LES CARREFOURS DE LA VILLE (City Streets) réalisé par Rouben Mamoulian, disponible en combo Blu-ray/DVD le 10 décembre 2019 chez Rimini Editions
Acteurs : Gary Cooper, Sylvia Sidney, Paul Lukas, William « Stage » Boyd, Wynne Gibson, Guy Kibbee, Stanley Fields, Betty Sinclair, Robert Homans, Barbara Leonard…
Scénario : Oliver H.P. Garrett, Max Marcin d’après une histoire originale et une nouvelle de Dashiell Hammett
Photographie : Lee Garmes
Musique : Karl Hajos, Ralph Rainger
Durée : 1h23
Date de sortie initiale : 1931
LE FILM
Les États-Unis, durant la Prohibition. Afin de développer son trafic d’alcool, le gangster Maskal n’hésite pas à tuer pour s’approprier de nouvelles brasseries. Il est épaulé par Pop Cooley, son fidèle et redoutable homme de main. Nan, la fille de Cooley, est amoureuse du Kid, qui travaille dans un stand de tir forain. Elle aimerait qu’il rejoigne le gang, mais il s’y refuse. Jusqu’au jour où Nan est emprisonnée…
Pour les cinéphiles, Rouben Mamoulian (1897-1987) reste célèbre pour avoir été débarqué du plateau de Laura (1944) par Otto Preminger en raison de « divergences artistiques », puis de celui du gargantuesque Cléopâtre pour être finalement remplacé par Joseph L. Mankiewicz. Heureusement, l’histoire retiendra aussi et surtout le formidable Docteur Jekyll et Mr. Hyde (1931) avec Fredrich March, l’une, si ce n’est la meilleure adaptation d’une œuvre de Robert Louis Stevenson. Sans oublier Le Signe de Zorro (1940) avec Tyrone Power ! Mais aujourd’hui, nous parlerons des Carrefours de la ville – City Streets (1931), le second long métrage de Rouben Mamoulian. Un film-noir comme on les aime avec une plastique élégante, des costumes bien coupés, des chapeaux bien ajustés, de beaux acteurs noyés dans les volutes de cigarettes et bien évidemment une petite intrigue bien menée, ici resserrée sur 80 minutes. Enfin, Les Carrefours de la ville vaut également pour ses deux têtes d’affiche, non des moindres, Gary Cooper et Sylvia Sidney.
Nan, dont le jovial mais inquiétant beau-père, Pop Cooley, fait partie du gang de la bière dirigé par Big Fellow Maskal, est amoureuse du Kid, un modeste employé d’un tir forain. Elle voudrait le convaincre d’entrer dans le gang. Il s’y refuse. Big Fellow essaie en vain de séduire la compagne d’un de ses lieutenants, Blackie. Il trouve plus expéditif de supprimer Blackie et en confie le soin à Pop Cooley. Des soupçons de complicité retombent sur Nan, qui est condamnée à une peine de prison. Cooley persuade le Kid qu’il pourra financer les frais d’avocat de Nan s’il accepte de mettre ses dons de tireur hors pair au service du gang. Le Kid prend goût à ses nouvelles fonctions…
Gary Cooper vient d’être consacré star à Hollywood. Les succès de son premier film parlant The Virginian (1929) de Victor Fleming et de Coeurs brûlés – Morocco (1930) de Joseph von Sternberg font de lui l’un des comédiens les plus en vue et les plus demandés par les studios. Agé de trente ans dans Les Carrefours de la ville, Gary Cooper s’impose d’emblée. Rouben Mamoulian sait filmer ses acteurs et met en valeur sa vedette à chaque apparition, montrant tout d’abord l’innocence du personnage, puis quand ce dernier rejoint la petite mafia locale. Très à l’aise avec les armes, le comédien et donc le personnage jongle avec ses calibres comme dans un western, ce qui attire évidemment les bandits qui souhaitent profiter de sa dextérité et lui faire rejoindre leurs rangs. Evidemment, une jolie jeune femme va venir tout perturber dans cette histoire. Cette demoiselle, c’est Sylvia Sidney (1910-1999), l’un des plus beaux visages de l’histoire du cinéma. Soixante-dix ans de carrière, marquée par des collaborations prestigieuses avec Joseph von Sternberg, King Vidor, Henry Hathaway, Fritz Lang, Alfred Hitchcock, William Wyler, Richard Fleischer et même Tim Burton dans Beetlejuice (1988) et Mars Attacks ! (1996). Mamie Florence qui trouvait malgré-elle le moyen pour se débarrasser des martiens en leur faisant écouter de la musique country, c’est elle ! Et elle enflamme littéralement l’écran dans Les Carrefours de la ville !
Le scénario d’Oliver H.P. Garrett, inspiré par une histoire du grand Dashiell Hammett est étonnamment moderne, notamment dans la représentation de la pègre, des hommes de main à la tête pensante qui ne se gêne pas pour convoiter la belle d’un de ses sbires. Même chose concernant les séquences tournées en prison, qui contrastent avec la représentation habituelle du cinéma hollywoodien d’alors. La photographie de Lee Garmes annonce ses partis pris plus remarqués dans Shangaï Express (1932) de Joseph von Sternberg, film qui lui vaudra un Oscar, et surtout Scarface (1932) d’Howard Hawks. Si les contrastes sont un peu plus « passe-partout », on ne pourra pas reprocher aux Carrefours de la ville de ne pas être soigné sur tous les plans.
City Streets est une rareté, un beau film qui va à cent à l’heure, qui triture les codes du film de gangsters en vigueur et qui annonce quelque part un genre qui prendra son envol dix ans après avec Le Faucon maltais, que l’on appellera plus tard la période « classique » du film noir.
LE COMBO BLU-RAY/DVD
Les Carrefours de la ville est disponible en Haute-Définition chez Rimini Editions. C’est aussi notre cinquantième chronique consacrée à cet éditeur qui nous tient à coeur. Les deux disques sont logés dans un Digipack soigné, glissé dans un étui cartonné au visuel clinquant. Le menu principal est animé et musical.
Un seul supplément au programme de cette édition, un entretien avec Alexandre Clément (16’). L’écrivain et analyste, spécialiste du film noir et du roman noir, dont vous pouvez retrouver le blog à cette adresse http://alexandreclement.eklablog.com replace Les Carrefours de la ville dans le genre, du point de vue cinématographique et littéraire. Alexandre Clément évoque Dashiell Hammett, la mutation des codes du film noir et du roman noir, avant d’aborder plus précisément le film qui nous intéresse aujourd’hui. Les comédiens, le réalisateur, la représentation des personnages, la mise en scène et bien d’autres éléments passionnants sont analysés au cours de cette présentation.
L’Image et le son
Le grain argentique est là. Discret, fin, mais bel et bien présent. Le N&B s’impose d’emblée avec des contrastes très corrects, des blancs lumineux, des gris riches. Un master HD soigné qui étonne souvent par les détails sur les gros plans, même s’il subsiste divers plans flous et un léger fourmillement. Du point de vue propreté, on dénote quelques rayures verticales (les scènes de plage au début), des points noirs, des raccords de montage et autres légères scories, mais pour un film qui fêtera cette année ses 92 ans (!) le résultat est franchement convaincant et l’ensemble se tient du début à la fin.
Point de version française à l’horizon, uniquement la piste anglaise en anglais Mono PCM. L’écoute demeure propre, jamais ou très peu parasitée par des chuintements et des saturations. Les voix sont claires, le confort acoustique assuré, malgré quelques sensibles fluctuations du volume au cours d’une même séquence. Les sous-titres français ne sont pas imposés.