DEMAIN EST UN AUTRE JOUR (There’s Always Tomorrow) réalisé par Douglas Sirk, disponible en DVD et combo Blu-ray/DVD le 26 mars 2019 chez Elephant Films
Acteurs : Barbara Stanwyck, Fred MacMurray, Joan Bennett, William Reynolds, Pat Crowley, Gigi Perreau, Jane Darwell, Race Gentry…
Scénario : Bernard C. Schoenfeld d’après le roman « There’s Always Tomorrow » d’Ursula Parrott
Photographie : Russell Metty
Musique : Heinz Roemheld, Herman Stein
Durée : 1h24
Date de sortie initiale : 1955
LE FILM
Clifford Groves, fabricant de jouets prospère, a une existence un peu morne, coincé entre son travail et une vie de famille insatisfaisante. De plus en plus seul et délaissé par sa femme Marion, il retrouve par hasard Norma Veil une ancienne collaboratrice pour laquelle il a toujours eu une attirance.
Demain est un autre jour – There’s Always Tomorrow, remake d’un film de 1934 d’Edward Sloman, vient trois ans après All I desire. Le film réunit Barbara Stanwyck et Fred MacMurray, scellant leurs retrouvailles quasiment dix années après le chef d’oeuvre de Billy Wilder, Assurance sur la mort – Double Indemnity. Douglas Sirk dans sa période la plus faste de sa carrière, traite une fois de plus de la cellule familiale dans l’Amérique des années 50 avec ce qu’elle comporte d’égoïsme et de castration, les enfants décidant du bonheur de leurs parents comme dans Tout ce que le ciel permet.
Clifford Groves est un prospère fabricant de jouets, à San Francisco. Il mène une vie trop bien réglée, comme un robot, entre son travail, son épouse, Marion, et leurs trois enfants. Marion est si accaparée par ses enfants qu’elle refuse la surprise imaginée par Cliff pour son anniversaire : une soirée en tête-à-tête, restaurant et cabaret. Cliff, déçu, reste seul chez lui quand on sonne à la porte : apparaît la collaboratrice de ses débuts, Norma Vail, maintenant à la tête d’une maison de couture à New-York, venue pour quelques jours en Californie. C’est avec elle qu’il passera la soirée. Elle l’interroge sur sa vie, sa famille, son travail, évoque des souvenirs communs. Encore une fois Marion annule un projet commun de week-end au soleil, dans le désert. La cadette a une entorse. Mais elle supplie son mari d’aller s’y détendre et s’y reposer. Arrivé à l’hôtel, Cliff tombe sur Norma, élégante, vive, enjouée : elle l’entraîne dans une balade à cheval, à la piscine, sur la piste de danse. Mais le fils aîné de Cliff arrive par surprise, en compagnie de sa fiancée et de deux amis. Il surprend Norma et Cliff, est persuadé d’un adultère et rentre furieux à San Francisco.
Depuis All I desire, le cinéaste Douglas Sirk a pris son envol et aura enchaîné les longs métrages à raison de deux films par an. Entre le western Taza, fils de Cochise, le péplum Le Signe du païen et le film d’aventure Capitaine mystère, c’est surtout dans le genre mélodramatique que le metteur en scène se sera le mieux exprimé sur les Etats-Unis. Demain est un autre jour suit donc de près Le Secret magnifique et Tout ce que le ciel permet, deux coups de maître réalisés après le coup d’essai prometteur All I desire. A cette occasion, Douglas Sirk collabore à nouveau avec Barbara Stanwyck. La comédienne, qui a fait ses débuts sur le grand écran dans les années 1920, entame alors la dernière partie de sa carrière au cinéma. Elle y est une fois de plus sensationnelle et magnétique. Elle retrouve ici son partenaire Fred MacMurray, probablement l’un des acteurs les plus sous-estimés de l’âge d’or d’Hollywood. La complicité et l’osmose entre les deux comédiens est réelle et bouleversante.
De son côté, Douglas Sirk imprègne son film d’une ironie acerbe, ne serait-ce qu’avec le titre et dès son ouverture « Once upon a time » qui renvoie au conte de fées. Si Demain est un autre jour est assurément l’une des œuvres les plus déchirantes du réalisateur, sa vivisection de la famille américaine est aussi rare qu’acérée. De par sa sensibilité européenne, Douglas Sirk s’affranchit du cahier des charges habituelles du cinéma en égratignant le vernis avec lequel ses confrères peignaient le mode de vie américain. Là où la plupart des autres cinéastes se contentaient d’illustrer la place occupée par chacun des membres d’une bonne famille américaine, Douglas Sirk prend le parti d’en montrer les conséquences, l’enlisement, l’ennui.
Dans Demain est un autre jour, Cliff ressent sa vie familiale comme une prison, sa femme comme un puits de routine et d’incompréhension, ses enfants comme des tyrans égoïstes. Cliff tombe amoureux de Norma, qui l’aime depuis toujours, mais ses deux enfants l’espionnent et se rendent à l’hôtel où Norma séjourne pour lui dire leurs soupçons, leur mépris et leur indignation. Norma écoute, comprend leur désarroi mais leur reproche violemment leur indifférence et leur ingratitude vis-à-vis de leur père. Le final est à ce titre cinglant puisque la « bonne morale » est sauve et la cellule familiale n’éclatera pas. La merveilleuse photographie de Russell Metty n’a de cesse de jouer avec les ombres (et celle de la pluie), qui grignotent progressivement l’espoir et l’idylle entre les deux personnages principaux, coupables de s’aimer.
D’une suprême élégance, Demain est un autre jour, qui a entre autres grandement inspiré Carol de Todd Haynes, foudroie encore aujourd’hui le coeur des spectateurs contemporains.
LE BLU-RAY
Demain est un autre jour est édité en combo par Elephant Films. Le Blu-ray et le DVD du film reposent dans un boîtier plastique. Le visuel de la jaquette (réversible avec affiche originale) est très élégant, tout comme le menu principal, fixe et musical. Ce titre rejoint la collection Douglas Sirk disponible chez Elephant, qui possède désormais treize films du maître du mélodrame hollywoodien dans son catalogue. Un livret collector rédigé par Louis Skorecki est également inclus.
En plus d’un lot de bandes-annonces, d’une galerie de photos et des credits du disque, nous trouvons une minuscule présentation de Demain est un autre jour par Jean-Pierre Dionnet (4’ seulement). Producteur, scénariste, journaliste, éditeur de bande dessinée et animateur de télévision, notre interlocuteur, habituellement plus inspiré quand il parle de l’un de ses cinéastes favoris, replace timidement ce long métrage dans la filmographie du réalisateur. Il en vient ensuite aux thèmes abordés dans Demain est un autre jour. Le casting est évidemment évoqué, ainsi qu’aux bijoux créés par Joan Joseff, preuve que Dionnet ne sait pas vraiment combler son intervention, par ailleurs bien trop entrecoupée par de longs extraits du film.
Nous le disions précédemment, Douglas Sirk est un des réalisateurs fétiches de Jean-Pierre Dionnet. Ce dernier lui consacre un petit module de 9 minutes, dans lequel il parcourt rapidement les grandes phases de sa carrière, ses thèmes récurrents, ses comédiens fétiches, les drames qui ont marqué sa vie, son regain de popularité dans les années 1970 grâce à la critique française et quelques réalisateurs (Fassbinder, Almodóvar) alors que le cinéaste, devenu aveugle, était à la retraite en Allemagne.
L’Image et le son
Contrairement à All I desire, Demain est un autre jour a été tourné en 1.85. La profondeur de champ est éloquente, les partis pris du directeur de la photographie Russell Metty sont respectés, comme ces clairs-obscurs qui reflètent l’état d’esprit des personnages tel Clifford qui rentre chez lui. Dès le générique, la luminosité du master (même si visiblement ancien) restauré flatte les rétines, tout comme la propreté de la copie. Le master est sans doute plus grumeleux que celui d’All I desire, tout comme le rendu des visages ici plus vaporeux et les détails manquent parfois à l’appel, mais ce Blu-ray reste de haute qualité.
Il ne faut pas s’attendre à quelques miracles par rapport à l’ancienne édition DVD Carlotta sortie il y a plus de dix ans. Le confort acoustique est moyen avec un rendu parfois feutré des dialogues et un petit souffle chronique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.