COLEGAS réalisé par Eloy de la Iglesia, disponible en coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia – Coffret 3 films : Colegas + El Pico + El Pico 2 le 5 septembre 2023 chez Artus Films.
Acteurs : Antonio Flores, Rosario Flores, José Luis Manzano, José Manuel Cervino, Queta Ariel, Francisco Casares, Isabel Perales, José Luis Fernández Eguia « El Pirri », Ricardo Márquez, Luis Romero…
Scénario : Gonzalo Goicoechea & Eloy de la Iglesia
Photographie : Hans Burmann & Antonio Cuevas
Musique : Miguel Botafogo
Durée : 1h38
Date de sortie initiale : 1982
LE FILM
José et Antonio, qui vivent dans un quartier des bidonvilles de Madrid, sont les meilleurs amis du monde, et la sœur d’Antonio, Rosario, est la petite amie de José. Lorsque Rosario découvre qu’elle est enceinte, les jeunes, qui ne trouvent pas de travail, tentent de récolter l’argent nécessaire pour un avortement en se prostituant dans les saunas homosexuels et en cambriolant un magasin. Désespérés, ils contactent un escroc professionnel. C’est ainsi que commencent les vrais problèmes du trio.
En avril 2022, l’édition en DVD et Blu-ray Artus Films de Cannibal Man – La Semaine d’un assassin (1972) a permis de reparler du cinéaste Eloy Germán de la Iglesia (1944-2006), réalisateur d’une vingtaine de longs-métrages et dont la postérité a essentiellement retenu les opus s’inscrivant dans le genre cinématographique populaire dit du quinqui, qui se focalise sur l’existence des jeunes délinquants, ces derniers étant très souvent interprétés par des experts en la matière, reprenant aussi leur véritable surnom dans les films dans lesquels ils apparaissent, à l’instar de José Luis Fernández Eguia, dit El Pirri dans Colegas. Quand on demande aujourd’hui à un espagnol ce que désigne le mot quinqui, celui-ci vous répondra « gitan ». En réalité, cette appellation argotique est plurielle et ce qu’elle qualifie est également faite de strates multiples. L’un des longs-métrages les plus représentants du cinema quinqui demeure Colegas (1982), qui s’intéresse à une poignée de jeunes gens (forcément) marginaux, ou tout du moins vivant dans la banlieue de Madrid, dans un bâtiment aussi haut que laid, bordant l’autoroute où le trafic incessant couvre les conversations. C’est là que nous rencontrons Antonio et Rosario, deux frères et sœurs, qui l’étaient d’ailleurs réellement. José est le meilleur ami d’Antonio et l’amant de Rosario, et tous les trois doivent faire face à la dure réalité de la vie. Parfois proche du documentaire, Colegas a beau parler de choses graves, le film n’en reste pas moins étonnamment léger, comme si les personnages se rendant compte du caractère inéluctable de la vie et de leur avenir, acceptaient d’embrasser pleinement ce que leur destin leur réserve, sans jamais vraiment se plaindre de leur sort. D’une étonnante fraîcheur, Colegas est un film virtuose où les protagonistes marchent continuellement sur le fil tendu entre la jouissance au quotidien et la chute inexorable qui les attend s’ils devaient trébucher. Pas de juste milieu. Remarquable découverte.
Antonio et Rosario sont deux frères qui vivent dans la banlieue de Madrid. Avec José, l’ami d’Antonio et le petit ami de Rosario, les trois doivent affronter quotidiennement la difficulté de trouver un emploi compte tenu de leurs humbles origines. Toujours empêtré dans la drogue, la situation se complique lorsque José laisse Rosario enceinte, qui ne veut rien dire à ses parents, car ceux-ci ne voient pas d’un bon oeil la relation qu’elle entretient avec José. Ensemble, ils décident que le mieux est d’avorter et pour ce faire, ils demandent de l’aide à Antonio. Le problème est qu’ils n’ont pas d’argent et qu’ils vont devoir l’obtenir rapidement. C’est alors que commencent une série de mésaventures et, conseillés par un ami, Antonio et José décident de se prostituer dans un sauna. Malgré cela, ils ne reçoivent pas d’argent et contactent un trafiquant de drogue, Rogelio, qui leur propose un petit travail en échange d’une succulente somme d’argent. Ignorant le pétrin dans lequel ils s’engagent et pensant que la tâche est facile à réaliser, José et Antonio acceptent l’offre.
Des jeux d’arcade, des barres d’immeubles dégueulasses qui bornent la voie rapide, des enfants qui jouent dans un terrain vague situé de l’autre côté, un père de famille chauffeur de taxi qui s’emmerde dans son boulot et qui laisse à sa femme le soin de s’occuper de tout (y compris quand il rentre de son dur labeur), des frères qui se branlent sur leurs lits superposés…Certains passent leur temps à jouer de la guitare et même à chanter, d’autres (ou les mêmes, tous se ressemblent et partagent la même absence de vie) sont obligés de trouver 25.000 pesetas pour financer un avortement clandestin. Pour cela, ils sont même prêts à vendre leur cul ou plutôt à aller sucer quelques vieilles folles au sauna. Ce qui est fou avec notre trio, c’est qu’ils ne perdent jamais (ou presque) espoir, se rendant même au Maroc pour servir de mules, s’enduisant abondamment le fondement de crème pour se le garnir de sacs de dopes, avant de s’en retourner au pays contre é-culs sonnants et trébuchants.
De fil en anguille, notre trio va croiser la route de « l’organisation », qui va accepter de les mettre sur un coup, allant jusqu’à leur proposer « d’acheter » le bébé en route, qui sera destiné à être revendu à un couple inconnu en Allemagne ou ailleurs. Eloy de la Iglesia ne lâche jamais ses (anti)héros, Antonio et Rosario étant tellement liés, soudés, fusionnels, parfois à la limite de l’inceste, que l’un est indissociable de l’autre. À ceux-ci s’ajoute donc José, formant ainsi un triangle que l’on penserait invulnérable, comme une créature à trois têtes, l’Hydre de Lerne. Alors, quand l’un d’eux est en danger, le reste du trio ne saurait survivre. On peut alors penser à une relecture de Jules et Jim, une fuite en avant de trois personnages, sans penser aux conséquences, qui vivent l’instant présent. Le metteur en scène et scénariste met en relief la transition post-franquiste, ou comment passer d’une dictature à un état où tout est permis (ou presque), les banlieues défavorisées, l’insécurité, le trafic de bébés, l’homosexualité, la drogue à chaque coin de rue et qui allait emporter d’innombrables interprètes du cinéma d’Eloy de la Iglesia, qui lui-même était dépendant à la dope.
Formidablement incarné par Antonio Flores, Rosario Flores (que l’on reverra dans Parle avec elle et Filles perdues, cheveux gras) et José Luis Manzano (acteur fétiche – et sans doute plus – d’ Eloy de la Iglesia), Colegas fait partie de ces films qui une fois vus n’en finissent plus de tourner dans l’esprit des cinéphiles.
LE COFFRET BLU-RAY + DVD + LIVRE
C’est incontestablement l’un des événements de la rentrée septembre 2023 dans le monde de la vidéo en France. Après Cannibal Man – La Semaine d’un assassin, Artus Films revient au cinéma de José Luis Manzano avec l’édition du coffret Cinéma Quinqui de Eloy de la Iglesia – Coffret 3 films : Colegas + El Pico + El Pico 2. Six disques, trois DVD et trois Blu-ray, reposent dans un somptueux Digipack à quatre volets, glissé dans un fourreau cartonné très élégant. La pièce-maîtresse de ce coffret est le remarquable livret de 100 pages signé par le talentueux David Didelot et intitulé « Cine Quinqui : Les Loups sont dans la rue ». Un immense travail de recherches a donné naissance à cet ouvrage indispensable, qui se dévore de la première à la dernière page. Tout, vous saurez TOUT ce qu’il y a à savoir sur le cinéma Quinqui, ses origines, ses codes, les films représentatifs du genre, le contexte historique dans lequel il est né, ses figures emblématiques, les réalisateurs phares, ses variants, son évolution, sa pérennité, sans oublier la carrière d’Eloy de la Iglesia et ses longs-métrages appartenant au cinéma Quinqui…Nous y trouvons aussi une analyse du diptyque El Pico et El Pico 2 signée Simon Laperrière. Aujourd’hui, nous nous penchons uniquement sur Colegas et réaliserons la chronique d’El Pico et de sa suite très prochainement. Le menu principal du Blu-ray de Colegas est fixe et musical.
Si vous avez lu le livre de David Didelot, alors la rencontre avec Laureano Montero et Maxime Breysse (37’) vous paraîtra quelque peu redondante étant donné que les arguments qui y sont avancés feront forcément écho avec ce qu’on a appris dans Cine Quinqui : Les Loups sont dans la rue. Néanmoins, ces interventions demeurent fondamentalement riches et intéressantes, un face à face réunissant le maître de conférence à l’université de Bourgogne (auteur d’Eloy de la Iglesia : un cinéma en marge) et le professeur agrégé d’espagnol à la même université (auteur de Le Cinéma « quinqui » selon Eloy de la Iglesia). N’hésitez pas à visionner ce module bourré d’informations sur le parcours du réalisateur (autodidacte dans le milieu du cinéma, enfance religieuse, ses débuts à la télévision…dans des programmes destinés aux enfants, son premier long-métrage mis en scène en 1969), ses intentions à travers ses films (utiliser le cinéma de genre pour parler des conditions politiques de son pays), ses œuvres les plus célèbres, ses thèmes récurrents et bien sûr ses films inscrits dans le cinéma Quinqui, ses succès au box-office, l’accueil de la critique…
L’interactivité se clôt sur la bande-annonce.
L’Image et le son
Un master HD tout ce qu’il y a de plus convaincant et qui nous permet de retrouver la texture argentique, ainsi que la beauté de la photo originale. Le cadre fourmille de détails, le piqué est acéré, la profondeur de champ éloquente, les matières des vêtements se font ressentir. Mention spéciale aux couleurs lumineuses et variées. L’ensemble est aussi évidemment très propre. Blu-ray au format 1080p.
Seule la version originale aux sous-titres français non imposés est disponible sur cette édition. La restauration est satisfaisante, l’écoute est frontale, riche, dynamique et vive. Les effets annexes sont conséquents et le confort acoustique assuré.
Crédits images : © Artus Films / Captures Blu-ray : Franck Brissard pour Homepopcorn.fr