qu’en import allemand. C’est donc une vraie rareté proposée par Movinside, d’autant plus que l’éditeur propose ce titre en Blu-ray. Malgré un grain aléatoire, heureusement conservé ceci dit, les scènes diurnes et nocturnes sont logées à la même enseigne et formidablement rendues avec ce master HD nettoyé de toutes défectuosités. Mis à part un générique un poil tremblant, les contrastes du chef opérateur Jack Priestley (Né pour vaincre), retrouvent une nouvelle densité. Les nombreux points forts de cette édition demeurent la beauté des gros plans, la propreté du master (hormis quelques points blancs), les couleurs ravivées, les noirs profonds et le relief des scènes en extérieur jour avec des détails plus flagrants. Quelques fléchissements de la définition, mais rien de rédhibitoire. Enfin, le film est proposé dans son format d’origine 1.85.
Les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio 2.0 sont propres, efficaces et distillent parfaitement la musique de Dave Grusin. La piste anglaise ne manque pas d’ardeur et s’avère la plus équilibrée du lot. Au jeu des différences, la version française, beaucoup moins dynamique, se focalise trop sur les dialogues au détriment de certaines ambiances et effets annexes. Aucun souffle constaté sur les deux pistes. Les sous-titres français ne sont pas imposés sur la version originale.
IN HELLréalisépar Ringo Lam,disponible en DVD et Blu-rayle 8 juillet2017chez Metropolitan Vidéo
Acteurs : Jean-Claude Van Damme, Lawrence Taylor, Marnie Alton, Malakai Davidson, Billy Rieck, Lloyd Battista, Carlos Gómez, Manol Manolov, Chris Moir…
Scénario : Eric James Virgets, Jorge Alvarez
Photographie : John B. Aronson
Musique : Alexander Bubenheim
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 2003
LE FILM
Kyle LeBlanc est un travailleur américain émigré en Russie. Après un coup de téléphone de sa femme, visiblement agressée, il se précipite chez lui, mais arrive trop tard. La loi niant l’évidence, il décide de se faire justice lui-même, et tue le meurtrier de sa femme. Il est alors envoyé dans une des plus dures prisons de Russie. La seule occupation des détenus est l’organisation de combats…
Ceux qui prétendent que Jean-Claude Van Damme n’est pas un bon comédien, n’ont sûrement pas vu les bons films. Et dans la filmographie de l’acteur belge il y a surtout un réalisateur qui a su tirer le maximum des capacités de JCVD, Ringo Lam. Né à Hong Kong, mais ayant fait ses études de cinéma à l’Université York à Toronto, le cinéaste aura tourné trois films avec Jean-Claude Van Damme, Risque maximum (1996), Replicant (2001) et In Hell (2003). Trois films prisés par les fans du comédien. Pourtant, si les deux premiers restent très célèbres, la troisième et à ce jour dernière association JCVD/Ringo Lam est tout aussi réussie et s’avère même un des meilleurs films de Van Damme des années 2000. Contrairement aux deux précédents, In Hell n’a pas bénéficié d’une sortie dans les salles françaises et a débarqué directement dans les bacs en 2004.
Dans la prison la plus corrompue et impitoyable de toute l’Europe de l’est, les prisonniers se battent les uns contre les autres lors de combats très violents organisés par le directeur et ses gardes. Kyle LeBlanc, condamné depuis peu pour avoir tué l’assassin de sa femme, devient, dans l’enceinte de la prison, un sauvage assoiffé de sang, une bête de combats déshumanisée. In Hell contient évidemment son lot de bastons, extrêmement brutales et chorégraphiées par David Leitch. Célèbre cascadeur et coordinateur, ce dernier a participé à la création des combats de Fight Club, de Matrix Reloaded / Matrix Revolutions, de 300, de La Vengeance dans la peau, tout en assistant le réalisateur ou même en dirigeant la seconde équipe sur Le Flingueur de Simon West, Wolverine : Le Combat de l’immortel de James Mangold, ou bien encore Captain America: Civil War d’Anthony et Joe Russo. Dernièrement, il était le coréalisateur du chef d’oeuvre John Wick, aux côtés de Chad Stahelski. Dans In Hell, ses chorégraphies sèches, réalistes, percutantes et ultra-violentes participent à la grande réussite du film, mais pas seulement.
JCVD signe une de ses meilleures prestations. En Russie, Kyle LeBlanc, un franco-américain expatrié voit sa femme violée et assassinée. L’assassin est arrêté, jugé, mais de bonne famille et le juge ayant été soudoyé, l’homme est acquitté. En sortant du tribunal, LeBlanc sort une arme et descend le meurtrier. La suite est racontée un peu plus haut. Jean-Claude Van Damme ne joue pas avec ses muscles dans le film de Ringo Lam, il s’en prend d’ailleurs plein la tronche à plusieurs reprises. In Hell est bien plus un drame qu’un véritable film d’action. Il n’est donc pas étonnant que certains aient pu être déroutés par la tournure que prend le film, puisque Van Damme, s’il joue effectivement des poings (mais jamais des pieds) dans la deuxième partie du film, passe la première à observer, le regard usé d’un homme abattu, la démarche lente et les épaules voutées. Il est absolument formidable, brillant, épatant du début à la fin, d’une sobriété exemplaire. Les séquences où son personnage se retrouve seul dans son cachot dégueulasse où l’eau des chiottes coule à côté de lui, sont incroyables, puisque le réalisateur crée de vrais instants poétiques et émouvants, comme lorsque Kyle retrouve la force de vivre grâce à un papillon de nuit.
De son côté, Ringo Lam instaure un climat oppressant, étouffant et sa prison glauque et paumée au milieu de nulle part en Russie – très bon décor – fait vraiment son effet. Certes, le film n’évite pas certains écueils liés au film de prison, comme le jeune prisonnier qui sert de chair fraîche aux plus déments, mais In Hell parvient sans mal à contourner les clichés grâce à un scénario très intelligent, une solide direction d’acteurs et une mise en scène toujours inspirée. Ainsi, aux côtés de JCVD, se démarque Lawrence Taylor, ancien joueur de football américain, 1m91, qui en impose dans le rôle du détenu 451. Présenté comme une bête féroce, qui arrache la langue de ses co-détenus à l’aide d’une pince, sous prétexte qu’ils sont trop bavards et qu’ils perturbent sa concentration pendant qu’il lit des ouvrages de philosophie, 451 se dévoile au fur et à mesure du film jusqu’à devenir un des personnages principaux, au même titre que JCVD.
In Hell n’est donc pas un remake de Coups pour Coups (Death Warrant) comme on pouvait le penser au départ, mais un film d’action divertissant, un thriller sombre et tendu, mais aussi un vrai drame qui démontre comment les conditions d’incarcération peuvent déshumaniser les êtres humains. In Hell est un des plus grands films avec Jean-Claude Van Damme, au même titre que Replicant.
LE BLU-RAY
In Hell fait partie d’un combo Blu-ray spécial Van Damme / Ringo Lam, aux côtés de l’édition HD de Replicant, qui sera chroniqué dans un second temps. A l’instar des éditions combo Black Eagle – L’arme absolue + Full Contact et The Order + Le Grand tournoi sorties en 2016, et comme celle récemment consacrée au cinéaste Albert Pyun, Mean Guns + Nemesis, Metropolian Video fait ainsi le bonheur des fans de la star belge. Le test a été réalisé à partir d’un check-disc. Une fois le disque inséré, le spectateur est invité à sélectionner le film de son choix. Dans les deux cas, le menu principal est fixe et muet, minimaliste, sans chapitrage. Seuls l’envoi du film, la sélection de la langue et le choix des suppléments sont proposés.
L’historien du cinéma et expert en cinéma d’arts martiaux, sujet auquel il a consacré quelques ouvrages, l’excellent Christophe Champclaux présente In Hell en avant-programme (3’). S’il déclare que le scénario n’est sans doute pas aussi original ou travaillé que celui de Replicant, Christophe Champclaux ne tarit pas d’éloges sur In Hell, « un film formidable, très bien écrit et à la brutalité inouïe ». Notre interlocuteur donne quelques informations intéressantes sur la production du film qui nous intéresse, notamment en ce qui concerne la chorégraphie des combats et la mise en scène de Ringo Lam.
S’ensuit un making of d’époque (16’), mal réalisé, marqué par une musique irritante et constante. Heureusement, quelques propos des comédiens sur les personnages, du coordinateur des cascades et des combats, du producteur sur les conditions de tournage et du directeur de la photographie sur la photogénie de Jean-Claude Van Damme, sans oublier des images du plateau et de la conception des effets visuels (le papillon de nuit) donnent un véritable intérêt à ce module promotionnel dans lequel JCVD indique que « ce film va cartonner et devenir culte […] ce sera mon meilleur film ».
L’Image et le son
Malgré un léger manque de concision sur certains plans, le master HD de In Hell (1080p, AVC) dépasse toutes les espérances. Les contrastes sont denses et très beaux, les ambiances nocturnes soignées, les teintes froides excellemment restituées, sans oublier les séquences en extérieur lumineuses. La propreté est évidente, les détails précis et riches, la colorimétrie respecte les partis pris esthétiques originaux, tout comme le léger grain heureusement conservé lors du transfert, mais plus appuyé sur les scènes sombres, qui entraînent un léger bruit vidéo. Enfin, n’oublions pas la profondeur de champ toujours appréciable, un relief omniprésent sur les séquences diurnes (aiguisées) ainsi qu’un piqué acéré.
In Hell bénéficie de pistes anglaise et française DTS-HD Master Audio 5.1. Dans les deux cas, la spatialisation s’avère agréable, les enceintes latérales délivrent un lot fort appréciable d’ambiances naturelles (l’orage en début de film), d’effets palpables, sans oublier la musique en soutien. Les bruitages lors des combats sont exsudés avec force par la centrale, la balance frontales-latérales est intelligemment équilibrée, l’ensemble est toujours dynamique et les basses interviennent à bon escient avec quelques pics remarquables. Dans les deux cas, aucun souffle n’est à déplorer, l’écoute demeure franche, puissante et limpide.
DON ANGELO EST MORT (The Don is Dead) réalisépar Richard Fleischer,disponible en DVD et Blu-rayle 27 juin2017chez Movinside
Acteurs : Anthony Quinn, Frederic Forrest, Robert Forster, Al Lettieri, Angel Tompkins, Charles Cioffi…
Scénario : Christopher Trumbo, Michael Butler d’après le roman The Don is Dead de Marvin H. Albert
Photographie : Richard H. Kline
Musique : Jerry Goldsmith
Durée : 1h52
Date de sortie initiale : 1973
LE FILM
Après le décès de Don Paolo, le chef de la mafia new-yorkaise, un Conseil réunissant les plus grandes familles du Milieu se réunit et désigne Don Angelo comme leur nouveau chef. Ce dernier prend sous sa protection Frank, le fils de Don Paolo et le désigne comme son héritier. Cet arrangement ne convient pas à Orlando, l’avocat d’un chef de famille rival et met tout en œuvre pour qu’une guerre éclate entre Don Angelo et Frank, guerre qui sera très sanglante…
L’immense Richard Fleischer (1916-2006) a déjà plus de trente longs métrages à son actif lorsqu’il réalise Don Angelo est mort –The Don is Deaden 1973. Alors qu’il s’attachait à décrire le quotidien professionnel et personnel d’une poignée de flic dans son film précédent, le merveilleux Les Flics ne dorment pas la nuit, le réalisateur de L’Etrangleur de Rillington Place et de Terreur aveugle, se penche ici sur l’autre côté de la loi, le monde de la mafia italo-américaine.
En (re)découvrant cet opus souvent oublié dans l’incroyable, prolifique et éclectique filmographie de Richard Fleischer, il est évident de constater que Don Angelo est mort découle tout naturellement du Parrain, sorti en 1971. De nombreuses séquences font d’ailleurs étrangement écho avec le chef d’oeuvre de Francis Ford Coppola, à tel point que cela en devient même troublant comme cette explosion de violence près des étals d’oranges ou bien encore un règlement de comptes chez le barbier. Mais Richard Fleischer est bien trop malin pour livrer un simple ersatz, ce qui lui a permis de survivre artistiquement dans cette décennie bousculée du 7e art.
Don Angelo (Anthony Quinn) règne en parrain vieillissant sur une puissante famille de la mafia. Son empire fait des envieux. Des rivaux montrent les dents. Le plus acharné de tous est Frank Regabulto (Robert Forster). Angelo et lui ont plus d’un compte à régler, en particulier en ce qui concerne une femme, Ruby, maîtresse de Frank et que Don Angelo a voulu aider pour lancer sa carrière de chanteuse. Devenu fou de jalousie, Frank s’en prend à Ruby, la frappe et l’envoie à l’hôpital. Attisée par la haine, la guerre se déchaîne entre les deux clans. Frank charge ses deux tueurs à gages, les frères Fargo, pour liquider le vieux Don. Mais Angelo, étroitement protégé par ses hommes, n’entend pas se laisser abattre facilement. Ses fidèles rendent coup pour coup. L’exécution du contrat se révèle meurtrière pour Frank et ses hommes.
Avant d’entamer le tournage de Soleil vert, un de ses plus grands et célèbres films, Richard Fleischer démontre une fois de plus son don et sa virtuosité pour passer d’un genre à l’autre. Sur un scénario de Christopher Trumbo et Michael Butler, d’après le roman The Don is Dead de Marvin H. Albert, le cinéaste dépeint un univers en s’attachant au moindre détail, ce qui a toujours fait sa renommée, avec parfois une dimension quasi-documentaire quand sa caméra portée s’immisce au cours d’une transaction drogue/argent, créant ainsi une tension permanente. A l’instar des Flics ne dorment pas la nuit et malgré la présence d’Anthony Quinn en haut de l’affiche dont le personnage donne son nom au titre du film, il n’y a pas de personnage principal dans Angelo est mort. Richard Fleischer passe de l’un à l’autre, jouant avec l’empathie du spectateur qui ne sait pas à quel protagoniste se raccrocher. Ainsi le metteur en scène présente tout d’abord Frank et ses portes flingues, les frères Fargo, Tony (Frederic Forrest) et Vince (Al Lettieri, qui sortait justement du Parrain), avant de passer à la séquence où les trois clans sont réunis pour désigner qui va prendre la succession du chef de la mafia. Le cinéma de Richard Fleischer est fait d’archétypes. Après cette introduction quasi-muette, le réalisateur présente donc chacun des personnages : Don Angelo DiMorra, Tony, Vince, Frank, Luigi, Mitch, Joe…ils sont tous là et leur fonction est désignée. Il y a les chefs, les hommes de main, les consiglieri. Ce procédé permet à Richard Fleischer de pouvoir commencer à peindre les portraits de tous ces acteurs, quel que soit leur rôle dans les diverses organisations.
Ces hommes, pères de famille, mari, amants, fils de, font partie du monde du crime. Certains espèrent devenir calife à la place du calife, à l’instar de Frank qui souhaiterait prendre la suite de son père récemment décédé, sans avoir le charisme ou l’expérience nécessaires, tandis que Tony – proche cousin de Michael Corleone – voudrait lui prendre ses distances avec l’organisation. Mais comme bien souvent dans ce milieu, un homme ambitieux que personne ne soupçonne prépare un coup en faisant en sorte que toutes ces organisations s’affrontent, afin de mieux en récolter les fruits. Et quoi de mieux que d’utiliser une femme pour déclencher une guerre interne.
Richard Fleischer suit le schéma du Parrain. Si ces hommes tentent de parler avant d’agir, les désirs refoulés prennent le dessus sans crier gare et engendrent une réaction en chaine d’actes violents et irréparables. Les scènes en famille tournées avec une vraie douceur contrastent avec la vendetta impitoyable à laquelle se livrent les personnages à l’instar de ce passage à tabac à coup de batte de baseball au milieu du désert, scène qui a sûrement inspiré Martin Scorsese pour le lynchage de Joe Pesci dans Casino. Le tournage en studio, qui a été très critiqué à la sortie du film, rajoute pourtant une touche au monde à part dans lequel déambulent les personnages, comme un Disneyland pour criminels.
Tout le monde est logé à la même enseigne dans Don Angelo est mort, véritable film choral à la mise en scène impeccable et élégante, interprétée par des acteurs aux tronches inoubliables. Techniquement irréprochable avec Richard H. Kline à la photographie et Jerry Goldsmith à la musique, The Don is Dead est un polar bien carré, une série B assumée et dissimulée dans l’ombre d’autres oeuvres majestueuses, pas une fresque mais plusieurs tranches de vies entremêlées. Comme il n’y a pas de « petits » Richard Fleischer – non, je ne parlerai pas de Conan le destructeur ni de Kalidor – la légende du talisman – Don Angelo est mort est donc à connaître absolument.
LE BLU-RAY
Le Blu-ray de Don Angelo est mort est édité chez Movinside qui pour l’occasion inaugure une nouvelle collection Suspense/Polar. La jaquette reprend un des visuels originaux du film et s’avère très élégant. Le menu principal est animé et musical. Aucun chapitrage et aucun supplément malheureusement. Mais la sortie d’un film de Richard Fleischer – en Haute-Définition qui plus est – est déjà un cadeau à part entière.
L’Image et le son
La qualité de ce nouveau master restauré HD convainc et redonne un certain panache à Don Angelo est mort, qui n’était alors disponible qu’en import. Les contrastes affichent une belle densité, la copie restaurée est propre et stable, même si les séquences en basse lumière perdent en détails. Le piqué est satisfaisant et de nombreux éléments jouissent de l’élévation HD (Blu-ray au format 1080p) sur les plans diurnes en extérieur. Alors certes, tout n’est pas parfait, quelques flous sporadiques font leur apparition, une ou deux séquences sont plus altérées et la définition a tendance à flancher, mais ces menus accrocs restent anecdotiques compte tenu de la clarté, du grain cinéma respecté, des couleurs pimpantes, des noirs denses et du relief parfois inattendu. Enfin, l’ensemble est consolidé par une compression AVC de haute tenue.
La version originale bénéficie d’un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 nettement plus performant que la piste française encodée de la même façon. Pour la première option acoustique, l’espace phonique se révèle probant, la composition de Jerry Goldsmith jouit d’une belle ouverture, le confort est concret, et les dialogues, malgré certaines saturations, demeurent clairs et nets. De son côté, la version française apparaît beaucoup plus feutrée avec des voix sourdes et des effets annexes très pauvres. Que vous ayez opté pour la langue de Shakespeare ou celle de Molière, aucun souffle ne vient parasiter votre projection et l’ensemble reste propre.
LES NUITS FACÉTIEUSES (Le Piacevoli notti) réalisépar Armando Crispino et Luciano Lucignani,disponible en DVD et Blu-ray le 27 juin2017chez ESC Editions
Acteurs : Vittorio Gassman, Gina Lollobrigida, Ugo Tognazzi, Adolfo Celi, Maria Grazia Buccella, Eros Pagni, Gigi Proietti, Carmen Scarpitta, Hélène Chanel, Luigi Vannucchi, Omero Antonutti, Paolo Bonacelli…
Scénario : Sandro Continenza, Steno
Photographie : Leonida Barboni, Erico Menczer, Gábor Pogány
Musique : Gino Marinuzzi Jr.
Durée : 1h52
Date de sortie initiale : 1966
LE FILM
Trois épisodes érotiques inspirés des « Nouvelles des Nuits facétieuses » écrites par Giovanni Francesco Straparola au cours des années 1550. Dans le premier épisode un noble devient l’amant d’une femme emprisonnée ; dans le second, un faux pape encourage les rêves érotiques d’une jeune fille et dans le dernier, lors d’une blague entre amis, une fausse Lucrèce Borgia est découverte dans une position amoureuse ambiguë avec un peintre au service d’un faux duc d’Este.
Dans les années 1960, l’époque du Moyen Âge a souvent inspiré la comédie italienne. En 1966 et 1970, Mario Monicelli signe L’Armée Brancaleone et sa suite Brancaleone s’en va-t-aux croisades, Ettore Scola de son côté met en scène Belfagor le Magnifique en 1966. Le film qui nous intéresse, Les Nuits facétieuses – Le Piacevoli notti a lui aussi été réalisé en 1966. Le point commun de tous ces longs métrages est d’avoir l’immense Vittorio Gassman pour tête d’affiche. Trois de ces titres sont donc sortis la même année avec la star italienne qui surfait alors sur le même registre en attirant des millions de spectateurs dans les salles.
Les Nuits facétieuses ressemble à un film à sketches, même s’il s’agit plutôt d’un passage de relais entre les comédiens d’une partie à l’autre. La première se focalise sur Ugo Tognazzi, la seconde sur Vittorio Gassman qui sert d’introduction au segment centré sur Gina Lollobrigida, avant de revenir à Vittorio Gassman à nouveau. Oeuvre inégale, Les Nuits facétieuses vaut comme bien souvent pour le jeu survolté et inspiré de ces trois monstres, même si la partie avec la voluptueuse Gina demeure la plus faible du lot. Le point de départ est pourtant très drôle : Domicilla est une jeune femme délaissée toutes les nuits par son mari scientifique qui préfère observer les étoiles plutôt que les formes de sa douce moitié. Alors qu’il rejoint le bercail au petit matin, le mari (Adolfo Celi) observe sa compagne plongée dans quelques rêves érotiques. Jusqu’au jour où ses songes semblent devenir réels. En fait, quelques soldats d’une garnison voisine profitent de l’absence de l’époux pour s’infiltrer dans la chambre de Domicilla, tout en lui faisant croire qu’il s’agit d’un rêve. Ainsi elle n’a pas à se soucier de son infidélité. Le problème avec ce genre de segments est souvent leur durée. Les deux réalisateurs, Armando Crispino et Luciano Lucignani auraient gagné à l’écourter afin d’obtenir quelques effets plus directs et percutants. Cette partie s’éternise quelque peu, créant un ventre mou entre les deux autres, par ailleurs excellentes.
On rit, on jubile de voir Ugo Tognazzi convoiter une jeune femme mariée à un vieil homme jaloux qui la séquestre, ou bien encore Vittorio Gassman en roi de la blague, qui à la suite d’un pari avec ses amis – il ne doit pas tomber dans un de leurs canulars – commence à se méfier de tout et de tout le monde. Si le film demeure on ne peut plus classique dans sa mise en scène, il serait injuste de bouder son plaisir.
Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman sont en pleine Commedia dell’arte et se livrent à de nombreuses pitreries dont ils avaient le secret. Souvent sur le fil entre le grotesque et le pathétique, ils interprètent des personnages hors norme et toujours attachants car avant tout humains, fourbes, obsédés sexuels et bons vivants. Tourné dans les magnifiques paysages naturels de la Toscane, Les Nuits facétieuses, farce médiévale inédite en France, divertit avec son ton gentiment grivois, jamais vulgaire, mais avec un soupçon d’érotisme combiné avec des plaisanteries bon enfant et une reconstitution soignée. Cela pourrait être anecdotique, mais le fait est que Les Nuits facétieuses est porté par des acteurs de génie qui étaient capables d’élever même le film le plus anodin.
LE DVD
Le DVD des Les Nuits facétieuses est disponible chez ESC Editions, dans la collection intitulée Edizione Maestro, consacrée aux grands maîtres du cinéma italien, dont certains films inédits sont même proposés en Haute-Définition ! La jaquette montre très légèrement Vittorio Gassman et joue étrangement sur la sensualité de la méconnue Maria Grazia Buccella. Le verso montre tous les titres déjà ou bientôt disponibles dans cette superbe collection ! Le menu principal est fixe et muet. Aucun chapitrage.
Nous rappelons que cette collection sortira dans les bacs en trois vagues. La première, celle déjà chroniquée dans nos colonnes, est sortie le 28 mars 2017 : Le Prophète de Dino Risi (Blu-ray et DVD), Brancaleone s’en va-t-aux Croisades de Mario Monicelli (Blu-ray et DVD), Moi, moi, moi… et les autres d’Alessandro Blasetti (DVD) et Bluff – Histoire d’escroqueries et d’impostures de Sergio Corbucci (DVD). La seconde vague, celle que nous explorons ici, est sortie au mois de juin et nous trouvons les titres suivants : Les nuits facétieuses d’Armando Crispino et Luciano Lucignani (Blu-ray et DVD), LeCanard à l’orange de Luciano Salce (Blu-ray et DVD), Les russes ne boiront pas de Coca Cola de Luigi Comencini (DVD) et Histoire d’aimer de Marcello Fondato (DVD). Il faudra attendre le mois de septembre pour compléter sa collection avec Il Gaucho de Dino Risi (Blu-ray et DVD), Belfagor le magnifique d’Ettore Scola (DVD), Sais-tu ce que Staline faisait aux femmes ? de Maurizio Liverani (DVD) et Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir d’Alberto Sordi (DVD).
Durant son excellente intervention, l’historien du cinéma Stéphane Roux (14’30) replace Les Nuits facétieuses dans le contexte du cinéma italien, en indiquant que le film a souffert à sa sortie de la comparaison avec L’Armée Brancaleone, malgré un beau succès dans les salles. Stéphane Roux est aussi critique avec le film, qu’il considère sans surprise et en indiquant également que les histoires manquent d’originalité. Enfin, l’historien passe en revue le casting et se penche sur la carrière des scénaristes et des réalisateurs.
L’interactivité se clôt sur une succession de bandes-annonces des douze films que comptera la collection Edizione Maestro.
L’Image et le son
Jusqu’alors inédit en DVD et remasterisé, Les Nuits facétieuses de Mario Monicelli bénéficie d’un beau transfert avec un grain naturel très bien géré, y compris sur les séquences sombres, même si les noirs paraissent bouchés. La définition est équilibrée malgré un générique marqué par quelques fourmillements et des couleurs fanées. Le master trouve un équilibre fort convenable tout de suite après. Les beaux partis pris esthétiques sont savamment pris en charge et restitués. Les contrastes sont plutôt bien appuyés, la copie affiche une propreté ainsi qu’une stabilité rarement prises en défaut et les séquences diurnes sont lumineuses à souhait.
Le film est proposé en langue italienne uniquement. La piste Dolby Digital 2.0 également restaurée offre un parfait rendu des dialogues, très dynamiques, et de la musique. Aucun souffle constaté. Le niveau de détails est évident et les sons annexes sont extrêmement limpides. Notons également les problèmes au niveau des retranscriptions des « oe » (« coeur » apparaît « ceur »). les sous-titres français sont imposés sur un lecteur de salon.
TARANTULA (Tarantula!) réalisépar Jack Arnold,disponible en coffret combo Blu-ray/DVD le 11 juillet 2017chez Elephant Films
Acteurs : John Agar, Mara Corday, Leo G. Carroll, Nestor Paiva, Ross Elliott, Edwin Rand, Raymond Bailey, Clint Eastwood…
Scénario : Robert M. Fresco, Martin Berkeley
Photographie : George Robinson
Musique : Herman Stein
Durée : 1h20
Date de sortie initiale : 1955
L’HOMME QUI RÉTRÉCIT (The Incredible Shrinking Man) réalisépar Jack Arnold,disponible en coffret combo Blu-ray/DVD le 11 juillet 2017chez Elephant Films
Acteurs : Grant Williams, Randy Stuart, April Kent, Paul Langton, Raymond Bailey, William Schallert…
Scénario : Richard Matheson, d’après son roman L’Homme qui rétrécit
Photographie : Ellis W. Carter
Musique : Irving Gertz, Earl E. Lawrence, Hans J. Salter, Herman Stein
Durée : 1h21
Date de sortie initiale : 1957
LES FILMS
Spécialiste des séries B, Jack Arnold Waks alias Jack Arnold (1916-1992) n’en est pas moins un immense réalisateur. Bien que disposant de budgets très modestes, le cinéaste a toujours su transcender son postulat de départ minimaliste…pour aller vers le gigantisme. Prolifique, Jack Arnold prend son envol dans les années 1950 où il enchaîne les films qui sont depuis devenus de grands classiques : Le Météore de la nuit (1953), L’Etrange Créature du lac noir (1954), La Revanche de la créature (1955), Tarantula (1955), L’Homme qui rétrécit (1957) sans oublier La Souris qui rugissait (1959). Au total, près d’une vingtaine de longs-métrages tournés à la suite, toujours marqués par le professionnalisme et le talent de son auteur, combinant à la fois les effets spéciaux alors à la pointe de la technologie, des personnages ordinaires et attachants, plongés malgré eux dans une histoire extraordinaire.
Tarantula
Dans un laboratoire isolé, le Professeur Gerald Deemer travaille sur la formule d’un nutriment spécial et bénéfique qui permettrait d’éradiquer la famine que menace de provoquer l’accroissement de population. Jusqu’à présent ses expérimentations n’ont pas réellement donné de résultats probants, mais de sérieux déboires. Un jour qu’il s’est absenté, deux de ses collègues s’injectent le nutriment, avec des conséquences effroyables les conduisant progressivement à la mort par ce qui semble être l’acromégalie. L’un des deux meurt, tandis que l’autre attaque le professeur et lui injecte le produit avant de mourir. Pendant leur combat, une tarentule géante qui a elle aussi reçu une injection s’évade de sa cage. Dès lors, elle ne cesse de grandir jusqu’à atteindre une taille exceptionnelleet s’en prend aussi bien au bétail qu’aux humains.
Entre deux westerns, Tornade sur la ville et Crépuscule sanglant, Jack Arnold a le temps d’emballer ce petit film fantastique où toute la population de l’état de l’Arizona est menacée par une gigantesque tarentule née d’expériences scientifiques. Une fois n’est pas coutume, la créature n’est pas d’origine nucléaire, du moins pas entièrement comme cela était souvent le cas à l’époque, mais la résultante d’un sérum spécial qui contient tout de même quelques éléments radioactifs, mis au point par des savants qui ont vu leur cobaye leur échapper et aller bien au-delà de ce qu’ils pouvaient imaginer. Tarantula demeure une référence du genre.
Sur une durée plutôt ramassée (1h20) et même s’il montre un être difforme avant même le générique, Jack Arnold préserve ses effets, à tel point que les spectateurs doivent attendre au moins la moitié du film pour que la tarentule géante fasse réellement son apparition, et encore par petites touches successives. Les personnages sont installés posément, ainsi que le cadre et les enjeux scientifiques. Arnold dose ses effets. Grâce à un montage inspiré, les séquences se suivent sans ennui, d’autant plus que le metteur en scène récompense ensuite largement son audience en enchaînant les scènes de destruction et d’affrontements, sans oublier les maquillages et les incroyables effets visuels (qui donneront quelques frissons aux arachnophobes) particulièrement réussis, réalisés à partir du déplacement d’une véritable araignée incrustée dans de véritables décors.
Pourquoi Tarantula fonctionne-t-il mieux que les autres films du même acabit qui s’affrontaient dans les salles ? Parce que Jack Arnold prend son sujet au sérieux et de ce fait crée une ambiance réaliste et empathique. Evidemment, Tarantula est avant tout un divertissement, mais le réalisateur ne se moque pas des spectateurs et essaye de leur offrir le film le plus réussi possible, même s’il doit le tourner très rapidement, en dix jours seulement, tout en récupérant une partie des partitions musicales de La Créature du lac noir et du Météore de la nuit afin de faire des économies. Ce sera exactement la même chose pour L’Homme qui rétrécit, chef d’oeuvre dont nous parlerons dans un second temps.
Tarantula est une œuvre très élégante, excellemment écrite et mise en scène, magnifiquement photographiée par le grand chef opérateur George Robinson (Le Fils de Frankenstein, La Maison de Frankenstein), et interprété par des acteurs investis (la brûlante Mara Corday, ancienne playmate et Scream Queen) et charismatiques. Pour l’anecdote, le film marque la seconde apparition à l’écran d’un comédien qui allait devenir une des plus grandes stars de l’histoire du cinéma. Il s’agit d’un certain Clint Eastwood (non crédité au générique), qui interprète ici le chef de l’escadron aérien qui affronte la créature dans le dernier acte. Même s’il apparaît masqué, les fans reconnaîtront le regard de l’acteur.
Tarantula n’a absolument rien perdu de son charme, de sa magie et de sa poésie.
L’Homme qui rétrécit
Lors d’un voyage en bateau, Scott Carey est plongé dans un brouillard radioactif et subit d’étranges transformations, jusqu’à voir sa taille réduite à quelques centimètres. Soudain, des situations de la vie quotidienne se transforment en cauchemars : un chat joueur ou une araignée deviennent des monstres sanguinaires qui peuvent vous tuer à chaque instant. Carey doit alors mettre à l’épreuve tout son courage et son intelligence pour survivre dans ce monde devenu hostile…
Deux ans après Tarantula et entre deux thrillers, Faux–monnayeurs et Le Salaire du diable, Jack Arnold réalise son chef d’oeuvre, L’Homme qui rétrécit – The Incredible Shrinking Man, d’après le roman The Shrinking Man du grand Richard Matheson (1926-2013), publié en 1956. L’écrivain signe d’ailleurs lui-même l’adaptation de son livre de science-fiction pour le grand écran. Soixante ans après sa sortie, L’Homme qui rétrécit demeure un modèle du genre avec la beauté incommensurable de ses effets spéciaux, la poésie et la philosophie du scénario, la direction artistique, la conduite du récit, la science du montage et une direction d’acteurs aussi juste que furieusement moderne.
En croisière dans le Pacifique avec son épouse Louise (Randy Stuart), Scott Carey (Grant Williams) est soudain enveloppé par un mystérieux nuage radioactif. Quelques mois plus tard, il constate avec stupeur que ses vêtements sont devenus trop grands pour lui. Il doit se rendre à l’évidence, aussi incroyable soit-elle : il a rapetissé et son poids va également en diminuant ! Les médecins lui expliquent qu’il a vraisemblablement été exposé à une radioactivité très supérieure à la moyenne. En quelques semaines, Scott passe de 1m85 à 93 centimètres. Le remède qu’on lui propose parvient à stopper sa décroissance. Hélas, ses effets s’avèrent très provisoires. Réduit à la taille d’un clou, Scott se retrouve un jour face à son chat qui le prend pour un insecte et commence à le poursuivre. Il parvient à s’en sortir indemne, mais atterrit dans la cave, qui devient alors un nouveau territoire hostile, où rôde une tarentule géante. Scott doit non seulement affronter ce nouveau danger, mais il doit également trouver de quoi manger, boire et un endroit où il puisse dormir en sécurité. Il s’arme alors d’une aiguille à tricoter qui à son échelle devient une épée, tout en trouvant refuge dans une boîte d’allumettes.
A l’instar de Tarantula, l’immense réussite de L’Homme qui rétrécit découle du sérieux avec lequel Jack Arnold empoigne son sujet. Le cinéaste y croit à fond et met en scène son film comme s’il s’agissait parfois d’un documentaire – Jack Arnold avait d’ailleurs été l’assistant du grand documentariste Robert Flaherty – sur la façon de survivre en milieu inhospitalier. Il n’y aura jamais de réelle explication sur la nature exacte du brouillard qui a enveloppé Scott et qui a entraîné son rapetissement, si ce n’est que l’homme en est une fois de plus la cause. Avec un art virtuose de l’ellipse, Jack Arnold montre les différents stades de la transformation de son personnage, tout d’abord étonné de voir ses vêtements qui se sont visiblement élargis suite à leur passage au pressing, avant de sérieusement commencer à envisager que c’est en fait lui-même qui rétrécit. Après une visite chez le médecin, il doit admettre que son corps continue de diminuer en taille, alors que son alliance glisse de son annulaire. Quelques plans suivants, alors que l’on venait de quitter Scott au volant de sa voiture, nous le retrouvons dans son salon, où il se trouve assis dans le fauteuil. Il fait la taille d’un enfant de 5 ans. La nouvelle commence à se répandre, les journalistes envahissent leur pelouse, le téléphone n’arrête pas de sonner, tout le monde veut avoir un scoop sur ce phénomène et objet de curiosité. Même le frère de Scott, visiblement attiré par l’appât du gain, l’encourage à jouer le jeu avec la presse, tandis que sa femme, très maternelle, semble se résigner à le voir rétrécir.
Louise, la femme de Scott, essaye de rester confiante, d’autant plus que le nouveau traitement semble avoir enrayé la transformation. Alors qu’il semble accepter sa nouvelle condition, surtout après rencontré par hasard une femme de petite taille, belle et épanouie, qui travaille dans un spectacle en tant que freaks, Scott, qui tombe visiblement sous le charme et qui voit que la vie demeure possible, se rend compte que le rétrécissement recommence et perd à nouveau ses moyens. Il s’enfuit. Nouvelle ellipse, il a désormais la taille d’un Playmobile et s’est installé dans une maison de poupées, qui à vrai dire ne change pas beaucoup de son domicile habituel.
Il y a deux films en un dans L’Homme qui rétrécit. Dans la première partie, le cinéaste présente ses personnages, les rend attachants en les plaçant dans le cadre banal de l’American Way of Life, jusqu’à ce que Scott soit contaminé par cette étrange atmosphère et qu’il commence à voir son corps changer. Ou comment le fantastique s’immisce dans le quotidien. Par la magie des décors, des accessoires et des incrustations, Jack Arnold rend crédible et réaliste le fait que son protagoniste rétrécisse à vue d’oeil. La séquence qui vient tout perturber est le combat cauchemardesque que Scott mène avec son chat, qui voit en lui une étrange souris, à l’issue duquel Scott se retrouve dans la cave. Un nouveau film commence, un véritable survival qui n’a absolument rien à envier à d’autres films du genre, même contemporain. De son côté, sa femme croit alors que Scott est mort, tué par son chat.
En dehors d’une voix-off réduite à son minimum à travers laquelle Scott raconte son histoire comme dans un journal de bord, L’Homme qui rétrécit devient un film quasiment dépourvu de dialogues, reposant uniquement sur la mise en scène. Et c’est fabuleux, extraordinaire et passionnant. Le spectateur suit désormais Scott, formidable et charismatique Grant Williams, découvrir ce nouvel environnement menaçant (qui lui était pourtant familier), où les fuites d’un chauffe-eau deviennent des trombes d’eau (le Marvel Ant-Man de Peyton Reed n’a évidemment rien inventé), une grille d’égout devient un précipice sans fond, une toile d’araignée devient un amoncellement de fils barbelés et le morceau de fromage placé sur une tapette à souris devient un festin convoité.
Le génie de Richard Matheson et celui de Jack Arnold s’allient pour offrir aux spectateurs l’un des plus grands, l’un des plus beaux et l’un des plus spectaculaires films fantastiques de l’histoire du cinéma. L’empathie de l’audience pour le personnage est telle qu’il n’est pas rare de cramponner les accoudoirs de son fauteuil au moment où Scott, réduit cette fois à la taille d’un dé à coudre, se retrouve coincé entre les huit pattes velues de son pire ennemi. Film d’aventures et d’action, drame et même tragédie, L’Homme qui rétrécit ne serait pas le même film sans son dénouement déchirant et ambitieux, qui ne cède en rien à la fin heureuse traditionnelle (malgré le souhait original des studios Universal), mais qui se double d’une réflexion métaphysique aussi inattendue qu’inoubliable, au même titre que l’épilogue de 2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Devant se résoudre à accepter sa condition, Scott, désormais débarrassé de la menace de la tarentule, est vivant et prêt à découvrir ce nouveau monde qui s’ouvre à lui et dont il est seul à pouvoir percevoir la beauté, tout comme sa propre place dans l’univers. Scott sort finalement grandi de cette aventure.
L’Homme qui rétrécit, entré au National Film Registry et conservé à la Bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis, souvent copié mais jamais égalé, est une étape indispensable pour les cinéphiles.
LE COFFRET
Le test des éditions HD de Tarantula et de L’Homme qui rétrécit, disponibles chez Elephant Films, a été réalisé à partir de check-discs. Cette édition contient également un livret collector rédigé par Matthieu Rostac, journaliste de « SoFilm » (48 pages), non envoyé par l’éditeur. Les menus principaux, sont animés et musicaux, jaune pour Tarantula et bleu pour L’Homme qui rétrécit.
Nous retrouvons sur les deux disques, le même portrait de Jack Arnold, dressé par l’imminent Jean-Pierre Dionnet, que l’on est heureux de retrouver en grande forme (7’). Visiblement passionné par son sujet, notre interlocuteur intervient pour réhabiliter le cinéaste, trop souvent oublié ou dont les films demeurent parfois sous-estimés, même s’il a largement contribué à renouveler le genre fantastique et l’horreur au cinéma après la Seconde Guerre mondiale. Dionnet passe en revue le parcours de Jack Arnold (avec ses débuts aux côtés du documentariste Robert Flaherty), ses sujets de prédilection, son éclectisme. Il évoque également le réalisme avec lequel le réalisateur abordait le fantastique, ce qui contribuait entre autres à la grande réussite de ses films. Jean-Pierre Dionnet clôt cette intervention en indiquant que « Jack Arnold est un maître ».
Chaque film est également présenté par le même Jean-Pierre Dionnet, qui en deux fois dix minutes, revient sur le casting, les effets visuels, les thèmes, la mise en scène, le tout ponctué d’anecdotes amusantes à l’instar des essais passés par Tamara, la tarentule star de Tarantula, qui a tellement convaincu Jack Arnold qu’il la réutilisera dans L’Homme qui rétrécit.
La section des bonus propose également une galerie de photos et des bandes-annonces.
L’Image et le son
Tarantula et L’Homme qui rétrécit sont présentés dans leur format original, dans un master entièrement restauré en Haute-Définition. Le premier avait connu une sortie plutôt confidentielle il y a dix ans chez Bach Films, tandis que le second était jusqu’alors disponible en DVD chez Universal depuis 2006, avant d’intégrer la collection Universal Classics (à la jaquette rouge) en 2012 chez le même éditeur. Les deux films font donc peau neuve chez Elephant Films, qui avait déjà édité Le Météore de la nuit et La Revanche de la créature en 2016, également en Haute-Définition. N’ayons pas peur des mots, ces Blu-ray au format 1080p sont superbes. Certes, quelques points blancs et noirs subsistent parfois, mais dans l’ensemble les copies sont immaculées et la quasi-totalité des scories a été nettoyée. Souvent tourné en extérieur, Tarantula bénéficie d’une image plus lumineuse que celle de L’Homme qui rétrécit et en dehors des stock-shots, essentiellement liés au raid aérien final, la copie HD est supérieure à celle de l’autre film de Jack Arnold, même si le piqué, la gestion du grain et des contrastes, sans oublier l’équilibre au niveau des fondus enchaînés sont du même acabit. Néanmoins, le Blu-ray de L’Homme qui rétrécit s’avère également magnifique. La restauration n’a pas cherché à gommer les couacs liés aux images composites aux images incrustées. De ce fait, les scènes durant lesquelles Scott affronte son chat et l’araignée occasionnent une définition plus vacillante, mais cela fait partie du charme du film.
Les bandes-sons ont été restaurées en version originale, disponibles en DTS-HD Master Audio Mono 2.0. Les dialogues, tout comme la musique, sont dynamiques et le confort acoustique très appréciable. Une très grande clarté qui participe également à la redécouverte des films de Jack Arnold, surtout en ce qui concerne L’Homme qui rétrécit, puisque le cinéaste joue également avec le son pour indiquer le rétrécissement du personnage principal. Si Tarantula n’est proposé qu’en version originale aux sous-titres français non imposés, nous trouvons – en plus de version anglaise – une piste française pour L’Homme qui rétrécit. Cette dernière s’avère peu convaincante avec son doublage qui semble avoir été réalisé récemment. Le résultat manque de naturel et se concentre essentiellement sur le report des voix, au détriment des effets et des ambiances annexes. Dans tous les cas, aucun souffle constaté.
Scénario : Marcello Fondato, Francesco Scardamaglia
Photographie : Pasqualino De Santis
Musique : Guido De Angelis, Maurizio De Angelis
Durée : 1h40
Date de sortie initiale : 1975
LE FILM
Gabriella Sansoni est une femme au caractère effacé, menant une vie monotone. Son mari, Andrea, ne lui prête aucune attention, totalement accaparé par son travail. Ce rythme est rompu par la convocation de Gabriella comme jurée. Elle doit siéger au procès d’une jeune femme, Tina, accusée d’avoir tué son mari, Gino. L’accusée est en prison depuis trois ans…
Dans les années 1970, une dizaine de grands noms font les beaux jours du cinéma italien avec les comédies de Dino Risi, Luigi Comencini, Ettore Scola, Mario Monicelli et consorts. Souvent, il n’est pas rare de retrouver le même acteur ou la même actrice à l’affiche de plusieurs films la même année. Mais l’une des spécialités italiennes était également d’associer plusieurs comédiens afin de mieux attirer l’audience dans les salles. C’est le cas d’Histoire d’aimer, titre français d’A mezzanotte va la ronda del piacere, réalisé par Marcello Fondato (1924-2008) en 1975, qui réunit à l’écran Monica Vitti, Claudia Cardinale, Giancarlo Giannini et Vittorio Gassman ! Une sacrée belle affiche pour un film somme toute banal et qui ne vaut vraiment que pour ses acteurs.
Pour Andrea (Vittorio Gassman), brillant ingénieur, le couple parfait est un homme qui décide et une femme qui exécute docilement. Mais bientôt sa femme Gabriella (Claudia Cardinale) est requise comme jurée au procès d’une jeune femme, Tina (Monica Vitti), accusée du meurtre de son mari Gino (Giancarlo Giannini) après qu’une de leurs disputes quotidiennes ait cette fois mal tourné. Il faut dire que Gino, quasi-clochard et obsédé sexuel, saute sur tout ce qui bouge et n’hésite pas à mettre quelques claques à Tina si celle-ci fait part de son mécontentement. Même s’ils ont de drôles de manières de se le dire, Tina et Gino s’aiment. Seule femme dans le jury, Gabriella croit en l’innocence de Tina. Parallèlement, elle prend conscience de sa position au sein de son propre couple, ce qui éveille en elle le désir de s’émanciper et de tenir tête à Andrea, qui se sert d’elle pour de basses besognes, comme répondeur téléphonique afin de filtrer les appels d’organismes à qui il doit beaucoup d’argent.
En plein âge d’or, le cinéma italien enchaîne les tournages. Soyons honnêtes, le film ne bénéficierait pas d’un tel casting, Histoire d’aimer serait probablement tombé dans le tout-venant avec son intrigue qui fait du sur-place, ainsi que son manque de rythme et de surprises qui a souvent raison de notre patience. L’exceptionnel quatuor de stars assure évidemment le spectacle, notamment Monica Vitti, qui présente sa défense du début à la fin et dont le témoignage s’imbrique à travers quelques flashbacks. Ainsi, plongé dans son passé, le personnage s’adresse parfois directement à la caméra comme si Tina regardait le juge au moment où elle relate ces faits. Le gros problème d’Histoire d’aimer est surtout sa mise en scène très paresseuse. On ne peut pas dire que Marcello Fondato ait vraiment marqué le cinéma italien, même s’il avait démarré sa carrière aux côtés de Luigi Comencini et de Mario Bava et si ses films avaient un grand succès à l’instar de Nini Tirebouchon avec Monica Vitti (dont les caprices n’ont eu de cesse de pousser à bout le cinéaste au fil de leurs tournages successifs) ou Attention, on va s’fâcher ! avec le duo mythique Terence Hill et Bud Spencer. Marcello Fondato passera le reste de sa carrière à écrire quelques Bud Spencer movies aux titres amusants, Mon nom est Bulldozer, Le Shérif et les Extra-Terrestres, Faut pas pousser, Capitaine Malabar dit La Bombe.
Même si Histoire d’aimer se penche parfois sur les violences conjugales (Monica Vitti se prend des dizaines de baffes, mais c’est supposé faire rire), le ton est trop léger et le récit répétitif. Cette comédie vaut donc pour le cabotinage de Vittorio Gassman et de Giancarlo Giannini, la beauté et la sensibilité de Monica Vitti et de Claudia Cardinale, ainsi que pour le génie de ces quatre monstres du cinéma.
LE DVD
Le DVD d’Histoire d’aimer est disponible chez ESC Editions, dans la collection intitulée Edizione Maestro, consacrée aux grands maîtres du cinéma italien, dont certains films inédits sont même proposés en Haute-Définition ! La jaquette centrée sur Giancarlo Giannini et Monica Vitti est très attractive et le verso montre tous les titres déjà ou bientôt disponibles dans cette superbe collection ! Le menu principal est fixe et muet. Aucun chapitrage. La jaquette indique que le film n’est jamais sorti en France, ce qui est faux. Histoire d’aimer a bien été exploité dans les salles hexagonales et sorti le 6 avril 1977.
Nous rappelons que cette collection sortira dans les bacs en trois vagues. La première, celle déjà chroniquée dans nos colonnes, est sortie le 28 mars 2017 : Le Prophète de Dino Risi (Blu-ray et DVD), Brancaleone s’en va-t-aux Croisades de Mario Monicelli (Blu-ray et DVD), Moi, moi, moi… et les autres d’Alessandro Blasetti (DVD) et Bluff – Histoire d’escroqueries et d’impostures de Sergio Corbucci (DVD). La seconde vague, celle que nous explorons ici, est sortie au mois de juin et nous trouvons les titres suivants : Les nuits facétieuses d’Armando Crispino et Luciano Lucignani (Blu-ray et DVD), LeCanard à l’orange de Luciano Salce (Blu-ray et DVD), Les russes ne boiront pas de Coca Cola de Luigi Comencini (DVD) et Histoire d’aimer de Marcello Fondato (DVD). Il faudra attendre le mois de septembre pour compléter sa collection avec Il Gaucho de Dino Risi (Blu-ray et DVD), Belfagor le magnifique d’Ettore Scola (DVD), Sais-tu ce que Staline faisait aux femmes ? de Maurizio Liverani (DVD) et Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir d’Alberto Sordi (DVD).
Le fidèle Stéphane Roux présente une fois de plus le film qui nous intéresse (9’). Grand spécialiste du cinéma italien, l’historien ne manque pas d’informations concernant la production d’Histoire d’aimer et raconte entre autres le calvaire enduré par le réalisateur Marcello Fondato en raison des caprices de Monica Vitti. Si cette dernière était très amie avec Claudia Cardinale, cela n’empêchait visiblement pas la comédienne de vouloir tirer la couverture, se renseignant par exemple sur le costume de sa partenaire, afin de mieux choisir le sien pour attirer les regards. Stéphane Roux évoque quelques situations houleuses, notamment Vittorio Gassman, pour qui le rôle de Gino avait été écrit, qui a tout simplement refusé de donner la réplique à Monica Vitti suite à un précédent tournage qui s’était avéré désastreux. Les rôles ont donc été inversés avec son partenaire Giancarlo Giannini.
L’interactivité se clôt sur une succession de bandes-annonces des douze films que comptera la collection Edizione Maestro.
L’Image et le son
Aïe, aïe, aïe…Alors…si la copie s’avère propre et stable, ce master s’avère complètement usé du point de vue des contrastes et des couleurs. La copie demeure terne du début à la fin, l’image est bien trop sombre, la définition ne trouve jamais d’équilibre, les flous ne sont pas rares, la gestion du grain est aléatoire et le piqué est sans cesse émoussé. En 2005, Histoire d’aimer avait été édité en DVD chez Seven7 Editions, mais ne proposait le film qu’en version française. Si nous pouvons enfin bénéficier de la piste italienne, force est de constater que le master semble avoir été dégoté dans un tréfonds de catalogue. Seules les poussières ont été éradiquées et rien ne nous permet d’apprécier les partis pris du grand chef opérateur Pasqualino De Santis, illustre directeur de la photographie à qui l’on doit les images inoubliables de Mort à Venise, Les Damnés, Une journée particulière ou bien encore L’Innocent. Quant au reste, le cinéphile devra faire preuve de beaucoup d’indulgence.
En italien comme en français, les pistes mono 2.0 s’avèrent plutôt bien nettoyées et offrent des conditions acoustiques suffisantes. Notons l’absence de souffle intempestif, mais la musique apparaît vacillante, les voix demeurent un peu sourdes et les saturations inévitables sur les dialogues plus poussés. Bien que le doublage soit assez réussi (Dominique Paturel prête sa voix à Vittorio Gassman), rien ne remplace le timbre original et si particulier de Monica Vitti. Signalons également un problème récurrent chez l’éditeur concernant les sous-titres. Tous les mots comprenant les lettres « œ » ne semblent pas être pris en compte. Ainsi « soeur » apparaît « sur », « coeur » devient « cur », etc…Enfin, la traduction laisse à désirer puisque les sous-titres suivent la version française, qui prend souvent de grandes libertés avec le récit, et non pas les dialogues originaux !
CLOWNréalisépar Jon Watts,disponible en DVD et Blu-ray le 28juin2017chez Wild Side Vidéo
Acteurs : Andy Powers, Laura Allen, Peter Stormare, Eli Roth, Christian Distefano, Elizabeth Whitmere, Graham Reznick, Chuck Shamata…
Scénario : Jon Watts, Christopher Ford
Photographie : Matthew Santo
Musique : Matt Veligdan
Durée : 1h37
Date de sortie initiale : 2014
LE FILM
Lorsque le clown engagé pour animer l’anniversaire de son fils leur fait faux bond, un père de famille doit prendre la relève et lui-même revêtir un déguisement de clown pour assurer le spectacle. Mais très vite, il réalise que le costume est devenu une seconde peau dont il ne pourra se débarrasser. A moins d’accomplir une mission macabre…
Halloween en 2010. Quelques internautes découvrent la bande-annonce d’un film d’horreur intitulé Clown. Tourné en un week-end par Jon Watts et son ami Christopher Ford, ce qui n’est au départ qu’une plaisanterie entre étudiants en cinéma se transforme en véritable phénomène sur internet. Le trailer est échangé partout dans le monde, d’autant plus que le film est annoncé comme étant « le nouveau film d’Eli Roth, le maître de l’horreur » ! Watts et Ford sont dépassés par les événements. Désarçonné quand on le félicite sur la bande-annonce de son prochain film, Eli Roth visionne la vidéo en question. Mais plutôt que d’intenter un procès au duo, ils les félicitent pour leur audace et leur proposent de transformer cette idée en véritable long métrage. Il s’engage même à produire réellement leur film s’ils y parviennent. Clown le film est né.
Sorti en 2014, ce film d’horreur américano-canadien reprend donc le même pitch annoncé dans la fausse bande-annonce. Pour l’anniversaire de son fils, Kent engage un clown devant animer la fête. Quand il lui fait faux bond, Kent est contraint de se déguiser lui-même. Il découvre avec horreur qu’il ne peut pas retirer le costume et cherche à comprendre l’origine de cette malédiction. Il y a de bonnes choses dans Clown, mais il y en a aussi de très mauvaises. Dans l’ensemble, le film est un bon divertissement, qui possède suffisamment de bons points pour emmener le spectateur jusqu’à la fin. Le postulat de départ est excellent, même s’il faut accepter une coïncidence « hénaaaurme ». En effet, alors que son fils et sa femme attendent l’arrivée d’un clown pour la fête d’anniversaire du fiston, Kent McCoy, agent immobilier, apprend que la société d’animation est obligée d’annuler. Kent est désolé pour son fils…mais attendez, le hasard est bien fait ! Alors qu’il se trouve dans une des maisons qu’il cherche à vendre, il trouve un costume de clown dans une vieille malle abandonnée au sous-sol ! « Alors ça par exemple, cela tombe bien » ! Kent débarque alors chez lui, perruque colorée, teint blanc, nez rouge, costume vintage et tralala, le môme aura une fête digne de ce nom ! Il y avait une chance sur combien de trouver un costume de clown, pile-poil au bon moment ? Voilà. Sur ce coup de bol incroyable, Clown démarre et le calvaire de son personnage principal aussi. C’est d’ailleurs ce qu’il y a de plus réussi dans le film.
Entre Le Loup-Garou de Londres de John Landis et La Mouche de David Cronenberg, saupoudré du Pennywise de Stephen King, Clown montre la lente transformation physique de Kent (Andy Powers, attachant), qui doit se rendre à l’évidence, le costume prend possession de lui, corps et âme. Il ne peut tout d’abord pas retirer sa perruque, qui semble être devenue sa nouvelle implantation capillaire, tout comme son nez rouge qui reste collé à son visage. Sa femme Meg (Laura Allen, peu convaincante) parvient à lui retirer le nez à l’aide de pinces, mais lui arrache au passage le bout de sa vraie truffe, que leur chien s’empresse de becter.
Franchement, si Clown avait su demeurer aussi fun (avec un humour noir plaisant), efficace et prometteur que cette première partie, le film aurait été une belle réussite. C’est après que les choses se gâtent, comme si Jon Watts et Christopher Ford, quelque peu décontenancés par cette opportunité, n’avaient pas su quoi raconter à partir de leur faux trailer original. Sans toutefois ennuyer l’audience et en devenant un nouvel ennemi des coulrophobes (prenez un dictionnaire), le film entre après dans les rangs du genre, celui de la possession d’un être humain par un démon, histoire évidemment narrée par un ermite (ce cabotin de Peter Stormare) qui connaît tout sur la malédiction et qui attendait patiemment qu’un pauvre couillon mette le costume de clown.
Kent disparaît à mesure que son costume devient organique (maquillage très réussi d’ailleurs) et qu’un pseudo-diable affamé (son ventre gargouille tout le temps) – interprété par Eli Roth lui-même en fin de mutation – prenne définitivement le contrôle de son corps pour aller dévorer quelques enfants. Ces séquences parfois sanglantes et toujours graphiques mettant en scène de très jeunes victimes, pourront d’ailleurs choquer les spectateurs les plus sensibles. Le gros bémol de Clown, ce ne sont pas ses rebondissements improbables, mais l’amateurisme de la mise en scène, le rythme peu maîtrisé (tout est trop lent ou au contraire les événements vont trop vite en besogne) et la paresse du scénario, très mal écrit, jusque dans le dernier acte, mauvais, vite expédié et qui part dans tous les sens.
Clown se regarde avec amusement, quelques scènes d’épouvante fonctionnent à l’instar du démon qui dévore les gamins dans une salle de jeux, comme si Ronald McDonald préparait ses propres Big-Mac. Dommage que la réalisation ne suive pas et avor souvent les effets de surprise ou destinés à faire peur aux spectateurs. Encore une fois, Clown, présenté en compétition au Festival international du Film Fantastique de Gérardmer en 2017, n’est pas déplaisant et se regarde volontiers, mais ne laissera pas un grand souvenir. Le film se situe en entre la série B et la série Z, à regarder avachi dans un BZ quoi. Toujours est-il que cela n’augure rien de bon pour Spider-Man : Homecoming dont la mise en scène a été confiée par Marvel à Jon Watts, suite à son film suivant Cop Car, avec Kevin Bacon, directement sorti en France en DVD. Mais bon, on ne s’attend pas non plus à un miracle pour l’énième retour de l’homme-araignée, mais c’est toujours bien d’y croire quand même. En attendant un autre comeback très attendu, celui de Pennywise en septembre 2017, sous la direction de l’excellent Andrés Muschietti.
LE BLU-RAY
Le test du Blu-ray de Clown, DTV disponible chez Wild Side Video, a été réalisé à partir d’un check-disc. Le menu principal est animé et musical.
Sortie technique, Clown s’accompagne d’un petit making of promotionnel de 6 minutes, constitué d’interviews d’Eli Roth, de la décoratrice Lisa Soper, des comédiens Laura Allen et Peter Stormare, du directeur de la photographie Matthew Santo et du responsable des maquillages David Santo. Très peu d’images de tournage à se mettre sous la dent dans ce module, qui revient essentiellement sur la genèse singulière de Clown.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Un DTV de plus dans l’escarcelle de Wild Side Vidéo ! Ce Blu-ray au format 1080p est encore une fois une grande réussite technique. La Haute-Définition sied à merveille aux films de genre et Clown ne déroge pas à la règle. La patine est délicate et léchée durant 1h40, les partis pris merveilleusement rendus. C’est un quasi-sans-faute technique : luminosité, relief, colorimétrie, piqué (acéré), contrastes (impressionnants), densité des noirs, on en prend plein les yeux, y compris sur les scènes moins éclairées. Les teintes froides s’allient avec les gammes chatoyantes, et chaque détail aux quatre coins du cadre large est saisissant. Ce transfert immaculé soutenu par une compression AVC solide comme un roc, offre les meilleures conditions pour découvrir le film de Jon Watts en France.
Les versions anglaise et française sont disponibles en DTS-HD Master Audio 5.1. Ces mixages en feront sursauter plus d’un grâce à ses effets latéraux et frontaux particulièrement puissants et immersifs. Le caisson de basses a fort à faire avec des effets bien sentis, les dialogues sont exsudés avec force sur la centrale et les ambiances naturelles et dérangeantes ne manquent pas, surtout durant les vrombissements. Le changement de langue est verrouillé à la volée et les sous-titres français imposés sur la version anglaise.