
UNE FEMME EST PASSÉE (Nunca pasa nada) réalisé par Juan Antonio Bardem, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 30 septembre 2025 chez Tamasa Distribution.
Acteurs : Corinne Marchand, Antonio Casas, Jean-Pierre Cassel, Julia Gutiérrez Caba, Alfonso Godá, José Franco, Rafael Bardem, Matilde Muñoz Sampedro…
Scénario : Juan Antonio Bardem, Henry-François Rey & Alfonso Sastre
Photographie : Juan Julio Baena
Musique : Georges Delerue
Durée : 1h33
Date de sortie initiale : 1963
LE FILM
Contrainte à rester hospitalisée dans un village espagnol en raison d’une crise d’appendicite, une artiste française déchaîne les passions et les rumeurs, d’autant plus que le médecin marié qui s’occupe d’elle commence à la désirer.

S’il y a bien un réalisateur espagnol que nous n’aurons de cesse de réhabiliter, c’est assurément Juan Antonio Bardem Muñoz (1922-2002), véritable institution dans son pays, car ayant profité de son art pour lutter contre le régime franquiste. Enfant de la balle, fils de parents comédiens, lui-même le frère de l’actrice Pilar Bardem et oncle du légendaire Javier (voilà, vous avez le lien, si vous vous posiez la question), Juan Antonio Bardem (son nom d’artiste, légèrement raccourci donc) est le metteur en scène du mythique Mort d’un cycliste – Muerte de un ciclista, son film le plus célèbre, récompensé par le Prix FIPRESCI au Festival de Cannes, qui traite et dénonce les mœurs bourgeoises espagnoles sous le régime de Franco. On pourra aussi citer l’étonnant La Corruption de Chris Miller – La Corrupción de Chris Miller (1973), véritable giallo ibérique avec Jean Seberg, une adaptation en mini-série de L’Île mystérieuse (1973) de Jules Verne, avec Omar Sharif en capitaine Nemo. Et ce n’est qu’une petite partie d’une filmographie aussi rare que précieuse. Aujourd’hui, nous ajoutons à celle-ci Une femme est passée – Nunca pasa nada (1963), l’un de ses plus beaux et grands longs-métrages. Derrière ce drame passionnel, Juan Antonio Bardem dresse le portrait d’une petite communauté, microcosme de la société espagnole, dont les rouages trop bien huilés vont subitement grincer en raison d’un grain de sable coincé dans la mécanique. Celui-ci prend l’apparence d’une jeune femme, une étrangère, une française, artiste, libre, dont la beauté insolente et l’activité de danseuse vont devenir le sujet unique de conversation. Magistralement réalisé par un cinéaste au sommet de son art et magnifiquement interprété par une distribution franco-ibérique, Une femme est passée est un sommet, un chef d’oeuvre dans la carrière d’un auteur qu’il est important de redécouvrir.


Dans ce bourg espagnol, à 400 kilomètres de Santander, » il ne se passe jamais rien « . Arrive, un jour d’automne, l’autocar d’une tournée théâtrale, qui dépose à l’hôpital une danseuse française, Jackie, prise d’une crise d’appendicite. Aussitôt se cristallisent autour de cette jeune fille, dont on dit qu’elle fait du strip-tease, le désoeuvrement des uns, l’hypocrisie des autres, la médisance des femmes et les désirs refoulés des hommes. Jackie devient l’obsession de la ville. Le chirurgien qui l’a opérée, Eduardo, se prend pour elle d’une violente passion, la fait loger en ville, l’emmène dans sa propriété de campagne, délaisse de plus en plus sa femme, Julia, que d’ailleurs il n’aime guère…


« J’ai envie de vivre et pas comme une putain ! Comme une fille de mon âge ! »
Personne n’aurait pu prévoir que l’une des filles de la grande compagnie internationale de revue, allait se sentir mal dans le bus et allait avoir une crise d’appendicite ! Cette jeune française, danseuse de cabaret, va donc être contrainte et forcée à passer quelques jours dans cette ville de province espagnole, où sa présence va provoquer la passion chez deux hommes en particulier. Le premier est le médecin qui s’est occupé d’elle. Enrique, 51 ans, est un homme triste, mélancolique, qui se sent vieux et qui considère qu’il n’a jamais rien fait qui en vaille la peine. Marié depuis toujours, il est instantanément bouleversé par Jacqueline, ange blond à la peau diaphane et vêtue de blanc, qui contraste violemment avec la vie trop bien rangée de chaque habitant, qui se laisse vivre (ou dépérir) dans cette atmosphère étouffante, sans que rien ne dépasse. Le second individu qui croise la route de Jacqueline est Juan, professeur de français, passionné par la poésie, qui lui aussi paraît perdu dans ses sentiments.


Juan Antonio Bardem dirige rien de moins que Corinne Marchand, qui venait d’enchaîner Lola de Jacquies Demy et Cléo de 5 à 7 d’Agnès Varda, Antonio Casas, qui retrouvait alors le réalisateur huit ans après Mort d’un cycliste, et Jean-Pierre Cassel, encore tout auréolé du succès des Jeux de l’amour et de L’Amant de cinq jours de Philippe de Broca. Trois comédiens, dont la prestation est à couper le souffle et auxquels on peut aussi ajouter celle de Julia Gutiérrez Caba, bouleversante dans le rôle de Julia, la compagne d’Enrique. Signalons aussi l’enivrante musique composée par Georges Delerue, qui donne à l’ensemble un aspect Nouvelle Vague française, déjà représentée par la présence de Corinne Marchand.


Comment la rumeur se déploie ? Pourquoi une personne devient-elle soudain à la fois l’objet de toutes les convoitises et l’être qu’il faut condamner ? Le « diable » pour les habitants de cette ville passée au microscope avec l’oeil d’un entomologiste, est une sublime et solaire créature, qui a tout pour elle. Jeune, belle et surtout libre, elle n’a rien à faire dans cette citée endormie, où l’on est habitué à voir les jours passer, dans une paralysie consentante, une hypnose quasi-innée, un immobilisme volontaire.


Une femme est passée rejoint ainsi dans ses thématiques Mort d’un cycliste, mais aussi et surtout Grand-rue (1956), film sur lequel Bardem fut incarcéré par les autorités franquistes, dans lequel l’action se déroulait également dans une petite ville de province, où la grande distraction est la promenade dans la grand-rue, où tout le monde a l’habitude de se retrouver. Jusqu’au jour où un groupe de jeunes hommes désœuvrés, pour échapper à l’ennui, organise des blagues cyniques dont leurs concitoyens font les frais. Un de ces señoritos, Juan, feint d’être amoureux d’Isabel, une vieille fille de 35 ans au physique très commun. Celle-ci s’éprend de lui et s’épanouit de bonheur. Mais un ami, apprend la vérité à Isabel. Juan réalisera trop tard la lâcheté de son geste. Une femme est passée fonctionne de la même manière, avec des personnages encore plus désabusés, jaloux et frustrés, qui se rendent compte que le temps a passé, qu’ils n’ont profité de rien et n’ont d’ailleurs pas pu le faire dans ce monde sous cloche, comme si un dôme équivalent à celui du roman éponyme de Stephen King, les isolait du reste du monde.


Forcément, quand Jacqueline débarque en ville, cette apparition agit comme un miroir dressé qui reflète le vide de leur existence et dévoile aussi qu’une seconde chance est impossible. Édifiant, magistral, bouleversant et indispensable.


LE COMBO BLU-RAY + DVD
Plus de dix ans après l’édition en DVD de Mort d’un cycliste, Tamasa revient à Juan Antonio Bardem, en proposant cette fois Une femme est passée, dans un superbe Combo Blu-ray + DVD. Les deux disques reposent dans un boîtier Digipack à deux volets, élégamment illustré. Le menu principal est fixe et musical.


Cette édition propose est une intervention de Bernard Payen (37’). Le responsable de programmation à la Cinémathèque française retrace tout d’abord la carrière de Juan Antonio Bardem, réalisateur emblématique du cinéma espagnol, évoque son parcours, ainsi que ses œuvres les plus célèbres et représentatives. Il en vient à Une femme est passée, qu’il met en parallèle par ses thématiques avec Mort d’un cycliste. Les personnages, la dimension politique du film, sa réception critique, la mise en scène, le casting et la musique sont aussi les points abordés.

La bande annonce, en version originale, mais aussi en VF, est aussi au programme.
L’Image et le son
Difficile de faire mieux que cette restauration 2K. Tamasa Distribution présente un master au format respecté d’Une femme est passée. Un Blu-ray tout à fait convaincant, muni d’une définition solide et un N&B souvent étincelant. Les contrastes sont d’une densité impressionnante, les noirs profonds, les blancs lumineux et le grain original préservé. En dehors d’une ou deux séquences peut-être moins définies, les nombreuses séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes plus claires, le piqué est tranchant, la stabilité de mise, les détails étonnent par leur précision et la profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Juan Antonio Bardem et la photo du chef opérateur Juan Julio Baena (Par un beau matin d’été).

Il n’y a rien de bien méchant à signaler concernant la piste espagnole 2.0 qui demeure de fort bon acabit et propre, si ce n’est quelques dialogues étrangement plus sourds que d’autres au cours d’une même séquence, ou bien diverses résonances et saturations émaillées par-ci, par-là. La version française, manque quant à elle un peu de naturel et se focalise trop sur le rendu des voix. Aucun souffle constaté.


Crédits images : © Tamasa / Studio TF1 Cinéma / Mercury Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr
