
POUR L’EXEMPLE (King & Country) réalisé par Joseph Losey, disponible en Combo Blu-ray + DVD le 22 avril 2025 chez Tamasa Distribution.
Acteurs : Dirk Bogarde, Tom Coutenay, Leo McKern, Barry Foster, Peter Copley, James Villiers, Jeremy Spenser, Barry Justice…
Scénario : Evan Jones, d’après la pièce de John Wilson
Photographie : Denys N. Coop
Musique : Larry Adler
Durée : 1h23
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
En 1917, le soldat Hamp est traduit en cour martiale pour avoir déserté le front pendant quelques heures. Son avocat, l’éloquent capitaine Hargreaves, tente d’enrayer la terrible mécanique d’une justice militaire décidée à faire, de ce cas, un exemple…

On n’a pas le temps de faire ça dans les règles !
La filmographie de Joseph Losey (1909-1984) est sans doute l’une des plus passionnantes de l’histoire du cinéma. Les éditeurs français ont très souvent mis en avant ses longs-métrages, ses plus célèbres (Le Messager, Mr Klein, Accident, Cérémonie secrète, Eva, Le Rôdeur, The Servant) comme les plus méconnus (L’Assassinat de Trotsky, La Bête s’éveille, The Criminal, Les Damnés) et on en oublie forcément. Pour l’exemple – King & Country fait assurément partie de la seconde catégorie et ce malgré la présence au générique de Dirk Bogarde, avec lequel le cinéaste tournera à cinq reprises. Ce film de guerre et de procès sort un an après The Servant, qui avait été un immense succès et valu le BAFTA au comédien. Une décennie après leur première association, le tandem Losey-Bogarde se réunit pour un drame intimiste, confidentiel on pourrait dire, inspiré par la pièce de théâtre Hamp, écrite par John Wilson, que le réalisateur ne trouvait pas bonne d’ailleurs, qui était elle-même tirée d’une nouvelle de James L. Hodson. C’est Evan Jones, qui avait déjà bossé avec Joseph Losey sur Eva et Les Damnés, qui se charge de cette transposition au cinéma et l’on y retrouve la rigueur, ainsi que la sécheresse qui marqueront plus tard son scénario de Réveil dans la terreur – Wake in Fright (1971) de Ted Kotcheff. Sous son aspect austère, Joseph Losey enferme ses personnages et donc le public dans les tranchées, les englue dans la boue, au milieu des rats et sous la pluie diluvienne, pour évoquer non seulement l’enfer dans lequel sont plongés les soldats au quotidien, mais aussi dans celui que vit le personnage merveilleusement incarné par Tom Courtenay. Pour l’exemple est un modèle de tous les instants, une leçon de montage, d’interprétation, d’écriture (certaines répliques annoncent même le premier épisode de Rambo) de mise en scène (virtuose), de concision. On en ressort exténué, mais aussi bouleversé, scandalisé par ce qui s’est joué. La force de l’histoire n’est pas sans annoncer celle d’Outrages – Casualties of War (1989) et Redacted (2009) de Brian De Palma. C’est dire le caractère indispensable de ce chef d’oeuvre humaniste et antimilitariste.


En 1917, dans les tranchées britanniques de Passchendaele, dans les Flandres, un soldat de l’armée anglaise, Arthur Hamp, 23 ans, cordonnier dans le civil, marié, un enfant, est accusé de désertion après s’être rendu à l’arrière du front pour rentrer chez lui. Lors de son procès militaire, il est défendu par le capitaine Hargreaves. Ce dernier va tout faire pour tenter de sauver la vie de Hamp, qui s’était porté volontaire au début de la guerre et est l’unique survivant de sa compagnie. Lorsqu’on lui demande la raison de sa désertion, il explique simplement avoir décidé de faire une promenade en marchant à pied jusqu’à son domicile à Londres. Après une journée sur la route, il est pris en charge par la police militaire, qui le renvoie à son unité pour passer en cour martiale pour désertion. Hargreaves est d’abord impatient avec son client qui se révèle être un simple d’esprit mais il finit par s’identifier à sa détresse. Après le témoignage d’un médecin antipathique, dont la solution à tous les maux est de prescrire des laxatifs, Hargreaves ne parvient pas à persuader la cour d’envisager la possibilité que Hamp ait pu souffrir d’un choc traumatique due aux éclatements d’obus. L’armée peut-elle le déclarer non coupable et l’innocenter, ou bien faire en sorte que cet événement puisse marquer l’exemple afin de ne pas donner certaines idées à d’autres soldats ?


Perdre la vie n’est que franchir un pas…
Il y a tout d’abord ce N&B aux couleurs de cendre, composé par Denys N. Coop, chef opérateur de renom capable de travailler avec Otto Preminger (Rosebud) comme sur certains opus de la Amicus (Le Caveau de la terreur, Asylum), tout en oeuvrant sur les effets spéciaux des deux premiers Superman en fin de carrière, ce qui lui vaudra d’ailleurs un Oscar. Dans Pour l’exemple, on retrouve comme qui dirait les mêmes partis-pris qu’il reprendra pour l’exceptionnel et crépusculaire 10 Rillington Place – L’Étrangleur de Rillington Place (1971) de Richard Fleischer. Un jeu d’ombres et de lumières, qui cloisonne systématiquement ses protagonistes, en l’occurrence ici Hamp et Hargreaves, comme s’ils étaient englués en enfer, ou tout du moins sur le chemin qui y mène.


Si Dirk Bogarde, qui a également participé au scénario et comme conseiller technique (il avait été affecté à l’état-major du général Montgomery durant la Seconde Guerre mondiale), est remarquable de sobriété et de colère rentrée, loin du valet sadique et ambigu de The Servant, son partenaire Tom Courtenay crève l’écran. Récompensé à la Mostra, quand bien même le prix aurait dû être partagé avec Dirk Bogarde, l’acteur britannique, impressionne dans l’une de ses premières apparitions au cinéma. Celui que l’on reverra ensuite dans Docteur Jivago, La Nuit des généraux, Maldonne pour un espion (pour ne citer que ceux-là) s’avère impérial dans le rôle d’Arthur Hamp, dépassé par ce qui lui arrive, qui ne se rend pas forcément compte (au départ) que sa vie est en jeu et entre les mains de gradés qui eux-mêmes paraissent ne pas savoir comment statuer son sort.


Son visage qui s’écroule à mesure de l’avancée du procès, jusqu’au verdict est de ceux qu’on n’oublie pas. La dernière scène, peu surprenante car quelque peu spoilée par le titre français, prend aux tripes, jusqu’à la dernière réplique, cinglante, ironique. Vous connaissiez sûrement Les Sentiers de la gloire – Paths of Glory (1957) de Stanley Kubrick ou À l’aube du cinquième jour – Dio è con noi (1970) de Giuliano Montaldo sur ce thème similaire ? Alors dépêchez-vous de découvrir King & Country.



LE BLU-RAY
C’est la première fois que Tamasa présente un film de Joseph Losey en DVD et en Blu-ray. Pour l’exemple est proposé en Combo, qui prend la forme d’un Digipack à deux volets, qui comprend donc les deux disques, ainsi qu’un très court livret de 16 pages écrit par Pierre Eisenreich, critique de cinéma et membre du comité de rédaction de la revue Positif. Un texte étrange, qui combine à la fois un retour quelque peu scolaire sur la carrière de Joseph Losey, ainsi qu’une présentation des trois personnages principaux « par eux-mêmes », dans le sens où ceux-ci parlent à la première personne, ainsi que des comédiens qui les interprètent à l’écran. Le menu principal est fixe et musical. Pour l’exemple avait été précédemment édité en DVD chez Studiocanal en 2005, puis en 2012.

Le premier supplément est une présentation du film par Alexis Hyaumet (20’). Le journaliste, critique cinéma et cofondateur de Revus & Corrigés analyse à la fois le fond et la forme de Pour l’exemple, qu’il relie logiquement aux Sentiers de la gloire de Stanley Kubrick. Le casting, les thèmes, le parcours de Joseph Losey et les conditions de tournage sont abordés.

Tamasa reprend aussi un bonus de dix minutes remontant à la première édition Studiocanal de 2005, où intervient notamment Michel Ciment. Si comme souvent les propos de ce dernier laissent à désirer, ceux de Joseph Losey (qui intervient en voix-off via des enregistrements faits par Ciment), donnent de nombreuses indications sur les conditions de tournage, la production et la genèse de Pour l’exemple.




L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Tamasa nous gratifie de la version intégrale restaurée 4K de Pour l’exemple. Sublime ! Ce Blu-ray (au format 1080p) présenté au format respecté est on ne peut plus flatteur pour les mirettes. Tout d’abord, le splendide N&B de Denys N. Coop retrouve une densité inespérée. Le lifting est indéniable, aucune poussière ou scorie n’a survécu au scalpel numérique, l’image est d’une stabilité à toutes épreuves. Les contrastes sont fabuleux et le piqué n’a jamais été aussi tranchant. Le grain original est présent, sans lissage excessif, ce qui devrait rassurer les puristes. Le cadre fourmille de détails.
Privilégiez évidemment la version originale, afin de bénéficier de la musicalité de la langue anglaise et des belles voix des deux acteurs principaux. D’autant plus que le confort acoustique s’avère plus éloquent dans ces conditions, que la piste française, qui mise avant tout sur le report des dialogues.



Crédits images : © Tamasa / Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr