CRIME À DISTANCE (The Internecine Project) réalisé par Ken Hughes, disponible en DVD et Blu-ray le 19 mars 2019 chez Movinside / ESC Editions
Acteurs : James Coburn, Lee Grant, Harry Andrews, Ian Hendry, Michael Jayston, Christiane Krüger, Keenan Wynn, Terence Alexander…
Scénario : Barry Levinson, Jonathan Lynn d’après le roman Internecine de Mort W. Elkind
Photographie : Geoffrey Unsworth
Musique : Roy Budd
Durée : 1h29
Date de sortie initiale : 1974
LE FILM
Appelé à de hautes responsabilités à la Maison Blanche, l’ancien espion Robert Elliot n’entend pas quitter Londres sans avoir fait le ménage derrière lui. Son objectif : éliminer les quatre membres du réseau d’informateurs qui en savent long sur son encombrant passé et ses méthodes. Pour ça, quoi de mieux que de monter un plan machiavélique pour les pousser à s’entretuer en quelques heures.
Pour les cinéphiles, Ken Hughes (1922-2001) est le réalisateur du classique Chitty Chitty Bang Bang (1968), d’après le roman de Ian Fleming, co-écrit par l’immense Roald Dahl et le scénariste Richard Maibaum (auteur des James Bond du premier opus jusqu’à Permis de tuer), mais également produit par Albert R. Broccoli, le « père » des aventures de l’agent 007 à l’écran. Un an auparavant, Ken Hughes avait pourtant accepté de participer à la mise en scène houleuse de Casino Royale, à la suite de Val Guest, John Huston, Joseph McGrath et Robert Parrish. Un James Bond hors-série, indépendant, volontairement comique où l’on pouvait croiser aussi bien Woody Allen que Jean-Paul Belmondo, David Niven et Peter Sellers. S’il n’a jamais véritablement brillé au cinéma et que son nom reste encore aujourd’hui méconnu, Ken Hughes faisait partie de ces artisans solides très prisés par les studios. Crime à distance (The Internecine Project), également connu sous les titres plus explicites Le Manipulateur et La Main du pouvoir, est un film étrange, froid, pas aussi glacial qu’une adaptation de John le Carré, mais qui n’en demeure pas moins étonnant dans le portrait dressé de son personnage principal, ici campé par le grand James Coburn.
Ce dernier interprète un ancien agent secret, qui tient à asseoir son autorité dans le monde de la finance américaine. Mais quatre personnes sont témoins de ses activités douteuses. Il décide alors de toutes les supprimer en élaborant un plan démoniaque. Le scénario de Crime à distance est co-écrit par Barry Levinson (rien à voir avec le réalisateur de Rain Man et de Good Morning, Vietnam), également producteur, et Jonathan Lynn (réalisateur de l’adaptation Cluedo, Monsieur le député avec Eddie Murphy et Mon voisin le tueur avec Bruce Willis et Matthew Perry), d’après le roman de Mort W. Elkind. De par son atmosphère trouble et pesante, The Internecine Project rappelle parfois M15 demande protection – The Deadly Affair (1966) réalisé par Sidney Lumet, qui annonçait la mutation du genre espionnage au cinéma. Ici, le film se double également d’une métaphore sur le travail de scénariste, puisque le protagoniste imagine une réaction en chaîne faite de meurtres et de manipulations, comme un scénario prêt à être mis en scène. Confortablement installé derrière un bureau, Robert Elliot, un verre ou un cigare à la main, se contente de souligner chacune des étapes de son stratagème criminel, heure par heure, attendant chaque coup de fil (le nombre de sonneries indique au personnage l’avancée des meurtres commis par ses « pantins ») en espérant évidemment que rien ne vienne contrecarrer ses plans. Cynique et impassible, minéral, James Coburn est à l’aise dans ce rôle peu aimable.
Sur un rythme languissant, Ken Hughes démontre son potentiel derrière la caméra, mais il peut également compter sur deux atouts de taille. L’immense chef opérateur Geoffrey Unwsorth (1914-1978) signe la magnétique photographie. Sa griffe inimitable qui aura transcendé des œuvres telles que 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, Cabaret de Bob Fosse, Zardoz de John Boorman et Superman de Richard Donner est un régal de chaque instant. Ses partis pris luminescents mettent en relief la beauté des ténèbres dans une ville de Londres sombre. A la musique, Roy Budd, compositeur du Soldat bleu de Ralph Nelson et de La Loi du milieu (Get Carter) de Mike Hodges participe également au côté inquiétant distillé au compte-gouttes, tandis que l’étau se resserre autour des futures victimes.
Il ne faut pas s’attendre à un film d’action, mais plutôt à une approche psychologique, mathématique pourrait-on dire, du meurtre, que le montage de John Shirley (Vivre et laisser mourir, L’Homme au pistolet d’or) instaure comme les faces d’un Rubik’s Cube où chacune dépend de l’autre. C’est là la belle réussite de cet étrange et hybride Crime à distance, qui flatte à la fois les spectateurs avides d’histoire d’espionnage et ceux plus intéressés par le cheminement mental des personnages.
LE BLU-RAY
ESC Editions/Distribution redonne vie à Movinside, qui pour l’occasion ressuscite ce film méconnu de Ken Hughes. Crime à distance est enfin disponible en DVD et Blu-ray. Ce dernier est contenu dans un boîtier classique de couleur noire, glissé dans un sur-étui cartonné. Le visuel est très élégant. Menu principal animé et musical.
Pour nous présenter Crime à distance, ESC a misé sur Frédéric Albert Lévy, auteur de Bond, l’espion qu’on aimait (Broché). Durant 25 minutes souvent pertinentes, l’invité de l’éditeur analyse le fond du film qui nous intéresse, en le replaçant dans son contexte politique, économique et social. Le casting est également passé au peigne fin, tout comme l’équipe technique et la carrière du réalisateur John Hughes. Dans son excellente analyse, Frédéric Albert Lévy évoque également la sortie du film, ses différents titres français, et indique que Crime à distance reste un « parfait échantillon du cinéma anglais du début des années 1970 ». Attention, quelques spoilers, dont le dénouement, sont présents.
L’Image et le son
Un Blu-ray (au format 1080p) convaincant, sans se forcer. Le format original est respecté. Il en est de même pour le grain original, bien que très appuyé, surtout durant le premier quart d’heure. Si cela s’arrange quelque peu par la suite, la définition est ensuite aléatoire, la gestion des contrastes est honnête, les couleurs retrouvent un peu de fraîcheur. Quelques points et poussières sont encore présents, visibles notamment sur les nombreuses scènes en intérieur.
Les mixages anglais et français LPCM 2.0 distillent parfaitement la musique de Roy Budd. Néanmoins, la piste française se focalise sans doute trop sur le report des voix, parfois au détriment des ambiances annexes. La piste originale est très propre, sans souffle, dynamique et suffisamment riche pour instaurer un très bon confort acoustique. Les sous-titres français ne sont pas imposés.