
SEX IS COMEDY réalisé par Catherine Breillat, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Anne Parillaud, Grégoire Colin, Roxane Mesquida, Ashley Wanninger, Dominique Colladant, Bart Binnema, Yves Osmu, Elisabete Piecho…
Scénario : Catherine Breillat
Photographie : Laurent Machuel
Durée : 1h34
Date de sortie initiale : 2002
LE FILM
Jeanne réalise un long métrage intitulé Scènes intimes. Elle doit filmer une scène d’amour entre son acteur et son actrice principale. Jeanne doit gérer leurs sentiments pour les préparer au mieux à cette scène difficile, aidée par son assistant réalisateur qui lui sert de confident. Mais les comédiens ne semblent pas s’entendre et l’acteur rechigne à suivre les instructions de Jeanne.

Au début des années 2000, Catherine Breillat enchaîne les tournages. Portée par ce qui sera alors son plus grand succès, Romance (près de 350.000 entrées), la réalisatrice signe À ma sœur !, présenté à la Berlinale et récompensée dans de nombreux autres festivals, puis elle se tourne vers la télévision, pour le compte d’Arte, avec Brève Traversée. Catherine Breillat revient très vite au cinéma avec Sex is Comedy, dont le X est mis en surbrillance rouge sur l’affiche, comme il surmontait déjà le titre sur celle de Romance. Rétrospectivement, cet opus est sans aucun doute le plus autobiographique de son auteure, puisqu’elle se représente elle-même sur un plateau, en ayant recours à une « doublure », en l’occurrence la magnifique Anne Parillaud, dans un de ses meilleurs rôles. On pense à Prenez garde à la sainte putain – Warnung vor einer heiligen Nutte (1971) de Rainer Werner Fassbinder, dans lequel une équipe de cinéma, lors d’un tournage, se trouve en butte à des difficultés de toutes sortes allant du retard du réalisateur, au défaut de matériel, de la jalousie, des conflits multiples. C’est une évidence, Catherine Breillat devait connaître ce grand classique du sulfureux cinéaste allemand avant d’entreprendre Sex is Comedy. Pour ce dernier, elle retrouve Roxane Mesquida, qu’elle avait déjà dirigé dans son précédent long-métrage et qui reprend plus ou moins le même rôle ici, avec une touche forcément méta. Si cette dernière n’a pas beaucoup de dialogues et passe la plus grande partie du film allongée sur un lit ou sur le sable, l’actrice, âgée de 21 ans crève l’écran par sa sensibilité à fleur de peau et sa beauté froide. Mais Anne Parillaud se taille évidemment la part du lion en clone de Catherine Breillat, boss du plateau qui peut être à la fois glaciale et vulgaire, comme extrêmement chaleureuse et tactile avec son équipe et sa distribution. Bien sûr, il y a beaucoup d’ego dans Sex is Comedy et l’on pourra souvent critiquer le fait que Breillat a dressé un autoportrait comme elle le souhaitait, sans contrepoint, mais elle le fait avec honnêteté, en ne se « montrant » pas non plus sous son meilleur jour, ni sous son meilleur profil. Sex is Comedy demeure l’un de ses films les plus accessibles, n’est pas exempt d’humour (loin de là), divertit et s’avère un beau témoignage sur une femme de cinéma.


Les rapports entre un metteur en scène et ses acteurs ne sont pas toujours faciles. C’est notamment le cas entre Jeanne, réalisatrice directive, autoritaire, parfois même irrespectueuse, et ses deux comédiens. Conflits, incompréhensions interminables, retrouvailles troublantes et dramatiques, leurs rapports sont passionnés et passionnels. Tous les trois vont devoir donner le maximum d’eux-mêmes pour tourner la séquence finale d’une scène très intime. Qui manipule qui ? Les comédiens vont-ils sortir indemnes de ce que leur demande Jeanne l’intransigeante ? Pas sûr.


Qui a dit que la vie de cinéaste était de tout repos ? Sur le set de son nouveau film, Jeanne doit avoir réponse à toutes les questions, faire face aux graves difficultés, composer avec la météo, faire croire qu’il fait une chaleur à crever sur une plage alors que tout le monde se les gèle, en particulier son couple vedette qui doit s’ébattre sur le sable et faire comme s’ils avaient le sang chaud. Quand en plus l’acteur principal et l’actrice se détestent et doivent s’embrasser passionnément à plusieurs reprises, Jeanne doit avoir recours à de multiples plans B pour arriver à ses fins et obtenir ce qu’elle souhaite d’eux. On ne dira pas que Jeanne fait comme Alfred Hitchcock, traiter son casting comme du bétail, mais ce n’est pas loin.


Comme elle l’a souvent raconté au fi de ses interviews, Catherine Breillat a eu parfois des difficultés à gérer la gent masculine sur ses plateaux, à l’instar d’Étienne Chicot pour 36 fillette. Dans Sex is Comedy, Jeanne rencontre son plus grand problème avec son acteur, un jeune homme qui aime la liberté et l’ennuie avec ses caprices. Entre amour et haine, Jeanne tente de dénouer tous les nœuds qui entravent sa liberté créatrice, tout en consultant son équipe des effets spéciaux, responsable de la confection d’un phallus en plastique pour la scène d’amour. Tout est question de désamorçage dans Sex is Comedy et les relations peuvent aussi bien s’enflammer que se figer et paralyser les prises de vue.


Outre Anne Parillaud et Roxane Mesquida, rappelons-le sublimes, Grégoire Colin, devenu l’acteur fétiche de Claire Denis et lancé depuis dix ans, livre une prestation ambiguë, qui rend son personnage antipathique et pourtant foncièrement humain, car pétri de doutes, pudique ; sanguin. La critique l’avait étonnamment oublié à la sortie du film, préférant se focaliser sur les deux actrices principales. Si certaines scènes croulent sous les dialogues trop « écrits » et qui cassent donc la spontanéité désirée pour dévoiler ce qui se passe devant comme derrière la caméra avant de dire action, on se laisse facilement emporter par l’énergie et la passion qui irriguent Sex Comedy du début à la fin.


Cet « autoportrait » de fonction frôlera la barre des 100.000 entrées en fin de parcours en juin 2002, à peine porté par sa présentation quelques semaines plus tôt en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. Un « hit » que ne connaîtra pas le film suivant de Catherine Breillat, Anatomie de l’enfer, beaucoup plus radical et expérimental, donc moins « grand public ».


LE BLU-RAY
Le Chat qui fume continue son exploration du cinéma de Catherine Breillat et ce pour notre plus grand plaisir. Ainsi, après Une vraie jeune fille, 36 fillette et Anatomie de l’enfer, que nous avons chroniqué, l’éditeur présente Sex is Comedy en Haute-Définition et annonce également À ma sœur !, Abus de faiblesse, Une vieille maîtresse et Romance dans un proche avenir, en version restaurée. Sex is Comedy se présente sous la forme d’un boîtier Scanavo. Mention spéciale à la jaquette, très élégante, qui distingue ce titre des opus habituels du Chat qui fume. Un cachet « auteur » dirons-nous. En revanche, point d’images de tournage comme il est annoncé. Le menu principal est animé et musical. Première mondiale en Blu-ray.

Stéphane Bouyer est allé à la rencontre de Catherine Breillat, qui nous parle longuement de Sex is Comedy (31’40). Un entretien passionnant, qui revient longuement sur la genèse de ce long-métrage comme réalisatrice de Catherine Breillat, né de son désir de faire un livre sur le tournage de Parfait amour, « car c’est compliqué un tournage, c’est brutal, c’est un art anthropophage, on ne peut pas simuler un sentiment, il fait l’éprouver ». Vous l’aurez compris, cette interview est l’occasion pour Catherine Breillat d’une nouvelle introspection et celle-ci se penche une fois de plus sur ses relations souvent tumultueuses avec ses acteurs. La cinéaste met en relief les liens tissés entre Parfait amour et Sex is Comedy, évoque le travail avec Anne Parillaud (« un mimétisme s’est fait, mais c’était involontaire […] c’est inadmissible qu’elle n’ait pas reçu une nomination aux César »), ainsi que les conditions de tournage.

L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’éditeur propose également un formidable livret de 12 pages, comprenant une analyse très intéressante du film, réalisée par Murielle Joudet, critique de cinéma et auteure en 2023 d’une biographie sur Catherine Breillat.
L’Image et le son
Il serait difficile de faire mieux que ce Blu-ray qui respecte les volontés artistiques originales dont le sensible grain argentique original, tout en tirant intelligemment profit de l’opportunité HD. La propreté du master est quasi-irréprochable (quelques rayures subsistent), ainsi que la stabilité, le relief, la gestion des contrastes et le piqué qui demeure agréable. Si l’on excepte diverses petites baisses de la définition, la restauration haut de gamme restitue merveilleusement la belle photo originale du chef opérateur Laurent Machuel.

Ce mixage DTS-HD Master Audio 2.0 instaure un confort acoustique probant, clair et solide. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, les ambiances naturelles ne manquent pas sur les scènes tournées en extérieur, la propreté est de mise et les silences sont denses.


Crédits images : © Le Chat qui fume / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr