LES PORTES DE LA NUIT réalisé par Marcel Carné, disponible en combo Blu-ray-DVD le 29 mars 2017 chez Pathé
Acteurs : Pierre Brasseur, Serge Reggiani, Yves Montand, Nathalie Nattier, Saturnin Fabre, Raymond Bussières, Jean Vilar, Sylvia Bataille…
Scénario : Jacques Prévert
Photographie : Philippe Agostini
Musique : Joseph Kosma
Durée : 1h52
Date de sortie initiale : 1946
LE FILM
A Paris, dans le quartier de Barbès-Rochechouart, au cours de l’hiver 1945, Diego, un ancien résistant, retrouve fortuitement Raymond Lécuyer, un de ses camarades de combat, qu’il croyait mort après une dénonciation. Alors qu’ils fêtent leurs retrouvailles autour d’une table, un clochard, surnommé «le Destin», prédit à Diego qu’il va rencontrer la plus belle femme du monde. La prédiction se réalise lorsque, sur un chantier de démolition qui appartient à son père, la belle Malou, en manteau de fourrure, croise le regard de Diego. Un amour passionné les lie bientôt. Mais Diego reconnaît en Guy, le frère de Malou, l’homme qui a dénoncé Raymond…
« Paris, février 1945, vers la fin d’une journée d’hiver, le dur et triste hiver qui suivit le merveilleux été de la libération de Paris.La guerre n’est pas encore finie, mais au nord de la ville, la vie coutumière reprend son cours avec ses joies simples, ses grosses difficultés, ses grandes misères, et ses terribles secrets… »
Longtemps considéré comme LE film maudit de Marcel Carné, Les Portes de la nuit n’est peut-être pas un chef d’oeuvre, mais n’en demeure pas moins une immense réussite. Cette dernière collaboration Carné – Prévert, d’après l’argument de son ballet Le Rendez-vous, se déroule durant une nuit de février 1945 à Paris, Jean Diego (Yves Montand) se rend chez la femme de son copain, Raymond Lécuyer (Raymond Bussières), pour lui annoncer la mort de son mari devant le peloton d’exécution des occupants nazis. Or, Raymond est bel et bien vivant. Un clochard, qui se présente comme étant le Destin (Jean Vilar), fil rouge de l’histoire, annonce à Jean qu’il va rencontrer, dans les heures à venir, « la plus belle fille au monde ».
« Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une mort heureuse... »
Malgré une ambiance sinistre et froide, qui reflète l’état d’un pays après des années de conflit, Les Portes de la nuit montre des personnages qui ont su rester optimistes, sauvés grâce à l’amour. Ce film choral avant l’heure, se focalise non pas sur un couple en particulier, mais sur un groupe de personnages qui se croisent et s’entrecroisent autour du destin personnifié, qui rôde autour d’eux, qui les met en garde, qui les encourage, qui les observe. Les Portes de la nuit, c’est aussi le portrait d’un quartier de Paris, le XIXe arrondissement. Le film s’ouvre sur un incroyable travelling montrant le métro aérien de la ligne 2 et la Place Stalingrad, la Rotonde et le Bassin de la Villette jusqu’à l’amorce de l’avenue Jean Jaurès. Les décors exceptionnels d’Alexandre Trauner prennent le relais puisque la station Barbès-Rochechouart a été intégralement reconstituée en studio, quasiment à l’échelle.
Alors que le film avait été pensé pour Jean Gabin et sa compagne Marlene Dietrich, Carné a vu ses deux comédiens se désister juste avant les prises de vue. Pris de panique, le cinéaste a jeté son dévolu sur Yves Montand, âgé de 25 ans, dont la carrière de chanteur venait de décoller. Il fait ici ses débuts, peu convaincants certes, au cinéma. Même chose pour sa partenaire Nathalie Nattier, dont la carrière restera cependant confidentielle. Face à ces jeunes premiers, Carné s’entoure de merveilleux acteurs « secondaires », qui font la grande réussite du film, Raymond Bussières et Jean Vilar donc, mais aussi Pierre Brasseur, Serge Reggiani, Saturnin Fabre, l’indispensable Julien Carette. Ces protagonistes reflètent le Paris d’époque, le français victime de l’Occupation, certains ayant trouvé la combine de mieux subsister que d’autres en mettant toute morale de côté. C’est le cas de monsieur Sénéchal, dont les affaires n’ont cessé de fleurir même en temps de guerre. Son fils, petite frappe sans envergure (Reggiani) a su prendre le train en marche pour essayer de s’imposer dans le quartier, jusqu’au jour où sa route croise celle du Destin.
Beau, tragique, forcément poétique, porté par l’envoûtante et mélancolique musique de Joseph Kosma et de la ritournelle des Feuilles mortes composée spécialement pour ce film, ce huitième long métrage de Marcel Carné ne peut laisser indifférent, même si le rythme paraît aujourd’hui poussif. Froidement accueilli par la critique – à tel point que Prévert songe à quitter le monde du cinéma – et malgré un public mitigé, Les Portes de la nuit, qui évoquent également celles de la Libération qui commençaient à s’entrouvrir, n’est pourtant pas un échec commercial, même si considéré comme tel.
Après avoir été démoli une nouvelle fois par Truffaut et sa clique, il faudra attendre les années 1970 pour que ce film maudit et tombé dans un relatif oubli, y compris au cours des rétrospectives consacrées à Marcel Carné, soit enfin reconsidéré.
LE BLU-RAY
Le test du Blu-ray des Portes de la nuit a été réalisé à partir d’un check-disc. Le Blu-ray et le DVD reposent dans un Digipack dans la collection Version restaurée par Pathé, glissé dans un fourreau cartonné. Le menu principal est très élégant, animé et musical.
Comme petit-four, l’éditeur et Jérôme Wybon nous proposent un petit entretien avec le réalisateur Jean-Pierre Jeunet (5’). Grand admirateur de Marcel Carné, il indique que Les Portes de la nuit arrive probablement en troisième position derrière Quai des brumes et Le Jour se lève, dans son top Carné personnel. Entouré d’objets de collection liés au cinéma de Marcel Carné, Jean-Pierre Jeunet indique ensuite comment ces films ont influencé les siens, notamment Delicatessen.
Après cette déclaration d’amour de Jeunet pour Carné, ne manquez pas le documentaire rétrospectif réalisé une fois de plus par Jérôme Wybon, intitulé Le Destin des Portes de la nuit (31’). Ce module croise les propos de Philippe Morisson (créateur du site Marcel Carné) et N.T. Binh (critique et enseignant du cinéma). Tout d’abord, les deux intervenants replacent Les Portes de la nuit dans l’oeuvre de Marcel Carné, la genèse du film, les personnages, mais aussi et surtout sur le casting puisque l’oeuvre devait être portée par Jean Gabin et Marlene Dietrich. Suite au désistement de la comédienne juste avant le tournage, l’acteur français, également compagnon de Dietrich, quitte également le projet. Carné doit alors trouver très rapidement deux remplaçants et jette son dévolu sur Yves Montand et Nathalie Nattier. Deux choix contestés à l’époque, également par les deux intervenants, même s’ils finissent par modérer leurs propos. Jérôme Wybon nous propose également quelques images d’archives rares, montrant les essais de Jean Vilar (pour le rôle finalement tenu par Saturnin Fabre), à qui Jean Gabin (de dos) en personne donne la réplique en tenant le rôle qui sera offert à Serge Reggiani (voir la capture suivante).
Nous voyons également le test passé par Yves Montand, ainsi que la construction de l’incroyable décor d’Alexandre Trauner qui reconstituait alors la station Barbès-Rochechouart en grandeur réelle. De nombreuses anecdotes de tournage sont dévoilées, la sortie du film est abordée (le film est froidement accueilli par la critique et les spectateurs) ainsi que sa reconnaissance tardive dans les années 1970.
L’Image et le son
Dans la continuité du plan de restauration de son catalogue, Pathé propose de (re)découvrir des classiques du cinéma français dans de très belles éditions DVD et Blu-ray restaurées. Les Portes de la nuit est enfin disponible dans les bacs, dans une nouvelle version numérisée et restaurée en 4K à partir du négatif original sous la supervision de Pathé et grâce aux bons soins du laboratoire L’Immagine Ritrovata. Avec son format respecté 1.37 et une compression AVC, ce Blu-ray au format 1080p permet enfin de (re)voir Les Portes de la nuit dans une superbe copie. La restauration est étincelante, les contrastes d’une densité impressionnante, la copie est stable, les gris riches, les blancs lumineux, la profondeur de champ évidente et le grain original heureusement préservé. Les séquences sombres sont tout aussi soignées que les rares scènes diurnes (l’ouverture du film), le piqué est parfois joliment acéré pour un film des années 1940 et les détails étonnent parfois par leur précision, surtout sur les gros plans. Toutefois, quelques légers flous sporadiques font parfois une apparition remarquée et quelques séquences paraissent plus douces.
Comme pour les autres titres prestigieux de son catalogue, Pathé est aux petits soins avec le film de Marcel Carné puisque la piste mono bénéficie d’un encodage en DTS HD-Master Audio. Si quelques saturations demeurent inévitables surtout sur les quelques dialogues aigus et la musique qui se fait plus chuintante, l’écoute se révèle fluide. Aucun craquement ou souffle intempestifs ne viennent perturber l’oreille des spectateurs et les échanges sont clairs à l’exception d’une séquence, celle où monsieur Sénéchal parle avec sa fille Malou. Les sous-titres destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles. Les sous-titres anglais et français destinés au public sourd et malentendant sont également disponibles, ainsi qu’une piste Audiovision.
Crédits images : © Pathé / Captures du Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr