NUIT D’IVRESSE réalisé Bernard Nauer, disponible en DVD et Blu-ray le 18 janvier 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Thierry Lhermitte, Josiane Balasko, Gérard Martin, Jean-Claude Dauphin, Jean-Michel Dupuis, Jerome Walke, Guy Laporte, Théo Légitimus…
Scénario : Josiane Balasko & Thierry Lhermitte, d’après la pièce de Josiane Balasko
Photographie : Carlo Varini
Musique : Jacques Delaporte
Durée : 1h29
Date de sortie initiale : 1986
LE FILM
Jacques Belin, animateur de l’émission télévisée L’Affaire est dans le sac, est la vedette montante du petit écran. Fred, elle, sort tout juste de prison. Tous deux se retrouvent au comptoir d’un bar près de la gare de l’Est, où Jacques arrose le prix qu’il vient de recevoir, celui de Dandy d’or de la courtoisie française. Si Fred le trouve beau et sexy, il la trouve, en revanche, vulgaire et mal habillée…
Resituons Nuit d’ivresse dans la carrière de Josiane Balasko et de Thierry Lhermitte. La première vient de passer derrière la caméra avec Sac de nœuds, où son duo avec Isabelle Huppert n’a pas vraiment enthousiasmé les foules avec seulement 630.000 entrées. Elle s’apprête à signer son second long-métrage en tant que réalisatrice, Les Keufs, qui pour le coup connaîtra un beau succès dans les salles. Pour Thierry Lhermitte, tout va bien, le triomphe des Ripoux est encore frais, Un été d’enfer, de Michaël Schock, Le Mariage du siècle de Philippe Galland et Les Rois du gag de Claude Zidi tournent tous autour du million et demi d’entrées. Dans les années 1980, les deux complices du Splendid partagent l’affiche dans Clara et les chics types de Jacques Monnet, Les Hommes préfèrent les grosses, Le Père Noël est une ordure et Papy fait de la résistance de Jean-Marie Poiré et La Smala de Jean-Loup Hubert. Des films essentiellement collectifs, dans lesquels ils ne font que se croiser, ou même pas du tout. Finalement, l’opus qui les réunira réellement est Nuit d’ivresse de Bernard Nauer, adaptation de la pièce de théâtre créée en 1985 au Théâtre du Splendid Saint-Martin par Josiane Balasko et Michel Blanc. Thierry Lhermitte remplacera ce dernier dans un second temps. S’il n’est pas le film le plus connu des membres du Splendid, Nuit d’ivresse demeure pourtant une comédie hilarante, menée à cent à l’heure, qui enchaîne les scènes cultes comme des perles sur un collier, dans laquelle les deux stars livrent une remarquable prestation. Bref, Nuit d’ivresse est un vrai film culte.
Ce soir-là, il y avait un type en smoking accoudé au comptoir d’un bistrot de gare. Dans l’arrière salle de ce même bistrot, il y avait une fille aux cheveux rouges avec un imper jaune, qui sirotait une grenadine. La fille sortait de taule. Elle s’appelait Fred. Le type était un animateur de jeux télévisés. Une vedette. Pas une grande, mais connue quand même, Jacques Belin, vous savez, de l’Affaire est dans le sac ? Il était plutôt éméché, ayant arrosé au champagne le prix qu’il venait de recevoir, le Dandy d’or de la courtoisie française. Jacques Belin attendait sa fiancée au dernier train. Fred n’attendait personne et son train n’était que le lendemain. Il n’aurait jamais du aller dans l’arrière-salle, ni lui adresser la parole… mais avec un verre dans le nez… Fred était du genre à répondre. Elle ne connaissait pas l’identité de son interlocuteur. Belin, pour elle, c’était une marque de biscuits. Mais elle le trouvait plutôt beau mec. Jacques la trouvait plutôt vulgaire. Ils auraient du en rester là.
« Porto flip et Tequila
Alcool d’ambroisie, prune et Calva
Un Rhum, une Vodka
Un verre de Saké
Et surtout du Champagne » Nuit d’ivresse – Rita Mitsouko
35 ans après sa sortie (et même plus en fait), Nuit d’ivresse reste un modèle de comédie hexagonale. Le tandem a confié les manettes à un certain Bernard Nauer, après avoir découvert son court-métrage Dialogue de sourds (exploité dans les salles et nommé aux Césars), dans lequel Pierre Richard et Jacques Villeret incarnaient deux frères, le premier paraplégique, le second aveugle, qui tentaient de « communiquer ». Un humour noir que Thierry Lhermitte et Josiane Balasko ont adoré et qui leur ont donné l’envie de confier la transposition de leur pièce à ce jeune réalisateur de trente ans. Si son second – et à ce jour dernier – long-métrage, Les Truffes (1995), produit par Luc Besson et coécrit par Philippe de Chauveron, passera inaperçu, Nuit d’ivresse rend compte de l’efficacité du metteur en scène. La séquence où Belin et Fred débarquent dans la soirée complètement torchés et s’en prennent aux invités, tout en entamant un rock endiablé, avant de terminer les festivités sur un affrontement à la queue de billard, est anthologique. Non seulement cela, les deux comédiens sont exceptionnels. Chose amusante, ils croisent à ce moment-là Gérard Jugnot et Victoria Abril dans leur propre rôle, qui venaient de les remplacer sur scène dans la pièce de théâtre.
Outre la réalisation dynamique de Bernard Nauer, qui évite le côté théâtre filmé, d’ailleurs beaucoup de spectateurs ignorent encore que le film était à l’origine une pièce, Nuit d’ivresse repose autant sur la virtuosité de ses acteurs, que sur ses irrésistibles dialogues. Chaque scène est ponctuée par de vrais mots d’auteurs et des répliques qui font mouche. Et cerise sur le gâteau, Nuit d’ivresse n’omet jamais l’émotion, le film se permettant même quelques étonnantes ruptures de ton. Après le moment légendaire, sans doute le plus connu du film, où Fred exécute une parade de majorette dans le parking souterrain d’un supermarché, Belin, effondré de rire derrière son volant, se reprend d’un coup et demande à Fred de s’arrêter, tout en lui disant qu’il se fout « de sa gueule ». Dans le dernier acte, Belin fait son chemin et se rend compte à quel point il est immonde avec son entourage, tandis que Fred, qui en a pris plein la tronche, émeut à mesure qu’on en apprend un peu plus sur son parcours.
Nuit d’ivresse trouve donc constamment cet équilibre entre le rire et les sentiments, ce qui manque probablement dans la comédie contemporaine. Mais ce qui manque aussi cruellement, c’est bel et bien le talent, le charisme et la maestria de comédiens (et auteurs) de génie, comme ceux de ses interprètes qui ont ici contribué au succès du film dans les salles avec 1,4 million d’entrées en septembre 1986, mais aussi à son indéniable pérennité. C’est ce qu’on appelle une valeur sûre.
LE BLU-RAY
Nuit d’ivresse n’a jamais bénéficié du même statut que Le Père Noël est une ordure, Papy fait de la résistance ou les deux opus des Bronzés (comment ça il y en a trois ?), qui ont très vite été proposés en HD. Mais le film de Bernard Nauer n’avait même jamais été proposé en DVD ! C’est donc avec autant d’étonnement que de joie que nous découvrons Nuit d’ivresse en édition Standard certes, mais aussi en Haute Définition chez Rimini Editions ! Le visuel ne reprend pas celui de l’affiche d’exploitation, quelque peu rejeté par les deux comédiens principaux, mais celui concocté pour cette édition laisse quelque peu à désirer…La jaquette est glissée dans un boîtier classique et élégant de couleur noire, l’ensemble glissé dans un surétui cartonné. Quatre photos du film sont aussi proposées dans le boîtier. Le menu principal est animé sur la chanson des Rita Mitsouko.
Nous n’attendions pas des suppléments aussi conséquents pour Nuit d’ivresse, ce qui nous fait extrêmement plaisir !
On commence par l’interview de Josiane Balasko et Thierry Lhermitte (16’), enregistrée en 2021 à l’occasion de la sortie de Nuit d’ivresse en Blu-ray. Les deux complices reviennent sur l’adaptation de la pièce de théâtre au cinéma, qu’ils ont d’ailleurs coproduit (« un film très facile à monter financièrement »), en partageant leurs souvenirs liés à l’écriture du scénario. Puis, ils évoquent la découverte du court-métrage Dialogue de sourds, qui leur a donné envie de confier le film à son réalisateur Bernard Nauer. Les anecdotes de tournage s’enchaînent et l’on apprend que Nuit d’ivresse a quand même rencontré son public, malgré l’attentat survenu rue de Rennes une semaine avant la sortie du film sur les écrans. Un événement qui aurait pu repousser les spectateurs, mais qui ont tout de même répondu présents.
L’éditeur est allé à la rencontre de Bernard Nauer (20’30). Le metteur en scène se montre passionnant du début à la fin de son entretien, dans lequel il parle du court-métrage avec lequel Josiane Balasko et Thierry Lhermitte l’ont repéré et qu’on aurait tellement voulu retrouver dans les bonus, Dialogue de sourds, avec Jacques Villeret et Pierre Richard. Bernard Nauer indique qu’il n’avait pas vu la pièce au moment où Josiane Balasko lui a proposé de réaliser Nuit d’ivresse, mission qu’il accepte après être allé applaudir les deux comédiens au Théâtre du Splendid Saint-Martin. Les souvenirs liés au tournage et au travail avec les acteurs se succèdent, puis le réalisateur parle des différences notables entre la pièce et le film, les partis-pris (le côté théâtral assumé de la deuxième partie). Bernard Nauer aborde autant les côtés positifs que les souvenirs plus mitigés (quelques frottements avec Thierry Lhermitte sur la représentation éméchée de Belin dans le premier acte), ne tarit pas d’éloges sur ses acteurs et se dit fier de ce film devenu culte.
Avec l’aide du talentueux Jérôme Wybon, Rimini Editions a réussi à mettre la main sur quelques documents d’archives comme on les aime.
Le premier module est issu de l’émission Zoom sur, diffusée à la télévision suisse le 20 octobre 1986 (40’), où sont invités Josiane Balasko et Thierry Lhermitte. A l’occasion de la sortie de Nuit d’ivresse de l’autre côté des Alpes, les deux comédiens font leur promo et partagent leurs souvenirs liés à leurs débuts au café-théâtre, en évoquant quelques rencontres déterminantes, mais aussi surtout Coluche, disparu tragiquement six mois auparavant. Puis, les deux invités en viennent plus précisément à Nuit d’ivresse, à l’adaptation de la pièce de théâtre, tout en parlant du travail avec Bernard Nauer et de leurs projets. Si Thierry Lhermitte indique tourner prochainement Dernier d’été à Tanger sous la direction d’Alexandre Arcady, avant d’entreprendre un tour du monde en bateau avec sa famille pendant un an, Josiane Balasko indique qu’elle réalisera son prochain film, mais dans lequel elle ne jouera probablement pas, les deux rôles étant difficiles à concilier. Il s’agira des Keufs qu’elle mettra en scène et interprétera tout de même aux côtés d’Isaach de Bankolé. A noter que les extraits de Nuit d’ivresse qui illustraient l’émission ont été coupés.
Nous passons à une interview de Josiane Balasko, Thierry Lhermitte et Bernard Nauer (7’), menée par Selim Sasson pour la chaîne RTBF. Si les arguments entendus ici font écho avec ceux déjà avancés dans autres suppléments (le court-métrage Dialogue de sourds, la pièce de théâtre et son adaptation, les partis-pris), revoir les comédiens et le réalisateur en mode promo pour la sortie du film dans les salles belges est toujours un plaisir.
Enfin, last but not least, l’émission Les Paris du Cinéma (14’) diffusée sur FR3, est ni plus ni moins un véritable making of de Nuit d’ivresse, qui croise les images de tournage avec les interviews des comédiens et du réalisateur. Nous découvrons que Bernard Nauer laissait ses acteurs jouer en mode plan-séquence, durant les prises de vue de la soirée mondaine. Thierry Lhermitte, qui se donne à fond au cours de ces scènes, paraît exténué durant son entretien réalisé juste après.
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce, bonus à part entière puisque les personnages du film s’adressent aux spectateurs afin de parler de cette « nuit mémorable ».
L’Image et le son
Il serait difficile de faire mieux que ce Blu-ray (Encodage MPEG 4 / AVC – Format du film respecté 1.85, 1080p) qui respecte les volontés artistiques originales dont le grain original, tout en tirant intelligemment partie de l’opportunité HD. La clarté est fort appréciable, notamment sur toutes les séquences en extérieur, la propreté du master est irréprochable, ainsi que la stabilité, le relief, la gestion des contrastes et le piqué qui demeure agréable. N’oublions pas le parfait équilibre des couleurs. Les nombreuses séquences nocturnes sont également excellemment conduites avec des noirs denses et des couleurs lumineuses.
Le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 instaure un réel confort acoustique. Les dialogues sont ici délivrés avec ardeur et clarté, la propreté est de mise, les effets riches et les silences denses, sans aucun souffle. En revanche, pas de sous-titres français destinés au public sourd et malentendant…