DRUNK (Druk) réalisé par Thomas Vinterberg, disponible en DVD et Blu-ray le 16 juin 2021 chez Blaq Out.
Acteurs : Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Magnus Millang, Lars Ranthe, Maria Bonnevie, Helene Reingaard Neumann, Susse Wold, Magnus Sjørup…
Scénario : Thomas Vinterberg & Tobias Lindholm
Photographie : Sturla Brandth Grøvlen
Musique : Janus Billeskov Jansen
Durée : 1h57
Année de sortie : 2020
LE FILM
Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.
Douzième long métrage du réalisateur danois Thomas Vinterberg (né en 1969), l’un des fondateurs du célèbre Dogme95, Drunk (ou Druk en version originale, ou bien encore Another Round pour son exploitation internationale) offre au magnétique Mads Mikkelsen un de ses plus grands rôles et lui permet de composer un nouveau personnage troublant et fragile, passant du spleen à la détermination, jusqu’à l’effondrement en passant par la colère dans une descente aux enfers programmée. Intense, saisissant, l’acteur a remporté moult prix pour Drunk, y compris son troisième Bodil, l’équivalent danois du César du Meilleur acteur, l’European Film Awards, ainsi que le Prix d’interprétation au Festival de San Sebastián, qu’il partageait d’ailleurs avec ses magnifiques partenaires Thomas Bo Larsen, Magnus Millang et Lars Ranthe. Si comme dans La Chasse le sujet est une fois de plus périlleux, Thomas Vinterberg livre assurément son plus grand film, probablement celui de la maturité, mêlant à la fois l’universel et l’intimiste. Le désir de flirter avec l’alcool, légitimé dans Drunk par la théorie du psychologue norvégien Finn Skårderud, selon laquelle l’homme serait né avec un taux d’alcool dans le sang qui présenterait un déficit de 0,5g/L, confrontera les quatre personnages principaux à leurs problèmes et à leur mal-être. Parallèlement, Drunk traite aussi de la jeunesse et de l’insouciance qui se sont définitivement envolées et du mirage de les retrouver par l’intermédiaire de l’alcool, une cible que notre quatuor rêve de (re)conquérir, jusqu’à la chute qui sera particulièrement brutale. Au-delà de l’extraordinaire prestation des comédiens, on ressort autant secoué que bouleversé de Drunk, comédie-dramatique psychologique que l’on pourrait presque voir comme un chaînon manquant entre La Grande bouffe – La Grande abbuffata (1973) de Marco Ferreri et…P.R.O.F.S. (1985) de Patrick Schulmann. Complexe, passionnant, drôle, émouvant, enivrant, cérébral, populaire, ce chef d’oeuvre ne cesse de triturer les méninges et les tripes bien longtemps après.
Cuite existentielle
Alors oui, on en viendrait à manquer de mots pour qualifier le jeu, le charisme et le talent de Mads Mikkelsen. Mais Drunk est en fait un film choral dans lequel tous les comédiens brillent de la même façon, en premier lieu Thomas Bo Larsen (Pusher de Nicolas Winding Refn, Les Héros, Festen, La Chasse, en fait quasiment toute la filmographie de Thomas Vinterberg), Magnus Millang (Les Enquêtes du Département V: Miséricorde de Mikkel Nørgaard, La Communauté et Kursk de Thomas Vinterberg), Lars Ranthe (également présent dans La Chasse et La Communauté), sans oublier la sublime Marie Bonnevie, révélée en 2002 dans le rôle-titre de Dina d’Ole Bornedal. Les protagonistes font irrésistiblement penser au publicitaire Harry (Ben Gazzara), au journaliste Archie (Peter Falk) et au dentiste Gus (John Cassavetes), les quadragénaires du légendaire Husbands (1970). Comme dans ce dernier, Martin, Tommy, Nicolaj et Peter, mènent leur petite vie, apparemment sans histoire, certains à la tête d’une famille, jusqu’au jour où un événement, ou comment se livrer à l’ivresse au quotidien, va donner un coup de fouet à leur existence. Mais cela ne sera qu’apparence, éphémère surtout, puisqu’ils seront finalement confrontés encore plus violemment à ce qu’ils avaient bien calfeutré en eux, une tristesse et une mélancolie incommensurables, autrement dit leur mortalité, qu’ils pensaient pouvoir contourner. Les défis se multiplient, les expériences et surtout leurs résultats tout d’abord concluants les grisent. Ils se lancent dans quelques dérives, qu’ils pensaient contrôler, mais qui leur échappent, jusqu’à ce qu’ils échouent dans la beuverie simple et minable, qui met à jour leur dépression. Ils tentent, en vain, de reprendre en main leur vie quotidienne, mais l’échec est général, tout part en éclats.
Tu t’es vu quand t’as pas bu ?
Drunk est un roller-coaster d’émotions, faisant passer le spectateur du rire aux larmes en un claquement de doigts. On ne peut qu’admirer Mads Mikkelsen pendant deux heures, le moindre regard, embué, épuisé, bas ou d’un coup pétillant, que l’on sent au bord de l’explosion à chaque instant. Quand son personnage parvient enfin à se libérer, à s’exprimer, à lâcher prise, à accepter, tandis que retentit la chanson What a life de Scarlet Pleasure, les frissons prennent le spectateur de la tête aux pieds, car la vie y est merveilleusement célébrée. Le film est dédié à Ida Vinterberg, la fille du cinéaste, décédée à l’âge de 19 ans dans un accident de voiture, quatre jours avant le début des prises de vue. On imagine alors la douloureuse expérience de ce père, qui a dû démarrer son deuil à travers ce récit où les personnages sont obligés d’aller au fond, pour pouvoir remonter à la surface et accepter de continuer malgré tout, malgré les pertes et les disparitions. Quand on sait cela, Drunk devient encore plus poignant.
César du Meilleur film étranger, BAFTA du Meilleur film en langue étrangère et Oscar du Meilleur film international, Drunk est un joyau que nous n’oublierons pas et auquel nous n’aurons de cesse de revenir. Alors, entrez dans la danse, et à votre tour d’exécuter ce virtuose pas de bourré(e) et ce sans aucune modération.
LE BLU-RAY
Après Les Héros, édité en 2008, Thomas Vinterberg revient chez Blaq Out pour Drunk, en DVD et en Blu-ray (ou Bourré, c’est selon). La jaquette, tout comme le menu principal (fixe et musical), reprend l’un des visuels d’expoitation du film.
Aucun supplément ! Immense déception, incompréhensible, irritant, honteux…
L’Image et le son
L’éditeur frôle la perfection avec ce superbe master HD. Les couleurs, toujours sur le fil entre chaud (voire ambré) et froid (tranchant) sont riches, magnifiques, bigarrées à souhait. L’image affiche une clarté constante, un piqué vif et acéré sur toutes les séquences tournées en extérieur, ainsi que sur les nombreux gros plans, le relief et la profondeur de champ sont omniprésents et les détails abondent aux quatre coins du cadre large. Seules les scènes en basse lumière ou en intérieur affichent une très légère perte de la définition.
Il ne faut pas en attendre beaucoup de la piste danoise DTS-HD Master Audio 5.1 qui se concentre essentiellement sur la délivrance des dialogues et la balance frontale. En dehors de cela, les ambiances naturelles et les effets divers latéraux ont un peu de mal à percer et seule la musique – dont le What A Life de Scarlet Pleasure – jouit d’une spatialisation concrète. Même chose sur la piste française, qui dispose également d’un écrin acoustique identique, mais qui repose trop souvent sur les voix.