LE MAL N’EXISTE PAS (Aku wa sonzai shinai – 悪は存在しない) réalisé par
Ryūsuke Hamaguchi, disponible en DVD et Blu-ray le 3 septembre 2024 chez Diaphana.
Acteurs : Hitoshi Omika, Ryô Nishikawa, Ryuji Kosaka, Ayaka Shibutani, Hazuki Kikuchi, Hiroyuki Miura, Yoshinori Miyata, Taijirô Tamura, Yûto Torii…
Scénario : Ryūsuke Hamaguchi
Photographie : Yoshio Kitagawa
Musique : Eiko Ishibashi
Durée : 1h46
Date de sortie initiale : 2024
LE FILM
Takumi et sa fille Hana vivent dans le village de Mizubiki, près de Tokyo. Comme leurs aînés avant eux, ils mènent une vie modeste en harmonie avec leur environnement. Le projet de construction d’un « camping glamour » dans le parc naturel voisin, offrant aux citadins une échappatoire tout confort vers la nature, va mettre en danger l’équilibre écologique du site et affecter profondément la vie de Takumi et des villageois…
Nous en parlions lors de la sortie dans les bacs de Drive My Car, Ryūsuke Hamaguchi est l’un des cinéastes majeurs aujourd’hui et nous attendions de pied ferme son nouveau long-métrage. Le Mal n’existe pas est reparti de la Mostra de Venise 2023 avec le Grand prix du jury, ainsi que du Prix FIPRESCI. Pourtant, même si on ne peut pas parler de déception, on reste un peu plus dubitatifs que d’habitude quant à la nouvelle œuvre du réalisateur de Senses, Asako I & II et de Contes du hasard et autres fantaisies. La faute à un scénario somme toute plus banal ou plutôt prétexte à une succession de plans-séquences, par ailleurs merveilleusement beaux et contemplatifs. Dire que la magnificence des images ne touche pas en plein coeur et subjugue du début à la fin serait mentir. Toutefois, l’émotion peine à s’installer sur Le Mal n’existe pas, magnifique objet cinématographique, mais dont la forme interpelle indéniablement plus que le fond.
Takumi et sa fille de 8 ans Hana habitent en forêt et admirent les arbres et la nature dont ils connaissent et suivent les cycles. Un projet de construction d’un terrain de « glamping » (littéralement la symbiose entre le glamour et le camping) est présenté aux habitants du village, qui le rejettent car il présente des risques pour l’environnement. Le responsable de l’entreprise portant le projet n’accepte pas de réduire les coûts que représenterait la modification demandée par les habitants, c’est-à-dire un changement du site prévu pour la fosse septique, qui polluerait l’eau de tout le village, étant en amont de la rivière. Un des deux représentants de la firme, l’homme, est tenté par la vie en forêt et envisage de changer de vie pour s’installer comme gardien du futur site. Il a une révélation en réussissant à couper une bûche à la hache quand Hana disparaît mystérieusement après l’école.
Certaines séquences font mouche, surtout celles où les personnages, enfermés dans leur voiture (comme dans Drive My Car donc) se confient l’un à l’autre, comme si le fait d’être cloisonnés, sans forcément avoir le besoin de se regarder en parlant, libérait leurs sentiments, leurs frustrations, leurs peines, leurs espoirs aussi. La scène où Takahashi se livre à Mayuzumi et lui déclare avoir une révélation, autrement dit vouloir tout quitter pour travailler au sein de la nature, est inattendue et contraste avec son comportement lors de la réunion d’informations sur les travaux envisagés pour la construction du terrain de glamping. Takahashi, ancien acteur et agent de cinéma, en a visiblement assez de jouer un rôle en permanence, souhaite se retrouver lui-même, ce qui peut être possible en lien avec la nature et en collaboration avec celles et ceux qui la défendent. Les autres protagonistes, Takumi (incarné par Hitoshi Omika, acteur non professionnel, à l’origine chauffeur et simple assistant), Hana et les autres, ne se posent pas la question. Ils sont en communion avec la nature, connaissent le nom des arbres, cohabitent avec eux, les respectent et ils feront tout pour les défendre face à ce projet qui les menacent, ainsi que l’écosystème en général.
Ryūsuke Hamaguchi appuie sans doute un peu trop les archétypes lors du meeting (les habitants ont raison, les représentants de la société ne comprennent rien) et le message est étonnamment naïf, même si évidemment sincère, d’autant plus que ceux que l’on pensait être du mauvais côté de la barrière deviennent par la suite des personnages de premier plan et s’avèrent plus nuancés que l’on imaginait. Le metteur en scène soigne alors chacun de ses plans, hypnotise dès l’ouverture avec sa forêt s’étendant à perte de vue, filmée en lent travelling et contre-plongée, le tout souligné par une photo exceptionnelle signée Yoshio Kitagawa, déjà à l’oeuvre sur Senses. Si l’on peut parler de « réalisme dépouillé » pour représenter le style de Ryūsuke Hamaguchi, ses films restent néanmoins on ne peut plus stylisés, chaque photogramme faisant penser à un tableau de maître.
Comme Drive My Car, l’ensemble est bercé par la musique toujours ensorcelante de la compositrice Eiko Ishibashi, certaines images du film provenant d’ailleurs de celles tournées par le cinéaste pour un concert live de la musicienne. Après la projection, peu de scènes reviennent en mémoire, à part celle de la réunion, très documentaire et qui tranche avec le reste. De cette fable, seules les émotions demeurent, ce qui est déjà pas mal, mais contrairement à Drive My Car (pour ne citer que celui-ci), l’expérience sensorielle s’avère plus classique et traditionnelle.
LE BLU-RAY
À l’instar de Contes du hasard et autres fantaisies et Drive My Car, le dernier film en date de Ryūsuke Hamaguchi apparaît dans les bacs français chez Diaphana, en DVD et Blu-ray. Le visuel reprend celui de la magnifique affiche d’exploitation. Le menu principal est animé et musical.
L’éditeur nous offre l’opportunité d’écouter le réalisateur, enregistré à l’occasion de la sortie du Mal n’existe pas dans les salles hexagonales (11’). Une interview courte, mais qui donne de multiples informations sur la genèse du film (né d’images tournées pour une performance musicale d’Eiko Ishibashi). Dans un second temps, le cinéaste évoque le travail sur le son, sur les ruptures (héritées du cinéma de Jean-Luc Godard), les thèmes, la signification du titre et celle de la dernière séquence.
L’Image et le son
L’univers visuel foisonnant de Ryūsuke Hamaguchi sied à merveille au support Blu-ray. Diaphana livre un magnifique master HD. Les sublimes partis pris esthétiques du chef opérateur Yoshio Kitagawa passent remarquablement le cap du petit écran et les détails foisonnent aux quatre coins du cadre. Les contrastes affichent une densité impressionnante, le piqué est tranchant comme un scalpel y compris sur les scènes sombres. Les détails se renforcent et abondent en extérieur jour, la colorimétrie est vive, bigarrée et étincelante, le relief demeure palpable tout du long. Un transfert estomaquant de beauté, une clarté voluptueuse, le tout conforté par un encodage AVC solide comme un roc, voilà un nouveau Blu-ray de démonstration.
La bande-son participe également au caractère expérimental de l’oeuvre de Ryūsuke Hamaguchi. Point de version française à l’horizon mais seulement le mixage original livré dans un emballage DTS-HD Master Audio 5.1. Ce mixage instaure un réel confort acoustique en spatialisant ardemment la musique, les effets annexes (limpides), les voix solidement plantées sur la centrale.