FREUD, PASSIONS SECRÈTES (Freud: The Secret Passion) réalisé par John Huston, disponible en Édition Blu-ray + DVD + DVD bonus + livre – Boîtier Mediabook le 22 novembre 2022 chez Rimini Editions.
Acteurs : Montgomery Clift, Susannah York, Larry Parks, Susan Kohner, Eileen Herlie, Fernand Ledoux, David McCallum…
Scénario : Wolfgang Reinhardt & Charles Kaufman
Photographie : Douglas Slocombe
Musique : Jerry Goldsmith
Durée : 2h15
Date de sortie initiale : 1962
LE FILM
1885. Sigmund Freud, 29 ans, est neurologue à l’hôpital général de Vienne. Confronté à des cas pathologiques qui défient la médecine traditionnelle, il n’hésite pas à faire appel à l’hypnose pour essayer de comprendre le mal dont souffrent les patients. Au fur et à mesure de ses expériences, Freud perçoit qu’il est tout proche de l’une des découvertes majeures de l’histoire de la science.
« Il est préférable de laisser les scorpions dans l’obscurité… »
Freud, passions secrètes, Freud: The Secret Passion ou tout simplement Freud est un chef d’oeuvre caché de John Huston. Sorti en 1962, ce film admirable et pourtant oublié est aussi l’avant-dernier long métrage du comédien Montgomery Clift, éblouissant dans le rôle-titre. Plus qu’un biopic, John Huston met en scène la découverte de la psychanalyse et de l’inconscient. La passion du réalisateur pour ce sujet remonte à la Seconde Guerre mondiale. Mobilisé dans l’équipe des cinéastes militaires de l’U.S. Army, sous la direction de Frank Capra, John Huston est appelé à réaliser quelques documentaires auprès des soldats. C’est le cas du méconnu Que la lumière soit – Let there be light (1946) qui suit une équipe de psychiatres tenter de soigner des rescapés, victimes de chocs traumatiques. Certains présentent des troubles de la vue, d’autres sont visiblement handicapés ou angoissés, persuadés qu’une bombe va leur tomber dessus. John Huston observe ces médecins avoir recours à la psychanalyse et à l’hypnose. Fasciné, il sait qu’il réalisera plus tard un film tournant autour de Freud. Considéré comme un film capital sur le traitement psychiatrique des blessés de guerre, Que la lumière soit est néanmoins interdit par le Pentagone et restera inédit jusqu’en 1981. Sélectionné dans la section Un certain regard au Festival de Cannes cette année-là, les spectateurs découvrent des images insoutenables. Après son film maudit Les Désaxés – The Misfits (1961) et suite à de longues recherches sur Freud durant lesquelles il s’initie même aux techniques de l’hypnose, John Huston entreprend enfin ce projet qui lui tenait à coeur depuis une quinzaine d’années.
Le jeune Sigmund Freud se rend à Paris pour rencontrer le professeur Charcot, dont les travaux sur l’hypnose l’intéressent depuis longtemps. Revenu à Vienne, il poursuit ses propres recherches sur l’hystérie, malgré l’opposition de son entourage. Seul le docteur Breuer le soutient et l’encourage dans ses recherches. Au contact de patients névrosés, Freud découvre le rôle prépondérant de la sexualité dans les mécanismes de l’inconscient et, malgré la désapprobation collective de ses collègues psychiatres, en vient à élaborer une théorie sur l’origine sexuelle des névroses.
« Quelle magnificence d’éclairer les ténèbres de vos lumières ! »
Dans un premier temps, en 1958, John Huston avait demandé au philosophe et écrivain Jean-Paul Sartre d’écrire le scénario. Ce dernier n’avait pas pris la chose à la légère et avait finalement remis au réalisateur un scénario documenté de plus de 400 pages, uniquement concentré sur les débuts de Freud en tant que neurologue. Après avoir décliné poliment ce travail de titan, John Huston se tourne vers un scénariste plus « expérimenté », Wolfgang Reinhardt. Freud, passions secrètes est le fruit de toutes ces études poussées. Souvent filmé comme un thriller, le récit est haletant et le cinéaste parvient à mettre en scène la passion d’un homme, qui vit littéralement pour son travail. Montgomery Clift, bien qu’extrêmement souffrant sur le tournage et au plus mal avec ses problèmes d’alcool – Huston, excédé, pense sérieusement le remplacer par Eli Wallach – incarne Freud à la perfection. Avec son regard perçant, à tel point que ses yeux bleus illuminent la superbe photographie N&B crépusculaire du chef opérateur Douglas Slocombe (Gatsby le magnifique, les trois premiers Indiana Jones), le comédien restitue tout le feu qui anime son personnage, un foyer sans cesse attisé par de nouvelles découvertes. Bien que marié à la jeune Martha (magnifique Susan Kohner, la Sarah Jane de Mirage de la vie de Douglas Sirk), Freud se lance seul dans cette aventure. John Huston a recours à quelques plans hérités de l’expressionnisme allemand pour renforcer l’aspect « monstre » de Freud, dont la silhouette se dessine dans la pénombre, quand celui-ci entreprend de rendre visite à ses patients cobayes (dont la divine Susannah York), avant de réaliser sa propre analyse pour affronter ses démons. Cette impression quasi-fantastique est par ailleurs renforcée par la composition angoissante de Jerry Goldsmith.
John Huston filme ensuite son personnage, seul contre tous, annoncer à ses confrères l’aboutissement de son travail. Freud est filmé de dos, comme jeté dans une arène où l’ambiance est effervescente, comme si les spectateurs étaient prêts à le lyncher. Cela ne manque pas d’arriver au moment où Freud leur présente ce qui l’avait effrayé dans un premier temps, puis ce qui allait alors devenir un concept central dans la psychanalyse, le complexe d’Oedipe. Drame psychologique, biopic et même parfois inclassable quand le cinéaste a recours au rêve et aux fantasmes pour montrer – et c’est ce qui l’intéresse le plus – la pensée à l’oeuvre chez son personnage principal, Freud, passions secrètes est un chef d’oeuvre trépidant, magistral et remarquablement documenté. Enfin, notons qu’à sa sortie, les distributeurs ont imposé à John Huston de couper une demi-heure de son film, jugé alors trop austère. S’il restera très attaché à Freud, passions secrètes tout au long de sa vie, il reniera en revanche le montage sorti dans les salles.
Pour Marie Jacquinot Barba
LE MEDIABOOK
Rimini Editions avait précédemment proposé Freud, passions secrètes en DVD il y a déjà un peu plus de cinq ans. Nous sommes donc on ne peut plus heureux de voir ce titre exceptionnel enfin présenté en Haute-Définition et ce toujours chez le même éditeur. À cette occasion, Rimini a concocté un magnifique objet, une Édition Blu-ray + DVD + DVD bonus + livre – Boîtier Mediabook. Le livre de 80 pages, intitulé Histoire d’un film sous influence(s), a été confié à Marc Godin, critique et historien du cinéma, qui revient de façon très complète sur la genèse du film de John Huston, sur la longue (ré)écriture du scénario, la collaboration du réalisateur avec Jean-Paul Sartre, les conditions de tournage (la relation difficile entre John Huston et Montgomery Clift) et bien d’autres éléments, qui sont d’ailleurs repris dans les suppléments en vidéo. Notons la magnifique illustration du livre. Le menu principal est animé et musical.
Pour cette édition, l’éditeur a repris les deux précédentes interventions de Marie-Laure Susini, psychanalyste et écrivain, membre de l’École de La Cause Freudienne de 1981 à 1991, puis de l’École de Psychanalyse Sigmund Freud de 1993 à 2010. Dans le premier segment intitulé Freud, le film oublié (22’), notre interlocutrice se penche sur la genèse du film de John Huston et déclare « c’est un chef d’oeuvre, mais même les plus grands fans de John Huston le connaissent peu ». Marie-Laure Susini évoque les ouvrages sur la vie de Freud (dont une biographie écrite par Stefan Zweig, Sigmund Freud : La guérison par l’esprit), les raisons qui ont poussé John Huston à réaliser un film sur la découverte de la psychanalyse (qui découle du documentaire Que la lumière soit, dont on nous présente un extrait), l’évolution du scénario (dont l’épisode Jean-Paul Sartre), le casting (Montgomery Clift est selon elle parfait), les conditions de tournage et les intentions du cinéaste. Dommage que cette intervention soit sans cesse entrecoupée d’extraits du film, de la bande-annonce ou de photos de moyenne qualité.
Dans un second module (Freud, secrets d’adaptation, 12’), Marie-Laure Susini se concentre sur le fond du film et la façon dont John Huston a abordé l’inconscient dans Freud, passions secrètes. Elle déclare que tous les dialogues sont « incroyablement construits et totalement au service de la psychanalyse », que les séquences de rêve imaginées par le cinéaste sont formidables et précises et que John Huston a parfaitement retranscrit le travail méticuleux et complexe, ainsi que l’aventure intérieure d’un homme seul pendant plus de dix ans.
Deux nouveautés pour cette sortie Mediabook. La première, non des moindres, est un enregistrement audio tiré de la masterclass de John Huston (36’30), enregistrée le 15 mars 1981 au National Film Theatre / British Film Institute et dirigée par Brian Baxter. Dans une première partie, John Huston (et non pas « John Houston » comme indiqué sur le menu) revient sur ses premières amours au cinéma (Chaplin, Fatty Arbuckle, William S. Hart), avant d’aborder ses débuts comme auteur, puis son arrivée dans le monde du cinéma, chez Universal, puis chez Warner. Il aborde ensuite ses premiers longs-métrages, son amitié avec Humphrey Bogart, le travail sur la couleur (sur Moulin Rouge notamment), puis répond aux questions du public et parle du film qui nous intéresse aujourd’hui, Freud, passions secrètes.
L’autre nouveau bonus est une analyse de séquence (en audio également) par Bernard Benoliel, directeur de l’Action culturelle et éducative à la Cinémathèque Française (16’). Vous pouvez avancer jusqu’à la cinquième minute, durée de l’extrait du film qui sera ensuite commenté par Bernard Benoliel. Une intervention pointue, qui rappelle celles de Jean Douchet, pas forcément attractive pour le grand public et réservée aux cinéphiles les plus pointus, amateurs de dissections que personnellement nous trouvons souvent froides et trop techniques.
L’Image et le son
Voilà ce que nous disions du master Standard précédent : On ne sait pas où Rimini Editions est allé chercher cette copie, toujours est-il que le master présenté ici a semble-t-il connu quelques heures de vol. Dès la première séquence, les fourmillements s’invitent, ainsi que des points blancs, de nombreuses rayures verticales, des pixels, des plans flous. Il faut attendre quelques minutes pour que la copie au dégrainage assez conséquent, trouve enfin une certaine stabilité, même si les défauts ont tendance à réapparaître tout au long de ces 135 minutes. Les séquences de rêves sont les plus abîmées du lot, les noirs sont charbonneux, le manque de piqué est conséquent, quelques séquences paraissent surexposées et la définition chancelle à plusieurs reprises. Il faudra se contenter de cette image, car soyons honnêtes, découvrir Freud, passions secrètes en DVD en 2017 était quasi-inespéré.
Et voilà ce que nous pouvons dire sur ce master HD : C’est vers cette édition qu’il faudra vous tourner si vous désirez voir le film de John Huston dans les meilleures conditions techniques possibles. Fort d’un master au format 1.85 respecté (16/9 compatible 4/3) et d’une compression solide comme un roc, ce Blu-ray au format 1080p s’avère lumineux. La définition est très belle et la restauration 2K se révèle étincelante. Les contrastes sont denses, les noirs profonds et le grain original heureusement préservé, sans lissage excessif. En dehors d’une ou deux séquences peut-être moins définies, ainsi que des rayures verticales, points et autres poussières qui subsistent parfois, les séquences sombres sont tout aussi soignées que les scènes plus claires, le piqué est aussi tranchant qu’inédit, la stabilité de mise, les détails étonnent par leur précision.
L’éditeur ne propose que la version originale du film de John Huston. Dynamique, nettoyée, homogène et naturelle, sans souffle parasite, cette piste DTS-HD Master Audio Mono offre un confort acoustique solide et restitue admirablement les somptueux dialogues et la musique de Jerry Goldsmith. Les sous-titres français ne sont pas imposés.