EMBRASSE-MOI IDIOT (Kiss me, Stupid) réalisé par Billy Wider, disponible en DVD et Blu-ray le 18 septembre 2018 chez Rimini Editions
Acteurs : Dean Martin, Kim Novak, Ray Walston, Felicia Farr, Cliff Osmond, Barbara Pepper, Skip Ward, Doro Merande…
Scénario : Billy Wilder, I.A.L. Diamond d’après la pièce L’Ora della Fantasia d’Anna Bonacci
Photographie : Joseph LaShelle
Musique : André Previn
Durée : 2h05
Date de sortie initiale : 1964
LE FILM
D’une jalousie maladive, Orville doit héberger, durant une nuit, Dino, célèbre crooner à la réputation de séducteur. Redoutant que sa femme soit sensible au charme du chanteur, il la renvoie chez sa mère et engage Polly, une entraîneuse de bar, pour jouer son rôle. La nuit va être longue…
Rétrospectivement, Embrasse-moi, idiot – Kiss Me, Stupid, réalisé en 1964, est le dernier grand film emblématique de l’immense carrière de Billy Wilder. Malgré quelques sursauts avec La Vie privée de Sherlock Holmes (1970), grand film « malade » comme dirait François Truffaut, et surtout Fedora (1978), Embrasse-moi, idiot, charge corrosive, contient toute la sève du cinéma de l’auteur de Sabrina (1954), Certains l’aiment chaud (1959) et La Garçonnière (1960). Dilapidé par la critique américaine, échec commercial, le cinéaste n’arrivera jamais à se remettre totalement de ce procès d’intention. Pourtant, plus d’un demi-siècle après sa sortie, Kiss Me, Stupid demeure un savoureux tour de force qui fustige à la fois l’hypocrisie et la frustration sexuelle américaine, mais aussi la valeur symbolique du mariage à travers une radiographie de la femme épouse et de la femme putain, que la morale bien pensante préfère opposer. Parallèlement, Embrasse-moi, idiot est un modèle de comédie, qui ravit à la fois le coeur et l’âme, qui met en avant les seconds couteaux plutôt que ses stars confirmées, même si le film aurait pu s’intituler Dean Martin chez les ploucs. Souvent dissimulé derrière les deux monuments Some Like It Hot et The Apartment, Kiss Me, Stupid est pourtant largement à reconsidérer.
Orville Spooner et Barney Milsap habitent à Climax, Nevada. L’un donne des leçons de piano, l’autre est garagiste. Tous deux composent des chansons. Un jour Dino, un chanteur de charme sur le retour, s’arrête à Climax. Barney sabote sa voiture de façon à lui faire passer la nuit chez Orville, où il pourra écouter leurs compositions. Mais Orville est extrêmement jaloux concernant sa femme Zelda, et Dino est malheureusement pour lui un grand séducteur. Barney a alors l’idée de faire jouer le rôle de Zelda à Polly, ancienne manucure, devenue serveuse dans un rade et qui se prostitue occasionnellement. Ne reste plus qu’à Orville d’éloigner sa femme.
Si l’on pense souvent à Sept ans de réflexion qui abordait le même thème de la jalousie maladive, Embrasse-moi, idiot est pourtant bien plus frontal. Pour leur cinquième collaboration, Billy Wilder et I. A. L. Diamond, ont décidé de pousser les curseurs à fond, en jouant constamment avec la censure et le fameux code Hays (qui arrivait à sa fin), en abordant la sexualité omniprésente et le faux puritanisme de l’Oncle Sam. Dean Martin interprète quasiment son propre rôle, un crooner proche de la cinquantaine, porté sur la bibine, tombeur de femmes qui se pâment et qui feraient tout pour passer une nuit avec lui. Mais comme dans Irma la Douce sorti l’année précédente, le personnage (à l’origine écrit pour Marilyn Monroe, disparue en 1962) qui représente à la fois le désir refoulé et l’imposture de la supposée bigoterie du citoyen américain moyen est celui de la prostituée, merveilleusement interprétée par Kim Novak. Sulfureuse avec ses costumes qui ne dissimulent rien de ses formes très avantageuses, notamment de sa superbe poitrine débordant largement de son bustier échancré qui a dû donner quelques sueurs froides (et pour cause) aux censeurs, l’immortelle comédienne de Vertigo incarne finalement ce qu’il y a de plus pur. Rejetée par l’American Dream, Polly, partage son temps entre sa caravane plantée dans une cour non loin des ordures, et le bar Le Nombril (le Belly Button) où elle officie comme serveuse qui présente aux clients à la fois la carte et ses propres charmes. Alors, quand un professeur de piano et un garagiste, dont le rêve est de percer avec leurs chansons écrites sur un coin de table, décident de la « louer » afin de la jeter dans les bras d’une star du music-hall pour que ce dernier achète leurs compositions, Polly accepte gentiment, comme une simple passe.
A travers ce portrait de la douce et désirable prostituée, Billy Wilder et I. A. L. Diamond dresse celui des petites gens arrivistes qui ne reculent devant rien pour essayer d’avoir leur part du fameux rêve américain, quitte à sacrifier celui ou celle qui partage leur vie. Cette petite bourgade du nom de Climax (ou Jouy en version française, ce qui signifie « orgasme »), devient le théâtre de la petite vie américaine et fait penser à un village utilisé pour les essais atomiques américains. Si Dean Martin tient le haut de l’affiche et si Kim Novak devient l’atome de cette histoire, ce sont surtout les électrons qui gravitent autour du noyau central qui intéresse Billy Wilder. Jack Lemmon étant indisponible, le cinéaste jette son dévolu sur Peter Sellers pour le rôle d’Orville Spponer. Au bout de quatre semaines de tournage, le comédien est victime d’une crise cardiaque et rapatrié en Angleterre où il est mis au repos forcé. Billy Wilder doit alors lui trouver un remplaçant. Il décide d’engager Ray Walston, star de la série Mon martien favori, qu’il avait dirigé dans La Garçonnière. Si le rapport était très frileux avec le réalisateur et ses partenaires, le comédien s’acquitte très bien de la tâche et campe un personnage malgré tout attachant, en dépit de son aspect quelque peu rigide. Il est également très bien épaulé par le colosse Cliff Osmond, dont le charisme rappelle celui de John Candy. Quant à la femme, « bien sous tous rapports », qui de mieux que la divine Felicia Farr (3 h 10 pour Yuma), épouse de Jack Lemmon, pouvait incarner à la fois l’épouse dévouée et bien apprêtée, qui dissimule en réalité un tempérament de feu. L’actrice aura d’ailleurs le dernier mot du récit et bénéficiera de la réplique qui donne son titre au film.
Les rôles sont interchangeables chez Billy Wilder, ancien disciple d’Ernst Lubisch. Le mari est à la fois le bigot et le libidineux, la femme à la fois la maman et la putain. Tout ce petit monde se mélange, l’un ou l’une prend la place de l’autre dans le but de se laisser aller à ses pulsions personnelles. A la fin, chacun reprend sa « place ». Embrasse-moi, idiot est une comédie sensationnelle, au rythme fou, merveilleusement interprétée, écrite et photographiée (quel beau CinémaScope), une satire brillante, ironique et cynique, qui n’épargne rien ni personne et qui surtout n’a rien perdu de sa force ni de sa virtuosité aujourd’hui.
LE BLU-RAY
Le Blu-ray d’Embrasse-moi, idiot, disponible chez Rimini Editions, repose dans un boîtier classique de couleur bleue, glissé dans un surétui très élégant. Le menu principal est légèrement animé. N’oublions pas le livret de 28 pages concocté par Marc Toullec intitulé Celui par qui le scandale arrive.
On commence par une passionnante conversation (36’) sur Embrasse-moi, idiot, entre Mathieu Macheret (Le Monde) et Frédéric Mercier (Transfuge). Face à face, les deux journalistes-critiques cinéma croisent le fond et la forme du film de Billy Wilder, en le replaçant tout d’abord dans la carrière du maître. Puis, les interventions des deux confrères se complètent parfaitement, l’un et l’autre rebondissant sur les arguments avancés, sans aucun temps mort. La genèse du film (à partir d’une pièce de théâtre italienne), l’écriture du scénario, les thèmes explorés, les partis pris, les intentions, le casting, la psychologie des personnages, le tournage avec Peter Sellers avant son remplacement par Ray Walston en raison de la crise cardiaque du comédien britannique, et bien d’autres sujets sont abordés avec une passion contagieuse !
L’éditeur propose un documentaire intitulé Billy Wilder, la perfection hollywoodienne, réalisé en 2016 par Julia et Clara Kuperberg (54’). Les deux intervenants principaux sont les historiens du cinéma Tony Maietta et Joseph McBride, qui retracent la carrière hollywoodienne de Billy Wilder, d’Uniformes et jupons courts (1942) à Fedora (1978), même si Victor la gaffe (1981) son dernier film n’est pas évoqué. L’ensemble est illustré par des extraits de films, des bandes-annonces, mais surtout par des propos (en allemand) de Billy Wilder, qui raconte quelques anecdotes de tournage ou sur les acteurs qu’il a côtoyés. Nous apprenons entre autres que le plus grand regret du cinéaste est de ne pas avoir pu tourner La Liste de Schindler, projet qui lui tenait particulièrement à coeur, mais dont les droits étaient détenus par Steven Spielberg. Notons que le fils du scénariste I. A. L. Diamond apparaît brièvement.
Nous retrouvons d’ailleurs ce dernier dans le dernier module de cette interactivité (21’30). Durant cet entretien, le fils du fidèle coscénariste de Billy Wilder, qui aura collaboré avec le cinéaste de Certains l’aiment chaud jusqu’à Victor la gaffe, revient en détails sur le processus créatif des deux amis.
Cette section se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
La restauration numérique d’Embrasse-moi, idiot est très impressionnante. Le nouveau master HD (codec AVC, 1080p) au format respecté se révèle extrêmement pointilleux en matière de piqué, de gestion de contrastes (noirs denses, blancs lumineux), de détails ciselés, de clarté et de relief. La propreté de la copie est souvent sidérante, la nouvelle profondeur de champ permet d’apprécier la composition des plans de Billy Wilder. La photo signée Joseph LaShelle (Laura, Hangover Square, Irma la Douce) retrouve une nouvelle jeunesse doublée d’un superbe écrin, malgré un grain d’origine souvent trop lissé.
Les mixages anglais et français DTS-HD Dual Mono distillent parfaitement la musique d’Andre Previn. La piste anglaise manque peut-être un brin de dynamisme, mais se révèle nettement suffisante. Au jeu des différences, la version française se focalise parfois trop sur les dialogues au détriment des ambiances et effets annexes, mais le rendu musical est élevé. La piste originale, souvent exemplaire et limpide, s’accompagne d’un très léger souffle. Cette version est évidemment à privilégier, le confort acoustique étant plus probant.
Crédits images : © Metro-Goldwyn-Mayer Studios Inc. All Rights Reserved / Rimini Editions / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr