
LIQUID SKY réalisé par Slava Tsukerman, disponible en Blu-ray chez Le Chat qui fume.
Acteurs : Anne Carlisle, Paula E. Sheppard, Susan Doukas, Otto von Wernherr, Bob Brady, Elaine C. Grove, Stanley Knapp, Jack Adalist…
Scénario : Slava Tsukerman, Anne Carlisle & Nina V. Kerova
Photographie : Yuri Neyman
Musique : Brenda I. Hutchinson, Clive Smith & Slava Tsukerman
Durée : 1h53
Date de sortie initiale : 1982
LE FILM
Dans le New-York branché du début des années 1980, Margaret est mannequin et vit chez son amie Adrian, musicienne électro rêvant d’un succès international. Dans leur quotidien évolue Jimmy, mannequin homme, qui partage leur attirance pour l’héroïne, ainsi que la mère de Jimmy qui tente de séduire un prétendu scientifique est-allemand venu étudier les extra-terrestres qui se sont posés au-dessus de l’appartement d’Adrian afin de se gaver des drogues sécrétées par le cerveau humain durant l’orgasme, opération ayant pour effet secondaire la mort du sujet. Les orgasmes étant nombreux au domicile d’Adrian, les morts le deviennent en proportion. À l’inverse de ses partenaires, Margaret ne meurt pas, étant frigide. Mais voulant connaître l’orgasme, elle s’injecte de l’héroïne et meurt à son tour de par le fait des extra-terrestres.

Si vous n’avez jamais pris de drogue (on l’espère pour vous hein) et que vous voulez connaître au moins une fois ce que certaines substances chimiques peuvent faire à votre cerveau et vous faire (faussement) ressentir, alors Liquid Sky est fait pour vous. Nous sommes ici en pleine science-fiction, indépendante, donc autant vous dire que les moyens sont très limités et l’on parle même d’un budget de seulement 500.000 dollars. Contre toute attente, Liquid Sky deviendra le film « indé » le plus rentable de l’année 1983, en engrangeant près de deux millions de billets verts américains dans le monde. Si vous désirez réaliser un trip doublé d’un voyage dans le temps, placez-vous confortablement devant votre écran et plongez dans Liquid Sky, considéré comme ayant influencé un mouvement musical apparu au début des années 2000, à Brooklyn, mais aussi dans différentes capitales européennes (de Londres à Paris, en passant par Berlin), appelé Electroclash. Il y a de tout dans Liquid Sky, et pourtant on serait tenté de dire qu’il n’y a rien, ou presque. Ce premier long-métrage réalisé par Slava Tsukerman est un fourre-tout complètement dingue de ce que l’on pouvait trouver dans le milieu underground punk et new wave, avec toutes les couleurs fluorescentes, les coupes improbables et les maquillages à la truelle que cela comporte. LA grande révélation de ce coup d’essai est incontestablement Anne Carlisle, dans sa première apparition au cinéma, que l’on reverra peu par la suite, mais qui marquera certains films (Recherche Susan désespérément, Crocodile Dundee), et qui deviendra art-thérapeute. Son charisme rare, son talent inné, ses jambes interminables et son look androgyne font la substantifique moelle de Liquid Sky, qui sans elle ne serait rien d’autres qu’une succession de séquences (interminables et bavardes) qui n’ont ni queue ni tête. Il faut souvent s’armer de patience pour aller jusqu’au bout de ce délire coloré et nawak, qui ne mène nulle part et qui se termine d’ailleurs en eau de boudin, mais rien que pour la (double) présence explosive d’Anne Carlisle, parfaite dans son double rôle, Liquid Sky mérite d’être vu au moins une fois dans sa vie de cinéphile.



Un défilé de mode New Wave se tient dans une boîte de nuit new-yorkaise bondée. Parmi les mannequins figurent Margaret, bisexuelle et cocaïnomane, et son rival Jimmy, lui aussi accro. Adrian, la petite amie de Margaret, qui deale, est constamment harcelée par Jimmy, car il n’a pas d’argent pour acheter de la drogue. Un petit OVNI en forme de frisbee atterrit sur le toit du penthouse occupé par Margaret et Adrian. Jimmy raccompagne Margaret chez elle avant le défilé, cherchant la drogue d’Adrian. Margaret et Jimmy retournent au club pour participer au défilé. Pendant les préparatifs, ils conviennent d’une séance photo le lendemain soir sur le toit de l’appartement de Margaret. Margaret est ensuite violée par un homme rencontré dans la boîte de nuit. Le scientifique allemand Johann Hoffman observe secrètement les extraterrestres depuis l’Empire State Building. Johann a besoin d’un endroit pour poursuivre sa surveillance lorsque la plateforme d’observation ferme. Il demande de l’aide à la seule personne qu’il connaisse aux États-Unis, Owen, professeur de théâtre à l’université, qui est justement en route pour rencontrer un ancien élève. Johann lui montre une photo de l’extraterrestre, qui ressemble à une rétine. Cherchant un point d’observation isolé, Johann entre par hasard dans l’immeuble de Sylvia. Sylvia, la mère de Jimmy, l’invite à dîner chez elle. À l’autre bout de la ville, Katherine exprime son désaccord face à la consommation d’héroïne de son petit ami, Paul, écrivain raté et toxicomane. Margaret est séduite par Owen, son ancien professeur d’art dramatique. Après avoir couché avec Margaret, Owen meurt, et un cristal translucide émerge de son crâne. Elle le retire, ne décelant aucune trace de sang, et une fois extrait de la plaie, il se volatilise.


Et ainsi de suite. La dope est donc au centre de Liquid Sky et on en parle ouvertement. À la base, le réalisateur envisageait une adaptation d’un scénario intitulé « Sweet Sixteen ». Faute de financement, Slava Tsukerman (qui n’avait signé que des documentaires et des téléfilms en Israël et en URSS) savait qu’il devait écrire une nouvelle histoire, cette fois-ci « réalisable ». Son épouse, Nina V. Kerova, écrivait des scénarios inspirés par l’histoire d’une femme incapable d’atteindre l’orgasme. Il eut alors l’idée d’un film sur des extraterrestres. Lui et sa femme commencèrent à collaborer ; en raison de la barrière de la langue et de l’anglais américain, ils engagèrent leur amie et co-scénariste Anne Carlisle pour les aider à écrire le scénario. Après une soirée de travail commun autour d’un dîner, Liquid Sky était né et Anne Carlisle allait hériter du rôle principal, Margaret, mais aussi de celui de Jimmy. En ce qui concerne la photographie et les effets visuels, les deux sont confiés à Yuri Neyman, émigré russe comme Tsukerman, tandis que les départements décors et costumes se retrouvent entre les mains de Marina Levikova. Une équipe technique quelque peu réduite, qui demandait aux responsables de pôles d’être de véritables couteaux suisses, y compris pour le metteur en scène, également producteur, co-auteur de la musique et co-monteur. Oui, la bande originale qui compile plusieurs morceaux de synthétiseur stridents lui doit beaucoup aussi.


Liquid Sky ne ressemble à aucun autre film, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force, car chaque œuvre inclassable est un objet de fascination et faire perdre ses repères aux spectateurs est déjà peu aisé, mais sa faiblesse également donc, car Liquid Sky demeure un objet froid, expérimental, comme s’il s’agissait d’une attraction psychédélique, du clou du spectacle d’un happening, d’une exposition vidéo. On reste totalement hermétique à ce qui arrive aux personnages, y compris à Margaret, malgré le total investissement d’Anne Carlisle. De plus, le réalisateur se plaît à étendre les scènes plus que de raison. C’est le côté documentaire sur New York, sur une communauté, sur un microcosme qui interpelle le plus. Peu importe ce qui peut arriver à la top model et junkie, qui tente de trouver son espace de vie entre sa petite amie lesbienne (Paula E. Sheppard, que l’on avait découvert dans Alice, Sweet Alice d’Alfred Sole), son sosie masculin, ses amis drogués et ses conquêtes sexuelles. Elle se cherche pour ne pas se perdre, pour affirmer qui elle est. Mais malgré notre bonne volonté, on ne peut s’empêcher de penser au chef Gusteau dans Ratatouille, qui disait toujours « tout le monde peut cuisiner ». Ce qui peut finalement s’appliquer au cinéma. Mais la question fondamentale est surtout « est-ce que tout le monde doit », tant l’amateurisme fatigue souvent devant Liquid Sky.


Présenté en avant-première au Festival international du film de Montréal en août 1982, Liquid Sky et a été bien accueilli dans plusieurs festivals par la suite, au point d’être multi-récompensé et de devenir culte très rapidement pour beaucoup de spectateurs.



LE BLU-RAY
C’est un titre qu’on n’attendait pas, surtout chez Le Chat qui fume. Mais puisqu’il est là, étudions un peu ce Blu-ray. La galette bleue repose dans un boîtier Scanavo. La jaquette est superbe, tout comme le fourreau cartonné qui propose une première plongée dans le monde de Liquid Sky. Le menu principal est animé et musical.


Une section Bonus particulièrement chargée, les suppléments de l’édition Vinegar Syndrome ayant (presque) tous été repris pour l’occasion.
On démarre par une interview de Slava Tsukerman (16’). Celui-ci retrace son parcours, les origines de son projet, depuis son départ de Russie (où il était ingénieur) pour Israël, jusqu’à son installation à New York (où il désirait connaître la jeunesse américaine), véritable oasis d’expression personnelle, qui a inspiré Liquid Sky. Le réalisateur y parle de sa philosophie créative, son passé de documentariste, ainsi que ses premiers films scientifiques et éducatifs, la préservation de sa vision et les collaborations indispensables à la réalisation du film, notamment Anne Carlisle. Le titre est aussi expliqué, et non, il ne s’agit pas d’un surnom donné à l’héroïne, comme cela est souvent dit quand on évoque Liquid Sky. Pour le cinéaste, il s’agit de la façon dont nommait l’euphorie dans l’Antiquité.
L’autre interview disponible est celle d’Anne Carlisle (9’45), qui revient sur ses débuts comme étudiante en art, une période qui a fait naître son intérêt pour le théâtre et sa vocation devant la caméra. Elle décrit ensuite l’ambiance des clubs du début des années 1980 et ses propres années « d’expérimentation », tout en détaillant les différentes carrières qu’elle a exercées après le tournage, notamment sa reconversion dans l’art-thérapie.
On passe ensuite au gros morceau de cette section, à savoir le documentaire rétrospectif intitulé « Liquid Sky revisité » (53’), non mentionné sur la jaquette et le fourreau. Réalisé en 2017, ce module réalisé par Slava Tsukerman lui-même, revient sur tous les aspects de Liquid Sky. Le réalisateur annonce d’ailleurs qu’il a eu l’idée de revenir sur son film de 1982 après la chute de la maquette du vaisseau spatial de la scène d’ouverture, alors disposée sur une étagère de son appartement. De nombreux membres de l’équipe (Nina V. Kerova), acteurs (Susan Doukas, David Ilku) et techniciens, y partagent leurs expériences de travail avec Slava Tsukerman et célèbrent la camaraderie qui s’est instaurée durant la création du film. Des anecdotes sur les origines du film sont dévoilées, et le cinéaste évoque sa passion pour Andy Warhol, qui explique en grande partie l’univers de Liquid Sky. Les séquences de répétitions et de casting sont particulièrement intéressantes : on y voit les personnages prendre vie, et l’inspiration créative est également mise en lumière dans une brève scène où Anne Carlisle et un autre acteur semblent avoir une relation sexuelle très réaliste pendant qu’ils travaillent sur une scène. Le documentaire rend aussi hommage aux membres de l’équipe disparus, notamment Deborah Jacobs Welsh, passagère du tristement célèbre vol 93 d’United Airlines…
Nous en avons eu un aperçu dans le bonus précédent, nous trouvons réunies toutes les improvisations réalisées, afin d’aider les acteurs à entrer dans leurs personnages (12’). Ces images proviennent de bandes Betamax et ont été compilées dans un nouveau montage. Certaines images ont purement et simplement disparu, tandis que celles qui ont pu être sauvées ont été restaurées. Pas de sous-titres sur ce supplément.
Sont aussi proposés une galerie de photos de tournage, la bande-annonce, une séquence d’ouverture alternative (10’) facultative, une succession de scènes coupées (non sous-titrées, 13’), ainsi que l’intégralité de la bande-originale (32’).
L’Image et le son
Une copie étincelante ! Aucune ride pour cette copie entièrement restaurée. Le Chat qui fume reprend le master HD proposé outre-Atlantique par Vinegar Syndrome, qui met au goût du jour le film de Slava Tsukerman (via une restauration visiblement 4K effectuée à partir du négatif original), tout en respectant sa patine caractéristique d’un tournage à petit budget. Liquid Sky profite à chaque instant de cette promotion Haute-Définition en offrant un rendu plaisant des couleurs, forcément fluorescentes et où explosent les teintes primaires. L’ensemble est propre, stable, le piqué agréable, la texture argentique préservée et bien gérée (plus appuyée sur les plans truqués), les gros plans ne manquent pas de détails. Blu-ray au format 1080p.

Pas de version française. Le mixage sonore DTS-HD MA 2.0 fait honneur à la musique agressive, conçue ainsi intentionnellement pour perturber l’écoute et renforcer l’aspect énigmatique des images. L’équilibre est de rigueur, avec des dialogues jamais noyés sous cette « expérimentation musicale), les échanges restent parfaitement intelligibles, sans distorsion excessive. Les scènes plus agitées sont satisfaisantes, tout comme l’ambiance des clubs et des villes.




Crédits images : © Le Chat qui fume / Slava Tsukerman / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr
