LES FEUILLES MORTES (Kuolleet lehdet) réalisé par Aki Kaurismäki, disponible en DVD et Blu-ray le 6 février 2024 chez Diaphana.
Acteurs : Martti Suosalo, Alma Pöysti, Alina Tomnikov, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen, Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen, Nuppu Koivu…
Scénario : Aki Kaurismäki
Photographie : Timo Salminen
Durée : 1h17
Date de sortie initiale : 2023
LE FILM
Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacune tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Leur chemin vers ce but louable est obscurci par l’alcoolisme de l’homme, la perte d’un numéro de téléphone, l’ignorance de leur nom et de leurs adresses réciproques. La vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur.
C’est chaque fois la même chose ou presque avec Aki Kaurismäki. On connaît la musique, on sait ce qui nous attend, on se dit qu’il va nous ressortir la même galerie de personnages et pourtant au final on est cueilli. Les Feuilles mortes – Kuolleet lehdet est le vingtième long-métrage du réalisateur finlandais (sans compter ses nombreux clips musicaux, ses courts-métrages et ses segments de films collectifs) et cet opus ne s’écarte pas d’intentions et de partis-pris esthétiques déjà installés par le passé, ce qui donne souvent au cinéma d’Aki Kaurismäki un aspect aussi intemporel qu’anachronique. Récompensé par le Prix du Jury au Festival de Cannes, Les Feuilles mortes n’est pas le troisième et dernier volet de la trilogie des migrants constituée des films Le Havre (2011) et L’Autre Côté de l’espoir (2017), mais un « complément » à celle du prolétariat, initiée en 1986 avec Ombres au paradis, qui sera aussi prolongée d’Ariel (1988) et de La Fille aux allumettes (1990). Si le cinéaste avait déclaré prendre sa retraite après L’Autre Côté de l’espoir, il en sort donc six ans après pour nous livrer un nouveau bijou. Rapide (75 minutes), concis, merveilleusement interprété, drôle, politique, Les Feuilles mortes foudroie autant le coeur que l’âme. Un des indispensables de 2023.
Ansa est célibataire et vit à Helsinki. Elle travaille dans un supermarché sur la base d’un contrat zéro heure en remplissant les rayons et triant les articles dont les dates de consommation sont dépassées. Virée pour la récupération d’un sandwich périmé, elle devient plongeuse dans un pub, puis manutentionnaire dans une fonderie. Une nuit, dans un bar karaoké, elle croise Holappa, un travailleur tout aussi solitaire, et alcoolique. Malgré l’adversité et les malentendus, ils tentent de construire une relation. Par la suite, Holappa va tout faire pour maîtriser son alcoolisme.
La situation politique (la guerre en Ukraine, omniprésente via les informations à la radio), le chômage, l’alcoolisme, le danger des métiers ouvriers, la solitude, la dépression…Il y a plus de sujets abordés en 1h15 chez Kaurismäki que durant les 2h30 d’un film américain. Le réalisateur nous invite une fois de plus à entrer dans un conte romantico-politico-social, qui pourrait se passer dans n’importe quel pays européen. Les aficionados de son univers retrouveront une ribambelle de personnages truculents et lunaires, typiques de leur auteur, où trônent Jussi Vatanen (vu dans le génial Very Cold Trip) et Alma Pöysti, un des plus beaux couples de l’année au cinéma. On y reconnaît aussi Janne Hyytiäinen, déjà présent dans L’Autre Côté de l’espoir et Les Lumières du faubourg, Sakari Kuosmanen (L’Homme sans passé, Juha, Au loin s’en vont les nuages) et bien d’autres comédiens vus dans le film précédent d’Aki Kaurismäki, qui filme leurs visages éteints dans un club miteux où l’on peut s’adonner au karaoké le vendredi soir, histoire de voir si on a encore du souffle ou pour écluser les bières les unes après les autres.
Car à part picoler et respirer, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire à Helsinki. Alors, quand le regard d’Ansa croise celui d’Holappa, cela change forcément du train-train habituel. Et si c’était de l’amour ? Un coup de foudre même ? Évidemment, rien ne va se passer « facilement » ou comme prévu, le destin va s’en mêler en les séparant un moment, en les faisant se retrouver, avant de les écarter à nouveau l’un de l’autre, puis…Parviendront-ils à se rejoindre à nouveau ? Il se dégage des Feuilles mortes une naïveté toujours aussi bouleversante et touchante, un parfum de nostalgie, une fantaisie, un optimisme, le tout amené avec une virtuosité discrète et une technique irréprochable.
Cette comédie-dramatique ou ce « drame drôle » est un formidable divertissement, un vibrant hommage au cinéma – où l’on voit ou entend parler de Jean-Luc Godard, Robert Bresson, Jim Jarmusch, John Huston, Luchino Visconti, Charles Chaplin (jusqu’au plan final qui renvoie à celui des Temps modernes) – qui proposera toujours une évasion pour échapper à un monde fou et qui va de plus en plus mal. Aki Kaurismäki est conscient de l’état de la planète, la guerre en Ukraine est comme nous le disions commentée à plusieurs reprises au fil du récit, c’est juste qu’il croit en son art, à la capacité du septième art de servir de portail vers un monde pas forcément meilleur (pas étonnant que le tandem trouve refuge dans une salle obscure, même pour y voir des zombies), mais où un homme et une femme se voient offrir une deuxième chance pour avancer et être accompagné dans l’existence, où l’espoir est permis.
Ça fait du bien le spleen et c’est surtout très beau et réconfortant de voir que deux feuilles mortes tombées du même arbre peuvent se poser l’une à côté de l’autre. Vous reprendrez bien un peu de salade d’asperges ?
LE DVD
Cinq ans après L’Autre côté de l’espoir, Diaphana se charge encore une fois du service après-vente pour un film d’Aki Kaurismäki. Les Feuilles mortes est disponible en DVD et Blu-ray. Le menu principal est animé et musical.
Aux côtés de la bande-annonce, l’éditeur propose une rencontre avec Marcos Uzal, rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma (23’). Une présentation du film doublée d’un retour sur l’ensemble de la carrière d’Aki Kaurismäki. Si les habitués de son cinéma n’apprendront finalement pas grand-chose, les autres risquent de trouver leur compte puisque Marcos Uzal replace intelligemment Les Feuilles mortes dans la filmographie du cinéaste finlandais, évoque les différentes trilogies de son œuvre, la singularité de ses personnages, l’esthétique habituelle de ses longs-métrages, l’anachronisme récurrent de ses histoires, de leurs motifs et des partis-pris. Les références au cinéma dans Les Feuilles mortes, ainsi que l’aspect politique du film (avec la guerre en Ukraine via les informations radiophoniques) sont aussi abordés au fil de cette excellente intervention.
L’Image et le son
Diaphana livre un superbe master SD des Feuilles mortes, restituant admirablement la belle photographie colorée de Timo Salminen (Poissonsexe). L chef opérateur privilégie les gammes sombres et grisâtres, mais en y incorporant évidemment des teintes bleues, vertes, rouges et jaunes typiques de l’univers de Kaurismäki. La clarté est de mise, le relief est flagrant et les détails précis. Les contrastes sont à l’avenant, les séquences sombres sont aussi fluides et définies que les scènes diurnes, le piqué est très agréable (et ce malgré un beau grain argentique), les noirs denses et l’encodage demeure solide jusqu’à la fin.
Le spectateur plonge directement dans l’ambiance du film grâce à une piste Dolby 5.1 particulièrement immersive. Les voix sont solidement plantées sur la centrale tandis que la balance frontale distille ses effets avec ardeur. Les latérales sont constamment mises à contribution. Stéréo également de très bon acabit et qui conviendra à ceux qui ne seraient pas équipés sur la scène arrière.