SEULS LES ANGES ONT DES AILES (Only Angels Have Wings) réalisé par Howard Hawks, disponible en Édition Mediabook Collector Blu-ray + DVD + Livret le 7 juillet 2021 chez Wild Side Video.
Acteurs : Cary Grant, Jean Arthur, Richard Barthelmess, Rita Hayworth, Thomas Mitchell, Allyn Joslyn, Sig Ruman, Victor Kilian…
Scénario : Howard Hawks & Jules Furthman, d’après une histoire Plane From Barranca d’Howard Hawks
Photographie : Joseph Walker
Musique : Dimitri Tiomkin
Durée : 2h01
Date de sortie initiale: 1939
LE FILM
En escale à Barranca, petit port bananier d’Amérique du Sud, Bonnie Lee rencontre les pilotes de l’équipe aéropostale de ce lieu hors du temps, où l’on meurt comme on vit : avec bravoure. D’emblée, l’artiste new-yorkaise est subjuguée par le séduisant et intrépide Geoff Carter, qui dirige la compagnie et n’est pas le genre d’homme à laisser des sentiments interférer dans ses missions et dans son monde, où le danger est omniprésent et où tout peut basculer en un instant, au gré du hasard et des tempêtes…
S’il n’est pas aussi connu que la plupart des autres monuments qui composent l’exceptionnelle filmographie de son réalisateur, Seuls les anges ont des ailes – Only Angels Have Wings d’Howard Hawks (1896-1977) n’a eu de cesse d’être réévalué et redécouvert. Plus de 80 ans après sa sortie, cette œuvre magistrale laisse pantois par sa modernité (hormis les modèles réduits bien visibles c’est vrai…), par sa fougue, par sa beauté. Merveilleusement mis en scène, ce film d’aventures condense tous les thèmes, les obsessions et les motifs propres à son auteur : l’amitié virile, l’héroïsme, les rapports entre les hommes et les femmes, la notion de groupe, l’homme face à (ou en osmose avec) la machine (coucou David Cronenberg !), un triangle amoureux (avec ici une ex-compagne qui ressurgit), le courage, la femme forte…Seuls les anges ont des ailes marque également la seconde collaboration (sur cinq) entre le cinéaste et Cary Grant, un an après le sublime – et pourtant échec critique et commercial à sa sortie – L’Impossible monsieur Bébé – Bringing Up Baby. Changement de registre pour les deux hommes, car même s’il reste ponctué par quelques touches d’humour, Only Angels Have Wings est savoureux un mélange des genres, entre rires et larmes, un divertissement remarquable, pour ne pas dire total, qui n’omet jamais l’émotion au milieu de séquences spectaculaires, tout en dressant les portraits psychologiques d’une poignée de personnages catapultés au milieu de nulle part, réunis et soudés contre les dangers de leur profession, mais où la vie et le plaisir d’exister sont sans cesse célébrer. C’est beau, superbe même, c’est du grand et vrai cinéma.
Bonnie Lee, musicienne en tournée, échoue dans la petite ville portuaire de Barranca en Amérique du Sud, où elle attend le bateau hebdomadaire qui doit la ramener à New York. Elle y fait la connaissance des pilotes qui assurent le transport du courrier au-dessus de la cordillère des Andes. Le service appartient à Dutchy, vieil homme attachant, dirigé par Geoff Carter, excellent pilote, désillusionné sur la vie et désabusé sur les femmes. L’entreprise ne roule pas sur l’or : les hommes doivent voler sur de vieux coucous, voire des biplans rafistolés, risquant leur vie dans des conditions météorologiques extrêmement dangereuses. Geoff et Dutchy sont à l’affût de n’importe quel contrat qui pourrait renflouer la compagnie et leur permettre de disposer de leur nouveau trimoteur, bloqué à quai pour cause de non-paiement. Bonnie tombe amoureuse de Geoff et manque volontairement son bateau pour rester au moins une semaine avec lui, malgré le peu de cas qu’il semble faire d’elle. Manquant de personnel (trois pilotes sont morts en quelques semaines), Geoff embauche Bat MacPherson. Or, non seulement celui-ci est l’époux de Judy, qui autrefois brisa le cœur de Geoff, mais sous son vrai nom – Bat Kilgallen – il a sauté d’un avion en vol en abandonnant à bord le mécanicien, décédé lors du crash de l’appareil. Le mécanicien était le frère de Kid Dabb, meilleur ami de Geoff. Le nouveau pilote, reconnu, est mis au ban du groupe, et Geoff lui réserve les missions les plus périlleuses (mais lucratives), comme le transport de nitroglycérine. Le tout au grand désarroi de Judy qui ignore le passé de Bat. Un soir de grosse tempête où Geoff doit voler, Bonnie le menace d’une arme pour l’en dissuader, et le blesse accidentellement. Les deux seuls à pouvoir essayer de mener à bien la mission sont Kid, que sa mauvaise vue cloue désormais au sol, et Bat, le paria. Et la livraison est impérative pour assurer à Geoff et Dutchy un contrat durable avec le gouvernement.
Ce que l’on voit immédiatement, instantanément dans Seuls les anges ont des ailes, ce sont les comédiens, tous choyés par Howard Hawks, hommes et femmes, têtes d’affiche comme les seconds voire les troisièmes couteaux. Car le réalisateur considérait chaque protagoniste comme étant une note indispensable à la bonne tenue d’une partition savamment réglée, pensée, composée. A l’instar d’une symphonie, la petite musique Hawksienne fonctionne à plein régime dans Only Angels Have Wings et s’avère virtuose du début à la fin, conduite d’une main de maître par le monstre hollywoodien, en pleines possessions de ses moyens. Quand il entreprend ce long-métrage, Howard Hawks a déjà une vingtaine de films à son actif, réalisés en l’espace de treize années seulement. Il en aura également encore autant devant lui. Si ceux-ci seront étalés sur trente années, Seuls les anges ont des ailes apparaît donc pile au milieu de sa longue, éclectique et prolifique carrière, juste avant l’entrée dans les années 1940, durant laquelle le cinéaste connaîtra quelques-uns de ses plus grands succès, La Dame du vendredi – His Girl Friday, Sergent York, Le Port de l’angoisse – To Have and Have Not, Le Grand Sommeil – The Big Sleep, La Rivière rouge – Red River, conservant ainsi sa place au sein des metteurs en scène et auteurs les plus importants à Hollywood. Une position largement enviable qui sera maintenue dans les années 1950 grâce à des titres anthologiques comme La Captive aux yeux clairs – The Big Sky, Chérie, je me sens rajeunir – Monkey Business, Les Hommes préfèrent les blondes – Gentlemen Prefer Blondes et bien sûr Rio Bravo. Pour Seuls les anges ont des ailes, Howard Hawks, aidé à l’écriture par Jules Furthman (Shanghaï Express et Vénus Blonde de Josef Von Sternberg, pour qui le réalisateur avait une grande fascination), mais aussi par William Rankin (pilote de l’aviation du corps des Marines), s’inspire de témoignages d’aviateurs chevronnés et de sa propre expérience, étant lui-même pilote et ancien instructeur dans l’aviation militaire.
Dans les cinq premières minutes, le cinéaste plante le décor, une atmosphère, des ambiances, les personnages, ceux que l’on suivra en continu, ceux qui feront quelques apparitions en pointillés, mais qui n’en demeurent pas moins importants pour la bonne dynamique et l’âme du groupe. Durant les deux heures qui suivront, le spectateur se prendra d’affection pour chaque élément qui le compose. Après avoir exposer ses protagonistes, Howard Hawks les montrera dans leur quotidien, profitant du moment présent, le futur étant particulièrement incertain, même les heures qui suivront. La première grande scène, celle où Geoffrey tente de guider l’un de ses hommes perdu dans le brouillard à bord de son avion, montre la cohésion et le groupe comme une véritable entité. Après le crash et la perte soudaine d’un des leurs, les hommes restant iront boire un verre, ou plusieurs, avant de chanter à gorge déployée, afin de célébrer l’existence et le plaisir d’être vivant.
Écrit, produit et mis en scène par Howard Hawks, Seuls les anges ont des ailes développe chaque étape des équations formées par divers groupes de personnages, Geoffrey et Bonnie, Geoffrey qui retrouve un ancien partenaire, Bat Kilgallen, marié à Judith (Rita Hayworth, 21 ans, qui explose pour la première fois au cinéma), ancienne maîtresse de Geoffrey…Ce dernier est le noyau d’un atome autour duquel circulent et s’agitent de multiples électrons. Certains entrent en collision, se repoussent, mais tous ont un lien indéfectible avec Geoffrey. Est-il utile de préciser que Cary Grant est une fois de plus parfait dans ce rôle, à l’opposé de celui qu’il interprétait l’année précédente dans L’Impossible monsieur Bébé. Celui sur lequel Howard Hawks disait qu’il était « de si loin le meilleur qu’aucun ne pouvait se comparer à lui. », compose un personnage entier, en manque d’amour et en même temps éperdument dévoué à ses subalternes et à son travail. La rencontre avec la pétillante Bonnie Lee, magnifiquement interprétée par la lumineuse Jean Arthur (Toute la ville en parle – The Whole Town’s Talking de John Ford, L’Extravagant Mr. Deeds – Mr. Deeds Goes to Town, Vous ne l’emporterez pas avec vous – You Can’t Take It with You et Monsieur Smith au sénat – Mr. Smith Goes to Washington de Frank Capra), avec laquelle Howard Hawks ne s’entendra pas, va bouleverser son train-train et peut-être lui offrir la possibilité de se poser enfin, lui et son avion. Mais comme souvent chez Howard Hawks, la passion, ici celle de voler, risque de prendre le dessus sur le reste et s’incrustera dans le couple comme dans un ménage à trois.
TOUT Howard Hawks est résumé dans Seuls les anges ont des ailes, dont on peut penser qu’il inspirera dix ans plus tard à Henri Decoin son film Au grand balcon, hommage aux pionniers de l’aviation civile française et évocation de la création de l’Aéropostale hexagonale, avec lequel il partage de curieux points communs.
LE MÉDIABOOK
Oubliez l’ancienne édition DVD sortie chez Sony Pictures il y a plus de quinze ans, en 2005 plus précisément. Seuls les anges ont des ailes bénéficie enfin d’une sortie digne de ce nom en France et ce grâce à Wild Side Video qui a concocté pour les cinéphiles une magnifique Édition Mediabook Collector Blu-ray + DVD + Livret. Ce dernier, intitulé Anges et mauvais garçons, écrit par l’incontournable Doug Headline (co-fondateur de la revue Starfix, scénariste, réalisateur), se compose de cinquante pages, richement illustré par des photos d’archives. Le menu principal est élégant, animé et musical.
En ce qui concerne les suppléments en vidéo, ils sont au nombre de deux et chacun est présenté par l’historien du cinéma Noël Simsolo.
Dans le premier module (Les Invalides, 22’), Noël Simsolo analyse Seuls les anges ont des ailes, en le replaçant dans la filmographie de Howard Hawks, auquel il avait d’ailleurs consacré un essai intitulé Howard Hawks, Cinégraphiques, sorti en 1984 et réédité par Les Cahiers du cinéma en 2004. Vous en saurez plus sur la relation du cinéaste avec Cary Grant, sur la fascination de Howard Hawks pour le cinéma de Josef Von Sternberg, sur son amour pour l’aviation (thème récurrent dans de nombreux films), la difficile association du cinéaste avec la comédienne Jean Arthur, l’utilisation des modèles réduits et le tournage en studio (« quand le toc devient vrai grâce à la magie et au miracle du cinéma »). Puis, Noël Simsolo analyse plus en détails la mécanique « hawksienne » à l’oeuvre dans Seuls les anges ont des ailes, parfois proche du théâtre avec de multiples entrées et sorties des personnages durant deux heures. Il revient aussi plus précisément sur ce qui apparaît pour lui comme étant l’une des séquences les plus étonnantes du cinéma, celle où le groupe passe de la tragédie à la célébration de la vie, après la mort de l’un des leurs dans un crash. Les multiples relations (ou l’absence) des personnages sont passées au peigne fin, ainsi que les autres thèmes chers à Howard Hawks, à l’instar de la nouvelle chance, de l’amitié totale, de la nature qui reprend ses droits sur les êtres humains et de ces derniers qui doivent tenter l’impossible pour essayer de la contrôler.
Dans son second entretien (Orgueil et indépendance, 31’), Noël Simsolo réalise un portrait de Howard Hawks, à travers ses films. Il démarre ce supplément en rappelant – et ce à travers des anecdotes savoureuses – le terme « Hitchcocko-Hawksiens » créé par André Bazin pour qualifier les amours des journalistes cinéphiles des Cahiers du Cinéma (Eric Rohmer, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol) pour les films d’Alfred Hitchcock et Howard Hawks. L’enfance, la passion pour la lecture, pour la mécanique, pour le sport automobile, pour l’aviation, la mythomanie et le parcours de ce dernier sont ensuite racontés avec une passion contagieuse par l’invité de Wild Side Video, qui revient aussi sur quelques-uns de ses longs-métrages, les plus célèbres comme les plus méconnus, tout en mettant en relief les thèmes récurrents de son œuvre : la cécité, le triangle amoureux, l’amitié entre hommes, la femme forte, l’homosexualité latente, la vision assez pessimiste sur l’être humain, les héros machos abîmés, les pulsions.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce, durant laquelle Howard Hawks est autant célébré que ses comédiens.
L’Image et le son
Quelle beauté ! Le master HD restitue admirablement la flamboyante photo du chef opérateur Joseph Walker (Mr. Smith au sénat, Cette sacrée vérité, Comment l’esprit vient aux femmes), nommé trois fois à l’Oscar, avec des contrastes exceptionnels. Les noirs sont d’une incroyable densité, les blancs flamboyants, le relief omniprésent permet d’apprécier chaque recoin des décors sur le cadre 1.37 (y compris sur les nombreux plans enfumés), le piqué est vif et acéré, et les textures – dont celle heureusement de la pellicule – ressortent comme rarement pour un film datant de la fin des années 40. La copie demeure stupéfiante, le codec AVC consolide et stabilise l’ensemble, les fondus enchaînés sont fluides, la restauration 4K (effectuée à partir du négatif original) est monumentale (les scories n’ont pas survécu au lifting numérique) et aucun décrochage n’est à déplorer. Divers flous sporadiques, mais rien de bien méchant. En un mot, resplendissant !
L’éditeur ne propose pas un inutile remixage 5.1, mais propose les versions anglaise et française en DTS-HD Master Audio mono 2.0. Passons rapidement sur la version française au doublage old-school, dont les voix paraissent bien confinées et peu ardentes, sans parler de la pauvreté des effets annexes. Elle n’arrive pas à la cheville de la version originale, évidemment plus riche, vive, propre et aérée. Dans les deux cas, le souffle se fait discret (plus présent sur la VF néanmoins) et la musique de Dimitri Tiomkin bénéficie d’une jolie restitution. Les sous-titres français sont imposés sur la version originale et le changement de langue est verrouillé à la volée.