L’EMPEREUR DU NORD (Emperor of the North) réalisé par Robert Aldrich, disponible Combo Blu-ray + DVD le 7 juin 2017 chez Wild Side Video
Acteurs : Lee Marvin, Ernest Borgnine, Keith Carradine, Charles Tyner, Malcolm Atterbury, Simon Oakland…
Scénario : Christopher Knopf
Photographie : Joseph F. Biroc
Musique : Frank De Vol
Durée : 2h01
Date de sortie initiale : 1973
LE FILM
Etats-Unis, années 30. La Grande Dépression plonge des millions d’Américains dans la misère. Des vagabonds arpentent le pays à la recherche d’un emploi ou d’une simple soupe. Certains tentent de voyager clandestinement à bord des trains de marchandises. Le plus convoité est celui de la ligne 19. Mais la splendide locomotive est gardée par Shack, une brute sanguinaire et sadique, qui n’hésite pas à s’attaquer sauvagement à tous les « trimardeurs » qui osent monter sur sa machine. Seul un vagabond légendaire, appelé « Numéro 1 », ose défier le chef de train. L’affrontement devient inévitable…
Quand il réalise L’Empereur du Nord en 1973, le cinéaste Robert Aldrich a déjà les 3/4 de sa carrière derrière lui. L’auteur de Bronco Apache, Vera Cruz, En quatrième vitesse, Le Grand couteau, Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, Chut… chut, chère Charlotte, Les Douze Salopards, Plein la gueule et bien d’autres films qui sont autant de grands classiques et chefs d’oeuvre, s’empare d’un scénario de Christopher Knopf. Inspiré des aventures de Leon Ray Livingston, le film est aussi et surtout une libre adaptation de La Route : Les Vagabonds du rail de Jack London (1907), ouvrage dans lequel l’écrivain relatait son errance aux côtés de vagabonds qui « brûlaient le dur », en d’autres termes qui voyageaient comme passagers clandestins sur le toit des trains. Si L’Empereur du Nord ne possède pas – à tort – le même statut que ses autres films, Robert Aldrich y fait pourtant preuve d’une indéniable virtuosité, sa direction d’acteurs est toujours extraordinaire et ce qui a souvent frappé dans son cinéma, sa spontanéité, son énergie et son élégance, se retrouve dans ce film méconnu.
Ses deux têtes d’affiche, Lee Marvin et Ernest Borgnine, rivalisent de charisme et de talent, tout en prenant un malin et contagieux plaisir à jouer au chat et à la souris, jusqu’à l’affrontement brutal, par coups de marteau, de chaînes et de poutres interposés. Si le premier n’a qu’à se placer devant la caméra pour s’imposer immédiatement avec ses yeux de félins, sa voix caverneuse et son visage buriné, véritable étendard d’une communauté et symbole du défi à l’autorité, le second se taille part du lion dans le rôle du sadique Shack, qui n’hésite pas à assommer les vagabonds d’un coup de marteau, tout en jubilant de les voir se faire écraser sous les roues du train lancé à pleine vitesse. Leur affrontement durant deux heures font tout le sel de ce film, qui n’a connu aucun succès dans les salles, mais qui est ensuite devenu culte. C’est la quatrième fois que les deux comédiens sont réunis à l’écran après Un homme est passé de John Sturges (1955), Les Inconnus dans la ville de Richard Fleischer (1955) et bien sûr Les Douze Salopards de Robert Aldrich (1966).
Quasi-inclassable, résolument moderne, oscillant entre plusieurs genres, L’Empereur du Nord se démarque par un soin particulier à reconstituer l’Amérique du début des années 1930. Comme l’indique un panneau en introduction, durant le pic de la Grande Dépression, les vagabonds parcourent le territoire en train, désespérément en quête d’un travail. Rejetés par la société, ils deviennent une espèce à part. Des nomades qui méprisent la loi et imposent la leur. « L’Homme du rail » se consacre à leur extermination. Il se dresse entre eux et leur seul moyen de survivre, le train. Puis ouverture à l’iris, comme si Robert Aldrich débutait un conte. S’ensuit une chanson légère, racontant le lien entre l’homme et le train, quand le récit est soudain parasité par le personnage de Shack qui se débarrasse sauvagement d’un vagabond ayant pris le train en marche. Puis la musique guillerette de reprendre.
Aldrich n’aura de cesse de casser le rythme de son film, en alternant des séquences douces-amères au temps quasi-suspendu, des scènes de violences sèches ou tout simplement éthérées comme cette longue séquence plongée dans le brouillard. Les dialogues sont très soignés, les personnages animés par une violence primaire, la mise en scène enlevée, le rythme soutenu, l’humour noir efficace, les acteurs parfaits jusqu’aux seconds rôles – excellent Keith Carradine, qui souhaite devenir calife à la place du calife – aux gueules patibulaires. L’Empereur du Nord s’inscrit parmi les grandes réussites du mythique réalisateur et demeure un immense plaisir de cinéphile, spectaculaire, singulier, provocateur, magistralement mis en scène (le train devient un véritable personnage à part entière), mis en musique par Frank De Vol et interprété par des comédiens, des monstres sacrés d’une classe folle avec les paysages de l’Oregon comme toile de fond. Un pur spectacle à redécouvrir.
LE BLU-RAY
Le test a été réalisé sur un check-disc. Cette édition de L’Empereur du Nord se compose du Blu-ray et du DVD du film, ainsi que d’un livret exclusif de 86 pages, spécialement écrit par Doug Headline (co-fondateur de la revue Starfix), illustré de photos d’archives rares. Le menu principal est animé et musical.
Le seul supplément disponible dans la section Interactivité est un entretien avec le scénariste Christopher Knopf réalisé en 2015 (19’). Né en 1927, notre interlocuteur parle tout d’abord de ses débuts dans le milieu du cinéma et ses premiers scénarios adaptés, Le Voleur du Roi (1955) et surtout À des millions de kilomètres de la terre de Nathan Juran (1957), pour lequel il se souvient surtout du travail et de son amitié avec Ray Harryhausen. Pour la télévision, Christopher Knopf signe ensuite des épisodes pour les séries western The Restless Gun et Au nom de la loi sur laquelle il rencontre Steve McQueen. Le scénariste déclare avoir traversé les années 1960 pour le compte de la petite lucarne, jusqu’à ce que le réalisateur Robert Aldrich- après les désistements de Martin Ritt et de Sam Peckinpah – jette son dévolu sur son histoire de L’Empereur du Nord, inspirée par un des récits de Jack London sur la vie des hobos durant la Grande Dépression.
Dans un second temps, Christopher Knopf aborde la psychologie des personnages de L’Empereur du Nord, les recherches effectuées afin de coller au plus près de la réalité, le travail des comédiens et les différences entre son scénario original et celui finalement tourné par Robert Aldrich. Ce dernier explique Knopf, ne voulait pas de sa présence sur le plateau et lui a demandé de réécrire la fin. La conclusion prévoyait que Shack et A No. 1 tombent tous les deux du train, laissant finalement Cigaret seul à bord, terrifié, prenant ainsi la place tant convoitée de la légende. Sachant que Lee Marvin n’accepterait pas un tel épilogue, le cinéaste a donc demandé au scénariste de le changer. Enfin, Christopher Knopf revient sur l’échec du film, son préféré, malgré les bonnes critiques. Le scénariste se dit heureux que cette œuvre soit enfin reconnue et même devenue culte avec les années. N’oublions pas de mentionner les précieuses images de tournage qui viennent illustrer le documentaire. L’occasion de voir Ernest Borgnine et Lee Marvin en pleine répétition du combat final, sous l’oeil attentif de Robert Aldrich !
L’Image et le son
La qualité de ce nouveau master HD issu de la restauration 4K réalisée par la Fox au format 1.85 respecté est exceptionnelle et le film de Robert Aldrich renaît littéralement devant nos yeux. Les contrastes affichent d’emblée une densité inédite, la copie est d’une propreté immaculée, aucune scorie n’a survécu au lifting numérique, le piqué est fort impressionnant sur les gros plans (la sueur, la rosacée de Lee Marvin) et les détails abondent surtout sur les plans diurnes en extérieur qui sont à couper le souffle. Si l’on excepte deux ou trois plans flous sur la séquence où les personnages sont longtemps plongés dans un brouillard à couper au couteau, ces menus accrocs sont bien trop anecdotiques compte tenu de la clarté éblouissante, des noirs concis, du grain cinéma respecté, de la colorimétrie vive et du relief inattendu. Enfin, l’ensemble est consolidé par une compression AVC de haute tenue. Magnifique Blu-ray.
L’éditeur ne propose pas un remixage inutile, mais encode les pistes originale et française en DTS-HD Master Audio mono 2.0. Passons rapidement sur la version française au doublage old-school très réussi, qui se concentre essentiellement sur le report des voix parfois au détriment de certains effets annexes. Les dialogues sont d’ailleurs trop élevés sur certaines séquences, même à faible volume, mais l’écoute demeure propre et nette. Elle n’est pas en revanche aussi fluide et homogène que la version originale, même si le report des dialogues aurait pu être plus ardent. Dans les deux cas, aucun souffle n’est à déplorer, les séquences de train lancé à fond sur les rails sont merveilleusement restituées, dynamiques et vives, tout comme le score de Frank De Vol, collaborateur fidèle de Robert Aldrich, qui profite d’une excellente exploitation des frontales. Les sous-titres sont imposés sur la version originale.
Crédits images : ©-1973-Twentieth-Century-Fox-Film-Corporation.-Renewed-©-2001-Twentieth-Century-Fox-Film-Corporation.-Tous-droits-réservés / Wild Side Video / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr