Test Blu-ray / La Religieuse, réalisé par Jacques Rivette

LA RELIGIEUSE réalisé par Jacques Rivette, disponible en combo Blu-ray/DVD le 18 septembre 2018 chez Studiocanal

Acteurs : Anna Karina, Liselotte Pulver, Micheline Presle, Francine Bergé, Francisco Rabal, Yori Bertin, Catherine Diamant…

Scénario : Jean Gruault, Jacques Rivette d’après le roman « La Religieuse » de Denis Diderot

Photographie : Alain Levent

Musique : Jean-Claude Eloy

Durée : 2h20

Date de sortie initiale : 1966

LE FILM

Au XVIIIe siècle, Suzanne Simonin est cloîtrée contre son gré dans un couvent. Elle trouve un peu de réconfort auprès de la Mère supérieure, mais celle-ci meurt peu après, et est remplacée par une femme sadique qui ne cesse de brimer Suzanne. La jeune femme obtient l’autorisation de changer de couvent, mais reste toujours aussi déterminée à sortir.

Librement adapté d’une œuvre polémique de Diderot…

C’est le film français à avoir provoqué le plus grand scandale dans les années 1960. C’est aussi le second long métrage du réalisateur Jacques Rivette (1928-2016), critique – comme Eric Rohmer et Jean-Luc Godard – aux Cahiers du cinéma depuis 1953 où il devient directeur en chef de la revue dix ans après. Après quelques courts-métrages (Le Quadrille, Le Coup du berger), il signe son premier long en 1960 avec Paris nous appartient. La Religieuse, également connu sous son titre original Suzanne Simonin, la Religieuse de Denis Diderot est rétrospectivement l’oeuvre la plus célèbre de son auteur avec La Belle Noiseuse (1991) et son plus grand succès. Nul autre film dans sa carrière n’aura un tel retentissement et un tel impact. Chef d’oeuvre absolu et d’une folle modernité, La Religieuse offre également à la splendide Anna Karina son plus beau rôle au cinéma.

Les deux sœurs de Suzanne Simonin ont été richement dotées. Leur père n’a plus les moyens d’en faire autant pour Suzanne qui, de plus, n’est pas sa fille. La solution, au XVIIIe siècle, est simple, expéditive : mettre l’enfant mal-aimée au couvent. Suzanne refuse de prononcer ses vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, mais nul ne l’entend et elle se retrouve cloîtrée contre son gré au couvent de Longchamp que dirige Mme de Moni. Cette dernière convainc la jeune fille d’accepter son destin et de prononcer ses vœux. Mais, après la mort de la Supérieure, Mère Sainte Christine impose une discipline de fer. Elle enferme Suzanne dans sa cellule et pour faire échec à sa tentative de résiliation de ses vœux, affirme qu’elle est possédée du démon. Innocentée, Suzanne est transférée au couvent d’Arpajon où règne une totale liberté instaurée par la supérieure, Mme de Chelles. Celle-ci s’intéresse beaucoup à Suzanne et commence par lui faire quelques avances amoureuses puis sexuelles.

Les spectateurs ne manqueront pas de s’interdire toute généralisation hâtive, injuste et évidemment indéfendable…

Qui d’autre qu’Anna Karina aurait pu incarner cette jeune femme rebelle à toute autorité, et désirant retourner à la vie civile, malgré la cruauté d’une abbesse sadique qui lui inflige humiliations et tortures, la croyant possédée par le diable ? Quasiment de tous les plans, la comédienne alors âgée de 25 ans est devenue le visage de la Nouvelle Vague avec déjà à son palmarès Le Petit Soldat, Une femme est une femme, Vivre sa vie, Bande à part et Alphaville, une étrange aventure de Lemmy Caution, tous réalisés par son compagnon Jean-Luc Godard. Le projet remonte à la fin des années 1950. Le célèbre et grand producteur Georges de Beauregard propose à Jacques Rivette de réaliser l’adaptation du livre de Diderot. En 1962, un avis de précensure défavorable de la commission de contrôle conduit les scénaristes Jacques Rivette et Jean Gruault à le transposer tout d’abord au théâtre (les trois coups retentiront d’ailleurs au début du film) au Studio des Champs-Elysées en 1963. Anna Karina interprète le rôle principal de la pièce mise en scène par Jean-Luc Godard, qui n’entraîne d’ailleurs aucun scandale et n’obtient pas de succès. Puis les deux scénaristes revoient leur copie afin que le film puisse obtenir une autorisation pour les spectateurs âgés de plus de 18 ans. La Religieuse n’est même pas encore tourné, qu’il se voit en fait déjà interdire.

Des religieuses et des associations de parents d’élèves de l’enseignement privé appellent au boycott. En 1965, la présidente de l’Union des supérieures majeures de France s’adresse directement à Alain Peyrefitte, ministre de l’information. Ce dernier « entend » son inquiétude quant au « caractère blasphématoire de ce film qui déshonore les religieuses ». Jacques Rivette entreprend néanmoins le tournage de La Religieuse, même s’il essuie le refus des monuments historiques pour effectuer ses prises de vue à l’abbaye de Fontevraud. La commission de contrôle autorise enfin la distribution de La Religieuse avec une interdiction aux moins de 18 ans. C’est alors qu’Yvon Bourges, secrétaire d’État à l’information, ainsi que Maurice Grimaud, directeur de la sécurité nationale, interdisent totalement la distribution et l’exportation du film, en prétextant que La Religieuse risque de troubler l’ordre public.

Là-dessus Jean-Luc Godard intervient et interpelle André Malraux, ministre de la culture. Le scandale est national et passe même les frontières françaises. Le film de Jacques Rivette parvient à être sélectionné au Festival de Cannes en 1966. Le producteur Georges de Beauregard se lance dans une bataille juridique et la remporte en 1967 auprès du tribunal administratif. L’interdiction d’exploitation est levée, à l’exception de celle aux moins de 18 ans. La Religieuse sort bel et bien le 26 juillet 1967 dans cinq salles parisiennes, plus d’un an après sa première projection sur la Croisette. C’est un triomphe avec près de trois millions d’entrées. Il faudra tout de même attendre 1975 pour que l’interdiction complète soit levée de façon définitive.

Mais La Religieuse ou Suzanne Simonin, la Religieuse de Denis Diderot va bien au-delà du scandale provoqué à sa sortie. Plus de cinquante ans après, sa modernité étonne encore et le film est loin d’être académique ou « poussiéreux ». Avec sa grâce, son regard bleu perçant, son visage ovale emprisonné dans un voile et son corps sans cesse en mouvement qui reflète sa rébellion contre l’institution, Anna Karina enflamme la pellicule. Jacques Rivette suit son personnage après avoir prévenu dans un sublime prologue que Suzanne ne s’en sortira pas. Chronique d’une mort ou d’une résignation annoncée ? Le spectateur suit le quotidien de Suzanne et devient le témoin de sa lutte acharnée pour sortir de cette prison où on l’a placée de force. Ses rencontres, déterminantes ou pas, s’enchaînent, l’espoir parvient à renaître parfois, mais les désillusions reviennent très vite. Il n’y a rien d’austère dans La Religieuse, film de chair et de sang qui palpite. Derrière la photo et les partis pris froids du chef opérateur Alain Levent, c’est un récit sur la volonté de vivre librement sa vie que nous raconte Jacques Rivette.

Le montage capte l’attention du spectateur sur 2h20, sans un moment de répit. Si Anna Karina reste le diamant du film, ses partenaires, Liselotte Pulver, Micheline Presle, Kean Martin et bien d’autres, témoignent de la solide direction d’acteurs du cinéaste qui rappelons-le n’en était qu’à son second long métrage. La Religieuse demeure l’une des plus grandes expériences du cinéma français des années 1960, un chef d’oeuvre à l’apparence épurée et pourtant d’une richesse thématique et formelle (un certain Claude Zidi à la caméra), parfois quasi-fantastique, insondable qui traverse le temps sans une égratignure. En 2013, une nouvelle et excellente transposition du roman de Denis Diderot réalisée par Guillaume Nicloux sort sur les écrans, avec Pauline Etienne dans le rôle principal.

LE BLU-RAY

Le chef d’oeuvre de Jacques Rivette fait son retour chez Studiocanal, dans un combo Blu-ray/DVD. Le menu principal est animé sur une séquence du film.

En plus de la bande-annonce de la version restaurée, l’éditeur joint un documentaire intitulé Suzanne Simonin …la scandaleuse !, réalisé par Dominique Mallet (28’). Ce module se compose des interventions de Georges Kiejman, avocat et homme politique (ancien ministre sous Mitterrand), et de la grande Anna Karina. Les deux invités reviennent sur toutes les étapes de la sortie houleuse de La Religieuse au cinéma. La comédienne évoque la pièce de théâtre originale puis les menaces de mort qui l’ont conduit à déménager, tandis que l’homme de loi et ancien avocat du producteur Georges de Beauregard replace surtout l’affaire dans son contexte, deux ans avant les événements de mai 68. La mise en scène, les intentions et les partis pris de Jacques Rivette sont abordés dans un second temps, ainsi que le triomphe du film.

L’Image et le son

Entièrement restauré par L’Immagine Ritrovata, La Religieuse profite de cette élévation en Haute-Définition. Les couleurs froides voire glaciales sont nettes et tranchées, les noirs denses, les contrastes sont parfois trop appuyés dans la première partie, mais trouvent ensuite un bon équilibre. Le grain original est heureusement respecté et bien géré, tandis que les nombreux gros plans ne manquent pas de détails. La sublime photographie d’Alain Levent aux ambiances bleutées est admirablement restituée, tout comme les séquences partagées entre ombre et lumière, qui reflètent les tourments et l’espoir de Suzanne. Hormis quelques baisses de la définition et de légers flous, ce Blu-ray de La Religieuse est superbe.

La piste DTS-HD Master Audio mono 2.0 n’est certes pas exempt de sensibles saturations, résonances et de quelques répliques qui paraissent étouffées, mais le confort acoustique est suffisamment assuré. Aucun souffle n’est à déplorer et les sensibles ambiances environnantes sont bien délivrées, même à volume peu élevé. L’ensemble est clair et distinct, la propreté est de mise. L’éditeur joint également les sous-titres français destinés au public sourd et malentendant.

Crédits images : © Studiocanal / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr

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