U-TURN (U-Turn : ici commence l’enfer) réalisé par Oliver Stone, disponible en DVD et Blu-ray le 21 septembre 2021 chez L’Atelier d’Images.
Acteurs : Sean Penn, Jennifer Lopez, Nick Nolte, Powers Boothe, Claire Danes, Billy Bob Thornton, Jon Voight, Joaquin Phoenix…
Scénario : John Ridley, d’après son roman
Photographie : Robert Richardson
Musique : Ennio Morricone
Durée : 2h04
Date de sortie initiale : 1997
LE FILM
Bobby Cooper casse une durite de sa rutilante Ford Mustang rouge de juin 1964 sur une route isolée dans le désert. Il se rend à la petite ville de Superior en Arizona, où Darrell le seul garagiste local un peu farfelu et surtout malhonnête lui annonce des délais de réparations imprévisibles et importants. Obligé de prendre son mal en patience, Bobby a l’occasion de se frotter à l’hostilité et à la stupidité des locaux mais aussi de s’attirer des ennuis lorsqu’il tente de séduire la captivante Grace qui est mariée à l’irascible Jake.
Après le beau succès de Tueurs-nés – Natural Born Killers en 1994 qui l’a remis en selle après l’important échec commercial d’Entre Ciel et Terre – Heaven & Earth l’année précédente, Oliver Stone (né en 1946) peut enfin plancher sur un film qui lui tient à coeur, Nixon. Malheureusement, malgré des critiques enthousiastes, ce biopic est un four dans les salles, ne rapportant que 14 millions de dollars aux Etats-Unis et un peu plus de vingt millions dans le reste du monde, pour un budget alors colossal de 50 millions. Profondément atteint par ce rejet en masse, d’autant plus que sa situation personnelle partait également en sucette, le réalisateur connaît l’une des plus mauvaises passes de sa vie. Tout ce mal-être, cette remise en question imposée et cette folie doivent s’extérioriser. La catharsis arrive rapidement. Oliver Stone jette son dévolu sur le roman de John Ridley Ici commence l’enfer – Stray Dogs, l’écrivain adaptant lui-même son propre livre, même s’il a été prouvé par la suite que le metteur en scène aura intégralement repris le scénario, qui rappelle d’ailleurs furieusement le génial Red Rock West de John Dahl (1993). Ainsi naquit douloureusement U-Turn : ici commence l’enfer, le plus dingue et le plus jubilatoire des filmsde l’auteur de Platoon, Wall Street, The Doors et JFK. Un quart de siècle après sa sortie, qui était passée complètement inaperçue, cet opus n’a eu de cesse de voir son audience et ses aficionados croître, au point de figurer souvent dans le top 5 des films d’Oliver Stone préférés des cinéphiles. U-Turn n’aura donc pas connu de succès immédiat, mais aura au moins permis au cinéaste de chasser (provisoirement ou définitivement ?) ses démons, de se réinventer, de se purger, de trouver une nouvelle bouffée d’air frais, puisque deux ans plus tard, il connaîtra son plus grand hit après Platoon, L’Enfer du dimanche – Any Given Sunday. En l’état, U-Turn : ici commence l’enfer est un…PUTAIN DE CHEF D’OEUVRE.
Bobby Cooper ne pensait pas vivre les pires mésaventures de son existence lorsqu’il roulait à tombeau ouvert vers Las Vegas, sur une route de l’Arizona. Cependant, une panne mécanique le plonge dans un univers des plus incongrus. Dans une ville isolée où il cherche à réparer sa décapotable, les ennuis le poursuivent. Bobby rencontre Darrell, un mécanicien qui se montre rassurant, puis fait la connaissance d’un étrange Indien et d’une ravissante métisse, Grace. En répondant à ses avances, Bobby anticipe le naufrage. Jake, le mari, rapplique, s’ensuit une bagarre, puis une proposition d’assassinat qui sera récompensée par une forte somme d’argent…
U-Turn : ici commence l’enfer est un voyage au bout de nulle-part. Si la Terre était plate (n’en déplaise à certains), nul doute que cette petite bourgade appelée Superior serait plantée au bord du précipice. Sous une chape de plomb, leurs pas faisant claquer l’asphalte cloqué par le soleil ardent, les habitants apparaissent comme des âmes damnées et symbolisent à la fois les rebus de la société, mais aussi les victimes du rêve américain, les parias, les résidus. Oliver Stone ne juge jamais ses personnages, s’ils sont là c’est qu’ils n’ont pas eu le choix, soit ils y sont nés, soit ils y ont trouvé refuge. Ceux-ci n’interfèrent pas ou pas trop avec les autres, chacun semble avoir un rôle bien déterminé. Dans U-Turn, le temps semble s’être arrêté ou embrouillé puisqu’on y croise un ancien soldat du Vietnam aveugle (ou pas) incarné par Jon Voight, complètement perché ou au contraire le plus éclairé du lot, un jeune de vingt ans au look tout droit hérité des années 1950 (Joaquin Phoenix, déjà bercé par Ring of Fire de Johnny Cash), ainsi qu’un shérif (Powers Boothe) semblant débarquer de la fin du XIXe siècle. C’est là qu’atterrit notre personnage principal Bobby, campé par un extraordinaire Sean Penn, qui enchaînait alors les tournages, ici entre She’s So Lovely de Nick Cassavetes et The Game de David Fincher. On pense tout d’abord qu’il sera notre vecteur, celui sur qui on se raccrochera dans ce rollercoaster édifié dans un pandemonium, avant de déchanter très vite puisqu’on se rend compte que Bobby est un loser de première catégorie. Du coup, l’audience assiste à une réaction en chaîne où celui que l’on pensait être maître de son destin, va s’en prendre plein la tronche, être manipulé, humilié, frappé et…bien plus.
U-Turn : ici commence l’enfer est un film prodigieux, du très grand cinéma comme on l’aime, dégénéré, virtuose, vénéneux, électrique, malsain, jouissif, à l’image du personnage incarné par la sulfureuse Jennifer Lopez, 28 ans, qui venait d’illuminer le pourtant sombre Blood and Wine de Bob Rafelson et d’aller faire la chasse à la grosse bébête dans Anaconda, le prédateur de Luis Llosa. La comédienne, qui n’avait pas sorti son premier album et son titre phrase If You Had My Love, trouve ici son plus grand rôle au cinéma avec celui de Karen Sisco dans Hors d’atteinte – Out of Sight de Steven Soderbergh. Magnétique, sexuelle, animale, charnelle, troublante, énigmatique, elle devient l’objet de toutes les convoitises et l’incarnation parfaite de la femme fatale dans cette relecture du film noir et donc du western. Oliver Stone et son chef opérateur Robert Richardson (Shutter Island et Casino de Martin Scorsese) donnent à leur image un aspect cramé et crasseux, au grain argentique grumeleux, comme si la pourriture ambiante parasitait tout, à l’instar de la dentition du garagiste Darrell (Billy Bob Thornton, méconnaissable) et la psyché de Jake McKenna (Nick Nolte), l’ogre inoubliable du film. Et n’oublions pas la partition du mestro Ennio Morricone qui crée constamment un décalage, une harmonie du désaccord.
Comme le personnage de Sean Penn, on ressort lessivé, exténué, mais bordel qu’est-ce que ça fait du bien de replonger dans cet univers déjanté, dirigé d’une main de maître, que certains s’acharneront à vouloir reproduire (comme Tony Scott et Quentin Tarantino), sans atteindre le style ou encore moins la perfection. Vous voulez savoir à quoi ressemble un cauchemar filmé ? C’est U-Turn : ici commence l’enfer.
LE BLU-RAY
On peut dire qu’on l’a attendu celui-là ! U-Turn : ici commence l’enfer débarque ENFIN en Blu-ray en France, alors qu’il était déjà disponible outre-Atlantique chez Twilight Time depuis 2015. Nous n’avions plus de nouvelles du film d’Oliver Stone depuis sa première édition en DVD chez Sony Pictures en 1998 ! Alléluia, L’Atelier d’Images ressuscite U-Turn et le propose non seulement dans une nouvelle édition Standard, mais aussi et surtout pour la première fois en Haute-Définition dans nos contrées ! Le menu principal est fixe et musical.
Tout d’abord, si vous connaissez déjà le film (c’est mieux, car la fin y est dévoilée), n’hésitez pas à démarrer U-Turn par l’introduction d’Oliver Stone (3’) qui revient sur l’origine de « ce film étrange », sur son rejet du public à sa sortie, « son œuvre la plus violente et la plus sombre pour beaucoup de spectateurs et qui ne rentre dans aucune catégorie ». Le réalisateur explique comment U-Turn a été redécouvert et réévalué depuis, y compris par les jeunes spectateurs, fascinés par ces « losers, qui n’ont aucune issue », ajoutant qu’il a fait ce film en ayant en tête l’univers de Jean-Paul Sartre et qu’il s’agissait pour lui « de la fin d’une période de sa vie créative », à une époque où il était « épuisé et désespéré », ayant même pensé abandonner son métier.
La section des bonus propose une excellente présentation du film par Samuel Blumenfeld (Le Monde), que nous avions déjà beaucoup apprécié pour ses interventions sur les DVD-Blu-ray du Lion et du vent, Un château en enfer et Les Anges de la nuit. Pendant près de 25 minutes, le journaliste replace U-Turn : ici commence l’enfer dans la filmographie et la carrière d’Oliver Stone, en indiquant notamment que cette œuvre est née des suites de l’échec monumental de Nixon, laissant le cinéaste complètement abattu. U-Turn apparaît donc pour lui comme une œuvre de transition doublée d’un film sur Oliver Stone lui-même. Les arguments avancés pour étayer cette thèse sont passionnants, Samuel Blemenfeld croisant alors le fond et la forme, revenant sur chaque personnage et leurs significations, ainsi que sur la radiographie de l’Amérique des laissés-pour-compte réalisée par Oliver Stone pendant deux heures. Le casting (dont l’inimitié du metteur en scène avec l’ensemble de ses comédiens, Jennifer Lopez qui baise toute la nuit avec son copain, Sean Penn qui se shoote, Nick Nolte qui se bourre la gueule), les conditions de tournage, les références au film noir ainsi qu’au roman noir américains, l’adaptation du roman de John Ridley, les partis-pris esthétiques, la musique d’Ennio Morricone (avec lequel Oliver Stone s’est peu entendu, le compositeur ne comprenant pas les intentions du cinéaste), la fascination du réalisateur pour le désert, l’échec public du film et sa redécouverte sont également abordés ici.
Nous découvrons ensuite une conversation avec Oliver Stone réalisée le 8 octobre 2020 à Paris (et non pas le 27 janvier 2018 comme l’indique le menu), au Forum des images. L’Atelier d’Images nous propose aujourd’hui de la visionner dans son intégralité (1h18). Deux ans après l’hommage qui lui avait été rendu à travers la diffusion de l’intégrale de son œuvre, le scénariste, réalisateur, producteur multi-oscarisé revient au Forum des images pour « reprendre la conversation là où elle s’était arrêtée », à l’occasion de la sortie de ses mémoires, À la recherche de la lumière. De son enfance new-yorkaise à la gloire hollywoodienne en passant par son expérience de soldat durant la guerre du Vietnam, Oliver Stone se confie à Fabien Gaffez (directeur des programmes du Forum des images), mais surtout à son incroyable interprète, dont la faculté de retenir ses propos (sans prise de notes) le fascine à plusieurs reprises (« This woman is spooky ! »). Oliver Stone revient également sur sa méthode de scénariste à travers des films comme Midnight Express, Scarface ou Platoon (le générique est d’ailleurs diffusé), parle de ses parents (son père américain, sa mère française, qui « se sont aimés le temps d’une idylle »), commente un extrait d’Entre Ciel et Terre et de Salvador et évoque la figure récurrente d’Ulysse dans ses mémoires.
En plus d’un lot de bandes-annonces (dont celle de U-Turn), L’Atelier d’Images nous offre aussi huit séquences commentées par Oliver Stone. Il s’agit en réalité de courts extraits provenant du commentaire audio du réalisateur présent sur le Blu-ray Twilight Time. Dommage de ne pas disposer de l’intégralité du commentaire, Oliver Stone étant toujours passionnant à écouter. Il faudra se contenter de ce petit quart d’heure de séquences éparpillées durant lesquelles le cinéaste revient sur le roman original, l’idée du titre du film, les partis-pris esthétiques (l’utilisation d’un négatif inversible), les références au film noir américain, la musique d’Ennio Morricone, l’échec public de U-Turn et les thèmes.
L’Image et le son
L’Atelier d’Images reprend le même master HD édité aux Etats-Unis chez Twilight Time. Un Blu-ray (au format 1080p) sans fioritures, qui restitue l’image étrange de U-Turn telle que nous la connaissions, organique, percutante, déroutante même. Quelques poussières et griffures demeurent, mais celles-ci se noient dans le grain argentique souvent très appuyé, rugueux, au point de créer divers fourmillements, mais qui sont indubitablement liés aux conditions de tournage originales. Comme l’indique Oliver Stone au cours de son commentaire audio, lui et le directeur de la photographie Robert Richardson ont opté pour un tournage sur un négatif inversible, doublé de procédés analogiques photochimiques spécifiques, qui ont pour particularité d’appuyer certaines teintes, à l’instar de la célèbre robe moulante de Jennifer Lopez (vendue comme étant rouge par le cinéaste, mais qui paraît orangée à l’écran) ou la Ford Mustang 1964 rouge de Sean Penn. Les couleurs sont très vives, volontairement surlignées (les bruns et les beiges surtout), exagérées, comme si le soleil avait brûlé la pellicule. La définition tient le choc, même si U-Turn est un film dont les intentions et partis-pris sont indubitablement complexes à restituer de manière « propre ». Certains risquent de trouver le générique d’ouverture passable, d’autres seront étonnés par la texture un peu velours côtelé de certaines séquences, tandis que d’autres sont étonnamment lisses, propres et lumineuses. Comme les spectateurs, l’image est chamboulée du début à la fin, mais nous sommes sûrs d’une chose, c’est que nous n’avions jamais été devant une copie aussi impeccable pour voir et revoir ce chef d’oeuvre des années 1990. Une ode à l’argentique.
Bon, on va dire que nous ne sommes pas déçus du point de vue usage des basses. Le caisson a beaucoup de choses à faire pendant ces 124 minutes et s’en donne vraiment à coeur joie. Mise à part cela, les mixages anglais et français DTS-HD Master Audio 5.1 se révèlent souvent similaires en terme d’ardeur, balance des frontales et délivrance des dialogues. Le spectacle acoustique est assuré, la bande-originale déglinguée d’Ennio Morricone et les délires visuels d’Oliver Stone s’accompagnent d’effets sonores dans le même ton. Le changement de langue n’est pas verrouillé pendant le visionnage et les sous-titres français non imposés.